Sur le gouvernement par les sages et sur le mal involontaire (pastiche maïeutique de Socrate)

YSENGRIMUS — Un moment d’interaction respectueux mais critique entre Florence (jouée par une correspondante anonyme) et le vieux sage grec qui n’écrivait jamais. Cet échange est cité depuis l’officine de correspondance de Socrate (pastiché par Paul Laurendeau/Ysengrimus) sur DIALOGUS.

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Bonjour, Ô Socrate…

Dis-moi Socrate…. J’ai lu diverses choses à ton sujet, et je crois que je peux dire que j’adhère totalement à ta manière de penser. Vois en moi une disciple qui souhaite avancer plus loin grâce à toi. Mais, cependant, il y a quelques points qui me heurtent… Cher Socrate, aide-moi à y voir plus clair!

Voilà… Tes discours au sujet de la démocratie, où tu dis qu’en vérité, la démocratie n’est pas véritablement juste et qu’au contraire, il faudrait nommer des sages, qui n’attendent rien de particulier et qui veulent le bonheur des citoyens… Eh bien, cette phrase-là, bien que je sois totalement d’accord avec toi, est impossible à mettre en pratique! Voyons Socrate, soyons réalistes! Crois-tu vraiment qu’un jour, nous élirons les «sages» et que nous mangerons de l’herbe parce qu’il faut avoir du respect pour les animaux, qui sont, selon toi, animés d’une âme et d’une conscience?

Vois-tu, j’ai lu quantité de bouquins, et quantité de dialogues… Je te rassure en te disant que dans l’idéal, je pense comme toi, et que si tu étais vivant, je passerais des heures à te suivre et t’écouter… Mais quant à la question de la mise en pratique, ou d’un retour en arrière pour vivre selon tes dires, eh bien c’est là que j’ai le plus de problèmes, car je n’en vois pas l’issue finale. Se faire gouverner par des sages mettrait le chaos; à mon avis bien sûr! Car dans la vie, qu’on le veuille ou non, on a besoin d’un berger qui guide ses moutons. Il peut employer certainement tout son verbe pour amener à lui ses chers protégés, mais un bâton sera peut-être nécessaire pour les récalcitrants… qui ne verront aucunement l’intérêt d’écouter la voix de la sagesse.

Et puis, Socrate, j’ai besoin de ton avis, sur un autre point… j’ai beaucoup réfléchi, et j’en suis arrivée à la conclusion que l’homme n’existait que par le sens qu’il donne à sa vie. Je m’explique: je suis un être vivant, doué d’une conscience. Je me lève le matin, et je vais me coucher le soir. Mais si en définitive, je ne donne pas un sens véritable à ma vie, un leitmotiv… eh bien ma vie ne sert à rien, et je dirai, pour aller aux extrêmes, que je peux me comparer à un animal qui, dépourvu de conscience, ne donnera aucun sens à sa vie sur cette terre…

Aide-moi Socrate, mon Maître à penser!

Je te salue et m’incline, attendant sur ta réponse!

Florence

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On me rapporte Florence qu’en ton temps des hommes et des femmes très puissants possèdent des empires économiques qu’on nomme, je crois, «entreprise». Ils dominent des secteurs d’activité immenses, prennent des décisions affectant des millions de gens et ne sont même pas élus. Ils contrôlent même les élus comme des marionnettes. La voilà ta belle démocratie: un théâtre de pantins déjà pleinement manipulé par les «sages» de Socrate. Elle est bien complètement là, cette «mise en pratique» que tu réclames. Il ne manque plus qu’une petite chose pas trop anodine: que ces sages soient vraiment sages… Ils ne le seront certainement jamais tant qu’ils perpétueront l’illusion démocratique sous l’oeil exorbité des naïfs.

Autrement, je comprends parfaitement qu’il faille donner un sens à ta vie mais n’oublie pas que le vrai sens de toutes nos vies c’est celui de voir la vérité vraie derrière le buisson bruissant des apparences fallacieuses.

