7 au Front

La dérive budgétariste du souverainisme québécois

Vive-Pays-Basque-Quebec-libre

YSENGRIMUS —  Ce texte est disponible en anglais, en italien et en espagnole ici : Articles du 23 juin[32187]

Salut, solidarité et amitié de la part d’un québécois internationaliste. Je vous convoque ici, sans complexe, à une petite relecture cynico-argentière de l’histoire politicienne québécoise du dernier demi-siècle. On va se donner comme postulat que l’aphorisme suivant, attribué à Maurice Duplessis, est la clef de bien des choses dans une confédération comme la nôtre: Il faut rapatrier notre butin.

On va ensuite froidement envisager que René Lévesque et ceux qui le suivirent dans le demi-siècle agité qui succéda à la fondation du Mouvement Souveraineté-Association en 1968 n’ont jamais vraiment cru à l’idée d’une indépendance nationale viable du Québec. Avec le recul, tout converge en direction de cette hypothèse. Le délai de quatre ans (1976-1980) entre l’élection éclatante du parti souverainiste et le premier référendum sur la souveraineté, le caractère mou, conciliant et brumeux de la première question référendaire, puis l’étapisme, la mythologie des conditions gagnantes, jusqu’à la dérive-distraction xéno-chartiste du gouvernement Marois. Une seule période laisse, avec le recul, l’impression que les ténors du mouvement souverainiste ont pu se prendre un peu au jeu de leur propre propagande, ce sont les années précédant le second référendum sur la souveraineté (1993-1995). Là, la tête a pu leur chauffer passablement, un temps. Mais le cynisme crypto-provincialiste reviendra bien vite.

Il est limpide, depuis un moment, à quiconque procède à l’analyse adéquate de la situation politique dans les sociétés de classes que ces chicanes de souveraineté nationale sont des chicanes de bourgeois, relayées par des partis bourgeois opérant dans un cadre de représentations bourgeois et vivant, en parallèle, en synergie, la crise contemporaine de ce cadre de représentations, de plus en plus assisté économiquement. À partir du moment où on postule que personne, côté québécois, ne croit vraiment à la possibilité effective d’une réalisation concrète de la souveraineté (chez les décideur bleu-et-blanc, hein. Vous et moi, c’est autre chose. On y a cru. On en a rêvé du pays. On dormait profondément), le souverainisme québécois change subitement de visage. De «projet de société» (pour reprendre le mot du temps), il devient épouvantail pour faire peur au gros voisin bourgeois d’en face. Graduellement le souverainisme a cessé d’être une anticipation programmatique pour devenir, plus prosaïquement, un lobbying au ras des mottes, et au présent.

Attention, important. Je ne crois pas qu’il y ait eu là-dedans quelque chose d’occultement orchestré ou de sciemment et/ou cyniquement décidé. Je crois bien plus que c’est venu, par effet de repoussoir colonial, de la poussée réactive des fédéraux qui, involontairement (puis, eux aussi, de plus en plus volontairement), ont joué du soufflet sur le feu de camp souverainiste. Les Burns, Landry, Lazure, Laurin, Payette, Parizeau et Lévesque en bois brut de 1969-1979 ont pu, un temps, vouloir mettre en place une sorte de souveraineté-association bizarre avec le reste du Canada. Récolte maigre et difficultueuse, sur fond de «il y a pas d’argent pour ça dans le contexte de crise actuelle» (elle date d’un bon moment maintenant, la bien commode rhétorique de la crise). Mais le déraillement et l’apparition du vrai développement de la péréquation fédérale-provinciale perverse sont apparus lors de la mise en place du premier référendum sur la souveraineté. C’est alors et alors seulement que les torrents de fric Pro-Can et Pro-Non ont submergé le Québec. Soudain l’esprit ratoureux du colonisé s’est pris dans la gueule et dans le cerveau l’angle d’approche qui allait torvement s’imposer dans les vingts années suivantes (1980-2000). La négociation de bon ton n’attire que de l’austérité et de la pingrerie budgétaire. C’est le danger d’une manœuvre politique de grande envergure adéquatement démagogisée (en italique ici: la définition du mot «référendum» dans le cadre anti-citoyen de la politique bourgeoise) qui subitement a ouvert les puissantes vannes à fric du Canada. Car, effectivement autant que perversement, l’argent Pro-Can et Pro-Non fut, l’un dans l’autre, de l’argent «pour le Québec», déversé au Québec et dont toute une faune québécoise profita largement, si ta tunique était de la bonne couleur naturellement. C’est ainsi que, dès 1980, implicitement du moins, tout fut dit. Après la défaite du référendum de 1980, le pli budgétariste du souverainisme québécois était pris. Oh, regarde donc ça! Quand le gros gorille bleu brassait sa cage assez solidement, le geôlier en rouge se mettait à lui jeter des bananes pour qu’il se calme un moment.

