«La critique de la religion est la condition de toute critique» (Karl Marx)

Par Robin Goodfellow. Novembre 2006. 

La formation de la critique communiste.

Dans la « Préface » de 1859 à la Critique de l’Economie Politique, Marx retrace le parcours intellectuel qui l’a amené à poser la critique de l’économie politique comme base de sa théorie.

«Le premier travail que j’entrepris pour résoudre les doutes qui m’assaillaient fut une révision critique de la Philosophie du droit, de Hegel, travail dont l’introduction parut dans les Deutsch-Französische Jahrbücher, publiés à Paris, en 1844. Mes recherches aboutirent à ce résultat que les rapports juridiques – ainsi que les formes de l’État – ne peuvent être compris ni par eux-mêmes, ni par la prétendue évolution générale de l’esprit humain, mais qu’ils prennent au contraire leurs racines dans les conditions d’existence matérielle dont Hegel, à l’exemple des Anglais et des Français du XVIII° siècle, comprend l’ensemble sous le nom de « société civile », et que l’anatomie de la société civile doit être cherchée à son tour dans l’économie politique. J’avais commencé l’étude de celle-ci à Paris et je la continuai à Bruxelles où j’avais émigré à la suite d’un arrêté d’expulsion de M. Guizot.»[i][1]

Entre Juillet et Octobre 1843, Marx est à Kreuznach (où demeure sa mère), et il y réétudie le texte de Hegel, étude qu’il avait commencée en 1842. Il part ensuite en Octobre 1843 pour Paris. L’expulsion de Paris sur ordre de Guizot a lieu le 3 Février 1845. Le passage à l’étude systématique de l’économie politique a donc lieu fin 1843.

Dans l’Allemagne des années 1840, régler son compte à l’hégélianisme (tout en reconnaissant l’immense apport du maître, contre les détenteurs de chaires universitaires qui avaient tendance à le traiter en « chien crevé ») était une tâche indispensable en prélude à la fondation de toute théorie nouvelle.

La critique que fait Marx à Hegel a souvent été reportée de manière simpliste, notamment par ces matérialistes vulgaires que sont les philosophes staliniens. On se contente de dire que Marx et Engels ont « renversé » la philosophie de Hegel, en ce sens que là où le philosophe d’Iéna mettait « l’Idée » ou « l’Esprit » au centre de la réalité, la théorie communiste y mettrait la « matière ». Or, le renversement effectué par Marx est autrement dialectique.

La compréhension vulgaire de Marx (et notamment celle des philosophes staliniens) comprend le « renversement » de manière mécanique. On substitue l’être à l’Idée, et vice-versa. Or, le marxisme explique non seulement que la réalité est renversée, mais aussi en quoi la réalité renversée est, elle aussi, réelle. Par exemple, dans la critique de la religion, il ne s’agit pas de rejeter simplement Dieu comme le fait l’athéisme pur, mais d’expliquer comment certaines conditions sociales créent un Dieu à l’image de l’homme [ii][2]. Dans cette mesure ce Dieu est réel en tant que représentation renversée d’une réalité qui n’est pas encore comprise comme telle. Dans les communautés primitives, ce Dieu est symbolisé par le totem, image de la Communauté, plus tard, par le polythéisme, plus tard encore dans les monothéismes. A chaque fois, il ne s’agit pas de rejeter purement et simplement la religion, mais de la critiquer en en expliquant les fondements matériels, réels. Marx écrit : « Voici le fondement de la critique irréligieuse : c’est l’homme qui fait la religion, et non la religion qui fait l’homme »[iii][3].

Lorsque Marx s’attaquera ensuite à la critique de la politique, il appliquera la même logique de renversement, cherchant la racine humaine, celle de la forme des relations nouées pratiquement par les hommes dans leur activité productive, sous l’apparence aliénée des rapports politiques qui en découlent. On peut citer à nouveau la préface de 1859 où Marx résume de façon particulièrement lumineuse l’apport de la dialectique matérialiste :

« Le résultat général auquel j’arrivai et qui, une fois acquis, servit de fil conducteur à mes études, peut brièvement se formuler ainsi : dans la production sociale de leur existence, les hommes entrent en des rapports déterminés, nécessaires, indépendants de leur volonté, rapports de production qui correspondent à un degré de développement déterminé de leurs forces productives matérielles. L’ensemble de ces rapports de production constitue la structure économique de la société, la base concrète sur laquelle s’élève une superstructure juridique et politique et à laquelle correspondent des formes de conscience sociale déterminées. Le mode de production de la vie matérielle conditionne le processus de vie social, politique et intellectuel en général. Ce n’est pas la conscience des êtres qui détermine leur être ; c’est inversement leur être social qui détermine leur conscience. »[iv][4]

Le renversement opéré par la théorie communiste sur la philosophie Hégélienne n’a rien de mécanique ; il ne s’agit pas simplement de substituer un terme à l’autre (ici la « matière » à l’Esprit) pour avoir effectué une critique véritable. Pour cela, il faut aussi comprendre les fondements qui ont permis l’expression d’une telle théorie. Aussi la critique de Marx montre-t-elle non seulement le véritable rapport qui régit la production matérielle des conditions de vie de la société et les expressions idéologiques qui reflètent ces conditions, mais encore pourquoi ce sont ces expressions idéologiques là et pas d’autres qui s’expriment dans telle ou telle époque.

Un apport de ce type est donné, à travers la critique de la religion, point de départ qui sert par la suite de « modèle » à la critique de la politique et de l’Etat, puis à la critique de l’économie. On ne saurait confondre la théorie communiste avec un simple athéisme. L’athée est celui qui nie Dieu et se dresse contre toute manifestation religieuse. Il nie l’un et l’autre de manière unilatérale, absolue. Cela signifie en même temps que, philosophiquement, il se montre incapable de comprendre de manière dialectique pourquoi, à un moment donné, une société se donne telle expression idéologique sous la forme (exclusive ou non selon les époques) de la religion.

L’athéisme est une approche limitée, encore contradictoire de la vérité de l’homme, parce qu’il ne pose pas le problème dans les bons termes. Ce n’est pas contre la seule sphère de la religion que l’homme peut construire son émancipation ; il faut aussi et surtout qu’il transforme ses conditions de vie réelle. Ainsi : « l’athéisme est l’humanisme médiatisé par la suppression de la religion, et le communisme est l’humanisme médiatisé par lui-même grâce à la suppression de la propriété privée. »[v][5]

On a beaucoup glosé sur la formule extraite de la Préface à la Critique de la philosophie du droit de Hegel : « la religion c’est l’opium du peuple ». Cette phrase est souvent comprise de la façon suivante : « Regardez ce qu’est le pouvoir de l’Eglise et des curés : ces gens-là abrutissent le peuple et le droguent pour l‘empêcher de réfléchir à sa condition et se révolter. »

Cela vaut la peine ici de citer le contexte de cette formule et de la commenter.
« La misère religieuse est tout à la fois l’expression de la misère réelle et la protestation contre la misère réelle. La religion est le soupir de la créature accablée, l’âme d’un monde sans cœur, de même qu’elle est l’esprit d’un état de choses où il n’est point d’esprit. Elle est l’opium du peuple. »[vi][6]

Il y eut, il y a quelques années, dans une tribune libre du journal « Le Monde » un bon esprit qui prétendit découvrir une contradiction dans cette affirmation car, disait-il, au 19° siècle, l’opium n’était pas considéré comme une drogue, mais comme un calmant. Le discours de Marx contre la religion, en déduisait-il, était moins critique que la vulgate ne voulait le dire. On ne sait si cette découverte lui valut le prix Nobel. Toujours est-il que si contresens il y a, c’est si l’on estime que le capital, ou la bourgeoisie, ou toute autre puissance tutélaire endort le bon peuple à coup de drogues. La critique de l’idéologie, dans la théorie communiste, ne spécule pas sur telle ou telle volonté de tromperie ou de mensonge de la part de la bourgeoisie. Elle cherche à dévoiler les fondements matériels des phénomènes idéologiques. Elle ne nie pas, effectivement, que le besoin de religion soit un besoin réel ; elle ne nie pas que ce que l’on y recherche, comme dans l’opium, c’est le soulagement ; elle ne se livre pas à une critique simpliste de la religion, mais à une critique dialectique : si la religion est l’expression de la misère réelle, alors ce n’est qu’en abolissant la misère réelle que l’on abolira la religion [vii][7].

Autrement dit, la religion n’est pas une simple idéologie imposée du dehors comme un instrument intellectuel d’asservissement. Il est possible de comprendre la genèse de ses conditions d’expression et de voir qu’elle répond, quoique bien sûr de manière mystifiée, à une problématique réelle. C’est pourquoi on ne saurait y répondre sur le même terrain qu’elle. Aucune discussion philosophique ou théologique ne saura résoudre à elle seule la question religieuse, et c’est là où le pur athéisme révèle sa principale faiblesse. En revanche, la nature même de la critique opérée par la dialectique matérialiste montre clairement contre quoi l’action doit porter : non pas sur les formes d’expression de conditions matérielles et sociales particulières, mais contre ces conditions matérielles elles-mêmes. On ne détruit pas la religion en convainquant les prêtres et leurs fidèles, ni même en les persécutant, mais en travaillant à détruire les conditions qui permettent à la religion, aux prêtres et aux fidèles d’exister.

C’est sur le modèle de cette critique de la religion que se construit la critique de la politique et de l’Etat, tout comme d’ailleurs celle de l’économie politique. Le communisme est une théorie du dévoilement, qui se bat contre toutes les mystifications. S’il est une véritable science, c’est justement parce qu’il est capable de comprendre et d’expliquer, au-delà des phénomènes et des apparences, l’essence de ceux-ci. Dans la critique de l’économie politique, il ne s’agit pas de partir des simples formes phénoménales, et encore moins de la représentation que les hommes s’en font, mais de découvrir sous cette apparence, les fondements qui permettent à ces formes d’exister. Dans la préface à la première édition du Capital, Marx relève que « …l’analyse des formes économiques ne peut s’aider du microscope ou des réactifs fournis par la chimie ; l’abstraction est la seule force qui puisse lui servir d’instrument. »[viii][8]

L’existence de la religion témoigne d’un manque et du fait que l’homme vit son existence sous le signe de la séparation. Ne pouvant atteindre la totalité dans le contexte de sa vie ordinaire, dans le champ de sa vie réelle, il fantasme une totalité idéale au sein d’une sphère séparée. Ce modèle de la séparation se retrouve dans les mêmes formes pour ce qui concerne l’État. L’existence de celui-ci repose également sur un manque et témoigne d’une séparation. Il s’agit ici de la séparation entre l’homme privé, réel, et l’homme politique, le citoyen. Marx a développé cette question notamment dans « La question juive » [ix][9].

