Les neurones miroirs : une révolution dans notre conception de la psyché !
CAROLLE ANNE DESSUREAULT :
Voici le cinquième article sur les richesses incommensurables du cerveau!
L’article s’inspire du livre Votre cerveau n’a pas fini de vous étonner de Patrice Van Eersel, rédacteur en chef du magazine Clés. Le présent article traite de l’entrevue réalisée par M. Van Eersel avec Pierre Bustany, neurophysiologue et neuropharmacologue, médecin et ingénieur et spécialiste des nouvelles techniques d’imagerie du cerveau.
Pierre Bustany s’intéresse depuis le début de sa pratique à l’imagerie des systèmes de neurones miroirs, au stress et aux troubles relationnels, au choc amoureux ainsi qu’aux traumatismes psychiques dans la petite enfance.
D’après lui, un vieux cerveau est plus entraîné qu’un jeune, car il reconnaît les raccourcis neuronaux et fonctionne à l’économie. Voilà une affirmation qui brasse les préjugés ou croyances que la plupart d’entre nous entretenions sur les performances d’un vieux cerveau comparativement à un jeune !
Des liens entre fonctionnement cérébral et cognition (stress traumatique)
Pierre Bustany s’est concentré ces dernières années sur les liens entre fonctionnement cérébral et cognition lors d’un stress traumatique avec l’objectif de cerner les causes de la résilience.
Avec un groupe de scientifiques, il a cherché à identifier les liens entre neurones et pensée, dans l’ouverture d’esprit la plus large entre science et philosophie. Pierre Bustany a travaillé avec le PET-scan (la première caméra à positons). Plus qu’une radiographie ou un scanner classique qui donne des renseignements anatomiques immobiles du cerveau, le PET-scan montre le cerveau en action.
En suivant les radioéléments à vie courte utilisés en médecine nucléaire, donc à radioactivité légère, que l’on a injectés dans le sang du sujet le PET-scan repère ce qui, dans le cerveau, est en action.
Aujourd’hui, c’est chose courante de regarder fonctionner le cerveau, à observer en détail comment il s’active en réponse à telle ou telle stimulation. Le PET-scan ne voit que ce qui est actif, car la molécule de glucose ou d’oxygène (marquée radioactivement avant d’être injectée) n’est absorbée que par les neurones en train de travailler dans le cerveau de la personne au moment où on l’enregistre. Si on lui tape sur les doigts, l’image va s’allumer au niveau du cortex sensitif de la douleur de l’index frappé. Si elle a peur du choc avant la tape, ce seront des noyaux profonds du cerveau qui s’allumeront, responsables de l’émotion de la peur, etc.
Comment on arrive à détecter l’activité cérébrale
En français, le PET-scan devrait être identifié comme «TEP-scan». TEP pour «tomographie par émission de positons.» Un positon est un électron positif, c’est-à-dire un électron d’antimatière. Quand il s’échappe du radioélément qu’on a injecté au patient – par exemple une molécule de glucose légèrement radioactive, dont les neurones ont besoin pour agir – ce positon ne tarde pas à rencontrer un électron et, dans le choc matière/antimatière, les deux s’annihilent, émettant deux rayons de lumière gamma exactement à l’opposé l’une de l’autre. En ayant installé des détecteurs tout autour de la tête du patient, on peut savoir sur quelle ligne se trouvait le produit radioactif, et ainsi, en rassemblant un grand nombre de détections de rayons gamma, dresser une carte de l’activité cérébrale.
De nos jours, l’imagerie par résonance magnétique nucléaire fonctionnelle (IRMf) montre l’activation de nos neurones plus rapidement et avec une précision beaucoup plus grande que le PET-scan. L’IRMf fait produire aux noyaux atomiques de l’organisme un champ magnétique qu’un détecteur circulaire peut capter et traduire en une image en trois dimensions – et donne une résolution de l’ordre d’un millimètre et demi (alors que le PET-scan est de l’ordre du centimètre). De plus, il évite l’irradiation puisqu’on travaille avec un champ magnétique et non plus avec des isotopes radioactifs.
Le PET-scan est pertinent en médecine pour tout ce qui relève de l’étude réelle du métabolisme, notamment du typage et de l’extension des tumeurs, fonction essentielle. On peut aussi suivre le trajet d’un médicament avec le PET-scan (alors que c’est compliqué avec l’IRM) parce que les molécules des médicaments sont énormes et que la résonance magnétique change leur comportement.
En revanche, pour l’observation du fonctionnement du cerveau, les résultats sont plus rapides avec l’IRM fonctionnelle.
Le comportement des neurones miroirs
Chez le singe, le système des neurones miroirs est beaucoup plus simple que chez l’homme. Il sert essentiellement à préparer le cerveau à lancer une action tendue vers un but significatif, par exemple, tendre la main pour se saisir d’une banane.
Chez l’homme, on grimpe de plusieurs degrés dans la complexité. D’abord, le geste d’un autre peut être imité par nos neurones même si ce geste est « abstrait » et ne conduit à rien d’autre qu’à lui-même.
Le modèle des neurones miroirs a ainsi permis de montrer qu’en regardant quelqu’un sauter en l’air, servir au tennis ou shooter dans un ballon, nous activons, sans en exprimer le geste, les neurones correspondants de notre cortex prémoteur. Nous pouvons faire de la gymnastique sans bouger. Les grands sportifs le savent ! Ils utilisent des méthodes de « visualisation de la victoire » pour entraîner leur système nerveux à mieux atteindre celle-ci. Sans les nouvelles techniques d’imagerie, tout cela serait resté hypothétique et obscur.
