En arrière toute
ALLAN ERWAN BERGER — En France, l’adoption du projet de loi sur le renseignement numérique nous fait pénétrer dans un monde où deux fléaux déjà bien connus vont régner en maîtres.
Premier fléau : les citoyens innocents vont voir leur vie privée prendre un tour fort intéressant, tandis que les truands, les espions et les terroristes vont tranquillement renforcer la sécurité de leurs communications grâce à des moyens dont le quidam lambda ne risque pas de disposer.
Second fléau : il va y avoir, dans la police, toute une bande de joyeux veinards qui vont pouvoir, de par leur position d’araignées omniscientes au cœur de la toile, se faire de bonnes petites fortunes en devenant les premiers fournisseurs de renseignements du pays.
De son côté, l’activiste moyen, évidemment interdit de manifestation pour cause de tarnacisme zadiste, ne pourra plus émettre un mot sans qu’il soit archivé, et bénéficiera sous peu de tous les traitements préventifs destinés à le rendre inopérant avant même son premier mouvement – sous prétexte de lutter contre Daesh et Al Quaeda.
De leur côté, les lanceurs d’alerte, criminalisés par la récente loi sur la protection du secret des affaires, seront traités comme on traite les écolos aux États-Unis : c’est-à-dire en terroristes. Or, les ambassades hospitalières ne courent pas les rues, et leurs locaux ne sont pas extensibles comme les estomacs de nos députés, qu’ils soient frondeurs, affligés ou collabos.
De mon côté, en tant que militant d’un parti de gauche non schizo, je ne me sens plus tellement à l’aise pour produire des messages que n’importe qui de malintentionné pourrait lire. Je sens que je vais devenir muet, ou ne plus parler que de papillons et de boustifaille, ce qui est probablement un des effets recherchés.
Systèmes de chiffrement, masques, réseaux d’oignons, téléphones anonymisés – tout ceci coûte un œil… Être un citoyen actif va très vite devenir onéreux, sans garantie de sécurité absolue. Ce qui aura pour conséquence que le gauchiste sans le sou ne pourra plus espérer communiquer sereinement qu’en se lançant dans l’acquisition d’un pigeonnier, ou en léchant des timbres dans un café à cent kilomètres de chez lui. Ce vingt-et-unième siècle commence furieusement à ressembler au dix-neuvième.
FIN
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