« La question juive », rédigée en 1843 est un petit ouvrage polémique [x][10], répondant au texte du même nom publié par le « jeune hégélien » Bruno Bauer [xi][11]. Fondamentalement, Marx reproche à Bauer de ne pas aller assez loin dans sa critique de l’Etat. Bauer pense que le juif sera émancipé le jour où la religion aura été entièrement replacée dans la sphère privée, et où l’Etat sera totalement laïque. Ce à quoi Marx répond : ceci l’aura peut-être émancipé en tant que juif, mais qui ou quoi l’émancipera en tant qu’homme ? Autrement dit, la critique de l’Etat religieux ne suffit pas, il faut également critiquer l’Etat en tant que tel. L’émancipation politique ne suffit pas à réconcilier l’homme avec lui-même car elle laisse subsister une autre séparation : celle de l’homme privé et du citoyen.
« Les limites de l’émancipation politique apparaissent immédiatement dans le fait que l’Etat peut se libérer d’une entrave, sans que l’homme en soit vraiment libéré, que l’Etat peut être un Etat libre, sans que l’homme soit un homme libre » [xii][12].

La critique de la religion constitue à la fois une étape dans la compréhension de ce qu’est l’Etat, et une anticipation de la forme que prendra la critique de l’Etat. Ainsi Marx écrit :
« La question du rapport de l’émancipation politique à la religion devient pour nous la question du rapport de l’émancipation politique à l’émancipation humaine. Nous critiquons la faiblesse religieuse de l’Etat politique, en critiquant celui-ci, dans sa structure profane, abstraction faite de ses faiblesses religieuses. En le rendant humain, nous faisons du conflit entre l’Etat et une religion déterminée, parexemple le judaïsme, un conflit entre l’Etat et des éléments profanes déterminés, du conflit entre l’Etat et la religion tout court, un conflit entre l’Etat et la religion tout court, un conflit entre l’Etat et ses principes tout court. » [xiii][13]

De cette citation, nous pouvons tirer deux choses quant à la formation de la critique de l’Etat chez Marx ; tout d’abord la laïcité, c’est-à-dire l’émancipation de l’Etat vis-à-vis de tout élément religieux ne saurait constituer un but en soi. A supposer un Etat appliquant rigoureusement les principes de la laïcité : cantonner la religion à la sphère purement privée, interdire tout soutien public à l’activité religieuse, n’autoriser aucune intervention de l’idéologie religieuse dans les affaires publiques, les hommes vivant dans cet Etat n’en seraient pas moins aliénés. Ensuite, l’Etat est en contradiction, non seulement avec la religion, mais même avec ses propres présupposés laïques. Autrement dit, l’Etat est construit sur les mêmes fondements que la religion ; il intègre, dans sa relation avec ses présupposés, une dimension de la séparation qui est tout aussi aliénante que la religion. C’est pourquoi la critique de la religion est indispensable, non seulement comme critique de la religion en tant que telle, mais parce qu’elle anticipe entièrement la pure et simple critique de l’Etat.

D’autre part, qu’est ce que cela signifie sur le plan de l’histoire de la théorie communiste ?
Tout simplement le fait que dès les premières étapes de la formation de cette théorie (nous sommes ici, rappelons-le en 1843), la critique de l’Etat est une critique radicale. Il est clairement affirmé ici que l’émancipation humaine ne pourra pas se faire sans destruction de l’Etat, y compris (et surtout) dans sa forme moderne, laïque, et, ajouterons-nous, démocratique.

En même temps, cette démarche nous éclaire sur la nature de la théorie communiste elle-même. Celle-ci peut être qualifiée de science, dans la mesure où elle construit un processus de dévoilement des apparences pour chercher l’essence au cœur du phénomène. Dans ce cas précis, la critique de la religion a constitué une étape dans la ruine de la mystification propre à la société bourgeoise ; derrière la critique du religieux se profile celle de l’Etat, et derrière la critique de l’Etat celle de l’économie politique. Ainsi, la théorie révolutionnaire se constitue en remontant vers les causes ultimes de la situation phénoménale qui suscite l’engagement révolutionnaire. Ce processus est entièrement achevé avec le Manifeste du Parti Communiste en 1848. C’est pourquoi on peut dire que la théorie communiste naît d’un bloc, comme une totalité, même si tous les moments de cette totalité ne sont pas développés d’un seul coup, et si la théorie devra par la suite prouver sa capacité à comprendre et intégrer les évolutions du monde réel.

La critique de l’Etat comme sphère séparée de la communauté humaine vivante.
Au cours du processus qui l’amène à remonter de la critique de la religion à la critique de l’économie politique, Marx, comme nous l’avons vu, ressent le besoin de se replonger dans la lecture du texte très ardu de Hegel : « Principes de la philosophie du droit ». Il en recopie de nombreux passages qu’il commente, dans un texte édité en français notamment dans le volume 3 des œuvres de la Pléiade,  sous le titre «Critique de la philosophie politique de Hegel » (traduction de M. Rubel) [xiv][14].

Un des apports essentiels de ce travail, à travers la critique de la vision de l’Etat développée par Hegel, est de restaurer un rapport dialectique cohérent entre la sphère de l’Etat proprement dit et les sphères de ce que l’on appelle la « société civile ». Le terme de « société civile » utilisé par Hegel et employé bien souvent à tort et à travers dans la relation à l’Etat mériterait d’être remplacé par cet autre concept, plus clair : «sphère de l’activité de production et de reproduction de la vie matérielle». Nous empruntons cette expression à Engels. Elle désigne exactement ce que veut signifier Hegel par société civile [xv][15].

Mais du même coup ce concept a le mérite de détruire radicalement, par son expression même, toute la construction hégélienne. Au lieu de voir apparaître l’Etat comme le seul lieu où s’accomplit l’existence réelle de la «société civile», on comprend ici immédiatement que l’Etat ne serait rien s’il n’existait pas une sphère de l’activité réelle, sur laquelle il puisse asseoir ses bases. Là où la société vit et se reproduit, ce n’est pas dans l’Etat, mais dans la base matérielle. La mystification est ici démontée d’emblée.

Dans son autre ouvrage, «La Raison dans l’histoire », édité à partir des notes de cours de ses disciples, Hegel développe également la thèse selon laquelle « L’Esprit » qui s’incarne dans l’Etat, se différencie dans différentes sphères qui sont autant d’incarnations de la puissance de l’Etat. Il est revenu à la théorie communiste de montrer, au contraire, que l’Etat était un produit historique, et donc un objet qui n’avait pas toujours existé. Là où l’idéalisme hégélien voit les différentes sphères de la société comme des incarnations de l’Etat, la dialectique matérialiste montre que l’Etat est un produit de ces sphères, reproduisant ainsi le raisonnement déjà appliqué à la critique de la religion : « Hegel part de L’Etat, et fait de l’homme l’État changé en sujet ; la démocratie [xvi][16] part de l’homme, et fait de l’État l’homme changé en objet. De même que la religion ne crée pas l’homme, mais que l’homme crée la religion, ce n’est pas la Constitution qui crée le peuple, mais c’est le peuple qui crée la Constitution.» [xvii][17]

Pour Hegel, l’Etat, la traduction politique de l’Idée, est la plus haute sphère de l’Esprit. Lorsque Hegel analyse le rapport entre l’entité Etat et les autres entités de la vie sociale collective, à savoir la société civile et la famille, il les voit comme des produits, des « éléments objectifs » (Marx) de l’Idée, c’est-à-dire de l’Etat. Marx souligne ainsi que, pour Hegel, « famille et société civile sont des parties réelles de l’Etat, de réelles existences spirituelles de la volonté; elles sont des modes d’existence de l’Etat. » Le point de vue de Hegel est purement mystique, il estime que, à travers la société civile et la famille, l’Etat exprime sa « finitude », qu’il trouve là deux entités dans lesquelles vont se trouver incarnées concrètement sa puissance en tant qu’Etat. Autrement dit, et toujours en langage philosophique, la famille et la société civile ne sont rien d’autre que des déterminations de l’Etat. Aussi, lorsqu’il lui arrive d’envisager correctement le rapport de subordination de la famille et de la société civile à l’Etat, Hegel l’identifie comme un retour de l’Idée vers elle-même, depuis ses déterminations incomplètes (famille et société civile) vers sa propre expression pure (l’Etat). Ici, le raisonnement dialectique de Hegel se mue en tautologie.

Or, la relation historique, matérielle, réelle, entre la famille et la société civile d’une part et l’Etat de l’autre est inverse. La famille et ses formes d’organisation sociale précèdent historiquement l’Etat comme Engels l’a montré dans son ouvrage « L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat ».

