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Riche

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ALLAN ERWAN BERGER  — Je suis riche. Horriblement riche.

Par Claudio Buttinelli cet article est disponible  en anglais, en italien et en espagnole ici:
Articles du 9 Septembre 2023

Auparavant j’étais pauvre. Horriblement pauvre. La misère vous arrache à vous-même, elle vous attaque et veut vous tuer. Il est facile, quand on est pauvre, d’être jeté à la rue, souillé, détruit irrémédiablement. Il est facile de se perdre, et de voir son esprit corrompu, abaissé jusqu’à la plus fangeuse des animalités torves. Quand on est pauvre, c’est le monde entier qui fait tout pour te réduire en bouillie. Et plus on est pauvre, plus on est à la merci de l’extérieur hostile.

Mais riche ! Mais très riche ! Alors on se perd soi-même. Car te voici le pire ennemi de tout ce qui t’est extérieur, et si tu n’y prends garde, non seulement tu détruiras cet extérieur mais tu te détruiras toi-même, tout seul, par excès d’outrances comme, pauvre, tout te détruit par excès de violence sur ton insignifiante personne. Riche, tu es trop signifié.

Le mot vient du pouvoir : riki, dont on devine une parenté avec le roi, rex. Le puissant. Le puissant définit, en creux, la foule des impuissants par statut : le possédant se décrit par ses possédés et les dépossédés. Roi et sujets, dominant et dominés, riche et pauvres. L’un ne va jamais sans les autres puisque l’un se nourrit des autres.

Je suis devenu très riche… On le devient de trois façons : par le vol, par l’héritage, ou par hasard. L’honnêteté et les scrupules ne mènent jamais à la richesse, et l’on comprend pourquoi : riche tu deviens l’adversaire de tout.

Riche tu t’ennuies, rien ne te taraude plus que des conflits que tu t’inventes contre d’autres riches. Pour vivre intensément il te faut multiplier les crimes, et plus le temps passe, plus tu deviens insensible à ces menus plaisirs que sont l’extorsion, la dépossession, la captation, la corruption, l’amassement d’or et de pouvoir. Tu t’emmerdes, tu prends des risques gigantesques qui te font exulter, puis rire, puis simplement sourire. Tu t’accoutumes. Drogué au gros pognon, tu atteins le seuil où ta richesse est trop forte pour toi. Tu sens frémir le désir du suicide.

Les grands riches se ruinent en yachts, en casinos, en tableaux, en tout ce qui ruine. Les grands riches sont trop riches, ils le sentent et s’attaquent eux-mêmes. Ils sont comme les pauvres : si éloignés du sort commun qu’ils en deviennent insupportables. Mais comme on n’a que très rarement vu des pauvres tuer des riches, tandis que les riches tuent les pauvres en abondance et en toute impunité, ce sont les riches et eux seuls qui peuvent se détruire, quand ils ne supportent plus cette existence obscène. C’est leur destin, c’est leur mission : ils deviennent dingues, alcooliques, camés, ou criminels, aventureux, cherchant les pires dangers, les trouvant parfois ; leur esprit s’effondre, ou leur morale se liquéfie et, de sursignifiants qu’ils étaient, ils deviennent asignifiants, incompréhensibles, irréels. Ils deviennent de vrais dieux, bien surréalistes.

Tout comme les grands pauvres, les grands riches échappent à l’humanité commune ; les voilà monstres. Raison pour laquelle instaurer un seuil maximal de revenus est une chose admirable, car ainsi non seulement on peut envisager, avec l’argent récupéré, l’instauration d’un revenu minimal, afin que les pauvres n’implosent pas, mais le revenu maximal empêche les riches d’exploser. Tout le monde y trouve son compte. La morale peut enfin pénétrer dans la pièce, s’enfoncer dans le canapé et prendre la télécommande. La société redevient saine.

Et que l’on ne me dise pas que c’est impossible : les grands riches gagnent des mois entiers à chaque jour qui passe. 6000 euros par jour en moyenne, en 2012, pour les patrons du cac40, contre 47,50 bruts pour ceux de leurs employés – et ils sont nombreux – à être payés au SMIC.

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