Socrate

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Cher Socrate,

Merci pour ta réponse. Je comprends très bien ce que tu me dis. Permets-moi d’y ajouter ma déduction. Il me semble bel et bien impossible qu’un jour nous soyons gouvernés par des hommes qui ne seront attirés ni par le pouvoir, ni par l’argent ni par la gloire, qui auront trouvé le bonheur et qui désireront nous voir avancer sur ce chemin… Et si par hasard, certains en ont l’ambition, ils étaient écrasés à court terme par tous les autres, qui forment l’immense majorité. Penses-tu comme moi?

J’ai encore d’autres choses que j’aimerais que tu m’aides à éclaircir. Tu dis: «Je suis Grec, Mademoiselle. Pour moi, l’amour égalitaire ne peut exister qu’entre deux hommes. Si vous venez d’une époque mythique où les hommes et les femmes sont égaux, peut-être m’annoncerez-vous demain que les êtres humains volent dans le ciel, ou qu’on fait cuire le brouet en moins d’une minute. Vous me parlerez alors d’un monde que je ne comprends pas, que je suis incapable de comprendre. Un monde fou et fulgurant. Un rêve.»

Peut-être penseras-tu que je veux défendre la position des femmes; en fait, pas vraiment, j’ai plutôt un parallèle à faire. Tu parles d’amour égalitaire, n’est-ce pas? Accepteras-tu si je dis que bien que je sois d’accord lorsque tu dis que l’amour égalitaire ne peut exister qu’entre deux hommes, je pense alors que l’amour est aussi égalitaire entre deux femmes. Mais en disant cela, nous allons contre la nature… car la nature a fait l’homme… et puis la femme. Deux hommes ou deux femmes ensemble ne procréeront pas, et nous pourrons dès lors tourner en rond. Mais, je pense soudain à une chose… l’argument phallique est bien ce qui te fait soutenir cela, non?

Je ne conteste pas la supériorité de l’homme. Il est plus fort, et je pense qu’il est normal qu’il domine sa femme dans le respect de sa personnalité, bien entendu. Et pour moi, qui vit dans le 21ième siècle, c’est une thèse que je soutiens pleinement, toute femme que je suis!

Et encore une chose, sur un tout autre sujet. Après réflexion, je pense que «tout» et «rien», veulent dire la même chose. Qu’en penses-tu?

Et aussi, un autre thème qui me tient à coeur, tu dis que nul n’est méchant volontairement, ou qu’il le fait par ignorance. Mais, dis-moi, ô Socrate, de quelle sorte d’ignorance parles-tu? Pour moi, il y a en a plusieurs.

Au plaisir de te lire… et de débattre avec un Maître tel que toi.

Florence

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Ta déduction pessimiste sur le régime des sages est aussi fallacieuse que la déduction qui me mène à affirmer -bien intempestivement, selon toi et les gens de ton temps- que les humains ne voleront jamais dans le ciel, que le brouet ne cuira jamais en une minute et que la femme ne sera jamais l’égale de l’homme. Dans l’univers bien hasardeux de la prospective, il faut se méfier intensément de nos certitudes. Ces dernières sont du présent alors que la tentative prospective est censée se prononcer sur le futur. Le régime des sages viendra. Il est simplement une utopie pour toi autant que pour moi. Si une impossibilité ahurissante comme l’égalité entre l’homme et la femme est réalisable, c’est qu’absolument rien n’est en soi impossible dans la vie sociale.

Imparable est ton raisonnement par analogie voulant que si l’amour égalitaire ne peut exister qu’entre deux hommes il ne peut aussi exister qu’entre deux femmes. Je suis tout à fait prêt à accepter cela sans réserve aucune. Sur la suite de ce développement que tu soulèves par contre, je te demande simplement ceci: qui a dit que la procréation et l’amour de coeur devaient être réalisés avec la même personne? La procréation est un devoir civique. L’amour est une pulsion privée. Presque tout les sépare.