L’alternance politicienne québécoise de la période 1980-1995 fut marquée au coin de cette dynamique veule. Voter pour le Parti Québécois tendait, fantasmatiquement ou réellement, à augmenter les possibilités de péréquations fédérales. Voter pour le Parti Libéral du Québec correspondait à une accalmie fiscale dont le Canada anglais profitait pour récupérer partiellement sa mise tant financière que politique. Le summum de cette mesquinerie politico-budgétaire fédérale fut le fameux échec de l’accord du Lac Meech en 1990, trahison perfide menée de main de maître hypocrite par le Canada fédéraste sous le nez pointu et blêmissant d’un Robert Bourassa ouvertement flouzé par les limitations intrinsèques de sa propre conciliance fédéraliste. Le référendum de 1995 marqua à la fois une culmination et une fracture de cette solution fédérale du Throw money at the problem. Effectivement, les coûts pour casser ce second référendum furent si pharaoniques et les malversations furent si virulentes que cela déboucha frontalement sur le ci-devant Scandale des Commandites. La perversité budgétaro-souverainiste du colonisateur et du colonisé ouvertement coalisés contre leurs populations culmina, mais aussi déborda, en 1995. Après ça, effectivement, quelque chose se cassa dans la machine de péréquation perverse des nationaleux et des fédérastes subtilement collusionnés. Une autre phase se préparait.

C’est que, quelque part à Ottawa, s’installa la conscience politicienne du fait que ce qui était coûteux en pognon de transferts pervers et réactifs ce n’était pas le souverainisme comme émanation philosophico-fantasmatico-culturelle du peuple québécois mais bien le référendum comme action politico-démagogique effective d’un certain parti québécois spécifique. C’est donc le référendum qu’il fallait verrouiller, pas le souverainisme. On lança donc, circa 1997, depuis Ottawa, la Loi sur la Clarté référendaire (parachevée en 2000), une limpide obligation zigouillant à la fois les libellés de questions et les pourcentages recevables de réponses favorables. Québec contesta cette doctrine mais un fait reste. Statistiques en main, il est désormais impossible pour le mouvement souverainiste québécois de remporter un référendum qui rencontrera les critères «légaux» de «clarté» des fédéraux. Un troisième référendum sur la souveraineté est conséquemment une cause foutue. Perdu, il assommera le mouvement souverainiste pour toujours. Gagné, selon les critères québécois, il ne rencontrera pas les critères de clarté des fédéraux et débouchera sur une absence de reconnaissance par Ottawa, débouchant elle-même éventuellement sur un rapport de force qui finirait à l’avantage du Canada anglais, quitte à faire entrer l’armée canadienne dans les grandes villes québécoises, comme lors de la crise-prétexte d’Octobre 1970. La merveilleuse démocratie mythico-démago ronron des grandes causes coûte finalement trop cher à étrangler en affectant de jouer le jeu (et en le trichant de facto au fric). Vaut mieux désormais, pour les fédéraux, restreindre la susdite démocratie par de la législation corsetant solidement les référendums du futur. C’est plus autoritaire mais bien moins coûteux en pognon et en scandales de combines de financement occulte Pro-Non (coûts et saletés politiciennes dont même la population du Canada anglais commençait à s’émouvoir). Le référendum comme serrure ouvrant les vannes à fric fédéral est désormais une option solidement verrouillée. Ou alors la clef est cassée, ou cachée, ou elle a été gobée par Stéphane Dion. Choisissez votre métaphore. La propagande des capitaines de milice, notamment sous Pauline Marois, fit ensuite le reste pour bien présenter, abstraitement et comme axiomatiquement, le référendum comme un comportement couteux, démobilisateur, diviseur, bâdrant, encombrant et inutile. Finalement, le principe reste: un peuple occupé ne se libère pas pacifiquement de son occupant. Et… pour ce qui est de se libérer «belliqueusement», rien ne s’est arrangé non plus sur cette avenue là depuis 1837-1838.

