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Honoré de Balzac: La recherche de l’absolu

DANIEL DUCHARME — Ce jour là, je déjeunais avec une amie qui me confessait n’avoir jamais lu Balzac. Parions qu’elle n’est pas la seule. Contrairement à plusieurs auteurs classiques de la littérature française comme Flaubert, Maupassant ou Zola, Honoré de Balzac (1799-1850) n’est pas vu comme un écrivain cool. Plutôt conservateur, royaliste à une époque de montée du libéralisme républicain, il n’a jamais constitué un modèle pour la jeunesse occidentale. Catholique et royaliste, tel est cet écrivain qui ne se gêne pas pour l’énoncer dans son « avant-propos »  à cette œuvre monumentale que constitue La Comédie humaime: « Le christianisme, et surtout le catholicisme, étant, comme je l’ai dit dans le Médecin de campagne, un système complet de répression des tendances dépravées de l’homme, est le plus grand élément d’ordre social ».

Cela dit, doit-on s’en détourner pour autant? Certainement pas. Sinon, il faudrait aussi se détourner de Céline, de Proust… bref des plus grands noms de la littérature française. Il serait idiot de se  priver d’une expérience de lecture qui ne peut que nous enrichir, car, à l’instar de Marcel Proust, Honoré de Balzac fait partie de ces écrivains qu’on ne peut ignorer dans une existence.

Balzac a structuré son œuvre en trois grands blocs: les études de mœurs (Scènes de la vie privée, Scènes de la vie de province, Scènes de la vie politique, etc.), les études philosophiques et, enfin, les études analytiques. Les deux premières sont de loin les plus importantes en nombre de nouvelles et de romans. Les études de mœurs représentant, selon Balzac, les « effets sociaux ». Alors j’ai décidé de débuter cette (re)lecture de Balzac par les « causes », soit par quelques textes issus des études philosophique. Quand on sait que Balzac voyait sa Comédie comme une vaste étude de la société française au 19e siècle, cela a son importance. Du moins à mes yeux.

Au cours des derniers mois, j’ai donc lu, dans l’ordre, les œuvres suivantes : La recherche de l’absolu (1834), Les proscrits (1831), Louis Lambert (1832), Le réquisionnaire (1831), Adieu (1830), Jésus-Christ en Flandre (1831) et Massimilla Doni (1837). Toutefois, ce premier billet ne porte que sur trois de ces œuvres.

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La recherche de l’absolu (1834)

Un gros roman qui a pour thème la recherche scientifique en tant que recherche de la perfection. Issue de la tradition alchimiste, cette recherche est perçue par Balzac comme une addiction, un phénomène qui ne nous lâche plus une fois que nous en sommes atteints. La recherche scientifique doit-elle primer sur l’attachement à la famille ? Dilemme moral que Balzac traite avec un brin de naïveté. Dans le roman, la folie du chercheur qui poursuit ses travaux, même si cela occasionne la ruine de sa propre famille, n’est pas condamnée par Balzac : « Trop souvent le vice et le génie produisent des effets semblables, auxquels se trompe le vulgaire. » Ne soyons donc pas vulgaire… La recherche de l’absolu aurait pu être un roman fort déprimant sans la présence du personnage de Marguerite, la fille ainée de Claës, un modèle de femme assez peu répandu, d’ailleurs, à cette époque. Après la mort de sa mère, c’est elle qui prend les rênes de la Maison Claës, une femme forte, donc, en ces temps où elles disposaient de si peu de droit…

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Les proscrits (1831)

Il s’agit d’un court roman – ou une grosse nouvelle, c’est selon – qui met en scène un jeune homme qui souhaite mourir, croyant ainsi prendre un raccourci pour atteindre plus rapidement le paradis. Cette naïveté est aujourd’hui partagée par de nombreux islamistes… Les proscrits est un roman mystique rédigé dans un style poétique à couper le souffle. Sans doute le roman que je préfère jusqu’à maintenant. Pour ajouter une note de curiosité, terminons cette brève notice en révélant que le personnage mystique n’est nul autre que Dante.

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Louis Lambert (1832)

Contrairement aux romans précédents, Louis Lambert est écrit à la première personne. Dans celui-ci, Balzac décrit la rencontre du narrateur avec un jeune surdoué alors qu’ils étudiaient tous deux dans un collège de Vendôme. Louis Lambert doit sa présence dans ce collège grâce à la générosité de madame de Staël. À l’écart des autres, il est souvent l’objet des moqueries, parfois très méchantes, de ses camarades, phénomène d’intimidation encore assez courant dans nos institutions contemporaines. Mais Louis n’y prête que peu d’attention tellement il est absorbé par des études personnelles. Parmi ses lectures, on retrouve Swedenborg (1668-1772), un philosophe et théologien suédois qui reviendra dans un autre ouvrage de Balzac. Louis Lambert est donc décrit par l’écrivain comme une sorte de génie dont ses professeurs ne comprennent pas la soif d’absolu. Ils vont d’ailleurs saisir son Traité de la volonté sans en comprendre un paragraphe.

