Notre cerveau n'a pas fini de nous étonner !
CAROLLE ANNE DESSUREAULT :
Voici le deuxième article sur les richesses incommensurables de notre cerveau!
L’article s’inspire du livre Votre cerveau n’a pas fini de vous étonner, une œuvre présentée par Patrice Van Eersel, rédacteur en chef du magazine Clés. M. Van Eersel interviewe dans son livre cinq chercheurs. L’article présent fait suite à l’entretien avec Boris Cyrulnik, neuropsychiatre et éthologue, promoteur du concept de la résilience (le premier article a été publié le 29 novembre).
Points essentiels du premier article
Les neurologues définissent maintenant les zones du cerveau comme des «processus plastiques interconnectés», notre cerveau serait plastique!
-même âgé, handicapé, voire amputé de plusieurs lobes, le système nerveux central peut se reconstituer
-notre cerveau est constitué pour entrer en empathie avec autrui
-les neurones peuvent naître dans notre cerveau, se développer et décupler leur taille
-si on ne fait rien, nos neurones peuvent se ratatiner
-nos réseaux de neurones peuvent s’adapter jusqu’à remplacer une section par une autre (ex : la vue par le toucher)
-notre cerveau est constitué de cent milliards de neurones, de centaines de milliards de cellules gliales (connectique) et de dix à cent mille milliards de connexions synaptiques (qui joignent les neurones)
-nos neurones peuvent repousser
-les neurones qui ont repoussé se reconnectent, car un neurone isolé ne sert à rien;
Pour garder une bonne plasticité du cerveau
-ne jamais cesser d’apprendre de nouvelles choses
-manifester de l’empathie
-se méfier de la pollution sonore
-faire de l’activité physique, bien se nourrir
Un champ de neurones ressemble à un champ de blé!
La structure d’un neurone «typique» : un corps cellulaire, plusieurs dendrites courts, et un long axone unique.
Boris Cyrulnik propose l’image d’un champ de blé pour mieux comprendre un champ de neurones.
-la tige du neurone, c’est l’axone
-les multiples jaillissements de l’épi, ce sont les dendrites
Si rien ne stimule une personne, ses dendrites se couchent, tel un champ de blé qui ne serait pas arrosé. À l’inverse, il suffit qu’une personne parle, communique, s’active, rit, pour que les dendrites des neurones se redressent et partent à la recherche de nouvelles connexions!
La résilience
C’est ce phénomène – celui des dendrites des neurones qui partent à la recherche de nouvelles connexions – qui se passe quand le processus de la résilience se produit dans le cerveau d’un enfant qu’un nouveau milieu accueille. Ou d’un adulte qui transcende une épreuve.
Boris Cyrulnik affirme que le processus de la résilience qui permet de remonter la pente se produit grâce à la plasticité neuronale. Il est possible de «renaître» après une très grande souffrance traumatique.
Le neuropsychiatre et promoteur de la résilience révèle dans son entretien qu’il a découvert en Roumanie, en Colombie et dans d’autres régions, des orphelins qui avaient vécu dans l’isolement, totalement privés d’affection, qui après examen, présentaient des atrophies neuronales sévères (frontales et limbiques), l’équivalent d’une lobotomie. Il a été démontré avec le temps que l’atrophie fronto-limbique était apparue chez ces enfants parce qu’ils étaient en carence affective, et non pas comme plusieurs le croyaient, parce qu’ils avaient été abandonnés par leurs parents en raison d’une malformation cérébrale.
Lorsqu’un enfant est privé de sécurité, il interprète toute information comme une alerte. La peur de tout. L’absence de stimulations provoquait un déficit neuronal.
Par la suite, le chercheur Hervé Allain, enseignant de la neuroradiologie à Caen, a montré, images à l’appui, qu’après une année passée dans une famille d’accueil, sous l’effet d’une vie normale, où on parlait et touchait aux enfants et leur témoignait de l’affection, les orphelins voyaient leur cerveau se modifier. Leur cortex se regonflait, signifiant que l’atrophie cérébrale avait disparu.
Les progrès de la neurochirurgie sont venus de la lobotomie
En 1949, le Dr Egas Moniz invente une intervention de neurologie : la lobotomie.