Le rôle des neurones miroirs
Principalement, les neurones miroirs servent à nous préparer à l’action, en renforçant les voies neuronales de notre cerveau moteur. Plus nous répétons l’activation d’une voie, même par simple imagination, plus cette voie se renforce et plus le geste auquel elle correspond va devenir facile, automatique. Si nous entraînons classiquement les muscles de nos doigts tous les jours pendant plusieurs heures, au bout d’une semaine nous pourrons les bouger environ 50 % plus vite.
Ce que la neuro-imagerie nous montre de génial, c’est que si nous avons visualisé en pensée l’action de bouger nos doigts, ou même simplement regardé quelqu’un d’autre le faire, nous pouvons améliorer notre vitesse d’exécution de 20 % ou de 30 %. TOUT CELA GRÂCE AU SYSTÈME MIROIR. C’est donc un processus qui économise l’énergie en préparant l’action en amont. En voyant quelqu’un faire un geste qui nous intéresse, ou en nous imaginant le faire nous-mêmes, nous nous en facilitons l’éventuelle exécution.
Les chercheurs confirment l’hypothèse selon laquelle un musicien pourrait entraîner sa dextérité, donc son cerveau moteur, simplement en lisant ses partitions dans sa tête, ou même en s’imaginant jouer, les yeux fermés.
D’autre part, l’activité neuronale d’un néophyte est moins intense que celle d’un expert, d’un amoureux de l’art ou de ce à quoi il porte son intérêt.
Si les chercheurs scannent le cerveau d’un peintre ou d’un grand amateur de peinture regardant un tableau, on y trouvera une activité neuronale intense. Cette activité sera moindre chez le néophyte. Un musicien écoutant jouer un autre musicien va spontanément analyser si celui-ci joue juste ou pas, de combien il est décalé par rapport au diapason, à quel rythme il joue, avec quel style, quelle tonalité, sans compter le jugement qu’il portera sur le choix du morceau, l’histoire de ce dernier … bref, une infinité de données que nous ignorons si nous n’avons pas nous-mêmes étudié la musique pendant des années. Le système VISE L’EFFICACITÉ ET L’ÉCONOMIE.
Les neurones miroirs existent-ils dans toutes les parties du cerveau?
Il semblerait qu’on les retrouve un peu partout dans le cerveau. Il faut surtout parler du « fonctionnement en miroir » de nombreux systèmes de neurones.
Le mimétisme neuronal passe par la fonction visuelle. Exemple : si une personne voit une autre personne donner un grand coup de marteau sur ses doigts, sa réaction en miroir fera qu’elle saisira (inconsciemment) sa propre main d’un geste vif, tout en pensant : « Ouf, il a dû se faire mal ! »
Souvent, la fonction miroir est synesthésique, passant par plusieurs sens à la fois. Si, par exemple, vous voyez quelqu’un adopter la mimique du dégoût, vous aurez facilement tendance à l’imiter, avec l’impression de sentir, dans vos narines, une odeur putride. Il s’agit d’un réflexe quasiment « câblé » génétiquement dans nos circuits neuronaux olfactifs et moteurs. Notre espèce sait depuis des centaines de milliers d’années que ce qui sent mauvais est généralement pourri et ne doit pas être consommé.
C’est si puissant, que lorsque nous regardons un visage exprimant le dégoût, notre système miroir peut très bien provoquer chez nous des réactions de dégoût réel, avec haut-le-cœur, sueur, peur et autres réactions psychosomatiques (pensons un peu à quelqu’un qui mangerait des vers vivants devant nous …. Hum !)
Les limites de la fonction miroir
Un professeur de danse, qui s’entraîne depuis trente ans et exécute à la perfection un certain enchaînement, et si ses élèves le regardent et usent de leurs neurones miroirs et tentent de l’imiter, malgré tout, ils n’y parviennent pas. Parce que trente ans de travail ont fait intégrer au maître une coordination neuronale complexe inaccessible à des débutants.
Il n’est donc jamais trop tard. Il s’agit d’utiliser cette capacité extraordinaire de notre cerveau et de l’entraîner, par la visualisation, comme ci-dessus mentionné, par l’imitation, par la rigueur, dans le but d’élargir nos horizons et réaliser nos objectifs.
L’effet miroir commence dès la naissance
Un bébé n’a aucune inhibition : on tire la langue, il tire la sienne ; on sourit, il sourit ; on pleure, il pleure ; Le nouveau-né est hypersensible et développe étonnamment vite des méthodes d’analyse du regard de sa mère. Il relie très bien telle expression du regard de celle-ci au fait qu’elle est contente ou pas. Au bout de quelques mois, il suffit de froncer les sourcils pour qu’il se mette à pleurer – parce qu’il sent intérieurement une altération du bien-être de sa mère. Tout cela passe intégralement par les neurones miroirs.
Au début, seul le système visuel est concerné, puis, peu à peu, le système auditif s’intègre au processus, même si la parole n’est pas encore au programme. L’enfant entend quelque chose, son cerveau analyse les sons et les mémorise, se constituant une grammaire acoustique, par étude statistique des groupes de phonèmes dans les paroles que son entourage déverse sur lui.
Le petit enfant n’utilise son système miroir que pour imiter, pas pour comprendre le but des actions vues. Vers quatre ou cinq ans, il commence à mentir et s’amuse à « faire comme si ». Il comprend qu’il peut imagjner des choses, appréhender ce qui se passe dans la tête des autres, jouer en groupe et manipuler sciemment autrui, sa dépendance totale à son système miroir se relâche alors petit à petit. Il découvre qu’il peut jouer dans ce système miroir pour mimer des sentiments et faire croire à autrui quelque chose qu’il ne ressent pas.
En conclusion, les neurones miroirs constituent une révolution dans notre conception de la psyché et de la condition humaine.
À suivre.