Au lieu de considérer la famille, les formes d’organisation sociales comme des produits de « l’idée-Etat », Marx et Engels ont montré[xviii][18] que ces formes précédaient la naissance de l’Etat proprement dit, et que celui-ci était le produit d’une abstraction progressive des différentes fonctions collectives qui étaient auparavant à l’œuvre dans les organismes sociaux propres aux sociétés gentilices par exemple. De la famille à la tribu et à la gens, il se produit un élargissement des organismes de coordination de la vie sociale, dont la forme suprême est l’Etat à partir du moment où la complexification des relations sociales, l’émergence des classes et de leur antagonisme, exigent l’émergence d’une sphère spécifique pour gérer et diriger les affaires publiques en fonction de l’intérêt des classes dominantes. Cette complexité ne réside donc pas simplement dans un accroissement quantitatif de la population, par exemple, mais surtout dans la division de la société en classes sociales, opposées par des intérêts antagoniques. Telle est la nature conflictuelle de l’origine de l’Etat.
Par conséquent, c’est l’Etat qui constitue une sphère déterminée de la société et non l’inverse. On voit ici toute la portée révolutionnaire de l’argument, car si, dans la philosophie de Hegel, quintessence de la pensée bourgeoise, l’Etat est une réalité éternelle, préexistant idéalement à ses formes d’expression ultérieures que sont la famille et la société civile, dans la théorie communiste, l’Etat est un produit historique, qui n’a pas toujours existé, et qui par conséquent peut et doit périr un jour.
Il s’agit là d’une question fondamentale pour la théorie communiste de l’Etat. On ne peut comprendre la thèse de la disparition de l’Etat, ni la nature de la dictature du prolétariat, sans se référer à cette question de la nature de l’Etat et de son rapport avec la « société civile ». L’autonomisation de l’Etat ne peut se comprendre qu’à travers une analyse de l’évolution des formes sociales, et la compréhension de la nécessité de sa destruction est indissociable de la description de ce que doit être la nouvelle forme sociale qui supplantera le mode de production capitaliste, dernière société de classe. La révolution des rapports de production et des formes sociales qui y sont attachées est à la fois destruction de ces formes et destruction des relations politiques qu’elles ont produites. C’est pourquoi on ne saurait parler d’un simple « renversement » de la philosophie Hégélienne lorsqu’il est question de l’Etat. Il ne s’agit pas simplement de restaurer le rapport réel entre la vie productive (la société civile) et l’Etat pour mettre la première à la place du second, renversant ainsi la construction élaborée par Hegel ; il s’agit de considérer que les éléments de la vie productive qui seront à mettre à la place de l’Etat sont, pour cette raison, radicalement différents des éléments à l’œuvre dans la société actuelle (le mode de production capitaliste) et qui permettent l’existence d’une certaine forme d’Etat (l’Etat bourgeois). Ainsi, pour Marx et Engels, l’abolition de l’Etat est l’abolition d’une dichotomie : il s’agit d’abolir ET l’Etat, ET la société civile qui l’a produit. Dans un autre passage du texte critique sur Hegel, Marx rattache, inversement, l’apparition de l’Etat moderne à l’apparition de la vie privée moderne :
« L’Etat comme tel, cette abstraction, n’appartient qu’aux Temps Modernes, parce que la vie privée, cette abstraction, n’appartient qu’aux Temps Modernes. L’Etat politique, cette abstraction, est un produit moderne.»[xix][19]

Dans un important article de 1844, intitulé « Roi de Prusse et réforme sociale par un prussien »[xx][20], Marx écrit ceci, dans un langage encore philosophique, à propos de cette séparation entre Etat et société civile : « [L’Etat] repose sur la contradiction entre la vie publique et la vie privée, sur la contradiction entre l’intérêt général et les intérêts particuliers. » Marx relève ici également que l’administration de l’Etat, qui se veut le régulateur de la société, est en fait impuissante, face au « monde sordide » de la société civile et à « l’esclavage » qui en constitue l’essence. Mais cette impuissance est le secret de l’existence même de l’Etat, car c’est parce que cette vie « civile » est de « nature non sociale » qu’elle suscite l’Etat comme sphère à la fois opposée et complémentaire. On ne peut donc réaliser la critique de l’un sans celle de l’autre. « Si l’Etat moderne voulait supprimer l’impuissance de son administration, il faudrait qu’il supprime la vie privée actuelle. S’il voulait supprimer la vie privée, il faudrait qu’il se supprime lui-même car il n’existe qu’en opposition avec elle. »

Hegel compare la société actuelle à celle du Moyen-âge, pour conclure que la forme d’organisation propre à la société médiévale est immédiatement politique, et donc ne suscite pas le besoin d’un Etat particulier, au-dessus de la société. L’organisation en corporations consacre l’unité de la sphère productive et de la sphère politique, qui ainsi ne dispose pas des conditions pour s’autonomiser. En ce sens, il n’y a pas de représentation, c’est-à-dire de médiation, entre l’homme comme membre de la société civile, et l’homme comme citoyen. Si l’individu a comme activité la draperie, l’orfèvrerie ou la boucherie, il dispose, à travers les corporations, les guildes, et autres formes d’organisation basées sur l’activité sociale, d’une représentation à la fois sociale et immédiatement politique en tant que drapier, orfèvre ou boucher ; ils ne possèdent pas, à côté et au-dessus de cette existence, de représentation spécifiquement politique de leurs intérêts.

Marx commente ainsi ce passage de Hegel :
« Au Moyen Age, il y avait des serfs, la propriété féodale, la corporation des gens de métier, la corporation des savants, etc. ; autrement dit, au Moyen Age, la propriété, le commerce, la société, l’homme sont politiques; le contenu matériel de L’Etat est posé par sa forme ; chaque sphère privée possède un caractère politique ; elle est une sphère politique, ou encore la politique est aussi le caractère des sphères privées. Au Moyen Age, la constitution politique est la constitution de la propriété privée, mais uniquement parce que la constitution de la propriété privée est une constitution politique. Au Moyen Age, vie du peuple et vie de l’Etat sont identiques. L’homme est le principe réel de l’Etat, mais cet homme n’est pas libre. L’Etat est donc la démocratie de la non liberté, l’aliénation parachevée. L’antagonisme abstrait et réfléchi n’appartient qu’au monde moderne. Le Moyen Age est le dualisme réel, l’Age moderne, le dualisme abstrait. »[xxi][21]

Ceci ne signifie pas que le Moyen Age est une société sans Etat, pas plus que ne l’étaient les sociétés de l’antiquité. Cela signifie que l’Etat ne s’occupe pas d’organiser la sphère de la société civile, qui dispose de ses propres institutions politiques et qu’il se contente de gérer certaines tâches collectives comme par exemple la lutte contre les Etats concurrents et l’expansion militaire du territoire dans le cadre de la création des futures nations modernes.

Ce sera d’ailleurs un des facteurs essentiels de la révolution bourgeoise moderne, menée par ces représentants de la société civile que sont les membres du tiers-état : commerçants, patrons artisans, entrepreneurs, professions tels que juristes, avocats… La représentation politique au sein de leurs organismes respectifs leur paraît insuffisante. C’est le pouvoir d’Etat dont il leur faut s’emparer pour faire triompher leur intérêt de classe.

Mais du même coup, l’Etat semble (et c’est ainsi en même temps qu’il se présente officiellement, notamment dans l’idéologie démocratique) se détacher de ses présupposés matériels, économiques. Il semble constituer une sphère spécifique, séparée, qui s’affirme en négatif de la société civile. Cette problématique de la relation entre l’Etat et la «société civile» est également posée en des termes très clairs par Marx dans « La question juive » [xxii][22] :« Là où l’Etat politique est parvenu à son épanouissement véritable, l’homme mène non seulement dans la pensée, dans la conscience, mais dans la réalité, dans la vie, une vie double, une vie céleste et terrestre : la vie dans la communauté politique où il s’affirme comme un être communautaire et la vie dans la société civile, où il agit en homme privé, considère les autres comme des moyens, se ravale lui-même au rang de moyen et devient le jouet de puissances étrangères. L’Etat politique se comporte envers la société civile d’une manière aussi spiritualiste que le ciel envers la terre. Il se trouve envers elle dans la même position, il en vient à bout de la même manière que la religion surmonte la limitation du monde profane, c’est-à-dire qu’il est de nouveau contraint de la reconnaître, de la rétablir et de se laisser lui-même dominer par elle. Dans sa réalité la plus immédiate, dans la société civile, l’homme est un être profane. Et c’est justement là où, à ses propres yeux et aux yeux des autres, il passe pour un individu réel, qu’il est une figure sans vérité. En revanche, dans l’Etat, où il est considéré comme un être générique, l’homme est le membre imaginaire d’une souveraineté illusoire, dépouillé de sa vie réelle d’individu et rempli d’une universalité irréelle. »

Dans ce passage, Marx montre clairement le rapport entre la communauté réelle et la communauté aliénée. L’Etat fait office de communauté aliénée justement parce que la communauté réelle n’existe pas. Par conséquent, tout ce qui prétend incarner la « neutralité » de l’Etat, son caractère égalitaire, etc. est purement illusoire. L’Etat laisse subsister en dehors de lui une réalité qui est le contraire de ce que l’Etat prétend être. Dans la société civile règnent l’inégalité, la lutte de tous contre tous, la concurrence. Par conséquent, réconcilier l’homme avec lui-même, ce n’est pas réconcilier artificiellement l’Etat et la société civile tels qu’ils sont, c’est les abolir l’un et l’autre pour abolir la contradiction.

Ceci a une conséquence importante sur la définition de la nature du combat révolutionnaire : il ne s’agit pas de s’attaquer à la réforme de l’Etat, mais à la révolution de la société civile. Dès lors que dans cette société civile, c’est-à-dire dans la réalité, disparaîtront les conditions réelles de l’inégalité, de la concurrence, de la misère, l’existence d’un « double » idéal de la communauté sous la forme de l’Etat ne s’impose plus. D’où une dialectique entre révolution de la société civile et destruction de l’Etat politique. Pas de révolution sans destruction de l’Etat. Mais pas de destruction de l’Etat sans bouleversement complet des rapports de production et des conditions d’existence de la « société civile».

Dans le rapport entre l’Etat et la société civile, l’abolition de l’Etat ne signifie pas restituer tout le pouvoir à la société civile. Cette dernière s’abolit également. Dans des notes pour un ouvrage sur l’Etat, que Rubel date approximativement de Février 1845, début du séjour à Bruxelles, Marx termine (partie 9’’) par « Le droit de suffrage, la lutte pour l’abolition de l’Etat et de la société civile. » Ce sont donc bien les deux termes de l’opposition qui s’abolissent en même temps que s’évanouit l’opposition elle-même. L’Etat n’est en effet pas une simple excroissance parasitaire de la société, mais l’un et l’autre se nourrissent de leur manque pour former une totalité mystifiée. Le réinvestissement par l’espèce humaine de sa totalité, la communauté (Gemeinwesen) humaine implique aussi bien l’abolition de la société civile que celle de l’Etat. Cela signifie que les actions des hommes ne se déroulent plus doublement, dans une sphère réelle qui serait la sphère de la société civile et dans une sphère idéelle qui serait celle de l’Etat, mais dans la sphère de la vie humaine tout court, qui n’a pas besoin d’être représentée par autre chose qu’elle-même, parce qu’elle est immédiatement humaine et sociale. Cela signifie que la vie de l’homme cesse d’être religieuse, et on a vu qu’elle continuait à être religieuse même dans un état laïc, dès lors que l’on définit l’illusion religieuse comme le dédoublement et le masque d’une situation réelle par une situation illusoirement vécue.

