L’effet Pygmalion
CAROLLE ANNE DESSUREAULT
Il était une fois, au temps de l’Antiquité grecque, un sculpteur du nom de Pygmalion qui vivait sur l’île de Chypre. Cet artiste possédait jusqu’au raffinement l’art de la sculpture. Les femmes s’émerveillaient devant ses œuvres, mais Pygmalion refusait leurs avances, parce qu’il était un peu misogyne, les trouvant toutes imparfaites, vaniteuses et cruelles.
Il rêvait de modeler la femme la plus belle qui soit qui incarnerait la splendeur et la perfection. Après bien des mois d’un travail acharné, il termina son ouvrage, et en effet, la statue d’ivoire qui émergea sous ses doigts habiles était d’une beauté incomparable, d’une blancheur de rêve, aux contours doux, satinés, voluptueux. Elle était si belle qu’il en tomba éperdument amoureux et se mit à lui offrir des fleurs, la couvrir de baisers et l’orner de bijoux. Il en était si fou qu’il la couchait même à ses côtés.
Avec le temps, malheureux de ne vivre qu’avec un rêve, il implora les dieux de lui donner une femme aussi belle et parfaite. Aphrodite, la déesse de l’amour, accepta d’exaucer son vœu. Mais auparavant il devait faire ses adieux à sa créature inerte. Lorsque Pygmalion retourna chez lui, il contempla une dernière fois sa statue chérie, l’embrassa et la serra fort dans ses bras, très triste. Quel ne fut pas son étonnement de sentir la sculpture prendre vie, s’éveiller dans ses bras. Avec un émerveillement qui lui broyait le cœur, il assista à la métamorphose de l’ivoire en chair. Fou de bonheur, il la nomma Galatée. Peu de temps après, les amoureux se marièrent. Neuf mois plus tard, Galatée donnait naissance à une fille, Paphos, dont une cité de Chypre conserve encore le nom aujourd’hui.
Cette légende est principalement rapportée par Ovide dans ses Métamorphoses.
De cette légende, est née ce qu’on appelle «l’effet Pygmalion.»
L’effet Pygmalion
Essentiellement, «l’effet Pygmalion» consiste à nous conformer à ce que les autres attendent de nous, de sorte que leurs jugements peuvent devenir des prophéties autoréalisatrices. Plus les gens croient en nous, plus ils contribueront à notre développement!
Spontanément, c’est ce que nous avons tendance à faire avec nos enfants, parce que nous les aimons inconditionnellement et que nous désirons sincèrement les voir se développer au maximum. Nous croyons en leur potentiel de devenir et de transformation. Le regard de l’autre sur nous compte beaucoup. L’amour inconditionnel qu’un parent porte à son enfant permet à ce dernier de croître comme une plante saine. Ce qui lui permet de croire en lui et de s’aimer. Par contre, lorsque ce regard visionnaire, positif pour ainsi dire, fait défaut, l’inverse se produit. L’enfant croira davantage en ses limites qu’en ses forces. Il aura de la difficulté à s’estimer et à s’affirmer.
«L’effet Pygmalion» a une influence autant sur les jeunes que les moins jeunes. Il nous poursuit tout le long de notre existence, que ce soit au sein de la famille, en amour, au travail, en société.
Les dernières recherches scientifiques le confirment : notre cerveau est programmé pour l’empathie et est neurosocial signifiant que nous ne pouvons nous développer sans les autres. Les neurones miroirs nous font attraper les émotions des autres. Les neurones en fuseau nous permettent de reconnaître en moins de vingt millions de seconde les significations subtiles des expressions d’une personne, autant négatives que positives. Nous sommes sensibles aux sentiments et aux jugements d’autrui.
L’effet Pygmalion en pédagogie
En pédagogie, «l’effet Pygmalion» (parfois nommé effet Rosenthal & Jacobson) est une prophétie autoréalisatrice qui consiste à influencer l’évolution d’un élève en émettant une hypothèse sur son devenir scolaire.
