Dans la mer des sirènes

Ulysse et les Sirènes. Stamnos attique à figures rouges, vers 480-470 av. J.-C

ALLAN ERWAN BERGER — La Mer Thyrrénienne est l’ancienne “Mer Étrusque” des Romains. Elle baigne l’Étrurie au Nord, la Campanie et la Sicile au sud, la Corse et la Sardaigne à l’ouest. C’est le pays des Sirènes. Jadis on disait d’elles qu’elles étaient capables de voler, et aussi de chanter d’une manière si merveilleuse que leurs auditeurs, subjugués, s’approchaient, s’approchaient encore, et finissaient d’ordinaire sous les crocs de ces monstres. Car les sirènes antiques étaient carnivores, et folles absolument.

Homère les mettait, quant à lui, plus à l’est. Et de fait, dans le sud de la mer Égée, il y eut, dit-on, une île où des êtres ressemblant à des femmes chantaient au milieu des ossements de leurs victimes.

Mais pourquoi ces êtres sont-ils toujours et uniquement féminins ? Plusieurs hypothèses peuvent être émises, parmi lesquelles celle-ci : les femmes sont, dans les cultures méditerranéennes, des êtres souvent mis à part, mais vraiment, littéralement… au point qu’on a pu retrouver sur quelques îles de véritables camps d’internement qui leurs étaient spécialement affectés. J’en veux pour exemple récent cette Isola delle Femmine près de Palerme, dont il est dit qu’elle abrita, au Moyen-Âge, une prison de cette espèce. On imagine ce qui se racontait à leur propos, et comment les pêcheurs avaient pour instruction d’éviter ces parages. Voici quelques coquilles provenant de ces sombres eaux.

Amphissa acutecostata (Philippi, 1844)

Coquillage de moyennes profondeurs et d’eaux froides, que l’on trouve depuis l’Arctique jusqu’en Caroline du Nord et en Méditerranée, et aussi sur les crètes de la Dorsale Médio-Atlantique. Pendant longtemps, on s’est demandé si l’espèce était encore vivante en Méditerranée, car l’on n’en récoltait que des fossiles dans les dragages tyrrhéniens. Cet exemplaire, de toute évidence récent, montre que l’espèce est encore vivante. Il a été récolté par 500m de fond, dans une ropcaille à corail blanc, au large de Fiumicino. Il faut noter que le toponyme Fiume et sa variante Fiumicino viennent du latin flumen, le fleuve, et se réfèrent donc aux embouchures. Ici, il s’agit de celle du Tibre, car nous sommes sur la côte du Latium. Le coquillage présenté ici fait 5,5mm.

Coripia corbis (Philippi, 1836)

Coquillage d’ombre, habitant les entrées des grottes sous-marines, les crevasses et les rochers noyés depuis la Mer du Nord jusqu’en Méditerranée. Ce specimen large de 5mm a été récolté par 33m de fond, sur les Secche de Tor Paterno, au large de Torvajanica, Latium. Le haut-fond de Tor Paterno est une montagne sous-marine dont le sommet forme une sorte de plateau allant de -60m à -18m, véritable oasis de surface, isolée au milieu de la plaine latiale. Cet endroit est aujourd’hui une aire marine protégée, chérie des plongeurs et des scientifiques.

     

Du même endroit voici encore un Slit Worm-Shell aux formes extravagantes et variées : Petalopoma elisabettæ Schiapparelli, 2002. Cette espèce, elle aussi, ne dédaigne pas les entrées de grottes. Tailles : de 4 à 9m.

Karnekampia sulcata (O.F. Müller, 1776)

Cette petite pétoncle vit depuis l’Islande jusqu’au Cap Vert, et en Méditerranée occidentale. Elle est toujours rare. Sa sculpture délicate en fait une coquille recherchée des collectionneurs. Ce spécimen a été récolté par 100m de fond, attaché à un câble sous-marin qui reliait Capri à la côte napolitaine. Il fait 12mm.

     

À gauche : détroit de Gibraltar, 180m de fond. À droite : rare spécimen albino pêché par 120m de fond dans un champ de corail rouge, côte de Sassari, en Sardaigne.

Pagodula echinata (Kiener, 1840)

Encore un coquilage d’eau froide, qu’on trouve depuis les Féroé jusqu’aux Canaries, des Açores jusqu’en Méditerranée. Comme il est très variable, on souvent cru le découvrir, et on lui a donné toutes sortes de noms : aculeatus, depressa, elongata, hirtus, spinosa… Un des derniers synonymes en date (Dautzenberg & Fischer, 1896) est grimaldii, donné en l’honneur du prince Albert 1er, une figure de l’océanographie méditerranéenne.

     

Spécimens récoltés par 1000m de fond, au large du Cap Teulade, en Sardaigne. 17,5-21,5mm.

2 réflexions sur “Dans la mer des sirènes

  • 11 juillet 2020 à 10 h 09 min
    Permalien

    @ Allan Erwan Berger,

    Chuis quand même déçu que vous ayez pas pu remonter une sirène mangeuse d’homme et nous la photographier aussi :))) ou du moins sa carcasse, qu’on puisse procéder à une analyse médico-légale…et qui sait, trouver un cheveux microscopique ou un poil pubien de ces satanées cochonnes qui ont bouffé la moitié de nos ancêtres marins du coin !:))) (en espérant tout de même que nos ancêtres victimes aient pu forniquer un brin avant de se faire bouffer cru, en commençamt par la quequette :)))

    Bon, je dois admettre que votre fascination pour ces coquillages et les définitions et autres appellations latines et scientifiques qui les accompagnent ont de quoi susciter l’intérêt et la fascination pour ces super beaux coins de mer en méditerranée….mais j’espère que vous y êtes aussi en bonne compagnie pour profiter de vos vacances et siroter quelques bons verres, de Pastis entre autre et autres vins délicats du coin (moi le pastis…très modérément, au moindre excès, ça me fend le crâne en deux…surtout avec le soleil qui tape)….:))

    Merci pour ce billet et cette série zoomarine, même si je crois la première photo n’apparaît pas…, j’ai des amis qui ont été à Capri il y a un ou deux ans et en ont profité pour nager en haute mer en m’envoyant les photos, et ont même fait des emplettes sur place avec des bijoux de coraux magnifiques, et autres accessoires…ça fait rêver les pecnots que nous sommes devenu confiné au Canada !:))

    Bonne suite des vacances ! Cheers comme on dit ! :)))

    Répondre
  • Ping : Dans la mer des sirènes | Raimanet

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *