Ce n’est pas le nombre de neurones qui importe, mais le nombre de synapses
CAROLLE ANNE DESSUREAULT :
Voici le sixième article sur les richesses incommensurables du cerveau!
L’article s’inspire du livre Votre cerveau n’a pas fini de vous étonner de Patrice Van Eersel, rédacteur en chef du magazine Clés. Le présent article traite de l’entrevue réalisée par M. Van Eersel avec Pierre Bustany, neurophysiologue et neuropharmacologue, médecin et ingénieur et spécialiste des nouvelles techniques d’imagerie du cerveau.
Le dernier article traitait principalement du comportement et du rôle des neurones-miroirs; aussi de la détection de l’activité cérébrale grâce aux nouvelles techniques d’imagerie fonctionnelle.
Si l’empathie est fondamentale chez l’humain, qu’est-ce qui déclenche la haine et le racisme (la face sombre de la plasticité neuronale) ?
La capacité d’empathie chez l’humain semble indéniable : il y aurait un système miroir spécifique, au niveau de l’insula et de l’amygdale, à la base du cerveau, qui nous permettrait de reconnaîrre l’émotion chez les autres.
Si la fonction initiale du système miroir est d’entrer en résonance aimable avec autrui, elle sert aussi à se défendre.
Nos systèmes réflexes d’analyse du visage sont ainsi faits qu’on a pu dire, même si c’est choquant, que notre cerveau était « naturellement » raciste. Après notre naissance, nous développons la capacité d’analyser les visages de l’ethnie ou des ethnies proches, dont la physionomie nous devient à ce point familière que nous sommes capables, en quelques dixièmes de seconde, de reconnaître mille subtilités sur un visage. Mais, si brusquement nous nous retrouvons dans un pays étranger où les traits sont différents, nous devenons extrêmement grossiers dans notre analyse, incapables de faire la différence entre des personnes pourtant dissemblables, et donc moins capables d’empathie envers eux. C’est une base neuronale du racisme.
Il serait plus facile de maltraiter ou de tuer quelqu’un que nous ne reconnaissons pas pareil à nous. Malheureusement cette non-reconnaissance de l’autre peut aussi se transmettre par manipulation culturelle. Sans reconnaissance, l’empathie ne fonctionne pas ou très peu. Un bon endoctrinement politique, et on peut câbler le fonctionnement cérébral des enfants autrement. C’est la face sombre de notre plasticité neuronale et des automatismes de pensée qui en découlent.
Le même « système miroir » nous pousserait à faire le bien d’autrui parce que nous y avons intérêt, mais quand le corps social se dérègle, le système-miroir tombe en panne
Au fond, nous ne vivons que pour notre bien-être. Il n’y a pas d’exception. Tout être vivant cherche à :
survivre
étendre son territoire
se reproduire
Ce sont les trois instincts de base de la vie.
LES INSTINCTS DE GROUPE
La nature a privilégié chez nous au fil des millénaires des instincts de groupe parce que, seuls, nous aurions été impuissants et la loi de la jungle nous aurait éliminés. Nous avons donc intérêt, évolutivement, à aider nos congénères.
Quand nous nous apercevons qu’autrui éprouve une souffrance, cela fait résonner en nous les mêmes sensations désagréables. Le système miroir nous pousse donc à rechercher indirectement le bonheur d’autrui … pour notre propre satisfaction.
Quand le corps social se dérègle, ce système-miroir (empathique) tombe en panne, et pour ne pas voir souffrir autrui, on le fait disparaître du champ public : dans des camps, des ghettos, à l’asile, hors de la ville, en prison, au-delà des frontières.
Conséquemment, pour bien fonctionner, le système miroir doit donc être encadré par des valeurs, une culture, des savoirs.
Ce n’est pas le nombre de neurones qui importe, mais le nombre de synapses
Notre plasticité neuronale a un rôle social dès la naissance. D’abord par défaut : plus de la moitié de nos neurones disparaissent entre zéro et deux ans. Ce qui est une bonne chose sinon le petit humain ne pourrait pas individualiser ses voies.
La mort cellulaire, ou apoptose, est la condition sine qua non de la plasticité cérébrale. Des milliards de neurones disparaissent, mais ceux qui restent sont infiniment plus riches en synapses, donc en contact avec leurs collègues. Il vaut mieux avoir moins de neurones mais que chacun soit extrêmement « digité », c’est-à-dire pris dans un réseau très dense.
