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Ce 5 mai 2013…le défilé des blaireaux

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ALLAN ERWAN BERGER — Ce 5 mai 2013, il a fallu que j’y aille. Pensez donc : j’allais enfin côtoyer des gens qui faisaient la promotion de la Sixième République ! Dans la vie de tous les jours on les rencontre séparément, au café, à la boulangerie, derrière une caisse… On les rencontre certes un peu partout mais isolés, en état presque de siège. Insultés, haïs, méprisés par les médias, et surtout niés dans leurs espérances comme dans leurs prétentions. Car voilà : nous n’existons pas.

Par Claudio Buttinelli cet article est disponible  en anglais, en italien et en espagnole ici:
Articles du 26 Aout 2023

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Peu à peu la Place de la Bastille se remplit. Des petits marchands circulent, flairant l’aubaine. On fait signer des pétitions, on chante, on ajuste son déguisement. Et Paris sans voitures se met à sentir bon. CC BY-3.0

Hier, dans les écrans d’Atlantico, Benoît Rayski nous a craché un fier jet de venin. Depuis longtemps la Droite souffrait à cause de Cabu et de son beauf irréfutable, facheux sexiste facho machiste, gros con vulgaire. Rayski propose le concept de beauf de gauche, et ses internautes s’y précipitent, réjouis et soulagés. Enfin ils tiennent leur revanche ! Voici, ce 5 mai, la manifestation des sales cons. Préparez votre seau à vomir, car nous sommes hideux.

LE DÉFILÉ DES BLAIREAUX

2013_05_06_002Quittant la place, je me dirige vers la gare de Lyon à la recherche du début du cortège, qui n’en finit pas de se densifier. Des orateurs se succèdent au micro d’une tribune invisible. Leurs paroles volent au-dessus de nos têtes. Il n’y est question que de la Sixième. On sent que cela passionne. C’est le sujet principal de la journée. Tout ce que nous vivons chaque jour en représente l’amont. La Sixième, qui procède de nos misères, ouvre la porte sur l’aval. Nous ne voulons plus être des sujets. Et nous avons nos idées : dans la foule, souvent les gens brandissent des panneaux ou des calicots avec des conseils portant sur les meilleurs moyens d’assembler une Constituante qui soit solide, impartiale, non truquée, non truqueuse. Les balais d’aujourd’hui ne sont clairement pas une fin, mais un préalable. La richesse de notre espoir dépose sur les visages des sourires.

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« Une ciquantaine de militants d’EELV » se seraient joints à la manifestation, a-t-on dit ici et là. Les drapeaux verts étaient pourtant plus nombreux. Voici un groupe, qui va former un bloc derrière son calicot. Le temps passant, les tissus verts et rouges se mélangeront un peu partout le long du défilé. CC BY-3.0

La beaufitude dont nous sommes attaqués semble ne pas laisser beaucoup de traces. C’est bien là le problème : répliquer à un trait demande un minimum de pertinence. Das le car à l’aller, autour de moi les gens étaient des enseignants, des consultants, des syndicalistes, des étudiants, des chercheurs. Rayski a rêvé ses beaufs incultes. Son pétard fera long-feu, et seuls les faibles d’esprit persisteront à vouloir en faire un argument.

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En avançant dans la rue de Lyon, je double un autre groupe d’Écologistes, que le voisinage d’horribles Communistes ne semble pas indisposer. CC BY-3.0

Toujours pas de nouvelles de la tête du cortège. La foule pourtant s’agglutine. Une fanfare éclate, et couvre par vagues les paroles de l’animatrice, qui annonce… Eva Joly !

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Voici les premières arches. La Coulée verte, qu’elles soutiennent, est une ancienne voie ferrée. Elle est pleine de gens qui observent quelque chose. La foule, ici, semble attentive. Je distingue, au carrefour avec l’avenue Daumesnil, un grumeau de cameramen, des projecteurs, et un petit podium. Voilà les orateurs ! CC BY-3.0

Tournant le dos à la Bastille, s’adressant à la gare de Lyon, de sa petite voix Eva Joly explique et instruit. Les gens semblent honorés de sa présence, qu’ils interprètent comme une caution. Non nous ne sommes pas des fous exaltés.

2013_05_06_006C’est donc ici que se tiendra le carré de tête. Par terre, contre une arche, voici la corde de l’enceinte qui attend, gardée par des volontaires. Tout à l’heure, les politiques se glisseront à l’intérieur. La foule, très compacte, n’envahit pas cet espace. On écoute EvaJoly.

Il est quand même dommage qu’on ne puisse avoir accès à la face ventrale du personnage. Ce sont les télévisions qui en ont l’exclusivité. Tout se passe comme si, encore une fois, les médias devaient se tenir entre les orateurs et nous.

