S’entraîner sans relâche … la plasticité au quotidien!
CAROLLE ANNE DESSUREAULT :
Cet article s’inspire du livre Votre cerveau n’a pas fini de vous étonner de Patrice Van Eersel, rédacteur en chef du magazine Clés. Ici, il s’entretient avec le Dr Thierry Janssen, chirurgien devenu psychothérapeute, qui est actuellement le meilleur vulgarisateur francophone des relations corps-esprit et médecine d’Orient-médecine d’Occident.
Thierry Janssen a pratiqué la chirurgie jusqu’à l’âge de trente-six ans. Estimant que la médecine moderne était sourde à la quête de sens qui se cache derrière nos maladies, il abandonne alors sa carrière d’urologue à l’hôpital universitaire Érasme de Bruxelles. Il suit diverses formations et devient psychothérapeute.
Il a écrit quelques ouvrages devenus célèbres : «La solution intérieure» et «La maladie a-t-elle un sens?» puis, plus récemment en 2011, «Le défi positif» qui dresse un tableau pragmatique du potentiel éminemment lumineux qui réside en chacun de nous.
Le modelage des circuits neuronaux
La neurophysiologie, purement anatomique dans le passé (c’est-à-dire avant les années 1980-90), et même si elle décrivait les aires du cerveau et les fonctions que chacun remplissait, il n’y avait pas de vision dynamique globale du cerveau. On ne disposait d’aucun élément permettant de démontrer que certaines activités, la mémorisation d’un geste ou d’un texte, par exemple, qui exigeait qu’on le répète de nombreuses fois, correspondait à un phénomène de modelage des circuits neuronaux, ni que ceux-ci demeuraient malléables bien après l’enfance.
Comment fonctionne le processus de recherche? Il fonctionne suivant la loi du réverbère où on ne cherche que la zone éclairée où réside une chance de trouver quelque chose.
Sans plasticité, aucun apprentissage ne serait possible
Les connexions dendritiques de nos neurones ne cessent de fabriquer de nouvelles synapses et d’en dissoudre d’autres. Quand on a besoin d’apprendre quelque chose de neuf, certains circuits se créent. Quand on n’en a plus besoin, ils sont abandonnés et dépérissent puisqu’un circuit neuronal a besoin d’être sans cesse réactivé pour pouvoir subsister.
L’articulation entre la conscience et le cerveau
Nous vivons dans un monde nouveau, dominé par le paradigme de l’information et les ordinateurs offrent un modèle métaphorique idéal pour commencer à comprendre comment une information peut se transmettre.
Dans le cerveau, l’information circule (en gros) de deux façons : électriquement à l’intérieur de chaque neurone, chimiquement pour passer à travers la synapse qui relie deux neurones. Au-delà des électrons du courant électrique intraneuronal et des molécules neurotransmettrices interneuronales, il y a quelque chose de plus basique : le bit, l’unité d’information.
À la base, notre psyché est fondée sur des flux d’information. Les différentes aires réceptrices du cerveau sont conçues pour traiter ce flux. Exemple : le flux d’information venant des yeux est acheminé vers l’aire visuelle du cerveau, qui est apte à le transformer en une représentation visuelle. En fait, la plasticité joue dans les deux sens : la fonction crée l’organe, mais on peut dire aussi que l’organe crée la fonction. Si les yeux d’une personne ne fonctionnent pas, si sa rétine ou son nerf optique sont détruits, la science peut aujourd’hui véhiculer des bits d’information lumineuse, via d’autres capteurs, soit tactiles, en direction de l’aire visuelle du cerveau, qui s’arrangera pour donner à la personne une représentation visuelle quand même. C’est ainsi que les scientifiques ont pou aller jusqu’à faire en sorte que des aveugles «voient» par le sens du toucher. Pourtant, si l’aire visuelle cesse de fonctionner dans le cerveau, il n’y aura plus de représentation visuelle, quelle que soit la voie sensorielle choisie.
L’entraînement du cerveau demande du temps
Tout travail d’apprentissage – et la rééducation en est un – demande beaucoup d’efforts, de la discipline, de la régularité et de l’opiniâtreté. Seule une répétition assidue permet aux sportifs, musiciens ou autres, de faire fusionner, dans leur cerveau, les aires motrices des muscles commandant leurs jambes sur la piste ou leurs doigts sur le clavier.
Le cerveau des grands méditants – meilleure réaction au stress
Parmi les études les plus frappantes, figurent celles qui concernent le cerveau des grands méditants. L’équipe du Pr Richard Davidson , de l’Université de Wisconsin, à Madison, a observé, par électroencéphalogramme et par IRMf, les cerveaux de personnes ordinaires et les a comparés à ceux de moines et de nonnes ayant déjà médité pendant au moins dix mille heures. Plusieurs différences flagrantes leur sont apparues, notamment quand on les soumet à des situations à fort contenu émotionnel négatif (en leur montrant des vidéos tragiques), tout le système neuro-endocrinien des personnes ordinaires se trouve ébranlé. Leur cortex préfrontal droit s’active intensément, ils éprouvent des émotions désagréables comme la peur, l’anxiété et la colère, accompagnées d‘une augmentation de la sécrétion d’adrénaline et de cortisol qui participe à ce que l’on appelle la «réaction de stress». Le système neuro-immuno-endocrinien des moins entraînés à la méditation reste beaucoup plus stable, avec un maintien de l’activité de leur cortex préfrontal gauche.