Comment se met en place cette communauté qui réunit immédiatement tous les aspects de la vie sociale ? Par la socialisation du travail. Par le développement d’une société où la base de la reproduction de la vie matérielle, c’est-à-dire le travail, autrement dit la réalisation de l’être humain, est lui-même devenu immédiatement social. « Politique » et « Economie » se rejoignent ici en s’abolissant l’une et l’autre. Abolition de la propriété privée, abolition de l’Etat et socialisation des moyens de production sont les trois actes indissociables à travers lesquels s’établit la communauté humaine.

La critique anarchiste prône, de manière unilatérale, l’abolition de l’Etat. Nous lisons ici que, non seulement l’Etat politique, mais également la société civile s’abolissent, d’un même mouvement. Si l’Etat n’est vu que comme une excroissance parasitaire, inutile, qui vit et prospère aux détriments de la société civile et qui contribue à étouffer celle-ci, comment comprendre une telle formule ? Ne suffit-il pas d’abolir l’état pour libérer du même coup les forces de la société civile, et quel est le besoin dans ce cas, d’abolir cette dernière ? Si l’état est vu comme une puissance « superfétatoire » (superflue) – Marx – on peut comprendre l’intérêt et la nécessité de son abolition, mais si, à l’inverse, la société civile est bien cette sphère où s’effectue la production et la reproduction de la vie sociale, comment admettre que ces fonctions soient elles-mêmes abolies ?

La réponse est qu’il ne s’agit pas de « libérer » de l’emprise de l’Etat la société civile telle qu’elle est, mais de bouleverser radicalement celle-ci. La société civile n’est pas le terme « neutre » d’une contradiction dans laquelle l’Etat concentrerait à lui seul tous les caractères négatifs. L’Etat émerge de la société civile parce que celle-ci est traversée de contradictions de classes, concentre en son sein la perte de la communauté dans la figure du prolétariat. Abolir la société civile signifie détruire les rapports sociaux sur lesquels se fondent à la fois la séparation entre Etat et société civile et l’existence même de l’Etat. Une société sans Etat suppose une base matérielle où les antagonismes sociaux ont été supprimés, où l’activité humaine ne s’exprime plus dans la figure contradictoire des relations économiques et notamment la fausse relation égalitaire du « contrat » entre possesseur collectif des moyens de production (la classe des capitalistes ou même l’Etat des moyens de production nationalisés) et « possesseurs » de sa force de travail (la classe prolétarienne), mais où l’activité sociale s’exprime immédiatement dans la figure de la communauté.

La communauté est cette forme, non politique et non sociale, mais seulement humaine, où l’homme se reconnaît immédiatement comme être collectif, sans la médiation de la politique et sans la médiation de la relation « sociale », au sens de conciliation entre des individus aux intérêts opposés. Pour être reconnu collectivement par son travail, l’homme n’a plus à passer par la médiation de l’échange marchand, par cet équivalent général que représente le marché, la marchandise, l’argent. Son travail est posé d’emblée comme participation à l’œuvre collective, comme participation utile au maintien et au développement de la société.

« Dans l’hypothèse de la propriété privée positivement abolie, l’homme produit l’homme ; en se produisant lui-même, il produit aussi bien l’autre ; l’objet, l’affirmation immédiate de son individualité, est en même temps sa propre existence pour autrui, l’existence d’autrui, et l’existence de celui-ci pour moi. De même, le matériel du travail aussi bien que l’homme en tant que sujet sont tout autant le point de départ que le résultat du mouvement (et ils doivent l’être : d’où la nécessité historique de la propriété privée). Le caractère social est le caractère général de tout le mouvement : de même que la société crée l’homme en tant qu’homme, de même elle est créée par lui. L’activité et la jouissance, tant par leur contenu que par leur mode d’existence, sont sociales ; elles sont activité sociale et jouissance sociale. »[xxiii][23]

Dans le chapitre du Livre I du Capital consacré au « fétichisme de la marchandise », Marx analyse le travail humain exactement comme il analysait le rapport de l’homme à la religion. Le double caractère de la marchandise produit un mystère. Ce mystère contribue à voiler les rapports sociaux qui sont à l’œuvre derrière l’acte productif, tout comme le mystère religieux contribue à voiler l’essence humaine de l’homme.

Après avoir évoqué l’exemple célèbre de Robinson sur son île, puis une communauté autarcique de paysans au Moyen-âge, Marx évoque directement la société communiste : « Représentons-nous enfin une réunion d’hommes libres travaillant avec des moyens de production communs et dépensant, d’après un plan concerté, leurs nombreuses forces individuelles comme une seule et même force de travail social. »[xxiv][24]

Dans une telle société toute mystification a disparu car un individu sait pourquoi, pour qui et comment il travaille. La communauté n’est plus posée de manière médiate sous la forme d’une figure étrangère et aliénée comme par exemple l’Etat. Elle est le présupposé immédiat de toute activité, aussi bien celle de l’individu que celle de la totalité des producteurs. On ne recrée pas une communauté à travers la médiation de formes marchandes qui font reconnaître a posteriori le travail comme activité sociale, c’est la communauté qui se reproduit elle-même à travers son travail social. De ce fait : « Les rapports sociaux des hommes dans leurs travaux et avec les objets utiles qui en proviennent restent ici simples et transparents dans la production aussi bien que dans la distribution. »[xxv][25]

Le modèle de la critique de la religion est ensuite posé de manière tout à fait explicite :
« Le monde religieux n’est que le reflet du monde réel. Une société où le produit du travail prend généralement la forme de marchandise, et où, par conséquent, le rapport le plus général entre les producteurs consiste à comparer les valeurs de leurs produits, et, sous cette enveloppe des choses, à comparer les uns aux autres leurs travaux privés à titre de travail humain égal, une telle société trouve dans le christianisme, avec son culte de l’homme abstrait, et surtout dans ses types bourgeois, protestantisme, déisme, etc., le complément religieux le plus convenable. »

Il est intéressant de rappeler ici au passage que, dans les années 1970, les commentateurs staliniens de Marx, comme par exemple Louis Althusser, partisan de la « coupure épistémologique » qui renvoyait les textes de jeunesse, d’avant 1848, dans les limbes de l’idéalisme, interdisaient peu ou prou la lecture de ce chapitre du livre I consacré au fétichisme de la marchandise. On comprend pourquoi ! A plus de vingt ans de distance de ces textes dits « de jeunesse », en 1867, ce texte de Marx révèle une remarquable constante dans la construction critique qui relie la critique de la religion à la critique de l’économie politique et à celle de l’élément constituant, fondamental, du mode de production capitaliste : la marchandise. Renvoyer ce texte à une constitution idéologique, « pré-scientifique » en quelque sorte, c’est renoncer à toute la portée révolutionnaire de la critique communiste. Car ce qui est dit ici, explicitement et pas seulement en filigrane, c’est que négation de la religion, abolition de l’Etat et destruction de la marchandise et donc de la propriété privée, sont indissolublement liées. Toute critique du mode de production capitaliste qui n’associe pas explicitement ces trois aspects ne peut dès lors être qu’une critique partielle, réformiste, vouée à l’échec et, in fine, à la conservation du rapport social qu’elle prétend abolir.

« En général, le reflet religieux du monde réel ne pourra disparaître que lorsque les conditions du travail et de la vie pratique présenteront à l’homme des rapports transparents et rationnels avec ses semblables et avec la nature. La vie sociale, dont la production matérielle et les rapports qu’elle implique forment la base, ne sera dégagée du nuage mystique qui en voile l’aspect que le jour où s’y manifestera l’œuvre d’hommes librement associés, agissant consciemment et maîtres de leur propre mouvement social. »[xxvi][26]

Or, le nuage mystique qui voile l’aspect de la vie sociale ne concerne pas seulement la transparence des rapports sociaux, c’est-à-dire le fait de voir l’exploitation de la force de travail derrière la production des marchandises, mais également la traduction politique de ces rapports, dans l’existence de l’Etat. L’Etat est une puissance mystique car il se présente comme un organe neutre et indépendant là où il incarne en fait la domination d’une classe sur une autre. Le fait aue l’Etat soit purement démocratique ne change rien à son caractère mystificateur. C’est pourquoi, lorsqu’il pousse à la réalisation plus parfaite de la démocratie, le communisme est conscient qu’il ne s’agit pas là d’un but, mais d’un moment. Car la démocratie parfaite (la « vraie démocratie ») est une impossibilité (une hypocrisie et un mensonge selon Engels), tant qu’elle laisse subsister la propriété privée, c’est-à-dire l’essence des rapports de production capitaliste. C’est pourquoi le mouvement démocratique le plus radical ne peut pas, sur ses propres bases, aboutir « naturellement » au socialisme. Car ce mouvement s’arrêtera toujours devant le mur de la propriété privée. Qu’il transgresse cette limite, et il cesse d’être en soi un mouvement démocratique. Prendre des mesures authentiquement socialistes, c’est rompre avec la démocratie. L’attaque contre la propriété privée et la dictature du prolétariat sont indissociables. Mais on ne peut pas exclure que ceci se pose au cours du mouvement, qui se nie lui-même en dépassant les limites qui lui sont fixées ; et un mouvement démocratique radical, dès lors qu’il a à sa tête la classe prolétarienne, ne peut pas ne pas poser la question du bouleversement révolutionnaire de la société civile, la remise en cause des rapports de classe et donc l’abolition de la propriété privée. Au moment où le problème se pose, on quitte la sphère démocratique pour entrer dans la négation socialiste de l’état de choses existant. C’est pourquoi la critique communiste, dialectique, de la démocratie ne peut pas simplement consister à s’abstraire de la démocratie pour revendiquer un mouvement qui se présenterait d’emblée comme « purement » socialiste. Ce n’est que par une remise en cause qui aille vraiment au fond des choses, qui pousse la revendication démocratique jusqu’à sa plus extrême limite que le saut qualitatif, la rupture avec la démocratie devient possible.