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Unilever écoute la candidate Écologiste, l’ancienne juge. On sent beaucoup de respect. Nulle familiarité décontracte n’émane de cette masse de gens assemblés. On se tient droit. CC BY-3.0

Nous avons dépassé monsieur l’Éléphant, qui est de toutes les manifestations de la Gauche. Nous avons longé des stands pour la Sixième République. Le dernier Siné mensuel était vendu à la criée par une jeune fille qui saurait tout à fait se tenir devant un micro.

Voici Pierre Laurent qui prend la parole. Son arrivée m’a surpris alors que je travaillais à contourner la foule extrêmement pressée qui entoure le podium. Je n’ai pu, à cause de ces foutues caméras qui bloquent tout, saisir une bonne image de cet homme. La voix est claire, le ton claque. Et les gens réagissent. Tout à l’heure ils se taisaient ; maintenant, moins intimidés, ils commentent. Je remarque très étonné que l’on ne se grimpe pas les uns sur les autres pour approcher au plus près des représentants. Le gueux FdG est poli.

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Et c’est au tour de Mélenchon. N’ayant pas trop envie de s’adresser aux caméras, ils se tourne vers sa droite pour parler aux drapeaux, vers sa gauche pour parler à la Coulée verte, en alternance. CC BY-3.0

Le temps s’arrête. La joie prend chair dans les phrases. Quelques mots honorant les syndicalistes, qui prennent les coups pour tous et brûlent leurs vies au combat, soulèvent des approbations étouffées. Puis la Sixième redevient le grand sujet. C’est à la population de s’emparer de son destin ; les politiciens de l’ancien monde doivent se reculer dans l’ombre. Les compromissions qu’ils défendent sapent toute la société. C’est un fait notable, tout de même : les représentants du Front de Gauche travaillent à se mettre au chômage !

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Sous la magie de nos idées, même les feux de circulation prennent les bonnes couleurs. CC BY-3.0

Combien de gens ai-je pu rencontrer, qui se verraient bien Constituants ! Cette affaire les passionne. Mais voici comme les médias ont travaillé à faire de cette manifestation un défilé anti-Hollande. Dans la foule ont circulé des journalistes, par paires, souvent des deux sexes. Voici par exemple un duo : la fille, qui conduit l’équipe, tient le micro. Elle avise un gars qui a de la trogne. Elle lui colle sans honte aucune ses seins sous le nez, et très aguicheusement l’invite à s’exprimer. Le caméraman a un regard pas franc. Je m’arrête et observe. J’entends les paroles. L’interviewé commence par causer, à longues phrases, de la Sixième République, des changements nécessaires, de la moralisation, de la prise en main des affaires de la Cité par ceux qui y vivent et l’entretiennent. Mais la journaliste recadre le bonhomme, et l’oriente sur François Hollande. Ô pauvre innocent qui te saisis de la perche qu’on vient de te tendre : voilà que tu dis tout le bien que tu penses de notre président ! Et comme tu l’assaisonnes ! Derrière son appareil, le caméraman affiche un rictus satisfait. La fille remercie. Le duo replonge dans la foule à la recherche d’un autre gogo, mâle ou femelle. Le soir, dans le car, nous écouterons les flashes-info d’Europe 1, de RTL, de France-Inter : il n’y sera question que de la manifestation anti-Hollande. L’auditeur comprendra, preuves audio à l’appui, que les manifestants n’avaient rien à foutre de cette Sixième République. Ou si peu ! Bref, entre le score calamiteux de la manif, et les préoccupations de cette populace, MélAnchon aura tout faux. Des experts le démontreront, pondérés, polis, évidemment désolés pour cet imbécile populiste. Mais quelle idée, aussi, que de brandir la menace du terrible balai !

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Ébranlement de la manifestation. De part et d’autre du carré de tête, et surtout dans sa vague d’étrave, c’est le foutoir le plus instable. À propos, saurez-vous trouver Charlie ? Cliquez sur l’image pour en charger le fichier original. CC BY-3.0

La manifestation se met en marche. Une foule se presse loin devant le carré de tête, dans l’espoir d’atrapper un bout de vision des figures saintes. C’est ici comme lors d’une procession, lorsqu’on promène des statues que les fidèles voudraient embrasser. Ce n’est pas un culte, mais beaucoup d’amour et de reconnaissance. C’est pourquoi, devant les politiques, tenant bien au carré la corde de l’enceinte inviolable, des membres du service d’ordre font bouclier, et refoulent le plus poliment qu’ils peuvent, mais avec énergie, les gens qui se précipitent pour voir. Ces grands glissements de foule obligent le carré de tête à s’arrêter souvent, pour que la masse retrouve une respiration, et qu’on évite autant que faire se peut de créer des accidents. Voyez, sur l’image ci-dessus, la joie partout !

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Au cœur du cortège, Avenue Daumesnil, un carré du Front de Gauche. Cela fait trois heures que nous sommes assemblés, et nous avançons au pas du visiteur de musée. CC BY-3.0

Les balais sont de toutes les tailles, de toutes les formes, et de trois couleurs : soit paille, soit rouge, soit vert. De temps en temps une chorale lance une bordée de slogans qui finit sur un cri sauvage. Ça rigole, ça rit, ça sourit. Le soleil tape, mais il y a de l’air.