«Tout» signifie la chose et «rien» signifie l’absence de chose. Ces deux mots s’opposent. Affirmer qu’ils ont le même sens revient à assigner une existence solide au rien, ce qui est insoutenable, ou à nier l’existence du tout, ce qui a été soutenu par maints penseurs fallacieux qui continuent quand même de manger des matières solides et de dormir sur des surfaces molles pour ne pas esquinter une douillette carcasse dodue qui est bien loin de leur être rien.

Sur ta dernière observation, je dirais que d’aucuns pourraient prétendre que tu es bien méchante en parlant d’«argument phallique». Je me contente de te dire qu’il n’y a pas d’argument phallique. Il n’y a que des organes phalliques. Or j’ai la certitude qu’en attaquant mes organes alors que tu souhaitais t’en prendre à mes arguments, tu as posé un geste d’une méchanceté parfaitement involontaire! Il mobilisait simplement tous les types d’ignorances auxquelles tu peux bien vouloir rêver.

Si tu m’énumérais ces dernières, puisque tu prétends qu’il y en a plusieurs, je pourrais peut-être un peu rêver avec toi…

Socrate

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Socrate,

Je dois me rallier à toi pour admettre que nous ne pouvons pas clamer une chose ou un évènement impossible, car, qui sait, nous ne serons certainement pas là pour voir leur éventuel accomplissement. Un point pour toi. Je constate simplement que tu juges que le régime des sages est une utopie, pour le moment. C’est bien ce que je voulais te dire avec mes mots maladroits lors de mon précédent message. Socrate, il te faudra me pardonner, car bien souvent je ne m’exprime pas très clairement…

Concernant ce que tu me dis sur la procréation et l’amour de coeur, voilà les pensées qui me viennent à l’esprit: prétendrais-tu que l’amour de coeur n’est venu qu’avec la nouvelle civilisation? Les gens de ton temps avaient donc de multiples vies? La fidélité ne comptait-elle pas? Car de nos jours, pour ton information, l’amour de coeur est devenu beaucoup plus important que la procréation. J’aurais même tendance à dire que la procréation, surtout dans les pays riches, régresse et perd son sens. Qu’est-ce qui est, selon toi, l’élément de cassure entre ces deux notions? Par contre, je me dis une chose: nous sommes des êtres humains, et ce qui peut nous différencier des animaux, ce sont nos sentiments, notre conscience, n’est-ce pas? Alors je pense tout de même que pour mettre au monde un bébé et s’en occuper, cela exige un minimum d’amour. Bien sûr, j’exclus de cette phrase, tous les accidents de parcours qui peuvent arriver involontairement et qui sont seulement primaires et sexuels. Mais un enfant a besoin de parents pour grandir sainement. Donc, logiquement, je crois qu’on ne peut pas dire que la procréation et l’amour sont séparés. Car si c’était vraiment le cas, eh bien, cela donnerait une société débridée où régnerait le chaos. Penses-tu que j’exagère?

Pour le «tout» et le «rien», il faut que je précise ma pensée. Ton raisonnement est juste, mais quelquefois, même souvent les contraires se trouvent côte à côte. En disant cela, je pense surtout à la haine, située à une respiration de l’amour… Voilà… un peu simple, peut-être?

Bon, maintenant, viens rêver avec moi… concernant l’ignorance… Faire le mal par ignorance: il y a l’ignorance du mot même: le mal, l’ignorance, ou plutôt la méconnaissance de la personne que nous côtoyons, l’ignorance de ce qu’est le bien… Dire qu’on fait le mal par ignorance, n’est pas complet, on peut rajouter qu’on fait du mal par mépris, indifférence, manque de tact, sadisme, égoïsme, etc. Tu sais très bien comme moi, que des gens ont plaisir à voir et à faire souffrir les autres (tortures…), alors c’est à toi de me dire… dans ces cas-là, qui sont volontaires, de quelle ignorance me parles-tu, toi Socrate, mon Maître?