Critique d’une thèse bourgeoise (à propos du livre de Miguel Abensour :
« La démocratie contre l’Etat ». )

A l’image de Jacques Texier [xxvii][27], Miguel Abensour [xxviii][28] est bien obligé de prendre en compte la nature anti-démocratique des thèses développées par Marx, mais au lieu de les accepter telles quelles, il se livre à un travail de conciliation pour montrer qu’il s’agit, au pire d’une contradiction, au mieux d’une tentative de conciliation/dépassement de deux thèses distinctes concernant la démocratie.

Abensour utilise et commente les mêmes textes que ceux que nous avons utilisés ci-dessus. Mais il en tire des conclusions fort différentes. Son point de départ est également « l’avant-propos » de 1859 pour évoquer le parcours de Marx, de la critique de la religion à la critique de l’économie politique. Mais au lieu d’y voir le signe d’une remarquable continuité de pensée, il feint d’y trouver une reconstitution a posteriori, qui masquerait une contradiction dans l’approche que Marx a de la politique. Abensour reproche à Marx de ne pas être cohérent, car si d’un côté en cheminant du fait religieux vers le fait politique, Marx paraît accorder une grande importance à celui-ci, d’un autre côté, en basculant de la critique du politique à la critique de l’économie politique il « procéderait (…) dans une direction inverse et désaxerait le politique en le faisant dériver de l’économique. » (p.41). Dans sa vision étriquée de commentateur universitaire, Abensour ne saurait comprendre que ces deux mouvements ne sont aucunement contradictoires, mais au contraire participent, en tant que moments distincts, de la construction d’un processus critique dont l’objectif final est la critique radicale de ce monde. En matérialiste, Marx remonte à la source des représentations, car une critique pure et simple des représentations qui laisse subsister leur fondement matériel ne saurait être qu’une critique idéologique, châtrée de toute puissance révolutionnaire. Tel est le sens constant du combat de Marx contre les jeunes hégéliens et plus généralement contre tous ceux qui restent à mi-chemin dans leur travail critique de la réalité. Abensour projette sa propre existence d’intellectuel petit-bourgeois en reconstituant le cheminement de Marx comme un pur itinéraire intellectuel, sans voir ce qu’il doit à la rencontre, à partir de 1844 à Paris, avec le prolétariat.

« Lorsque les ouvriers communistes se réunissent, leur intention vise d’abord la théorie, la propagande, etc. Mais en même temps ils s’approprient par là un besoin nouveau, le besoin de la société tout entière, et ce qui semble n’avoir été qu’un moyen est devenu un but. Ce mouvement pratique, on peut en observer les plus brillants résultats lorsqu’on voit s’assembler des ouvriers socialistes français. Fumer, boire, manger, etc. ne sont plus alors de simples occasions de se réunir, des moyens d’union. La compagnie, l’association, la conversation qui vise l’ensemble de la société les comblent ; pour eux la fraternité humaine n’est pas qu’une phrase, mais une vérité, et, de leurs figures endurcies par le travail, la noblesse de l’humanité rayonne vers nous. »[xxix][29]

C’est guidé par l’exemple du prolétariat parisien que Marx parcourt la seconde moitié du chemin, que nul critique petit-bourgeois, fût-il le plus radical, ne saurait accomplir par lui-même, c’est-à-dire celle qui, partant de la critique de la politique, en arrive à la négation de la propriété privée, à la remise en cause du cœur même des rapports de production capitaliste. Seul le prolétariat, classe totalement privée de propriété est capable d’accomplir ce chemin jusqu’au bout, en fonction de la place particulière qu’il occupe dans la société.

« Tout asservissement de l’homme est impliqué dans le rapport de l’ouvrier à la production (…) tous les rapports de servitude ne sont que des variantes et des conséquences de ce rapport. »[xxx][30]

Pourtant, tout en citant lui-même cette phrase, Abensour est incapable d’en appréhender les conséquences. La libération que l’action du prolétariat implique pour la société toute entière ne peut en rester à une libération politique, car la politique reste une forme d’asservissement, et de mystification de type religieux. Or, contrairement à ce qu’affirme notre bourgeois, le communisme est bien un dépassement/destruction de la politique elle-même. Comme tous les penseurs de son acabit, Abensour est incapable de comprendre le fondement de la critique de la démocratie. A partir des passages de Marx sur la «vraie démocratie », il en tire la conclusion que l’achèvement de la critique révolutionnaire est la récupération par le prolétariat de son être politique. Or, ceci n’est pas un achèvement, mais un moment contradictoire qui se dissout lui-même dans l’abolition de l’Etat ET de la société civile, donc des classes et donc du prolétariat.

« …disparition de l’Etat politique en tant que forme organisatrice mais maintien du politique, moment de la vie du peuple, de sorte que liberté et universalité puissent s’étendre à l’ensemble des sphères pour les pénétrer, tel est le choix de Marx, sous le nom de vraie démocratie. »[xxxi][31] Pour Abensour, « l’Etat politique ne disparaît pas, donc il persiste dans la mesure où il se cantonne dans sa tâche, où il reste ce qu’il est, un moment particulier de la vie du peuple. » (id. p.118)

On voit mal ce que devrait être cette « tâche » mystérieuse, dès lors que l’abolition de la société civile a justement rendu superflue toute forme séparée de représentation politique. Au début des années 1840, Marx semble faire une apologie de la démocratie sous le terme de « vraie démocratie ». Et il la loue parce qu’elle signifie pour lui la disparition d’une sphère séparée. Abensour ajoute, « ce qui ne signifie nullement la disparition ou l’extinction du politique ». Si, justement ! L’idée de « vraie démocratie » tend, dans un langage qui est encore celui du démocratisme radical et non de la critique communiste à anticiper le dépassement de toute forme politique de séparation entre l’homme et son être social. Mais pour que cette abolition ait lieu, il faut plus qu’une simple révolution politique, fût-elle radicalement démocratique, il faut une révolution sociale, qui détruise jusqu’aux fondements de l’inégalité entre les hommes, la propriété privée, et par voie de conséquence l’Etat démocratique.

Or, la démocratie n’est qu’un leurre ; la plus parfaite démocratie n’est qu’un moment, instable, entre deux termes : soit la rechute dans une forme de gouvernement autoritaire, quelle que soit sa variante, soit le dépassement/transcroissance dans le communisme, la société sans classes. Le projet démocratique est contradiction en actes car il est à la fois basé sur l’existence des classes et impossible à réaliser dans une société de classes. C’est pourquoi le titre même du livre d’Abensour, en forme de slogan (plus publicitaire que politique d’ailleurs), est un mensonge : il ne peut y avoir de « démocratie contre l’Etat », c’est-à-dire de solution démocratique qui viendrait servir de garde-fou contre l’Etat. La destruction de l’Etat comme but ultime du combat révolutionnaire signifie aussi destruction de l’existence séparée d’une sphère politique, même sous sa forme la plus purement démocratique. En rencontrant le prolétariat parisien, Marx fait le reste du chemin qui sépare la critique démocratique radicale de la critique communiste. Il n’y a pas de retour en arrière possible. Tout au long de sa vie militante, Marx, avec Engels, tout comme plus tard le fera Lénine, ne perdra jamais une occasion de défendre l’expansion du champ de la démocratie, soit dans l’espace à travers l’expansion mondiale de la révolution bourgeoise, soit en profondeur avec l’accroissement des droits démocratiques, mais sans jamais maintenir d’illusion sur la démocratie en soi. Pour que cette expression atteigne un état d’achèvement, il faudra à nouveau une expérience prolétarienne, celle de la Commune de Paris, dans laquelle le prolétariat démontrera, par la pratique que la machine d’Etat ne peut être que brisée et non aménagée. L’Etat auquel s’attaquent les communards, en 1871, c’est la république démocratique ; et le régime que défend Adolphe Thiers, homme d’Etat dont chaque ville de France possède une place ou une rue à son nom, c’est la république démocratique. L’un des grands mérites de la révolution russe de 1917, l’autre grande expérience de prise du pouvoir par le prolétariat révolutionnaire, fut de passer la corde au cou de la république démocratique bourgeoise avant que celle-ci puisse faire subir au jeune pouvoir prolétarien le sort sanglant que la soldatesque versaillaise fit subir au prolétariat parisien insurgé. C’est là une des principales leçons que le prolétariat devra faire sienne demain, contre toute interprétation savante, s’il veut, définitivement, emporter la victoire.