LES VISAGES

Le blogueur RVA, dans sa non-manifestation avec les bolcheviks n’a pas vu de visages souriants. Je l’explique aisément, pour deux raisons :

  • D’abord, il est assez fréquent qu’un compte-rendu reflète d’abord l’état d’esprit de la personne qui le rédige. Par exemple j’étais content, j’ai donc surtout vu des gens contents. Et je les ai photographiés. RVA, qui n’est absolument pas du FdG, n’avait aucune raison de frétiller. Il fut donc plus sensible à la lassitude des visages. Voilà ce qu’il restitue : …question cris, chants, hurlements et joie on pouvait repasser. C’était presque une manifestation silencieuse à part quelques tentatives de crieurs professionnels ou camions à musique.
  • Ensuite, RVA s’est posté sur la fin du parcours, boulevard Diderot. Je jure que lorsque nous fûmes enfin parvenus au dernier tiers de ce boulevard, nous en avions tous marre. Ça n’avançait pas, il faisait chaud, les cafés étaient bondés et les jambes faisaient mal. RVA a donc fort logiquement vu plein de gens, dont Mélenchon, qui tiraient la gueule.

Mais au début, c’était autre chose…

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Place de la Bastille, deux dames discutent au milieu de la foule qui se ramasse. CC BY-3.0

Quand se partagent de la ferveur, et de l’espoir, et tout cet étonnement de se compter autant à croire en un même faisceau de possibilités, les regards s’entrecroisent et se cherchent, réactifs, prêts à communiquer. C’est tout à fait flagrant sur cette image :

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Gens attentifs et curieux de tout, causant avec des inconnus. Cliquez sur l’image pour en charger la version originale, qui est en CC BY-3.0

Et ici, saurez-vous me dire si on fait la gueule, et pourquoi ?

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On dirait bien que nous voici harassés. Les regards ternissent et, quand ils ne sont pas concentrés sur la fatigue qui monte, ils deviennent méfiants. Non ? CC BY-3.0

Eh bien non !

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Trente secondes après avoir pris la photo précédente, je prends celle-ci. Ont-ils bien l’air malheureux, ces pauvres marcheurs ? CC BY-3.0

J’aurais envie d’écrire : tout est à peindre. David l’officiel peinturlureur de la Révolution aurait été emballé par tant de sujets. Tenez, voici un homme désolé, pour l’ami RVA :

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« Je ne réussirai donc pas à me mettre à l’ombre » semble penser ce manifestant. À moins qu’il ne songe mélancoliquement à un Perrier-citron ? À sa fille qu’il ne verra pas avant son prochain week-end de garde ? Ou bien est-il profondément dubidatif devant ce qu’il vient d’entendre ? CC BY-3.0

L’interprétation des images est presque toujours inexacte. Il n’en va pas de même avec les sons. RVA, qui n’est vraiment pas un gauchiste rouge, écrit avec droiture : Contrairement à ce que les médias TV ont raconté comme France 2, je n’ai pas entendu de slogans et encore moins de slogans anti-hollande. Ce n’est donc pas une manifestation anti hollande ! Sinon je serais resté chez moi, ou je serais rentré.

Je suis bien d’accord. L’anti-hollandisme c’est bon sur Twitter, mais en manif pour une Sixième, ce serait un peu hors-sujet. Voyez comme RVA est honnête, et comparez à mes duos de journalistes dont j’ai causé plus haut, qui tous cherchaient la même chose : des injures, des vilaines paroles… et qui, ne pouvant toujours les obtenir spontanément, ont travaillé à les faire naître. Voilà ce qu’est la télévision : un endroit où l’on fabrique des histoires, que l’on fait ensuite passer pour de l’information. Internet, en autorisant la consultation de centaines de sources libres, contradictoires, sérieuses ou connes, légères ou argumentées, permet de se forger un aperçu bien plus juste de n’importe quel événement.

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Après la dispersion. Les provinciaux cherchent leurs cars. CC BY-3.0

Dans le car, pendant le retour, la radio annonça les chiffres « de la Préfecture » : énorme éclat de rire. Merci pour cette bonne blague, messieurs du ministère. Nous avons observé vos policiers qui nous protégeaient de la circulation, comptaient, filmaient, ou cherchaient, dans les foules, le cinglé imprévisible. Vous salopez leur réputation avec votre communiqué futile, mais la honte en rejaillit sur vous, tandis qu’ils ne peuvent que se taire.

FIN DE LA MANIFESTATION DES BEAUFS DE GAUCHE.
À TRÈS BIENTÔT POUR DE NOUVELLES GLAIRES.


À LIRE

Un commentaire intéressant de monsieur Michel Koutouzis sur la restitution médiatique de l’histoire en marche, avec une prise de position : Les promoteurs du chaos sur Mediapart.

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