Je m’incline et te salue,

Florence

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Sur le rêve auquel tu me convies, ainsi que sur le reste, je dirai simplement que tu fais bel et bien le mal par ignorance en enchevêtrant amour privé et passionnel pour l’amant de ton choix et amour sapiential, paternel et civique pour ta femme et ton enfant. C’est ta conception qui est le vivier de toutes les infidélités. Dans ma conception, ce mot n’a pas de sens, car chacune des fidélités requise à chacune des étages est intégrale, comme le sont la fidélité à la patrie et à la tribu, qui ne s’enchevêtrent pas non plus avec le reste.

Socrate

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Je lis ton message… mais c’est un concentré que je n’arrive pas bien à comprendre.Peux-tu, s’il te plaît, me donner un exemple? Ce que tu as l’air de me reprocher, c’est d’être multiple, de m’égarer. Je pensais pourtant être logique. Où est par conséquent le mal que je suis censée commettre par ignorance? Et en quoi ma conception est-elle le vivier de toutes les infidélités?

Merci, Maître, d’éclairer ma lanterne,

Je m’incline et te salue,

Florence

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Florence voici,

En étant fidèle envers ma patrie, je ne trahis pas ma tribu. En étant fidèle envers ma tribu, je ne trompe pas ma femme. En aimant ma chère épouse Xanthippe comme je le fais, je ne dupe pas mon amant. En rêvant de mon amant, je ne trahis pas mon fils. Mon amour pour ce dernier reste entier, inaltéré, inégalé. Et mon amant m’aime, sans trahir sa tribu, sa patrie, sa femme ou ses enfants. Pourquoi? Tout simplement parce que, comme aucune de ces instances ne s’est liée par un serment d’exclusivité unilatérale, l’infidélité n’existe pas.

L’infidélité n’apparaît que lorsque, un serment d’exclusivité unilatérale ayant été ouvertement engagé, il s’avère irréalisable à terme et la nature et la subtilité de la vie nous obligent à le trahir. L’infidélité subversive requiert la fidélité exclusive comme repoussoir de sa propre existence.

C’est ton monde ça, Florence, pas le mien. Ton ignorance de mon monde inscrit donc un petit mal dans ton raisonnement. Mais il n’y a pas de quoi en faire un malaise. Généralise simplement adéquatement sur ce que tu vis toi-même. Trahis-tu ton amant en aimant ta sœur? Trahis-tu ta sœur en aimant ton enfant? Trahis-tu ton enfant en adorant ta meilleure amie? Celle-ci est-elle flétrie par le grand amour que tu ressens pour ta mère? Bien sûr que non. Élargis simplement ce cercle à quelques personnes et quelques instances de plus, et te voici en Grèce antique…

Socrate

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Socrate,

Merci, j’ai compris ce que tu voulais dire. Tu as totalement raison.

Puis-je te solliciter pour encore deux choses, Maître? J’ai bien conscience que ton temps est précieux, mais j’ai besoin de comprendre et j’ai besoin de conseils et d’une façon de voir. Explique-moi, patiemment, ta théorie sur le mal que l’on fait par ignorance, ou involontairement. Je mets de côté mes œillères et mes préjugés, et je rends mon esprit libre et ouvert pour comprendre. Car c’est un point que je trouve des plus importants, et surtout, un point central des problèmes de notre monde, et de l’humanité depuis la nuit des temps.

Et puis, Socrate, j’aimerais t’aborder pour un problème d’ordre personnel, et avoir ton opinion. Chaque jour qui passe, je me bats contre un certain non-sens qui m’habite, source d’une grande souffrance. J’ai cette sensation que je dois trouver un sens à chaque jour, à la vie en général. Il y a beaucoup de lucidité, il y a eu beaucoup de questionnements. Tu n’as certainement pas un remède contre le non-sens d’une existence, mais peut-être ma situation t’inspirera quelques mots.