Le cortex préfrontal droit
Dans l’hémisphère droit – le plus ancien en termes d’évolution – le cortex préfrontal se trouve associé à la gestion des émotions désagréables, qui sont autant de signaux d’alarmes datant de la préhistoire : le dégoût, la peur, la colère – en fait, toutes les émotions nécessaires à la survie en milieu hostile.
En lien avec le cortex préfrontal droit, ces émotions désagréables vont stimuler le système nerveux sympathique qui nous met en état d’alerte et de tension pour réagir à ce qui a déclenché l’émotion «désagréable». C’est pourquoi on l’appelle «système nerveux du stress» car il engendre la sécrétion d’hormones, notamment au niveau de glandes surrénales, soit l’adrénaline qui va permettre au coeur de fournir l’effort nécessaire pour réagir à la situation et aux muscles la force nécessaire pour cette même tâche; le cortisol qui va préparer le système immunitaire à une éventuelle agression.
Ces réactions sont a priori bien supportées par l’organisme à la condition seulement d’être brèves et de ne pas se répéter trop souvent, sinon ce dernier finit par user, fragiliser, dérégler toute la physiologie du sujet, le prédisposant à toute une série de pathologies.
Le cortex préfrontal gauche
Thierry Janssen explique que le cortex préfrontal gauche est plutôt en lien avec la gestion des émotions dites «agréables». À l’inverse du système de survie, le cortex préfrontal gauche, plus récent en termes d’évolution, fait partie du demi-cerveau qui nous permet de prendre du recul, de mettre en perspective, d’analyser et de relativiser les événements. Moyennant quoi c’est ce cortex préfrontal gauche qui gère les émotions agréables : l’enthousiasme, l’émerveillement, la joie, qui stimulent le système nerveux parasympathique, dont la fonction est de nous détendre, nous relaxer, récupérer nos forces et régénérer nos défenses immunitaires.
L’équipe de recherche du Pr Richard Davidson a donc constaté que ceux qui avaient médité au moins dix mille heures supportaient les émotions désagréables, tout en gardant leur cortex préfrontal droit au repos et leur cortex préfrontal gauche actif.
Après l’expérience, les chercheurs ont pratiqué sur les méditants un vaccin pour tester leur système immunitaire, ils ont constaté qu’ils produisaient davantage d’anticorps, tout simplement parce qu’ils avaient conservé des défenses immunitaires de meilleure qualité que les personnes qui n’avaient pas médité.
Une conclusion scientifique?
Pas directement, parce qu’il se pourrait que ces moines aient un cerveau génétiquement structuré d’une façon particulière et que ce soit justement cela qui les ait amenés à devenir moines. Ils auraient alors une sorte de propension à méditer, et ce ne serait donc pas parce qu’ils ont médité qu’ils auraient ce cerveau-là. En sciences, toutes les hypothèses sont émises.
MAIS l’équipe du Pr Davidson est allée plus loin : elle a comparé les cerveaux de moines ayant médité dix mille heures à ceux de moines ayant médité quarante mille heures (cela existe), et ils ont constaté que face à ces situations qui, d’habitude, déclenchent des émotions désagréables, ces super-champions de la méditation activaient encore davantage leur cortex préfrontal gauche, généraient encore plus facilement d’émotions agréables et avaient un système immunitaire encore plus résistant que celui de leurs homologues n’ayant médité que dix mille heures.
Il semble donc qu’il y ait une relation de cause à effet entre la pratique assidue de la méditation et l’obtention d’une aptitude à générer davantage d’émotions positives et à avoir de meilleures défenses immunitaires, même quand le contexte devient négatif.
Comment? Pourquoi? Avant de connaître les processus de la plasticité neuronale, on n’aurait pas su expliquer ce phénomène.
Nous savons désormais que nous disposons tous de la capacité d’inverser les effets négatifs dévastateurs d’un contexte émotionnellement négatif.
Conclusion
Pour ma part, je médite assez souvent, mais pas longtemps. Je m’aperçois qu’il y a un changement dans ma force intérieure si je médite régulièrement, force qui tend à décliner et à m’affaiblir émotionnellement quand j’ai un relâchement dans ma discipline.
À tout le moins, en ce qui concerne le cortex préfrontal gauche, je crois que je vais mettre mon attention plus souvent sur lui dans le but d’activer les émotions agréables et de renforcer mon système immunitaire.
Une seule fois ne suffira pas. C’est la constance qui donne des résultats.