Ceci dit, la dérive budgétariste du souverainisme québécois ne s’arrête pas là. Elle continue de se déployer, mais désormais en une dynamique insidieusement inversée. Sur fond de désaffectation souverainiste de la jeunesse (jeunesse qui, de fait, est plus sociale que nationale, ce que j’approuve totalement), les fédéraux la jouent maintenant dans le sens contraire, un peu comme avec un oléoduc dont on inverserait la direction du flux. On vous inondait de fric pour vous garder dans la fédération quand votre fond populaire était souverainiste, on vous impose l’austérité budgétaire maintenant que votre fond populaire ne vous suit plus et qu’on vous tient. Les partis fédéralistes provinciaux, le Parti Libéral du Québec (actuellement au pouvoir à Québec) et la Coalition Avenir Québec (seconde opposition) sont donc profondément fiscal conservative. Pendant que le gouvernement fédéral canadien se prépare sans broncher à payer un milliard de dollars (ou plus) pour brise-glace Diefenbaker  (et fricote d’autres dépenses pharaoniques, surtout dans les secteurs militaires, dont je vous épargne le lassant détail), le Québec ne doit pas attendre trop de la péréquation contemporaine. Alors que le capitalisme occidental en crise se financiarise chroniquement et devient de plus en plus un glorified assisté budgétaire, sur la scène fiscale québécoise c’est: plus de référendum souverainiste plus de brasiers socio-politique à éteindre, plus de brasier socio-politique à éteindre plus de fric déversé en urgence dans la bucolique vallée du majestueux Saint Laurent. Bien circonscrit dans cette dynamique bourgeoise sans solution radicale, François Legault compare de plus en plus, sans complexe, son parti à l’Union Nationale de Duplessis. Il entend très ostensiblement la jouer sur le ton du Il faut rapatrier notre butin post-duplessiste face à un Parti Libéral du Québec, fiscalement plus docile envers les fédéraux. En même temps et du même souffle, la Coalition Avenir Québec vaut paraitre plus à droite que la droite pour bien plaire à la bourgeoisie affairiste des deux nations. Elle fait donc co-exister son post-duplessisme de ton avec un discours très abruptement fiscal conservative. On a pas peur des paradoxes doctrinaux à droite… si ça paie. Et puis, est-ce vraiment si paradoxal, finalement, que d’allier nationalisme et conservatisme?

Le gorille bleu va continuer de brasser sa cage coloniale flacotante quoique bien verrouillée. Le tapage, les grognements et les (quelques) bananes y seront encore. Dans le cerveau embrumé du gros singe ahuri, seule la souveraineté nationale va passer graduellement de grand espoir bourgeois à grand rêve bourgeois oublié. Le déclin parlementaire du Parti Québécois (je lui donne encore dix ans de survie. Il pourrait même retourner niaiser au pouvoir) symbolisera graduellement la mort lente d’une idée qui, depuis le départ, était, au pire mensongère, au mieux illusoire… en tout cas colonialement fallacieuse. Corse, Écosse, Catalogne, Guadeloupe, Pays Basque, Québec, prenez acte. L’Occident ne s’intéresse à la «souveraineté nationale» que si cela sert localement ses intérêts crasses, sans plus (Ukraine, Sud-Soudan… n’épiloguons pas, ça deviendrait vite parfaitement grotesque).

parti-quebecor

10 réflexions sur “La dérive budgétariste du souverainisme québécois

  • Pablo Lugo Herrera

    Bourgault l’avait dit:  » un référendum c’est comme dire: on vous a battu, mais on vous donne une deuxième chance au Fédéral pour nous battre.  » Ce parti minable disparaîtra aux prochaines élections et on vivra un bipartisme!