Bien à toi

Florence

P.S. si mes questions commencent à t’importuner, fais-le moi savoir, car je ne veux en aucun cas te déranger.

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Tes questions ne m’importunent aucunement, Florence. La force et l’intelligence du dialogue qu’elles provoquent me laissent avec l’impression que les yeux qui reflètent ton âme doivent être d’une grande beauté humaine.

Je suis, plus que toute autre chose, un ancien combattant. Sparte a attaqué, submergé et occupé ma cité et en a ruiné l’empire commercial. De grandes souffrances ont émané de ces actions guerrières. Et pourtant, martial et belliqueux comme il est, le soldat spartiate ménage toujours ses coups. Il a la sobriété défensive du contre-attaquant et rien dans son comportement, de hoplite ou d’occupant, n’est l’action d’un assaillant. D’un bout à l’autre, Sparte a détruit Athènes, ce joyau de civilisation, en croyant ferme comme fer de lance faire le bien du Péloponnèse.

Athènes aussi croyait faire le bien quand elle étouffait Corinthe, Thèbes et toutes les cités de la confédération spartiate sous son joug commercial. C’est que le mal involontaire porte un autre nom bien plus trivial, Florence. Il s’appelle: la bonne foi. Tu comprends?

Ton impression de non-sens est parfaitement valide. Exister n’a pas un «sens» comme une salutation ou une missive. L’existence n’est pas un message ou un langage. Elle est simplement, sans plus. Ce n’est pas de constater le non-sens d’exister que tu te tortures inutilement. C’est de t’en affliger.

Socrate

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Cher Socrate

Je me dois de te dire merci, du fond du cœur. Pour deux raisons:

– Parce que j’ai compris, (enfin! tu vas me dire…) pour la question du mal par ignorance ou involontairement. Il est vrai que la «bonne foi» peut être à double tranchant. Je n’y avais pas pensé. Cependant, je continue néanmoins à penser que parfois, on fait aussi du mal volontairement, pour le plaisir de voir souffrir, de faire souffrir, et ainsi s’élever par ce moyen au-dessus de l’autre, de l’écraser et prendre le pouvoir. Seras-tu d’accord cette fois-ci avec moi? Exemple: quelqu’un en déteste un autre, et organise une rencontre où il le battra et le laissera pour mort. Le mal, dans ce cas-là est volontaire, non?

– Et puis, concernant la question du non-sens, ta réponse est un baume pour moi et pour cette plaie béante qui est en moi. Peut-être que dorénavant, je cesserai de vouloir à tout prix mettre un sens à l’existence, il me faudra accepter cette idée «d’être» et c’est tout. C’est déjà beaucoup, je crois. Tout simplement «être», sans chercher autre chose… et accepter ce vide, et le remplir si possible.

Pourrais-je, si un jour j’ai de nouvelles questions, te solliciter à nouveau, Maître? En tous les cas, merci Socrate, de tout ce temps que tu m’as consacré.

Je te salue et m’incline, et t’assure de mon respect.

Florence

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Une personne en déteste une autre au point de la battre à mort, Florence. Pourquoi? Elle a été abusée, violentée, elle se défend de quelque chose. Une telle violence ne peut, en raison, être gratuite. C’est comme à la guerre et personne ne fait la guerre volontairement, cela je peux te le dire. On n’accède pas à un tel degré de haine active sans qu’il y ait une cause. Or on ne veut pas nécessairement céder à cette causalité terrible, mais elle s’impose à nous, est plus forte que nous, que notre volonté.

Pour sa part, le plaisir de voir souffrir, de faire souffrir, d’abuser d’un pouvoir est un plaisir, une jouissance, une manière torve de bien donc. C’est comme le plaisir exagéré du vin, de la table ou des étreintes charnelles. Le cruel est comme l’ivrogne ou le sensuel, il est prisonnier de pulsions qui le poussent au mal malgré lui. C’est plus fort que lui. Il ne peut prendre le contrôle de lui-même volontairement. S’il le pouvait, il redeviendrait doux.

