Stamm: Un jour comme celui-ci

DANIEL DUCHARME —  Certains romans vous entraînent loin, très loin même, dans un autre pays, un autre continent et, parfois, dans un autre temps que le vôtre, antérieur ou ultérieur selon le cas. Ces romans ont pour effet de vous arracher au quotidien, de vous détourner d’une existence faite à quatre-vingt dix-neuf pour cent de routine, cette routine tant décriée mais combien nécessaire à l’équilibre de tout individu. (Notre collaboratrice Florence Saillen en a d’ailleurs fait un fort beau poème que je vous invite à relire.) Ils sont bien, ces romans. Ils remplissent une fonction sociale, diraient les sociologues, et participent à une dérive culturelle appelée, en anglais, entertainment, concept que l’on traduit maladroitement par divertissement en français.

Chose certaine, Peter Stamm est un écrivain qui ne s’inscrit nullement dans le courant de la littérature dite de divertissement et, à moins d’un revirement inattendu, son roman ne sera jamais un best-seller. Dans Un jour comme celui-ci, il raconte la rupture du quotidien, un quotidien qui éclate en mille morceaux dans un récit presque linéaire, toutefois, sans tambour ni trompettes. Vous prendrez néanmoins du plaisir à suivre cette intrigue simple d’un homme de quarante ans, professeur d’allemand dans un lycée de la banlieue parisienne, qui, un jour, apprend qu’il a une tumeur entre les omoplates et décide, avant même d’obtenir les résultats de sa biopsie, de vendre biens et meubles pour régler ses comptes avec les fantômes de son passé.

Ce passé se trouve dans ce village de Suisse alémanique qu’il a quitté il y a vingt ans pour venir s’installer à Paris. Dans ce village, alors qu’il sortait à peine de l’adolescence, il a aimé Fabienne, une jeune fille au pair qu’il fréquentait avec son ami Manuel. Un jour, pendant que celui-ci s’est éloigné pour se baigner, il a osé l’embrasser… mais, comme il est courant chez les jeunes garçons, il n’a pas su donner suite, par des mots, à cet événement… Il a bien écrit une lettre pour lui avouer son amour, mais il ne l’a jamais postée, cette lettre… et il est parti à Paris sans savoir si Fabienne l’aimait, sans savoir si elle aurait été réceptive ou non à ses avances. Quelques mois plus tard, alors qu’il l’espérait à Paris, voilà que celle-ci s’est mise en ménage avec Manuel, son meilleur ami. Une histoire classique, direz-vous avec raison. Mais c’est justement cela que nous raconte Peter Stamm: une histoire classique, presque intimiste, une histoire que vous apprécierez tellement elle est proche de vous, de ce que vous avez vécu. Car tous autant que vous êtes, vous avez déjà vécu, à un moment ou à un autre de votre existence, un événement sans aboutissement. Vous avez tous, un jour, voulu prononcer des paroles qui ne l’ont jamais été… et vous avez regretté de ne pas l’avoir fait à cause à cause de votre pusillanimité ou de votre procrastination. Et, avec l’âge, ces occasions ratées se sont transformées en fantômes qui viennent vous hanter, de temps au temps, les jours de pluie. Après tout, jusqu’à ce qu’un homme ou une femme saute à pieds joints dans son destin, son existence n’est souvent qu’une suite ininterrompue d’actes qu’il aurait pu accomplir, de choses qu’il aurait pu faire si seulement, si… Écrire permet de reconstituer en soi ces actes, ces choses, d’inventer ce qui aurait pu être si seulement, si… Et c’est ce que Peter Stamm a tenté de faire en écrivant ce roman.

Notre professeur d’allemand langue étrangère, donc, part dans son village accompagnée par une stagiaire avec laquelle il couche, dit-il, sans l’aimer. Là, sur place, il retrouve Fabienne, passe un après-midi avec elle à l’insu de son mari – Manuel, l’ex-ami – et, finalement, au bout de quelques jours, retourne en France avec le sentiment d’avoir clarifié tout ce qui devait l’être. Ainsi il retrouve la sérénité «comme s’il s’était définitivement résigné à la marche des jours et des années, à son destin sans propositions subordonnées ». Pour le reste, je vous invite à lire le roman pour connaître sa conclusion, sans doute sans surprise, mais enfin…

Peter Stamm est né en 1963 à Weinfelden (Suisse). Écrivain de langue allemande, il écrit beaucoup pour le théâtre. Journaliste, il vit aujourd’hui à Zurich où il contribue à différents journaux et magazines. Chez Christian Bourgois éditeur, outre Un jour comme celui-ci, il a publié Agnès (2000), D’étranges jardins (2004), Comme un cuivre qui résonne (2009) et , son dernier roman paru en 2011, Sept ans.

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Peter Stamm, Un jour comme celui-ci / traduit de l’allemand par N. Roethel. Paris, Christian Bourgois, 2007.

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