Dans le delta de l’éphémère
ALLAN ERWAN BERGER — Grâce à Claudio Buttinelli cet article est disponible en anglais, en italien et en espagnole ici:
Articles du 22 juillet[35157]
Pictopoésie. Le principe est le suivant : je prends une image, je l’envoie à un camarade poète qui m’en trouve un titre. À partir de ce titre, je déroule un texte, rimé ou non. Autres poésies disponibles (non exhaustif) : Celui-là — Le cri qu’est le silence de pierre — Halloween à la garderie d’un régime totalitaire — L’écimé axe flou. Il y en a d’autres sur d’autres blogs, dont celui d’ELP, à « Berger ».
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Dans le delta de l’éphémère
Depuis ta naissance
Baignée de si anciens souvenirs
Et de tant d’ancêtres fragmentés
Imbriqués les uns dans les autres
Jusqu’aux lointains fonds ombreux
Des ténèbres onduleuses…
Depuis ta naissance
Si vide pourtant, et si vierge,
Tu contemples sans rien comprendre
Ce qui repose devant toi.
Il existe encore si peu de ce que tu seras.
Et ce qui est, est derrière toi.
Et cela,
À l’instant même où ton regard,
Pour la première fois s’étonne,
T’échappe.
Cela te fixe cependant,
Cela a les yeux verrouillés sur ta personne.
Mais tu ne le vois pas.
Tu regardes en avant, et tu ne comprends rien.
Ainsi commences-tu ton jeune apprentissage,
Chenille chenillante,
Toute pleine d’un appétit venu de loin.
Mais ne t’attends surtout pas à ce que ton passé,
Qui ne t’appartient tellement pas
Mais qui a saisi ta vie à son tout début
Et depuis ne la lâche jamais, jamais, jamais plus,
Ne réclame rien et te laisse indemne de commentaires.
Ensuite, le temps passant, eh bien tu composes.
Tu regardes en avant, mais aussi en arrière.
Dans le delta de l’éphémère,
En plein milieu de ton passage, là tu saisis :
Partout l’éternité rugit.
Et maints courants te font dériver.
Comment donc se porte ta volonté ?
Le temps s’enfile, le monde file, ta vie défile.
Dans le delta de l’éphémère,
Maintenant tu abordes à ta propre rive.
Au bord du gouffre qui s’élève,
Éblouissant de lumière,
Et qui t’appelle comme une aube,
Comme un tunnel dans le ciel où siège ton destin,
Tu te retournes une dernière fois.
As-tu enfin compris ce que tu portes ?
Tu as plongé ton regard dans la chaîne infinie
De la transmission des cendres et des élans.
Cela donne-t-il sens à ce que tu as vécu ?
Immense question à tourner et retourner
Tandis que tu fermes ta conscience et que tu plonges
Jusqu’aux lointains fonds ombreux
Des ténèbres onduleuses…
Mais voici que de nouveau ton cœur s’entrouvre.
Tout n’est donc pas encore terminé.
Tu t’extirpes de tes engourdissements.
Tu entends la vie qui lance de nouveaux cantiques.
Comment mourir avant d’avoir aimé ?
Voici venu le temps du soleil,
Voici ton paradis,
Voci ta liberté.
Et ton nom est enfin prononcé.
Loin du delta de l’éphémère,
Tu t’étonnes encore.
Tu as tant de fois changé de toi…
L’instant est unique, cependant :
Te voici prêt pour ta descendance,
Mon bel imago,
Et pour les siècles des siècles,
Ancêtre à ton tour,
Et belle imago.
Pendant ce temps,
Fidèles à eux-mêmes,
Les clercs grouillent comme vermine
Sur les plats préparés par les prophètes.