Il ne s’agit pas ici de nier les crimes et la violence. Il s’agit de nier la gratuité du crime et de la violence. Il s’agit surtout de nier fermement que la violence soit une option libre. C’est une option contrainte. Prends des humains sans contraintes et regroupe-les en un attroupement de ton choix. Ils seront tout naturellement placides et débonnaires les uns avec les autres. Si un brutal apparaît, il sera perçu automatiquement comme étant celui du groupe ayant un «problème».

Je suis toujours à ta disposition pour débattre de tout.

Socrate

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Cher Socrate, cher Maître,

Je reviens à toi, te souviens-tu de nos dialogues précédents? Si je t’écris aujourd’hui c’est pour te dire ceci. À mesure que le temps passe, je n’arrive plus à me poser toutes ces questions que je me posais jadis. Et je crois maintenant qu’à toutes ces interrogations, seul le silence peut faire face. Car plutôt que d’ouvrir la bouche et d’expliquer ce que je pense, ce que je ressens, je sais que le silence prévaudra, parce que parler, en fin de compte, ne sert à rien. Je n’ai plus de plaisir à parler. On naît seul, et on mourra seul, finalement. À quoi bon chercher?

Que penses-tu de cela?

Florence

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«Te souviens-tu de nos dialogues précédents? À quoi bon chercher? Que penses-tu de cela?» Voilà des questions fort profondes pour celle qui se donne comme ayant renoncé à questionner… Là où tu te fabriques un déni dépité et acerbe de ton questionnement, je vois son approfondissement, son dépouillement, son accession à l’essentiel…

Socrate

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Son accession à l’essentiel? C’est comme cela que tu appelles ce sentiment d’impuissance et d’inutilité qui m’habite? Ce sentiment qui dit que les mots n’ont plus le pouvoir d’exprimer la réalité? Oui, Socrate, tu as peut-être raison en fin de compte. Même très probablement, mais dis-moi Maître, je vais où exactement, sachant cela? Car il faut pouvoir faire face à ce dépouillement dont tu parles, et trop souvent je me sens seule face à cela, parce que personne ne peut comprendre, s’il ne passe pas par le même chemin. Comme j’envie votre aplomb, votre aisance, votre sans-gêne et votre liberté, à vous, les philosophes grecs. Comme je peux me sentir en prison dans ma société! Tu es un exemple pour moi! Et l’idée et le fait de connaître ta vie et comment tu l’as menée, me donnent une force pour continuer à marcher sur ma propre voie. Merci.

Je te salue et m’incline.

Florence

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Eh bien voilà, Florence, tu n’es pas seule dans ta quête finalement. Les philosophes grecs t’accompagnent. Et des philosophes grecs, il y en a bel et bien partout, dans tous les pays et de tout temps. C’est une sorte de folle diaspora. Et sache qu’ils sont comme les vérités fichées dans les éructations de la Pythie de Delphes. Il faut quand même un petit peu… savoir les trouver.

Alors dis-moi: tu vas où exactement maintenant, sachant cela?

Socrate

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Trouverai-je un jour la réponse? D’ailleurs, y a-t-il nécessairement une réponse à trouver? Je crois finalement que non. Quel que soit notre chemin de vie, nos réflexions, les questions surgiront sans cesse, et le cycle n’aura pas de fin. Seule notre finitude y mettra définitivement un terme. Et l’important est de pouvoir un jour l’accepter.

Mes hommages et mon respect, Socrate, mon Maître à penser.

Florence

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N’oublie jamais de transgresser ton fameux maître.

Socrate

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Il n’y a rien à transgresser chez toi Socrate.