Grâce aux «gueules cassées» de la première guerre mondiale, on savait dorénavant qu’un humain pouvait (éventuellement) fonctionner avec un bout de cerveau en moins, mais pourquoi?
Partant d’un modèle hypothétique farfelu, le Dr Moniz décide qu’en sectionnant le lobe préfrontal de ses patients, il va les guérir de la folie. Il obtiendra le Prix Nobel de la médecine.
Toutes sortes de lobotomies se font. Pour certains, on fait deux trous dans le crâne, on introduit un fin scalpel et on sépare les deux lobes préfrontaux du reste du cortex. Pour d’autres, on utilise une aiguille-mousse que l’on enfonce dans le trou susorbiculaire en injectant de l’eau distillée sous pression pour dilacérer (déchiqueter, lacérer) les fibres sans déchirer les neurones.
Dans certains cas, cela provoquait des changements comportementaux et psychologiques importants, mais à court terme. Dans d’autres cas, le délabrement de la personnalité était définitif. Dans le meilleur des cas, on se retrouvait avec des gens qui, s’ils n’avaient plus d’angoisse, se fichaient de tout, ne réagissaient plus qu’au présent, à un stage de vie quasi-végétatif.
Comme les neurones préfrontaux sont en relation avec les neurones du système limbique, ils associent les informations qu’il traite à la mémoire et aux émotions. En coupant cette relation, le sujet devenait indifférent.
Ces lobotomies ont fait réfléchir des neurochirurgiens, Pr. Taillefer et David. Comme autrefois, on sectionne un bout de cerveau à des personnes et elles continuent à vivre. On peut donc retirer un abcès, une poche de sang, une tumeur. Ainsi la lobotomie a constitué le point de départ d’une spécialité extraordinaire, la neurochirurgie, aujourd’hui accompagnée par la neuro-imagerie et la neurobiologie (fin des lobotomies entre 1968 et 1971.)
De nos jours, le Prix Nobel Moniz serait considéré comme criminel. Il n’en reste pas moins que la science a pu évoluer à partir de ces expériences …
Des accidents qui provoquent une lobotomie naturelle
Seulement en France, il y a environ 1 000 lobotomisés par an provoqués par des accidents de voiture, surtout de moto et scooter.
Le choc frontal provoque alors une lobotomie quasi-parfaite. Grâce au scanner, les spécialistes ont vu que les hématomes peuvent se résorber sans trop détruire le cerveau, mais souvent une partie centrale ne se remet pas, par exemple, les deux petites amygdales du rhinencéphale – l’anneau à la base du cerveau. Celles-ci constituent le socle neurologique de l’émotion, de la rage, de la peur, des émotions intenses. Ces personnes survivent, mais plus rien ne les touche.
PROBLÈME PHILOSOPHIQUE – si un homme n’éprouve plus aucune souffrance, est-il heureux? Il semblerait que non.
L’invention de la neuropsychologie
Au début, les gens de la psychanalyse riaient de cette notion trouvant ridicule de prétendre déceler des changements dans le cerveau suite à une psychothérapie (recherches faites par Henri Hécaen et Ajurisguerna).
Hécaen a rassemblé douze cas de très jeunes enfants tombés par la fenêtre ou victimes d’un accident de voiture, qui avaient le lobe temporal gauche arraché ou sévèrement amputé avant de savoir parler, bien avant le vingtième mois. Or, tous ces enfants connurent un apprentissage du langage normal, ce qui était supposé impossible car le lobe temporal gauche contient l’aire de Broca, socle neurologique de la parole.
Quand un adulte a cette zone altérée, il ne peut plus fabriquer ses mots. Mais les jeunes enfants, eux, on un cortex hyper-plastique, ce qui se produisit dans les douze cas de Hécaen. Si les enfants ont appris à parler malgré eux, c’est qu’une autre partie de leur cerveau était devenue «zone de langage», en l’occurrence, une partie postérieure, vers la zone pariéto-occipitale gauche. Même si ces découvertes ont été fascinantes en 1968, la Faculté n’en a pas tenu compte tellement elles étaient avant-gardistes.
