Qu’est-ce que le Bellicisme?
YSENGRIMUS — Le Bellicisme est fondamentalement une doctrine commerciale. On vous vend une guerre. Plus précisément on vous vend du guerroyage, une guéguerre. Le principal consommateur du Bellicisme est une administration publique préférablement riche, qui ressent le besoin d’engourdir sa population et de la droitiser en lui insufflant une potion de cheval patriotarde qui la gonflera de l’extase irrationnel des croisades, en assurant de substantiels gains électoraux et un dédouanement implicite des gouvernants face aux besoins matériels effectifs de la société civile… En échange des centaines de milliards engloutis dans le complexe militaro-industriel, dans le pur style du film Wag de Dog mais en immensément plus coûteux, les entrepreneurs bellicistes vous fournissent les apparences d’un conflit, victorieux mais difficile quand même, avec pertes de vies sanglantes et tout le folklore, et où, bien sûr, plus que jamais, tout ce qui clochera sera la faute de l’autre. Il ne faut surtout pas confondre Bellicisme et Militarisme. Le Militarisme promeut le «programme politique» d’une structuration de l’administration civile sur le modèle du commandement autoritaire et intolérant de l’armée. Le Militarisme achevé étant naturellement le gouvernement étatique tenu par une junte avec à sa tête un général. Le Bellicisme ne se soucie pas de ce type de totalitarisme socio-politique menant habituellement au fiasco administratif. Le Militarisme est ostentatoire et public. Le Bellicisme est feutré et discret. Comme un vendeur d’assurance, il se contente de caser son produit et d’empocher, sans tambour ni trompette. De nos jours, le Bellicisme met surtout en marché des fragments artificiels de la bonne vieille tension sociale globale perdue avec la fin de la Guerre Froide au sein d’une civilisation qui, justement, ne marcherait pas si facilement au pas.
Comme toute pratique commerciale contemporaine, le Bellicisme est de plus en plus une arnaque, y compris pour ses propres clients, les administrations publiques elles-mêmes. C’est-à-dire ici que, comme les électro-ménagers, les maisons et les bagnoles, les guéguerres mises en marché par le Bellicisme coûtent de plus en plus cher et sont de moins en moins bonne qualité… La Grande Ratonnade Irakienne de 1991, soi-disant contre la troisième armée du monde, lança le bal des conflits à coûts astronomiques et à résultats de théâtre infimes. On peut aussi mentionner, comme typique mauvaise foi commerciale du Bellicisme, les étirements de conflits, qui, comme les imprévus semi-escrocs reliés, disons, à la construction d’une maison, ou comme les frais d’entretien semi-sabotagiers jalonnant les aléas de la «vie» d’une bagnole, vous allongent les coûts de votre conflit de théâtre de toc pour leur faire atteindre des sommets pharaoniques, d’ailleurs jamais clairement divulgués sur la place publique. Inutile de dire qu’enlisée, coincée, piégée, vietnamisée, pour rapatrier les troupes, l’administration publique devra, encore et encore, casquer. Ces frais seront, eux par contre, claironnés sur la place publique en conformité avec la ferme vision c’est la faute de l’autre du Bellicisme. Ce sera alors: l’administration publique a tant voulu se retirer du conflit que nous tenions si bien (!), voyez maintenant ce qu’il vous en coûte… Seule une administration peu consommatrice de bellicisme mentionnera explicitement des montants chiffrés. “On a dépensé un Trillion dans nos guerres” (Obama dixit en 2010, lors du « retrait » d’Irak – mais il ne précise pas trop dans quelles guerres exactement, ce budget somptuaire). En numération US, un Trillion, c’est un million de millions (dix à la puissance douze). C’est du blé ça les tits copains, foutu en l’air dans de l’improductif pur et absorbé sans ristourne sociale aucune par la portion la moins scrupuleuse et la plus rapace du secteur privé… La ci-devant glorieuse WWII chiffrée en dollars constants, je me demande bien ce que cela donnerait, tiens, pour un résultat autrement historique… Oui, je vous le redit, il se détériore ouvertement, le rapport qualité/prix des guéguerres pour lobbys bellicistes… C’est cher payé en titi pour péter des gueules aléatoirement avec au final un résultat fort indécis.
Finalement, comme le Bellicisme nuit aux autres types de commerces (tourisme sur le théâtre lui-même et négoce international de denrées non-belliqueuses partout ailleurs), il rencontre de temps en temps les résistances du reste de la bourgeoisie internationale, résistances que l’administration publique consommatrice de Bellicisme s’empresse de discréditer en les qualifiant de Pacifisme.
Il y a un Bellicisme américain, c’est clair. Bellicisme politique et Bellicisme d’affaire. L’armée est loin d’être innocente dans cela d’ailleurs, naturellement. Sauf que: visez bien l’entourloupe actuelle. Soudainement, Vlan! L’Iran, c’est trop pour eux et ils le savent. Qu’est-ce à dire? Eh bien, ils font déjà leur piastre amplement avec les ratonnades actuelles dans les déserts et les montagnes, pourquoi s’encombrer d’une vraie guerre? Le Bellicisme-Spectacle, guerre de toc de notre temps, est beaucoup plus payant et moins coûteux, en compétences qu’ils n’ont pas et en pur et simple argent. Ils veulent d’une guerre qui fait dépenser l’administration publique, pas d’une guerre qu’il faudrait avoir le génie de gagner… C’est pour cela que l’état major américain en ce moment est soudainement contre la guerre contre l’Iran. Ils sont parfaitement réfractaires à voir leur lucratif Bellicisme dégénérer en un vrai conflit qu’il faudrait assumer d’une manière douloureusement classique, avec vraies lourdes pertes (dans tous les sens cyniques du terme). Les Bellicistes deviennent alors eux-même pacifistes pour les même raisons que les autres bourgeois pacifistes: protéger leur propre petit négoce international du (vrai) danger guerrier! Non seulement ils vous vendent à gros tarif leurs boucheries sanglantes, mais en plus, c’est de la camelote, même dans le cadre restreint et inique de leur logique guerrière. Le Bellicisme vous fourgue la Guerre-Citron. Tout le monde arnaque tout le monde dans l’import-export du désespoir et de la mort et cela ne va socio-politiquement nulle part.