Robin Goodfellow. Novembre 2006   


NOTES

[i][1] MARX Karl, Contribution à la critique de l’économie politique, Editions sociales, 1972, p.4.
[ii][2] “…la question d’un être étranger, d’un être étranger, d’un être placé au-dessus de la nature et de l’homme est devenue en tout état de cause impossible – cette question impliquant l’aveu de l’irréalité de la nature et de l’homme. En tant que négation de cette irréalité, l’athéisme n’a plus de sens, qui, par la négation de Dieu, pose l’existence de l’homme. Le socialisme en tant que tel n’a plus besoin de cette médiation. » (MARX K. Manuscrits de 1844, Gallimard, bib. De
la Pléiade Oeuvres
, T.2, p.89)
[iii][3] MARX Karl, Pour une critique de la philosophie du droit de Hegel, Gallimard,
La Pléiade
, Œuvres complètes, vol.3 p.382
[iv][4] op.cit. p.4.
[v][5] MARX Karl, Economie et philosophie (Manuscrits parisiens), Œuvres complètes, vol.2, Gallimard,
La Pléiade
, p.136.
[vi][6] MARX Karl, Pour une critique de la philosophie du droit de Hegel, Œuvres complètes, vol 3., Gallimard,
La Pléiade
, p.382
[vii][7] Sur ce point, voir aussi la note de la page 1581 dans Oeuvres, Philosophie, T.3, Gallimard, Bibliothèque de
La Pléiade.
[viii][8] MARX Karl, Le Capital, Livre I., Garnier Flammarion, 1969, p.35
[ix][9] MARX Karl, La question juive, in. Œuvres, T.3. Philosophie,
La Pléiade
, 1982 ?
[x][10] Ce n’est néanmoins plus cet aspect polémique qui nous intéresse ici, mais le fait que cette œuvre contienne des éléments fondamentaux sur la question de l’Etat, et des thèses constitutives de la pensée ultérieure de Marx.
[xi][11] On trouvera le texte original de Bruno Bauer dans l’édition 10/18 (1975) de « La question Juive ».
[xii][12] MARX Karl, La question juive , in Oeuvres, Pléiade vol 3, p. 354.
[xiii][13] op.cit, p. 354.
[xiv][14] Voir aussi la traduction de K.Papaioannou, sous le titre « Critique de l’Etat hégélien », Edtions 10/18, 1976.
[xv][15] (voir aussi dans la lettre de Marx citée plus haut l’expression : « les conditions d’existence matérielle dont Hegel, à l’exemple des Anglais et des Français du XVIII° siècle, comprend l’ensemble sous le nom de « société civile » ».)
[xvi][16] Nous aurons l’occasion de revenir sur ce qu’il faut entendre ici par « démocratie ».
[xvii][17] MARX, Karl, Critique de la philosophie du droit de Hegel, in Oeuvres, Pléiade vol 3, p. 901.
[xviii][18] cf. Engels Friedrich, L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat, Editions sociales, date, 1976.
[xix][19] op.cit. p.904
[xx][20] MARX Karl, Roi de Prusse et réforme sociale par un prussien, Spartacus, 1972.
[xxi][21] op.cit. p. 905
[xxii][22] MARX Karl, A propos de la question juive, Œuvres, Gallimard, Bibliothèque de
la Pléiade
t.3 p.356
[xxiii][23] MARX Karl, Manuscrits de
1844, in
. Œuvres, Pléiade vol 2. p.80
[xxiv][24] MARX Karl, Capital, Livre I, 1, iv, Œuvres, Gallimard,
La Pléiade
, vol.1 p.613
[xxv][25] Ibid.
[xxvi][26] Ibid. p.614
[xxvii][27] Voir notre texte de janvier 2002 : Marx-Engels et la démocratie (2. Critique d’un point de vue bourgeois)
[xxviii][28] ABENSOUR Miguel, La démocratie contre l’Etat, éditions du Félin, 2004
[xxix][29] MARX Karl, Manuscrits de
1844, in
. Œuvres, Pléiade vol 2. p.98
[xxx][30] MARX Karl, Manuscrits de 1844, Editions sociales, 1962, p.68
[xxxi][31] ABENSOUR Miguel, op.cit., p.123
Posté par spartacus1918 à 15:28 – Etat et démocratie – Commentaires [0] – Rétroliens [0] – Permalien [#]

13 réflexions sur “«La critique de la religion est la condition de toute critique» (Karl Marx)

  • 27 mai 2020 à 2 h 37 min
    Permalien

    @ Œil de faucon

    Brillant ce texte de cet auteur Robin Goodfellow, balaise aussi, une autre preuve de l’exceptionnel esprit de Marx…que ce soit sur la critique de la religion, ou cette superbe démonstration qui souligne la grosse différence avec l’athéisme cru et dénué d’arguments, ainsi que sur ces concepts de l’état et de la société civile, et toute la critique marxiste qui débouche sur leur abolition… j’ai rarement lu un texte aussi limpide, savant et bien dosé (hormis chez Ysengrimus) pour expliquer ces fondements du marxisme !

    Cependant, là ou je continue d’être sceptique, c’est que cette révolution prolétarienne qui se doive d’abolir l’état et la société civile totalement, présuppose que les hommes naissent, grandissent, évoluent et agissent de manière égale ! et même si l’on rendait l’enseignement et l’apprentissage du marxisme obligatoire depuis l’école primaire, et faire en sorte que les conditions et moyens d’apprentissage soient les mêmes et égaux pour tous, je ne suis pas sûr que ces enfants devenu hommes plus tard puissent se contenter de se considérer égaux ne serait-ce que par leurs facultés intellectuelles, leur mérite, leurs efforts et leurs revendications de reconnaissance par rapport à leurs semblables qui apparaîtraient à un moment ou un autre ! ces revendications à la différence et au surclassement sont en quelque sorte innés chez l’être humain, ils le rattrapent tôt ou tard, même au sein d’une même famille, alors qu’en sera t-il de la société ! c’est un peu aussi l’histoire des hommes qu’on j’aborde ici, et le préalable à l’apparition de la société de classes ! d’ou, s’attaquer à l’état, son organisation sociale et politique, sa religion…etc, ne peut prévaloir sans s’attaquer avant à la question de la spécificité humaine, la psychologie, le quotient intellectuel, l’intelligence et tous les attributs spécifiques à l’homme il me semble ! si vous prenez deux artisans basiques et leur faites faire un travail ou accomplir une oeuvre, la disparité du résultat chez les deux vous poussera à retenir l’un pour son art poussé ou bien accompli et renvoyer l’autre à un travail de base…indépendamment de l’utilité ou l’efficacité de l’objet qu’ils créent …qui fait que vous finirez d’une manière ou d’une autre par créer une classe qui se distingue de l’autre et qui forcément vous obligera à probablement mieux rémunérer ou reconnaître ou tout simplement surclasser l’une par rapport à l’autre !

    Maintenant demander au prolétariat et tous ces travailleurs d’assimiler et adapter le tout et réaliser cette  »dictature du prolétariat » ….ne pourra se faire sans la création d’un nouvel état dictatorial qui en plus devra perdurer, car vous n’aurez jamais le temps, ni les moyens de faire aboutir votre objectif  »totalitaire ». global, réunissant tous les êtres humains, ou ne serait-ce qu’une partie qui fait ce choix, sans être obligé de maintenir cet état ne serait-ce que pour se défendre contre l’état voisin qui sera lui demeuré capitaliste ! retour à la case départ quoi ! Et allez y maintenant demander aux prolétaires  »new wave » de vous faire la révolution prolétarienne… sans vouloir offenser personne, je crois que ce sont des oeufs et des tomates pourries que vous recevrez sur la tronche avant d’avoir pu terminer votre phrase :)))

    Je me trompe peut-être…et si c’est le cas, corrigez-moi !

    Merci pour ce billet auquel j’ai vraiment pris plaisir de lire au complet !

    Répondre
  • Ping : «La critique de la religion est la condition de toute critique» (Karl Marx) | Boycott

  • 27 mai 2020 à 13 h 23 min
    Permalien

    Bonsoir Sam

    Moi aussi j’ avais apprécié ce texte de nos ex-bordiguistes , malheureusement l’ auteur est décédé et nous avons perdu une personne de valeur. Sur ce que tu avances, la distinction des personnes des leur naissance, ce n’ est pas nouveau mais jamais nous n’ avons envisagé
    une égalité parfaite. Pour les questions sociétales sont délicates à traiter car elles dépendent
    beaucoup de la culture et de l’ environnement, c’ est le collectif et l’individu Stirner sur cette question est redoutable et Marx avait quelques problèmes avec lui, tu peux questionner JBL 1960 ‘c’est un grand adepte de Stirner. En tous les cas un collectivisme à la chinoise et autre ce n’ est pas dans ce créneau que la solution humaine peut se résoudre.
    G. Bad

    Répondre
    • 27 mai 2020 à 23 h 05 min
      Permalien

      Merci G.Bad pour votre réponse !

      En réalité, j’adore les marxistes, je suis en amour avec eux, Bordiga en est une figure qui force le respect, il a tout compris, je salue son esprit, son intelligence, et j’ai un énorme respect pour ses écrits, ses synthèses, dont celles sur le fascisme… et sinon JBL, cette sacrée bout de femme à qui je donnerai ma dernière chemise est tout simplement extraordinaire, une âme au cœur pur, l’esprit vif, en plus du talent de nous expliquer les enjeux et nous ouvrir les yeux !

      Je suis chanceux d’avoir découvert et adopté les 7 du Québe!. je suis contraint d’admettre qu’il m’arrive de ne plus vouloir lire ou regarder autre chose que les articles sélectionnés par mon ami virtuel Robert Bibeau, envers qui j’ai le plus grand respect, et affection, et quoi dire de Ysengrimus ! ce type est un frère, une boussole, un type immortel pour moi ! et vous aussi G Bad, sachez que les mots ne valent rien, mais votre persistance est une leçon, une preuve de plus de cette fraternité qui couve au plus profond de votre être, et je vous aime et respecte aussi pour cela !

      cordialement !

      Répondre
  • 27 mai 2020 à 22 h 29 min
    Permalien

    (mille excuses d’avance pour la longueur)
    Faire l’histoire des religions et des systèmes philosophiques qui ont surgi autour d’elles, c’est faire l’histoire de la psychologie humaine.
    L’évolution religieuse, c’est l’évolution psychique de l’homme déroulée à travers les siècles. Elle répond à des lois aussi certaines que celles qui régissent les phénomènes physiques et les phénomènes biologiques.
    L’état psychique de l’homme jeune a eu comme résultat de faire naître la manifestation sentimentale, qui dure depuis les temps les plus reculés, qui durera éternellement, et qu’on appelle, dans les temps modernes, la Religion.
    En remontant dans le passé pour chercher l’origine de la Religion primitive, nous découvrons qu’elle était basée sur les lois de la Nature, qu’elle était naturelle. Et c’est en cela qu’elle diffère des religions modernes qui, toutes, sont basées sur la violation de la Nature, qui sont surnaturelles. Et comme toutes les erreurs triomphantes sont intolérantes, elles ne se laissent pas discuter, parce que leurs prêtres ont une conscience vague des absurdités qu’ils enseignent. Comme tous les usurpateurs, ils condamnent, avec la dernière rigueur, le régime antérieur au leur, celui qu’ils sont venus renverser.
    L’évolution religieuse a donc eu deux grandes phases bien tranchées :
    – La Religion naturelle.
    – Les Religions surnaturelles.
    L’histoire des religions, c’est l’histoire des luttes de la vérité et de l’erreur, du bien et du mal, de la justice et de l’injustice.
    La nature fondamentale de l’humanité a toujours été la même ; il n’y a de différences que suivant les âges et le sexe. Et c’est justement cette différence sexuelle qu’il importe de connaître pour comprendre l’histoire. « Plus on avancera dans les études anthropologiques, disait M. de Quatrefages, plus on reconnaîtra que, si les peuples, les races diffèrent, l’homme, l’espèce, sont les mêmes sur toutes les terres, sous tous les climats ».
    Il faut donc pour faire briller la Vérité et établir la Justice, un frein qui entrave les instincts pervers de l’homme ; ce frein, c’est la Religion, ce lien sacré qui unit l’homme à la Femme.
    « La Religion, c’est la conciliation vivante et heureuse de la dépendance et de la liberté », dit M. Auguste Sabatier dans La Religion de l’autorité et la Religion de l’Esprit.
    On ne peut pas mieux dire.
    L’Idée Divine, dans l’esprit de l’homme, ne provient pas de l’enseignement qui lui est donné ; elle provient d’un atavisme lointain qui lui remémore les idées confuses de sa jeunesse phylogénique. Dans le passé perdu, l’homme a su qu’il existait au-dessus de lui un être supérieur à lui en puissance intellectuelle et en grandeur morale, un pur Esprit. Ce fut d’abord la vierge adolescente, la Femme jeune, puis l’idée s’amplifia dans son cerveau et grandit jusqu’au surnaturel dont il dota la Divinité.
    La Religion naquit d’un phénomène psychique et le culte fut primitivement individuel, réduit à un couple, l’homme et la femme qui sont le Prêtre et la Déesse, créant ensemble un lien d’amour.
    L’idée divine, comme nous l’expliquons, a pour conséquence le sentiment religieux, c’est-à-dire le lien qui unit l’homme à la Divinité. Mais, lorsque les hommes changent la nature de la Divinité, en font un homme ou un être invisible, le sentiment pour elle ne peut plus exister.
    Si l’idée divine est universelle, c’est parce que la Religion naturelle a régné partout au début des sociétés humaines.
    L’histoire des religions s’explique par deux éléments psychologiques : l’amour et la haine, la soumission et la révolte, l’humilité et l’orgueil. Mais l’axe autour duquel tournent ces sentiments est l’antique Déesse. Impossible de rien comprendre aux religions si l’on ne connaît pas cette cause première du sentiment religieux.
    Le consentement et les dissentiments de l’homme expliquent la diversité des dogmes. Il consent à croire la Vérité ou il la nie, la discute et la remplace. Alors apparaît l’Erreur avec toutes les oppressions qui l’imposent.
    C’est par le consentement que se forme l’orthodoxie, qui a pour point d’appui l’autorité.
    Il y a entre toutes les orthodoxies de la Terre une somme de dogmes communs qui représentent la Religion naturelle primitive, un résidu des croyances qui ont subi des déviations locales, mais toujours avec le même but : faire passer l’autorité morale de la Déesse au Prêtre usurpateur et, pour y arriver, altérer les anciennes croyances dans une forme divine concrète.
    Mais, comme ces altérations sont différentes chez les différents peuples, ce sont justement elles qui sont les causes de luttes, de guerres, de persécutions ; le fonds primitif disparaît, on ne le discute pas, on ne le comprend plus. Si on le connaissait, on verrait que tous les peuples ont le même fonds commun de croyances, puisque tous ont commencé par adorer le divin féminin, tous lui ont rendu un culte qui n’a pas beaucoup varié d’un endroit à l’autre. Les doctrines naissent les unes des autres, mais d’abord elles ne sont toutes qu’une seule doctrine.
    Ce sont les diverses formes dissidentes qui, pour les hommes, sont devenues « l’orthodoxie ».
    A mesure que la doctrine fondamentale se revêt de formules conventionnelles qui la dévient du sens primitif, sous prétexte de la rendre plus conforme aux conditions nouvelles ou locales, c’est-à-dire aux intérêts masculins des prêtres, une réaction se produit, la contradiction naît, c’est-à-dire l’effort pour renverser l’interprétation nouvelle et ramener l’idée à son origine, et ce n’est que sous l’oppression que la pensée s’éteint, s’arrête, hésite, du reste pour reprendre son élan aussitôt que la liberté renaît.
    La chute des orthodoxies masculines (les religions surnaturelles), n’intéresse pas la Religion naturelle. Bien plus, cette chute la dégage des obstacles qui l’obstruent et l’étouffent. Le dogme de l’homme, du Prêtre, est une force oppressive qui impose l’erreur.
    Nous qui venons à la fin des temps, nous avons sous les yeux la multitude innombrable de débris dont l’histoire est jonchée : débris de livres, débris de monuments, de traditions, de langues, de rites et d’institutions. Notre tâche est d’en comprendre la signification morale et d’en extraire la Science des Religions qui n’a pas été faite jusqu’ici.
    Et c’est cela qui remettra la paix dans le monde, car c’est autour du mot Religion que toutes les passions humaines se sont déchaînées. Les discussions, les luttes, les guerres ont, presque toutes, été provoquées par un mot dont, aujourd’hui, on ne comprend plus la signification.
    Lien : https://livresdefemmeslivresdeverites.blogspot.com/2017/07/introduction.html
    Cordialement.

    Répondre
    • 29 novembre 2022 à 9 h 31 min
      Permalien

      Salut Anwen ,
      Le président turc Recep Tayyip Erdogan a déclaré : « Les idéologies matérialistes qui offraient une « recette » pour l’humanité n’étaient pas une solution à ses problèmes. Au contraire, elles ont conduit l’humanité économiquement, politiquement et moralement dans l’abîme, et cette question est bien comprise avec le temps) .(fin de l’URSS en 1991 et son régime communiste ,dislocation de son influence politique et militaire en Europe de l’Est).
      – » Cela a fait partie d’un message envoyé par le président turc, mardi, à l’atelier « Promotion des valeurs humaines et les dangers de l’altruisme », qui est organisé par la Fondation d’Istanbul pour la science et la culture en coopération avec l’Association des peuples africains et Universités asiatiques. Le président Erdoğan a souligné que l’épidémie du virus Corona sur une période de près de 3 ans a rappelé au monde entier l’importance des valeurs humaines. Il a souligné que les valeurs qui distinguent l’homme des autres créatures ont été profondément blessées, comme le phénomène de l’islamophobie, les tensions politiques et économiques et les attentats terroristes visant des innocents. Et il a souligné que la seule recette qui sortira l’humanité des ténèbres dans lesquelles elle est tombée est de s’accrocher aux anciennes valeurs humaines. Erdogan a exprimé sa confiance que l’atelier ouvrira de nouveaux horizons de réflexion.

      Répondre
  • 27 mai 2020 à 23 h 25 min
    Permalien

    Cher Anwen,

    N’allez surtout pas croire qu’on lis vos commentaires comme on lis ceux des autres, ou qu’on se prive de visiter votre site web ! je meubles certaines de mes soirées en allant sur votre blog ! et je dois admettre que certaines lectures de vos écrits me déstabilisent, ne me laissent pas indifférent, mais forcent mon respect envers vous malgré tout ! vous êtes une véritable encyclopédie comme on dirait du  »Dark web », vous lire et vous suivre à de quoi chambouler même un marxiste lambda ! et je me demande parfois si vous êtes réel !!!! ou le sujet d’une secte qui a pour objectif de chambouler le monde ! :))) vous me faites penser à ses musulmans ismaéliens qui détiennent on dirait le secret des secrets comme vous en parlez dans votre blog,  »les hommes de la montagne » comme vous les décrivez selon les croisés les ont décrits… mon cher Anwen, lire votre blog et y découvrir tellement de concepts mystiques. me fait penser à ces grottes millénaires percées dans les montagnes de l’atlas par des hommes. des érudits, des dépositaires de la science infuse presque, qui suscitent la peur ou la crainte…. et rien que pour cela, vous avez tout mon respect…en plus bien entendu de prendre la défense de notre moitié qui nous est indispensable et fondamentale, la femme…depuis que le monde est monde, et sans qui, le monde n’existerait tout simplement pas !

    Mes respects mon ami ! j’ai presque envie de vous consulter pour obtenir une »baraka »…!:)))

    Répondre
  • 24 novembre 2022 à 14 h 48 min
    Permalien

    Une autre perspective et regard sur la religion d’un point de vue matérialiste et historique ;

    Lorsqu’on se penche véritablement sur l’histoire, la vraie et non celle fantasmée par toutes sortes d’orientalistes ou de propagandistes modernes, et je me limiterai a l’islam et a l’orient dans cet exemple, entre le 9ème siècle et le 19ème, le monde musulman encore plus que l’occident, a connu plus de périodes de sécheresses et de famines, ou encore frappé de peste et d’épidémies tueuses …et donc tout ceci de manière aussi successives et répétées durant chaque siècle depuis toujours et jusqu’au 19ème, a plusieurs endroits et aux endroits les plus peuplés, que les seules années ou les récoltes étaient bonnes, les pâturages disponibles et le peuple rassasié sont comptés au bout du compte durant l’histoire ! et furent les seules années ou les guerres de successions, celles autour du pouvoir et autour de réformes  »religieuses », étaient possibles donc ! le peuple lui, a toujours fait les frais de persécution pour payer des taxes, ou fournir des biens et des hommes aux armées, ou encore mêlé aux règlements de comptes politiques internes sur fond de propagande religieuse….! ceci donc est la véritable histoire, et non celle de prétendues prospérités des peuples qui serait permanentes selon les historiens modernes ou certains d’entre eux en tous cas ! car la principale préoccupation du peuple fut celle de manger et de rester en vie malgré tout ce qu’on raconte, et malgré toutes les bêtises et les fantasmes qu’o s’imagine..car ce n’était pas toujours le cas qu’on puisse manger a sa faim, ou échapper a une épidémie quelconque, même dans les campagnes, ou l’on pouvait se nourrir d’herbes et de racines ou encore de sanglier aussi au Maghreb par exemple (permis par l’islam en temps de famine, pour être consommé)… mais on a pas consommé que du sanglier en temps de famine, on a consommé du chien et du chat aussi, des souris et des rats, et même des carcasses d’animaux morts pour survivre ! …. et dans les cas extrêmes aujourd’hui documentés, on a consommé des cadavres d’humains lors des épisodes les plus cruels de famine, comme ce fut le cas en occident et ailleurs !

