7 au Front

L’appel rageur d’un ado à la pensée critique ado: SOUVENEZ VOUS DE L’ENFANT QUE VOUS ÉTIEZ…

YSENGRIMUS —  Cet article est disponible en anglais, en italien et en espagnol ici: Articles du 19 mai 2023[28638]

Je me fais critiquer et agresser d’un peu partout depuis l’annonce, il y a quelques années, de la sortie d’un de mes roman, qui vient de faire l’objet d’une édition en forme électronique. J’ai fourni tous les détails de la démarche émotionnelle douloureuse qui a mené à l’écriture de cet ouvrage. Au jour d’aujourd’hui, je peste intensément, face à ce conformisme verbal et comportemental maladif qui nous agresse en permanence, comme une rage de dents, et nous enveloppe tous, comme une boucane puante et malsaine. Cette contrariété, plus que lancinante, fait remonter en moi le texte d’un petit devoir d’éloquence publique, écrit puis lu devant ses confrères et consoeurs de classe, par Tibert-le-chat, mon fils aîné, quand il était à l’école secondaire. Nous sommes donc dans une salle de classe d’anglais canadienne du début du siècle et notre jeune séditieux de quinze ans lit à haute voix, ceci [la traduction suit]:

Fellow, fellows, listen to me.

I would like you all to question yourselves: Why are you here? What prompted you to get up with the sun, drag yourself out of bed, and come to this cursed place? Throughout the years, your minds, as well as mine, have been tainted by this vile institution. They strip from us our childhood curiosity, replacing it with a sense of inner numbness and general detachment. They then taunt whatever’s left of our true selves by making us read wonderful philosophical novels advocating a return to this sense of wonder. Is this malice, or simply incompetence? I have asked myself that question many times. The truth is that the answer is irrelevant. The end result on our fragile psyche is the same: utter destruction of the sensitive core.

They talk about violence in video games and movies, numbing children’s compassion, but the true danger is in our schools. I remember, as a child, being told that brown cows produced chocolate milk… This was in an institution of learning! When children find out, and they always do, that what they have been taught consists partly of lies, they naturally develop a mistrust of their “teachers”, potentially leading to delinquency and low self-esteem.

It is about time we put a stop to this. I urge you, fellow, fellows, to stand for your right to be taught something worthwhile by motivated and intelligent educators. Do not let yourself be stepped on! Remember who you were as a child, so that the spark that still lives on within you can come alight again in a blazing inferno of reason and critical thought!

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[Mon ami(e), mes ami(e)s, écoutez moi.

Je voudrais que vous vous posiez tous la question: pourquoi êtes-vous ici? Qu’est-ce qui a bien pu vous inciter à vous lever avec le soleil, vous extirper de votre grabat, et vous présenter en ces lieux maudits? Au fil des années, vos pensées, ainsi que les miennes, se sont vues souillées par cette institution vile. On nous dépouille de notre curiosité enfantine et on la remplace par une sensation de léthargie intérieure et d’indifférence généralisée. Ils enquiquinent ensuite le peu qui subsiste de notre individualité réelle en nous faisant lire de merveilleux romans philosophiques faisant la promotion d’un retour vers ce sens de l’émerveillement perdu. Perversité ou simple incompétence? Je me suis bien souvent posé la question. La vérité est qu’en fait la réponse à cette question n’a aucune utilité. Le résultat final sur nos psychologies fragiles est exactement le même: une destruction intégrale du tout de la structure de notre sensibilité.

Ils dissertent sur la violence des jeux vidéo et du cinéma, sensée engourdir la compassion enfantine, alors que le vrai danger est, en fait, niché dans nos écoles. Je me souviens, enfant, de m’être fait dire que les vaches brunes produisaient du lait chocolaté… On m’a dit cela dans une institution d’enseignement! Quand les enfants découvrent -et cela arrive toujours- que ce qu’on leur a enseigné se compose d’une bonne part de mensonges, ils développent une méfiance naturelle envers leurs «enseignants» susceptible de déboucher sur de la délinquance et sur un estime de soi bien bas.

Il est plus que temps que cela cesse. Je vous conjure, mon ami(e), mes ami(e)s, de faire valoir fermement votre droit de vous faire inculquer quelque chose de minimalement valide, par des enseignants qui soient motivés et intelligents. Ne vous laissez pas fouler aux pieds ainsi. Souvenez vous de l’enfant que vous étiez, et faites que l’étincelle qui couve en vous puisse se manifester de nouveau, en un explosif embrasement de rationalité et de pensée critique!]

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Oh, que je suis solidaire de cette position rageuse et révoltée de mon enfant. Je l’endosse complètement, sans faillir. Je généralise aussi sa critique circonscrite de l’ineptie de nos dispositifs éducationnels (desquels nous sommes TOUS responsables) en jugeant que son analyse frappe au cœur tout le conformisme contemporain qui prend, par les temps qui courent, une dimension compulsivement maladive, cyber-surveillance et vindicte électronique fulgurante à l’appui. C’est l’enfant qu’on attaque collectivement, qu’on empoisonne, qu’on traque, qu’on flique, qu’on envahit, qu’on détruit. Et, dans ce vibrant petit appel de mon fils, l’enfant qui est le personnage principal de mon roman (dont on peut lire le premier chapitre ici) est déjà intégralement décrit, ployant sous le faix social et psychologique qui est le terreau de sa perte tragique. Étonnez-vous ensuite de cette virulente rupture du contrat émotionnel entre enfants et adultes… Je suivrai toujours le conseil des paroles de mon enfant et je n’oublierai jamais l’enfant que j’ai été. Comprendre le passé c’est comprendre l’avenir et Les adultes sont tellement cons, qu’ils nous feront bien une guerre… (Jacques Brel) est un aphorisme qui n’est plus de ce siècle et qu’il faut conséquemment ouvertement combattre.

Foutez-nous la paix une bonne fois, avec votre docilité répugnante. Laissez nous, une fois pour toutes, vivre notre être dans le plein rayonnement de son imaginaire douloureux ou joyeux. Laissez-nous dire ce qu’il faut dire, crier ce qu’il faut crier, au lieu de tout enterrer sous le faux compost toxique de votre hypocrisie veule et pseudo-moderne, constamment «éclairée» pas ces projos d’interrogatoire qui se braquent toujours plus à droite. Et je cite un second texte que mon second fils a eu, il y a quelques temps, la fluette chance d’étudier, lui, à l’école:

«Refus d’être sciemment au-dessous de nos possibilités psychiques et physiques. Refus de fermer les yeux sur les vices, les duperies perpétrées sous le couvert du savoir, du service rendu, de la reconnaissance due. Refus d’un cantonnement à la seule bourgade plastique, place fortifiée mais trop facile d’évitement. Refus de se taire — faites de nous ce qu’il vous plaira mais vous devez nous entendre — refus de la gloire, des honneurs (le premier consenti): stigmates de la nuisance, de l’inconscience, de la servilité. Refus de servir, d’être utilisables pour de telles fins.»

Paul-Émile Borduas et Alii, Manifeste Refus Global, 1948.

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Souvenez-vous de l’enfant que vous étiez…

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