François Bouché (1924-2005)

ALLAN ERWAN BERGER — « La mort n’est pas une fin, je m’attends ailleurs, laisse-moi dormir ! » C’est la dernière lettre connue de celui qui, sur son lit d’agonie, se préparait à franchir la porte.
Puis il y avait eu le service, les discours ; et les survivants occupés à batailler avec ou contre des remontées de souvenirs. En premier lieu, les regrets, les choses qu’on aurait dû faire et qu’on n’a pas faites ; les bons moments trop vite avalés. Mais comment aurait-on su, puisqu’en vivant, on improvise à chaque pas ? Tout ceci, bien entendu, le défunt n’en avait cure. Il ouvrait présentement des mirettes larges comme des soucoupes.
Car se dressait devant lui une espèce de génie rouge aux yeux globuleux, avec des sourcils de démon japonais. Un chignon, et le visage féroce du type profondément outragé par le spectacle des petitesses humaines.
« QUELLE EST TA FLÈCHE ? hurla le phénomène…
— LA VOICI ! » rugit illico le candidat, qui tendit les bras et déversa sur l’affreux bonhomme un nuage de couleurs et de cris, une véritable bouillie qu’aucun mortel n’aurait pu analyser mais qui sembla être une réponse tout à fait recevable, car l’autre, tout de suite : « BRAVO ! » et d’une courbette : « Soyez le très bien venu… »
Du diable si j’y comprends quoi que ce soit. Mais le mort n’eut l’air surpris de rien. Tout guilleret, il salua poliment le génie au passage, et s’en fut déguster au large ses retrouvailles avec lui-même.
C’était, en bord de mer, une plage bruissante d’écume avec, à peu de distance, une petite île qui tendait le cou au-dessus des vagues. Un soleil bas dorait la crête des rouleaux. Des ombres, un peu violettes, dansaient au pied des herbes semées dans la dune. En se retournant, le mort vit une prairie ; des rafales y galopaient, y creusaient des nids. On aurait dit des chevaux libres remplis d’allégresse. Au loin apparaissaient des collines, et de puissants nuages tout glorieux de lumière faisaient par là-dessus un barrage aux étoiles.
Il se creusa un nid dans le sable. Là, heureux et placide comme un oursin dans son trou, il regarda au ciel passer les nuages, prodigieux bestiaires. Des formes tentaculaires, qu’une bourrasque d’altitude ébouriffait, faisaient songer aux poulpes, aux étoiles de mer. Il vit, vaste dirigeable, dériver le roi des harengs, qui ondule à la surface des rêves des marins… Cela lui redonna l’envie de créer. De son vivant, il avait été un sculpteur fécond, parfois heureux, mais trop souvent frustré car la création, chez les mortels, est généralement douloureuse. Dans ces moments-là, il tournait et virait dans son atelier, allant jusqu’à se mordre le poing devant un désir qu’il ne pouvait attraper.
Les ébauches des projets en cours, les maquettes d’œuvres réussies qui l’épiaient du haut des étagères, n’avaient jamais réussi à le consoler. Car tout, absolument tout, est toujours remis en cause à chaque nouvel accouchement. Et d’abord : a-t-on toujours du talent ? Où est-il passé ? Suis-je condamné aujourd’hui encore à pelleter de la merde jusqu’à ce soir, jusqu’à la fin de la semaine, du mois, de l’année ? Tandis que la vie s’enfuit, et que rien de beau ne sort comme on voudrait…
Mais ici, au bord de la mer, il sentit se lever en lui la rouge aurore, la puissance du potier. Bientôt, elle fut déployée tout entière, en un désir vaste jusqu’au vertige. Elle était une fleur qui aurait eu la taille de millions de soleils. Puis il crut saisir qu’il était lui-même cette fleur. Dans ses mains, comme du sable, roulaient des mondes et leurs multitudes ; lui se baignait dans l’univers comme un âne béat se vautre dans la poussière du chemin. Il en avait des fourmillements aux bouts des doigts.
Alors, il se leva, ivre, et s’avança vers les vagues ; il plongea dans la mer tiède. Il fit le phoque, il fit des galipettes, il fit des bulles et des bruits de trompette. Il ébroua sa crinière de vieux lion argenté, et des milliers de perles étincelèrent en le nimbant. Il regarda ses mains toutes scintillantes et, à travers ses doigts écartés, crevassés par une vie de travail sur la glaise, il vit le paysage : la campagne, les collines, et la barrière des grands nuages au-dessus de laquelle on voyait sautiller les petites étoiles qui voulaient savoir, nom d’un père Noël, ce que c’était que ce dieu qui venait tout juste de naître.
Il s’est enfoncé dans la campagne. Il a marché dans une savane ; à la fin de la journée, dans les rougeurs du couchant, au pied des collines, il a trouvé une bonne glaise, et un point d’eau que des bêtes piétinent, pour l’instant invisibles. C’est-à-dire qu’il n’y a pas de traces, mais lui les voit, et c’est là toute la différence.
Car maintenant qu’il peut, sans retenue, il ne va pas se priver. Il écarte les mains, il prend une grosse brassée de terre collante qu’il serre contre sa poitrine, et puis il s’avance vers une pierre bien plate.
Des nuées de bêtes sortiront de ses flancs !
Il chante une histoire qu’il invente pour son premier animal : un grillon très courageux. Elle n’a l’air de rien cette histoire, juste quatre mots, mais attendez de le voir, son grillon…
Et le soleil s’endort sur cette bonne résolution.
FIN
Bonjour,
Je suis le gendre de François Bouché, marié à Agnès sa fille de son premier mariage. Êtes vous au courant de la rétrospective qui aura lieu à Marseille de sept 2015 à mars 2016 ?
Bien cordialement à vous,
M.G.
06 80 28 94 16
guiguen.m@orange.fr
Bonjour.
Non je n’étais pas au courant. Coincé dans le nord par le manque de fric et l’abus de travail, je crois que je ne pourrai pas venir. La rétro a lieu où ça, dans Marseille ?
C’est quand même bien tentant, cette affaire.
Bonjour,
la rétrospective pour l’anniversaire des 10 ans de sa disparition aura lieue au Musée Regards de Provence à Marseille du 7 septembre 2015 au 6 mars 2016.
46 sculptures et 38 dessins y seront exposés avec un catalogues de 148 pages.
C’est un bel hommage bien mérité que nous avons réussi à lui faire rendre, je pense qu’il aurait été content de cet hommage !
Merci de me donner votre adresse postale et email que je vous tienne au courant.
Michel Guiguen
Il faudrait poursuivre »bluthooth » pour avoir ursurpé sa signature… ;)!
Exceptionnel ce François Bouché ! incroyable ! Je ne le connaissait pas du tout !
Merci a lui et a vous pour le faire connaître aux ploucs et bougnouls dans mon genre ! :)))
Ah l’école des beaux Arts de Paris ! par ou est passé ce sacré François Bouché, c’est ce que j’aurais du faire après m’être vu refusé en Architecture Parisienne… ou l’école des Arts et métiers tout bêtement ! Je n’avais sûrement pas besoin d’études en Droit, en commerce ou en gestion ! car mon intellect était déja épanoui a 18 ans, j’avais soif d’apprendre certes, mais j’avais surtout besoin d’un métier d’Art ou j’aurais pu véritablement exploser et m’épanouir pour de vrai !
A l’âge de l’adolescence, je déssinais, a la fois des plans monumentaux, des dessins ou croquis, des dessins abstraits que je nommais, des dessins géométriques complexes et mystérieux, en plus d’écrire des poèmes ! tout ceci était dans un grand carton, dans notre ancienne maison familiale, et lorsqu’elle fut vendue, pour démanager ailleurs, et que j’étais déja a l’étranger, quelqu’un a balancé ce carton plein et bourré de trésors aux ordures ! *&%$#
l’Art, on l’a ou l’a pas dans le sang ! et moi, je l’avais… et je ne sais plus si je l’ai encore, car la dernière fois que je me suis procuré de la gouache, des pinceaux et du papier pour peindre, et pas de la toile trop complexe pour moi, j’ai tout de même pu y fixer le seul et unique dessin qui trône sur l’un des murs de mon salon encore, un voilier qui vogue en mer, survolé d’oiseaux, et plutôt simpliste, mais efficace ! un peu de Matiss, un peu de Van gogh et un peu de leur semblables la-dedans, et je jure que j’ai copié personne, j’ai copié rien du tout, j’ai plongé mes pinceaux dans la gouache, préalablement mélangé les couleurs et les tons, et j’ai peint ce thème qui m’est cher depuis toujours ! et qui me rend jaloux des peintres 17, 18 et 19ème français, anglais ou américains et autres qui peignaient la mer et les bâteaux ! bref… si j’étais sérieux, si je m’étais appliqué juste a la gouache, même a cet âge avancé, j’aurais pu crée … des pièces de qualité ! Mais je suis pas sérieux et je suis con !
l’expression humaine, quelque soit sa forme, lorsqu’elle est passionnée, volcanique, ou même calme et secrète… et lorsqu’elle vous emplit la poitrine et la tête jusqu’a vouloir exploser, est la chose la plus authentique et la plus belle qui soit, car un être humain exprime tout le temps ce qui le déchire, ce qui le travaille, ce qui est tû par tout le monde et qu’il veut sortir et libérer pour l’exposer au monde entier ! quit a se dévoiler, quit a devoir s’humilier peu importe, son expression sera toujours précieuse, singulière et importante ! et parfois merveilleuse ! n’est ce pas !
Ce François Bouché, qu’il repose en paix, maîtrisait son art comme personne d’autre, mais au dela de la beauté et la subtilité de son art, il y a définitivement ses expressions les plus personnelles et les plus enfouies, les plus merveilleuses justement !
Merci encore pour ce billet !
PS : Allan Berger ! Pourquoi vous êtes pas riche ?! franchement ça m’énerve ça ! Vous auriez pu vous faire ami des plus grands artistes et vous procurer quelque chose de leurs oeuvres originales pour en parler si bien ! Pourquoi faut il que vous soyez comme Ysengrimus, talentueux, mais fauché !! et pour couronner le tout Marxistes ! :))) Vous avez alors qu’a faire un vieux Marxiste fauché que j’ai connu au bled, lui, il accrochait des pains ronds du bled, au mur de son salon, après les avoir enduit de colles ou de vernis ou de chais pas, sans les faire briller quoi ! un peu pour se rememorer le pain nu d’Ahmed choukri, ou alors pour se décréter grand artiste de la révolution ! :)))) lol, sacrés Marxistes, tous des fous irrécupérables je vous dis ! :))))