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  • Ping : La dérive budgétariste du souverainisme québécois « Le Carnet d'Ysengrimus

  • Merci Ysengrimus pour ce Post qui explique très bien ce souverainisme a l’envers qui a servi tous les petits profiteurs attardés et colonisés de tout poil qui aujourd’hui collectionnent les millions ! J’admets que je ne l’ai pas vu sous cet angle…. et ma foi, tout ça est a gerber ! Et ne m’en voulez pas lorsque je vous dit qu’il n’y a strictement plus rien d’attrayant a vivre encore dans la belle province, car je crois que si on leur donnait le choix, les gens foutront le camps d’ici et laisseront les p’tits arrivistes politiciens affamés et leur  »tinamis » se suicider comme la secte de l’ordre du temple solaire ! Ce pays est empoisonné autant par ces classes politiques du Québec que leur rivaux anglais du fédéralisme ou les libéraux ! et même les pseudo communistes ou la gauche radicale ont retourné leur veste ! tout le monde ment, tout le monde se sert dans la grotte d’Ali baba et se remplit les poches, et tout le monde se fout du peuple qui lui n’a jamais eu de vie, sauf la vie de chien qu’on lui connait ! et c’est la raison pourquoi je suis révolté lorsque je vois les français de France se plaindre, ils n’ont pas la moindre idée de l’enfer Canadien et Québécois ! Nous sommes a des années lumière de la liberté d’expression qui existe en France, de sa qualité de vie, de son système de santé et du reste malgré tous les problèmes qu’on lui connaît a la France !

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    • Salut ami Sam ! Tu sais, la liberté d’expression et tout ça, quand tu vois ce qui arrive à l’association Anticor qui justement luttait contre la corruption : bâillonnée, et mieux que cela, avec effet rétroactif pour tout ce qui s’est passé (et il s’en est passé !) depuis deux ans. Quand tu vois que les hordes directes de la place Beauvau (ministère de l’Intérieur) sont allées arrêter simultanément des personnes un peu partout en France, tout en interdisant un collectif complètement informel, sans chefs, sans vrais porte-paroles, simplement parce qu’il aurait créé des troubles…. mais en fait parce qu’il dit tout haut des vérités qui dérangent !
      Bien entendu, chez les résistants de Notre-Dame des Landes (la ZAD existe toujours), il y a eu aussi des gardes à vue, chez des personnes que je connais. Nécessairement, il va y avoir un jour peut-être proche, qui illustrera le livre de Julien Coupat de 2007 L’insurrection qui vient. Je pense que dans pratiquement tous les pays sous le joug de l’OXYDANT le mécontentement gronde.

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  • Je vous jure que si je pouvais me le permettre, j’irais vivre moi aussi au bled, ou alors me payer la petite fermette en ruines du Portugal ou de l’Espagne et foutre le camps d’ici a tout jamais ! d’ailleurs une fois, parti une semaine dans une île des caraïbes, et faisant de très longues marches le long de plages magnifiques, vierges et sauvages, immenses et sur des kilomètres, je voulais plus retourner a l’hôtel ! :)))) je voulais rien du tout, sauf me construire un abri sous les cocotiers et comme Tom Hanks dans le film Cast Away, bouffer des crabes ou crever sur place …. mais ne plus retourner ! :))) et même lorsqu’on voulait nous embarquer dans l’avion du retour…. je réfléchissait comme un  »boat people »… je voulais m’enfuir, faire le mur de l’aéroport et disparaitre dans la nature…. mais ne plus retourner ! :)))))))))))))))))) C’est a ce point mon cher !

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  • Comme on dit en bon Québécois : CHUI PU CAPABLE ! :))))) OSTI DE TABARNAK ! :)))) JE PEU PU LES VOIR CALISSE ! :))))

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    • Comme on dirait dans mon coin du nord de la Saintonge, « Thié TARZAKEURVA allant nous faire mouri ! O l’a pus qu’à monta à l’envers les dails et les fauçeuilles. »
      Après tout, tout cela est bien proche de la chanson phare de mon ami Gilles ! Sauf que lui chantait (en 1970) pour la Bretagne, c’est un peu plus au nord.
      https://www.youtube.com/watch?v=k4t1w7Xqqsw

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  • Merci Ami Jean Claude pour ton intervention. On s’entend que la liberté d’expression en France vue a partir de la France ne vaut pas grand chose pour le public, mais je parlais d’ici au Canada et au Québec, dont le régime politique est très similaire au Tiers-monde sur la liberté d’expression, et sur les médias autorisés pour divulguer et mettre a jour les scandales, ou encore pire, sur la Justice dans ce grand pays qui ne se mêle presque jamais d’affaires Politiques, les juge ou les sanctionne ou condamne leur auteurs. Ici c’est encore l’impunité en plus du bâillon sur la liberté d’expression des médias, ou de la constitution de médias libres a la base… car seuls les médias au service de l’Establishment sont autorisés comme au Bénin en 1960 ! :))))….le Canada, un pays du G7, qui l’aurait cru ?!!!

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