La princesse jivaro

Ormeau pêché en Basse Californie orientale, qu’un âne amenait à La Paz, non loin de la pointe de la péninsule. Là, un bateau le transportait, lui et ses semblables, jusqu’à Manzanillo où les coquillages partaient en camion jusqu’au golfe du Mexique, attraper un autre bateau qui montait en Virginie. C’était le bateau « du coton » car au retour il revenait au Mexique avec les cales remplies de balles de coton.

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ALLAN ERWAN BERGER  — Pour mes camarades Aline, Daniel et Paul

Seul ce soir, je repense à mon enfance, qui fut moche, quand j’étais étranger au milieu de sales cons racistes. Mais, dans la zone de transition entre la fin de l’adolescence et le début de l’âge adulte, il m’est arrivé des tas de choses que je suis allé arracher aux coffres-forts de la vie. Les gouffres et les forêts en font partie, ainsi que la mer et ses mystères. Mais il y eut aussi des rencontres avec des gens qui existaient de travers. Entre tous, je me souviens d’une dame, qui vivait avec sa vieille mère et des générations de petits chiens astucieux, dans une maison remplie de merveilles issues de la nature. Il y avait dans des tiroirs des diamants bruts énormes, moches mais d’une valeur astronomique, mélangés à des cristaux de sel gemme sales, des crottes de lion fossilisées, des trilobites, de l’or en dendrites et des coquillages.

Assis dans les sofas profonds du « petit salon », le dos contre un bar en teck et en rotin orné de figures de pirates, j’écoutais mon hôtesse discourir sur un chanteur célèbre qui s’était produit au cabaret de Momus, au dix-neuvième siècle naissant ; et tandis que ma vieille amie parlait et fumait et toussait et parlait encore tout en ingurgitant force cognacs, je lisais les chansons du bonhomme dans un livre minuscule, intitulé Les soupers de Momus, que je tenais en équilibre au sommet d’un genou, tandis que mes mains étaient occupées à peigner la tête d’une jeune princesse jivaro morte un siècle auparavant.

J’ai souvent peigné la princesse, et c’est devenu même une expression, pour signifier que je venais tenir conversation dans le petit salon aux merveilles. Tandis que je dépoussiérais la longue chevelure, mes yeux s’attardaient sur des gueules de requins, des dos de tortues marines, et sur d’énormes cristaux de quartz en provenance des puits de Madagascar. Oh que je les ai regardés, ces cristaux magnifiques.

Des papillons morts tournaient lentement sous les lampes, et la princesse, qui n’avait plus un gramme d’os, me faisait la grimace. Mais elle était mignonne quand même, à travers son visage en cuir ancien. Je suis désolé qu’un jour un voleur se soit emparé de ce petit butin. J’aurais tant aimé continué à peigner ma jolie princesse. J’en aurais peut-être hérité.

Ce soir je regarde dans la vitrine à ma gauche luire les ormeaux géants qui me viennent de cette dame, et je soupire. La nuit s’en vient comme un long fleuve languide, et je ne regrette rien de chacune des heures passées dans tous ces endroits improbables où je fus jadis, et qui aujourd’hui encore me nourrissent.

Bon, je retourne à mes travaux. Bonne fin de matinée-journée-soirée, mes amies-amis des deux océans ; et à vous, mes amis de Rennes, je souhaite une bonne nuit.

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