Un homme qui prêche qu’il ne faut pas rendre le mal pour le mal, l’injustice par l’injustice… a tout compris. Un homme qui ne se targue pas de tout savoir et qui dit au contraire qu’il ne sait rien est digne de mon respect. Et il y aurait encore beaucoup d’exemples comme cela, mais cela concerne surtout ton futur, et je ne peux t’en parler ici. Sache en tout cas que ton attitude à la fin de ta vie me rend admirative. Mais rassure-toi, je ne fais de personne mon idole. Je fais de toi un exemple, il y a une différence.

Vois-tu un élément que je devrais transgresser chez toi, Maître?

Florence

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Le rapport de la disciple à son maître. Si tu t’intéresses tant à ma volonté, entend qu’il n’y est pas conforme. La nature même de ce rapport corrode mon programme philosophique. Pense cette question à sa racine, Florence, et tu verras le chemin qu’il te reste à faire. Qu’il nous reste à faire à tous les deux…

Socrate (qui, en fait, se devra de mourir pour mériter)

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Je vais sûrement te paraître stupide, mais je ne comprends pas en quoi mon rapport avec toi n’est pas conforme et pourquoi je devrais le transgresser. Moi j’ai besoin d’un maître à penser, sinon je n’ai plus de repères, et ma vie tombe dans le néant. Alors, c’est quoi, ta volonté au juste, j’ai dû louper un chapitre? Je sais qu’il me reste un bout de chemin à faire, (oh pas très long à ce que je sais, mais ça me suffira) mais j’essaierai de le suivre au mieux.

Et puis, pourquoi dans ta signature tu mets que tu devras mourir pour mériter? C’est faux. Tu es un sage homme et ce n’est pas ta mort qui te rendra plus sage encore! Au mieux, elle te rendra éternel aux yeux des générations qui suivront…

Toi, Socrate, noble accoucheur des esprits, je t’écoute. Ton précédent message noie ce que tu veux me dire avec des sous-entendus que j’ai peine à comprendre… Aide-moi à éclaircir tout cela! (si notre conversation t’apporte également, bien entendu)

Mes respects, Maître

Florence

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Aide-toi toi-même, Florence, seule et unique Maîtresse de Florence… Écris-le, ce chapitre que tu crois avoir manqué. Il est déjà là.

Socrate (vivant)

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Vivant? Mais moi, je connais un philosophe qui a été condamné à mort à cause de ses idées. Le tribunal lui reprochait de corrompre la jeunesse; ce n’était nullement vrai, bien entendu. Il aurait pu éviter la mort, mais pour vivre sa pensée et ses prêches jusqu’au bout, il ne l’a pas fait. Il s’est donc donné la mort en buvant la ciguë en compagnie de ses plus chers amis, et sans une once d’hésitation.

Que penses-tu d’un homme qui sans hésiter mourut pour ses idées?

Mes respects, Maître

Florence

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J’en pense surtout que le fait qu’il en meure ainsi indique que ses idées rencontrent pour le moins des résistances au sein des pouvoirs. J’en observe aussi que ceux qui s’opposent à ces susdites idées le font en s’en prenant matériellement au penseur plutôt qu’intellectuellement à sa pensée. Or, il est toujours douloureux et déplorable que l’objection capitale à des idées ne soit pas exprimée… elle aussi sous forme d’idées.

Socrate (qui sait parfaitement de qui tu parles)

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Et de qui est-ce que je parle?

Florence

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Du plus humble et du plus tourmenté des hommes: celui qui n’est plus en harmonie avec la pression de la Polis parce que cette dernière compromet son intégrité.

Socrate

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Je suis jeune, Socrate, j’ai vingt-trois ans. Qu’as-tu envie de me dire pour mon avenir, quel comportement dois-je adopter face à la vie? Face aux épreuves? Quels espoirs dois-je avoir et nourrir? Quel but dois-je viser?