La lecture de Louis Lambert de Balzac a favorisé chez moi une réflexion sur l’utilité sociale d’un esprit lucide. À quoi ça sert le génie humain s’il n’est pas reconnu par la société ? Comme Balzac, j’en viens à envier les anachorètes du premier siècle du christianisme, ces hommes qui avaient compris qu’il fallait se méfier des honneurs de ce monde. On meurt seul après tout et les honneurs ne sont que de courte durée. La satisfaction immédiate qu’elle apporte à la personne honorée passe dans son ciel plus rapidement qu’une étoile filante. Comme ses retraités qui reviennent voir leurs anciens collègues sur leur lieu de travail et qui, au bout de dix minutes, s’aperçoivent qu’ils dérangent ceux-là mêmes qu’ils les avaient fêtés en grande pompe quelques mois plus tôt. Cruauté de la vie. Méfiez-vous des honneurs : ils ne servent qu’à enfoncer le clou…

Enfin… à la sortie du collège, dont Balzac ne se gêne pas pour dénoncer les conditions de vie des élèves, les choses ne tournent pas très bien pour Louis Lambert. Mais je vous laisse le découvrir par vous-mêmes.

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Vous trouverez tous les romans et nouvelles de la Comédie humaine (éd. Furme, 1842-1848) en format ePub, aux Réimpressions Efélé. Saluons au passage la très grande qualité de cette édition accessible à titre gratuit. Toutes nos félicitations à ces vrais travailleurs du patrimoine qui, trop souvent, œuvrent dans l’ombre, sans reconnaissance aucune des pontifes de la Culture.

Une réflexion sur “Honoré de Balzac: La recherche de l’absolu

  • Anwen

    Il y a deux histoires, disait Honoré de Balzac : l’histoire officielle, menteuse, puis l’histoire secrète, où sont les véritables causes des évènements.
    Il est des gens naïfs qui croient que l’histoire est le récit exact des faits du passé. Ils semblent ignorer que le monde est, depuis longtemps, régi par le mensonge et que le désordre de la société actuelle en est la conséquence.
    Il est curieux d’étudier comment cet ordre de choses a commencé, quels ont été les mobiles des premières erreurs voulues, et quels hommes, les premiers, ont eu l’audace de les écrire.
    A toutes les époques, il y a eu des partis qui, voulant s’emparer d’un pouvoir auquel ils n’avaient pas droit, ont appuyé leurs prétentions sur une idée, un système, une théorie religieuse ou sociale, qu’ils ont propagée par violence, par fraude ou par ruse. Deux moyens furent notamment employés pour faire disparaître les témoignages gênants de la splendeur du régime qu’on venait renverser : la destruction et l’altération des textes.
    L’ère de destruction s’ouvrit au VIIIème siècle. On précise même la date : cela commença en 747 avant notre ère, c’est-à-dire au moment où la classe sacerdotale se constitua.
    Un roi de Babylone nommé Nabou-Assar, rempli d’un orgueil fanatique et irrité des éloges qu’il entendait prodiguer au régime antérieur, s’imagina qu’il suffisait de faire disparaître sa trace dans l’histoire pour remplir l’univers de son nom et rendre sa domination légitime. Il fit effacer toutes les inscriptions, briser toutes les tables d’airain et brûler tous les papyrus. Il voulait que l’époque de son avènement au trône fût celle qui commençât l’histoire. Et cette idée devait triompher ; l’histoire antérieure au régime masculin devait, pendant longtemps, être effacée.
    Nous savons qu’une semblable idée était venue aux Romains qui firent détruire les livres de Numa qui contenaient certainement des faits qui faisaient connaître le régime encore existant à son époque.
    Il paraît également certain qu’on fit aussi détruire les monuments et les écrits des Thraces et des Volsques.
    Le souvenir d’un pareil événement s’est perpétué aux Indes. On sait assez qu’il eut lieu en Chine et que l’empereur Tsinchi-hoang-ti alla encore plus loin que Nabou-Assar, en défendant sous peine de mort de garder aucun monument littéraire antérieur à son règne.
    Ce système est resté dans les habitudes de tous les conquérants, de tous les usurpateurs, il a même pris des proportions formidables dans les religions modernes.
    N’oublions pas que la fameuse Bibliothèque d’Alexandrie a été brûlée trois fois, que les papes chrétiens ont fait détruire un grand nombre de monuments antiques, que les archives du Mexique et celles du Pérou ont disparu pour satisfaire le zèle fanatique d’un évêque espagnol.
    Puis, lorsque ces partis triomphaient, ils avaient soin d’abord d’écrire l’histoire passée, la montrant comme une longue préparation de leur triomphe qu’ils justifiaient par une aspiration des foules existant depuis longtemps.
    Pour répandre l’histoire ainsi écrite, ils créaient un enseignement obligatoire dans lequel ils ne manquaient pas d’avilir leurs ennemis, ceux qu’ils avaient vaincus et qu’ils représentaient toujours comme des barbares ou des gens de mauvaises mœurs. Eux-mêmes se représentaient comme des sauveurs apportant tous les progrès.
    Or, tout cela était mensonge et il importe aujourd’hui de rechercher la vérité cachée, c’est-à-dire le plaidoyer des vaincus, leur véritable état social et moral.
    Lien : https://livresdefemmeslivresdeverites.blogspot.com/2017/07/livres-de-femmes-livres-de-verites.html

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