La publication de l’ouvrage Rosenthal et Jacobson dans les années 1960 sur «l’effet Pygmalion» avait pour but de vérifier si les préjugés des enseignants influençaient la production des élèves.
On sait aujourd’hui que les élèves appartenant à des groupes dits stigmatisés réussissent moins bien à l’école, particulièrement si l’enseignant est inconscient des différences de comportements qu’il opère en fonction des élèves. Ainsi, la cause de l’insuccès en milieu scolaire des enfants des milieux défavorisés pourrait ne pas être uniquement liée aux carences de ces enfants.
Bref, Rosenthal réalisa quelques expériences, disons assez troublantes.
Dans la première expérience, après avoir constitué deux échantillons de rats – absolument pris au hasard – il informa un groupe de six étudiants que le groupe no 1 comprenait six rats sélectionnés d’une manière extrêmement sévère, ce qui était évidemment faux. Il leur expliqua qu’ils devaient s’attendre à des résultats exceptionnels de la part de ces animaux.
Par la suite, il informa six autres étudiants que le groupe des six rats no 2 n’avait rien d’exceptionnel en raison de causes génétiques et qu’ainsi on pouvait douter que ces rats trouveraient leur chemin dans le labyrinthe.
Que se passa-t-il? Les résultats dépassaient les prédictions fantaisistes effectuées par Rosenthal : certains rats du groupe no 2 ne quittèrent jamais la ligne de départ!
Après analyse, on constata que les étudiants qui travaillaient avec le groupe de rats no 1, croyant que «leurs» rats étaient particulièrement intelligents, leur manifestèrent de la sympathie, de la chaleur. Inversement, les étudiants qui travaillaient avec le groupe de rates no 2, assurés dès le départ de leur stupidité, ne s’en occupèrent pas vraiment. Ils étaient indifférents.
Dans une deuxième expérience, cette fois-ci dans une école, Oak School, à San Francisco, Rosenthal et Jacobson jouèrent uniquement sur les attentes favorables des enseignants.
Ils ont choisi un quartier pauvre et délaissé, bourré de cancres. Les chercheurs se présentèrent dans une école de ce quartier avec une fausse carte de visite et expliquèrent au personnel de l’école qu’ils menaient une étude à Harvard, financée par la National Science Foundation. L’étude portait sur l’éclosion tardive des élèves (simple test de QI), ils proposaient de recommencer au fil des mois ce test sur les mêmes élèves échantillonnés pour vérifier si les résultats variaient ou non. Bien malins ces deux chercheurs qui simulèrent d’envoyer par erreur aux enseignants les résultats. Ces derniers résultats, bien évidemment, ne correspondaient pas aux résultats réels du test QI, mais comportaient des notes distribuées aléatoirement – vingt pour cent des élèves se sont vu attribuer un résultat surévalué.
Le résultat de l’expérience a démontré, selon Rosenthal et Jacobson, qu’une année après le premier test, les 20 % qui avaient reçu des notes aléatoires se comportèrent exactement comme les souris du premier groupe : une amélioration de leur performance de cinq à plus de vingt-cinq points au test d’intelligence.
Conclusion : «l’effet Pygmalion» est ce regard différent que portèrent les enseignants sur ces élèves qu’ils croyaient supérieurs aux autres.
Mentionnons toutefois qu’il est bon de nuancer les résultats puisque après la deuxième année, les élèves plus jeunes perdirent l’avantage acquis. En revanche, les élèves plus âgés le conservèrent.
Expérience personnelle. J’ose plonger, pourquoi pas? Je me souviens d’une expérience à l’école qui m’influença énormément. Au début de l’année, les élèves de la classe à laquelle j’appartenais passèrent un test d’IQ ainsi que moi-même. Quelque temps plus tard, je crus – de toute mon âme – remarquer une lueur différente briller dans les yeux de mon institutrice quand elle me regardait. Jamais, non jamais, nous ne discutâmes de quoi que ce soit, ni d’un changement de perception à mon égard, tout ce que je sais, c’est que je savais qu’elle me percevait différemment, en mieux, depuis que j’avais passé les tests.