Je compte sur toi et tes réponses pour avancer, Maître

Florence

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Le but cardinal à viser, c’est celui de la connaissance. Une connaissance adéquate de ton existence est la puissance la plus assurée pour prendre possession de ta destinée. Mais sais-tu seulement comment connaître?

Socrate

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Est-ce que je sais connaître? Pour ma part, j’essaie d’avancer dans l’existence en posant ouvertement les questions, sans hésiter à me remettre en cause si nécessaire. Mais cela ne soigne pas tous les maux, malheureusement. Et la connaissance n’est rien sans la lucidité. Ces deux choses vont de pair, et l’une n’est rien sans l’autre. La connaissance amène à la lucidité, et cette lucidité même donne et entretient cette soif incessante de comprendre pour atténuer le choc des éléments appris. Quel doux cercle… cela remplit une vie, je pense…

Comment «connais-tu», toi? En posant des questions? En suivant le principe de la maïeutique?

Mes respects, Maître

Florence

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Les principes de la quoi?

Socrate

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La méthode d’accouchement des esprits, que tu comparais au métier de ta chère maman. La différence dans ton cas, c’est que c’était en paroles et par des questionnements que tu accouchais les esprits.

Florence

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Ah bon! Mais… de quelle façon?

Socrate

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Eh bien… de la même manière que tu fais actuellement avec moi. Tu poses des questions, en avançant d’abord le fait que tu n’en sais pas plus que l’autre, que moi, dans ce cas. De par ton questionnement, tu vas l’amener à aller plus loin dans son raisonnement et à se rendre compte des éléments qu’il avait occultés jusqu’alors.

Reste à voir si tu sauras faire accoucher mon esprit. Parce que, Socrate, je suis comme ces jeunes que tu abordais sans complexe sur l’agora. Je tourne mes yeux innocents vers toi, et j’attends le verdict du maître.

Florence

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Oui, et alors? Quel est-il?

Socrate

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Socrate,

Je ne sais pas à quel jeu tu joues. Si tu ne désires pas poursuivre la conversation avec moi, il serait bien plus simple de me le dire. J’aime les dialogues constructifs.

Florence

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Réponds à ma question alors, s’il te plaît, Florence.

Socrate

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Tu me demandes de me dire ton verdict? Je ne le sais pas. Peut-être que c’est à moi seule de me débrouiller? Que je suis assez grande pour cela? La seule chose que je sais, c’est que je suis très fatiguée, et que chaque jour qui passe, pour moi, est un combat perpétuel pour rester en vie.

Florence

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Je le sais. Ma civilisation a précédé la tienne sur ce malaise aussi.

Socrate

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Et alors c’est quoi le verdict?

Florence

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Quel verdict, Florence?

Socrate

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Que penses-tu de moi?

Florence

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Du bien. Et toi, que penses-tu de toi-même?

Socrate

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Je pense que je suis bien compliquée. Et toi, que penses-tu de toi? Dans quel domaine penses-tu que tu puisses t’améliorer?

Florence

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Dans un seul: l’existence humaine.

Socrate

B-Socrates-crowd

4 réflexions sur “Sur le gouvernement par les sages et sur le mal involontaire (pastiche maïeutique de Socrate)

  • 30 janvier 2015 à 13 h 10 min
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    L’olibrius en complète déroute intellectuelle qui a tartiné ceci:
    Et puisque pour vous, toutes les expressions, même celles des terroristes et des apologistes de ceux-ci, participent de la variété que vous cultivez dans votre journal, pourquoi ne pas diffuser une rubrique révisionniste assumée, car il y aurait la plupart de vos auteurs qui pourraient la fournir avec les archives de ce journal. Tout ce qui changerait serait peut-être que vous assumiez enfin la ligne éditoriale contre la culture occidentale et contre les sociétés ouvertes et libres, et dire enfin ouvertement que votre ligne éditoriale est favorable aux dictatures de toutes origines.
    devrait lire et méditer soigneusement le présent dialogue…

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