À cette époque, on ne faisait pas de scanner du cerveau mais des échographies ou des artériographies ou encore des encéphalographies gazeuses qui permettaient tout de même de voir à l’intérieur de la boîte crânienne. Aujourd’hui, les images du cerveau sont infiniment plus belles et performantes et on peut démontrer la plasticité du cerveau de façon incontestable.
On pourrait vivre avec un seul hémisphère
On peut vivre avec un seul hémisphère. Dans certains cas d’épilepsie aigüe qui provoque une sorte de court-circuit entre les deux hémisphères, la personne est dans le coma tout le temps, parce que l’une des moitiés de son cerveau ne fonctionne que pour déclencher une crise. On résout le problème en supprimant cet hémisphère perturbateur.
Chez les humains, quatre grosses périodes d’hyper-mémoire biologique – chez les animaux, une seule fois
Dans le cerveau du nouveau-né, explique le psychanalyste René Roussillon, une nouvelle information se fraye une voie qui ressemble presque à un trauma. Ce frayage absorbe une énergie folle, mais lorsque la même information survient une deuxième fois, elle prend beaucoup plus facilement le canal déjà ébauché. Ensuite, le bourgeonnement va à toute allure et ne cesse pas. Il est permanent toute notre vie durant.
On distingue quatre périodes importantes d’hyper-mémoire biologique :
-la première crise au bouillonnement synaptique des premières années avec l’intégration du langage. Tout enfant, quel que soit son milieu, apprend sa langue maternelle d’environ 3 000 mots, en dix mois, plus les règles de grammaire, plus l’accent. Le frayage neuronal est alors à son comble ;
-la deuxième période sensible se retrouve par contre tout au long de la vie, de la naissance à la mort – chaque fois que l’on connaît de très fortes émotions, agréables ou désagréables, positives ou négatives. L’hyper-émotion suscite en effet une hyper-mémoire ;
-la troisième période sensible est une dérivée de la deuxième, mais elle ne se renouvelle quasiment pas. C’est le premier grand amour, émotions fortes; on rêve de lui ou d’elle, on ne pense qu’à ça, on est totalement imprégné de ce sentiment et les pistes neuronales crrespondantes se gravent de façon profonde et indélébile ;
-la quatrième période sensible couvre l’adolescence et ses multiples découvertes, bonheur et contrariété. Là, on assiste plutôt à un élagage synaptique, quand à propos du lobe occipital des aveugles, nous disions qu’un cerveau qui fonctionne bien, n’utilise que des zones restreintes et bien focalisées. Ce «resserrage de boulons», de synapses, a lieu pendant l’adolescence.
*NOTE – les animaux ne connaissent pas de ces périodes, ont moins d’occasions de souffrir, mais aussi moins de possibilités d’enclencher un processus de résilience.
*Ce qui est particulièrement raté dans la petite enfance d’un humain peut être rattrapé plus tard. Ce ne sera pas le développement neuronal normal, mais un développement visible ou presque.
CONCLUSION : de plus en plus, les spécialistes voient les liens entre la psyché et le cerveau. Il n’y a pas si longtemps, il y avait séparation et souvent opposition entre la psychanalyse et la psychothérapie d’un côté, et de l’autre, la neurologie et la neuropsychiatrie. On tend dorénavant vers une vision plus globale.
À SUIVRE.
Très intéressant, merci !
On se demande quand même si le docteur Mengele n’aurait pas pu obtenir lui aussi un prix Nobel !
En fait, tous les préjugés sur le cerveau sont en train de tomber les uns après les autres. En France, on a eu de nombreuses et très intéressantes émissions de télé sur la plasticité du cerveau. Ils vont dans le même sens de ce que tu dis, même si ton article est plus précis. Par exemple, j’ignorais totalement qu’à une époque on pouvait donner le prix Nobel à un équivalent de Mengele !
Des Africains ont plusieurs fois dénoncé, il n’y a pas si longtemps que cela, que l’on faisait des expériences sur des enfants noirs enlevés par des Blancs. Regarde cet article par exemple :
http://mai68.org/ag/1238.htm
Amicalement,
do
http://mai68.org/spip
Si on donne le Prix Nobel à des Terroristes comme Obama, alors je ne vois pas pourquoi à qielq’un qui a fait avancer la science!