Pour avoir un cerveau efficace, ce n’est pas le nombre de neurones qui importe, mais le nombre de synapses. Peu à peu, les pistes synaptiques constituent notre mémoire, le but du cerveau étant d’économiser son énergie et ses efforts, donc de mémoriser des automatismes, aussi bien pour parler que pour jouer de la musique ou conduire une voiture.
Tous les souvenirs sont liés à des émotions réactivées aussi par leur évocation, et peuvent faire intervenir des aires corticales différentes.
LES DIFFÉRENTES MÉMOIRES
mémoire auditive
mémoire visuelle
mémoire motrice
mémoire émotionnelle (située plus bas, dans le cerveau limbique)
mémoire comportementale (s’organise aussi dans la partie frontale du néocortex)
Des mécanismes hormonaux et enzymatiques qui influencent la neuroplasticité ou qui la bloquent – chez les dépressifs et les stressés
Un cerveau déprimé ne donne pas les mêmes images qu’un cerveau tonique
Il semblerait que moins de 60 % des patients répondent à long terme aux antidépresseurs, notamment aux inhibiteurs de la recapture de sérotonine, et 15 % seulement se retrouvent finalement guéris pour de bon (qu’ils vivent réellement et non pas seulement survivre.)
Certaines personnes dépriment et d’autres pas, pourquoi? Il y a des gens qui ne dépriment jamais bien qu’ayant subi des guerres ou les pires traumatismes; ces personnes entraînent même les autres à survivre. Et d’autres qui pour des riens se mettent à broyer du noir.
De l’avis de Pierre Bustany, l’exercice physique assidu empêcherait la dépression parce qu’il fait sécréter des substances comme l’insuline qui est l’un des facteurs de développement des réseaux neuronaux. L’insuline augmente la plasticité neuronale. Plus on fait de l’exercice, plus on stimule notre capacité à produire de nouvelles synapses, pas uniquement dans les aires motrices. Des recherches ont récemment confirmé que l’exercice physique retarderait le vieillissement.
Point intéressant : l’alimentation jouerait un rôle direct sur le cerveau – incontestablement – mais moins que l’exercice physique !
Que se passe-t-il dans le cerveau d’une personne qui vieillit ?
Certains noyaux neuronaux deviennent difficiles à entraîner avec l’âge avec moins de synaptogenèse ; d’autre part, d’autres noyaux s’avèrent plus nombreux et dynamiques chez la personne âgée.
Pourquoi ? Parce qu’un vieux cerveau est beaucoup plus entraîné. Il connaît les raccourcis neuronaux et fonctionne à l’économie. Certains de ses réseaux fonctionnent donc mieux que chez la personne jeune. Ils fonctionnent aussi sous l’influence d’autres hormones, avec en particulier moins de testostérone chez le vieil homme que chez le jeune, donc moins d’agressivité et avec une déperdition énergétique globale moindre.
Différences entre les cerveaux des hommes et des femmes
Il existe beaucoup de différences entre les cerveaux des hommes et ceux des femmes.
Des millions de neurones se trouvent activés différemment suivant le sexe – et selon les modalités qui changent avec l’âge, donc avec le contexte hormonal.
Le traitement du langage, par exemple, et la compréhension de la parole, ne sont pas exactement répartis de manière semblable dans les deux hémisphères cérébraux de l’homme et de la femme.
Dès les derniers mois in utero, se mettent en place des choix d’activation génétiques qui sont hormono-sensibles et qui déclenchent sans retour possible des cascades de régulations différentes entre garçons et filles. Cela différencie les aptitudes selon un continuum homme-femme sur lequel joue la culture et l’éducation.
EN GÉNÉRAL, LES PETITES FILLES PARLENT PLUS TÔT, ET DIFFÉREMMENT
Les chercheurs ont remarqué qu’il y a dans l’aire de Broca corrélée à la parole une maturation métabolique globale beaucoup plus forte chez les petites filles que chez les petits garçons, particulièrement vers l’âge de cinq-sept ans. Dans ce domaine, il existe une différence de vitesse de maturation avec deux ans d’avantage pour les filles. C’est l’inverse pour d’autres fonctions.
En conclusion, « le cerveau ne s’use que si l’on ne s’en sert pas » !
À suivre.