Résultat : mes notes prirent une expansion fulgurante. Je me classai dans les premières, puis, une année plus tard – pourquoi s’arrêter en chemin? – je gagnai la première place que je conservai pendant plusieurs années, en maintenant une très bonne avance avec celle qui me suivait. Je savais dans mon for intérieur que ma confiance s’était expansionnée en lisant une lueur d’admiration dans les yeux de mon professeur. Merci à ce professeur, une madame Desmeules, très grande aux yeux bleus brillants et transparents comme un cristal.
D’autre part, hélas, j’ai aussi vécu l’opposé. Quelques années auparavant, je fus le jouet de menaces émotionnelles d’une religieuse qui avait une très jolie petite fille comme chouchou, elle s’appelait Micheline. Chaque fois que Micheline ne faisait pas ce que la religieuse voulait, elle la menaçait : «Si tu n’es pas gentille, je vais aimer plus Carolle … c’est elle qui va prendre ta place …». Cette attitude déplorable eut un effet dévastateur sur mon cœur! Je ne me sentais pas assez valable pour être aimée en premier, je ne valais qu’une deuxième place!
Sans doute si mes parents avaient été plus psychologiquement éveillés, j’aurais pu leur confier mon tourment, mais ce genre de problème aurait passé pour un caprice, une velléité, à leurs yeux. Si j’avais été rassurée, j’aurais pu démanteler cette croyance qui s’installait en moi comme une mauvaise herbe.
Tant pis : il m’a fallu l’enlever moi-même, avec le temps, à l’aide d’exercices psychologiques et spirituels.
Processus d’autoréalisation des prophéties
Il est possible d’utiliser un processus d’autoréalisation de prophéties pour soi-même.
Émile Coué de la Châtaigneraie, psychologue et pharmacien français, est l’auteur de la «méthode Coué» une prophétie autoréalisatrice, fondée sur la suggestion et l’autohypnose. Cette méthode est une forme d’autosuggestion pour entraîner l’adhésion d’une personne aux idées positives qu’elle s’impose, et ainsi, un mieux-être psychologique ou physique. La méthode qui se veut autant préventive que curative fut à son apogée entre les deux guerres dans les années trente, et trouva un terrain particulièrement fertile aux Etats-Unis, préparé par la «mind cure.» Après, quand la psychanalyse se répandit, cette méthode fut considérée désuète. De nos jours, elle renâit, car elle s’adapte très bien à un développement saint de l’esprit.
Émile Coué répétait souvent que lorsque la volonté et l’imagination sont en accord, l’une ne s’ajoute pas à l’autre, mais se multiplie par l’autre. Il disait aussi que toute idée qui se grave dans notre esprit tend à devenir une réalité dans l’ordre du possible. «Si, étant malade, nous nous imaginons que la guérison va se produire, celle-ci se produira si elle est possible. Si elle ne l’est pas, nous obtiendrons le maximum d’améliorations qu’il est possible d’obtenir.»
L’imagination plus que la volonté détermine nos actes.
Voici une description de la méthode Coué. C’est une méthode très simple. Deux fois par jour, le matin au réveil et le soir avant de s’endormir, il s’agit de se chuchoter à l’oreille, doucement, une prophétie, un message, suffisamment audible pour pouvoir l’entendre, comme suit : «Tous les jours, à tous les niveaux, je vais de mieux en mieux.»
Notons au passage l’expression «de mieux en mieux» qui ne contredit pas la réalité, quelle qu’elle soit. L’expression «de mieux en mieux» évoque l’idée de progression dans le temps. Le mental ne peut contester cette possibilité.
Suivi la semaine prochaine
D’autres aspects de «l’effet Pygmalion» seront explorés la semaine prochaine.
Carolle Anne Dessureault