    Rien qu’au Maroc par exemple, dans la période la plus documentée historiquement entre le 15ème et 19ème, il y eut plus de famines et de sécheresses terribles parfois successives et sans pitié, et des épidémies de peste et de typhus et autres, en même temps que le  »jihad contre les occupants » ou encore les guerres de succession et pendant que ces derrières battaient leur plein… et de manière inégales selon les régions du pays donc, que cela fut en vérité a la base des migrations de tribus et populations entières du sud vers le nord, et parfois le contraire, du nord vers le sud selon la conjoncture…et de manière si grave que l’histoire politique et religieuse cette fois, devrait passer en second lieu et surtout pas être prioritaire pour comprendre ce qui se passait réellement durant ces siècles ! la population généralement pauvre et misérable sauf aux coins ou il pleuvait plus abondamment était donc tout le temps sujette aux famines et aux épidémies, même dans les grandes villes, ce fut un véritable casse tête pour les Sultans ou les Caïds et les gouverneurs d’y maintenir l’ordre ou l’apprivisionnement en denrées a des prix acceptables, car d’une année a l’autre, le prix du blé ou du pain par exemple, celui des viandes et des bêtes, et celui du sucre ou des légumes, pouvaient passer du simple a 50 fois le prix, en enrichissant les spéculateurs et en livrant aux famines les plus pauvres ! les gens donc se bousculaient pour s’enroller dans les armées, ou encore pour fuir le pays et le quitter définitivement, et il y eut même des épisodes ou des pans entiers de gens rejoignaient l’occident riche et changeaient de religion pour ne pas crever de faim ! il y eut ainsi des famines et des épidémies largement documentées cette fois par les historiens locaux depuis l’an 1400, ou lors du débarquement des musulmans d’Espagne après 1492 qui ont ramené avec eux le Typhus, des sécheresses qui pouvaient durer 40 ans presque successifs, des famines tout autant et des gens qui mourraient sur les chemins et dans les villes par milliers … en même temps qu’il pouvait y avoir des guerres et des batailles pour le pouvoir mémorables et retenues par l’histoire, ou encore contre les Chrétiens… comme au lendemain de la victoire de la bataille de Oued el Makhazen, fameuse bataille dite  »des trois Rois », ou les marocains furent victorieux sur les portugais, mais le lendemain et dans les jours qui suivirent, il y eut une famine qui décima des milliers de personnes suite a la sécheresse et pendant que des grandes villes connaissaient des épidémies de Typhus ! il y eu ainsi des sécheresses et des famines pratiquement tous les deux a trois ans, et des épidémies tout autant, durant la majorité du 16ème, 17ème, 18ème siècle ! …et il y eut même des épisodes de cannibalisme même si ce tabou universel, n’est jamais mentionné dans notre histoire ou celle des occidentaux également !

    Dans ce contexte, la forte multiplication ou l’explosion des marabouts religieux et des saints a travers villes et campagnes, avec la bénédiction des Sultans, s’explique par le fait que ces lieux avaient un rôle essentiel de point de rassemblement pour nourrir la population nécessiteuse des environs le plus souvent et a leur apparition ! et non pas comme ce que racontent les mythes et les légendes encore aujourd’hui a propos de ces hommes saints… qu’ils auraient eu une quelconque  »baraka » ou réalisaient des miracles.. ! ces lieux de  »saints’, étaient en réalité souvent des endroits choisi par les gouverneurs et les Caids ou encore les Sultans, pour distribuer des denrées alimentaires en petite quantité aux pauvres et aux affamés, ou encore pour les nourrir sur place lorsque c’était possible, en prélevant les denrées et les bêtes chez les riches paysans, ou en les forçant de faire cette aumône et cette charité parfois ! …

    Dans ce contexte aussi, la construction de belles mosquées et leur multiplication et donc la généralisation de la pratique religieuse, n’était souvent que très limitée, au détriment des saints et des marabouts encore, car la construction de mosquées était très limitée, et réservée aux riches ou aux sultans de manière sporadique et lors d’épisodes politiques significatives surtout ! Ce qui explique que de nombreuses tribus arabes ou berbères n’avaient qu’une pratique superficielle des rites musulmans, et jusqu’à la colonisation française, certains rites et mœurs plutôt libertins étaient encore de rigueur a certains endroits, par exemple dans le moyen Atlas, comme le rapporteront des colons et des soldats ou historiens français, une femme qui devient veuve ou divorcée, devenait  »libre » dans les mœurs locales, et pouvait donc même en se décrétant musulmane, avoir une sorte d’amant et esclave en même temps, pouvait aller toute seule en sa compagnie aux souks ruraux, et pouvait transformer son foyer en lieu d’hospitalité a un saint homme qui en contrepartie d’offrandes ou de nourriture, pouvait obtenir ses faveurs sexuelles durant son séjour… même si le tout était fortement ritualisé et réglementé au sein de la tribu…! et donc ce genre de femmes qui portait un nom dont je ne me souviens plus en berbère local (le Tachelhit), devenait tout d’un coup respectée et prenait part aux décisions de la tribu en accédant a ce status ! … mais ce ne fut jamais le cas des berbères du Souss (les Swassa au sud) beaucoup plus rigoristes et orthodoxes sur la religion, et beaucoup plus érudits, puisqu’ils ont toujours conservé un haut lieu de religion qui est la ville de Taroudant, avec un prestige sur ce registre qui égalait la ville de Fes et les principales villes du nord…

    Lorsque les Français ont débarqué en Algérie en 1830 ou plus tard au Maroc en 1912 avec leurs armées, et aussitôt qu’ils réussissent a  »Pacifier » nos pays, ils allaient apporter avec eux des compétences et des outils radicaux comme la planification, l’organisation administrative, celle de l’agriculture, du commerce et des routes et l’hygiène et les ouvrages et infrastructures qui allaient chambouler nos sociétés et pays… comme ils ont pu instaurer aussi une sorte d’admiistration du culte musulman versus le culte chrétien, et donc une sorte d’unification et d’homogéneité religieuse pour la première fois, car ils furent obligé de se mêler de religion musulmane et devoir la réglementer au moins sur le plan administratif, pour éviter les dissentions et les guerres de clans religieux ou en limiter l’influence, et imposer a tout le monde le même régime ! même si le Maroc pouvait être plus autonome et mieux organisé sur ce registre du fait qu’il ait échappé a la colonisation ottomane et ses Wilayas, et même si le Maroc pouvait être beaucoup plus unifié sur le rite malékite ou sunnite a l’exception de quelque influence chiite dans le Sud-Est, et que son islam rigoriste dans les villes et plus soufi dans les campagnes ne ressemblait pas toujours a la réalité religieuse en Algérie plus  »ottomanisée », sunnite également mais avec des influences  »Chaféites » et d’autres écoles de l’islam oriental, bref, la colonisation Française est finalement celle qui transforma le chaos civilisationnel et religieux parfois en véritable états homogènes cette fois sur tous les plans, y compris celui religieux !

    Enfin, je tenais a rapporter cette lecture et mettre l’emphase dessus afin qu’on cesse un peu de regarder la religion musulmane sous l’angle intégriste et doctrinale uniquement, et devoir y associer le contexte historique et celui des réalités cette fois… qui échappe encore aux plus éminents dits  »spécialistes » qui ont de tout temps on dirait totalement occulté l’aspect social et celui des réalités des populations depuis toujours !

    il serait d’ailleurs utile de rappeler a ceux et celles qui l’oublient souvent encore a notre époque, que l’ère de l’abondance que nous vivons, en nourriture, en logement et même en habits et en quoi se chausser aux pieds, n’a jamais eu lieu a travers l’histoire de toutes les civilisations et les peuples ! si les peuples hier salaient la viande et les poissons pour survivre durant le reste de l’année, et s’ils cultivaient des féculents et des grains ou se livraient a de l’élevage, tout ceci fut un véritable luxe a leur époques, et non pas une affaire de paysans crève faims de notre époque ! au contraire, seuls les plus riches disposaient de cultures, de bétail, de fruits ou de légumes durant des millénaires et jusqu’à la révolution industrielle ! la pauvreté, les famines et les épidémies furent par contre beaucoup plus présentes, fréquentes et ont largement pu façonner toutes les sociétés que n’ont pu les façonner les religions ou les pouvoirs politiques ! le féodalisme d’hier ne faisait qu’aggraver la situation de ces populations même s’il contribuait a nourrir ces dernières tout autant, selon un régime disparate et radical selon si vous êtes riche ou pauvre, noble ou issus de la populace ! même les Rois et les Sultans se sont battu parfois pour maintenir leurs tables bien garnies, et jamais aussi garnies qu’un bourgeois de notre époque !

    Cordialement !

    Répondre
  • 25 novembre 2022 à 19 h 31 min
    Permalien

    En gros, si on devait établir des moyennes pour chaque siècle juste entre le 15ème et le 19ème siècle, de combien de temps il y eut des sécheresses cruelles, des famines mémorables, ou encore des épidémies mortelles importantes Vs le nombre d’années ou il y eu une toute relative stabilité, ue abondance et absence d’épidémies … on peut facilement dire qu’il y a eut 60% d’années maigres et mortelles, vs 40% d’années fastes et prospères…! et c’est donc a ce point que la vie était éphémère et arbitraire et tenait a rien, même chez les riches parfois en absence de médication, de vaccins ou de sécurité ! d’ailleurs, il était bien plus fréquent et ordinaire que les femmes meurent en donnant naissance ou perdant leurs enfants a la naissance aussi…, sans parler des taux de décès hyper élevés parmi les enfants en bas âge… quant aux hommes, ils avaient plus de chance de crever de famine, d’épidémies ou de mort violente par les guerres et les conflits parfois tribaux que ‘importe ou pendant tous ces siècles !

    Ceci nous laisse donc 40 ou 50 ans a peine lors de chaque siècle passé, des années surtout disséminées sur tout le long du siècle, et aléatoires…, tous les deux ou trois ans ou il pouvait y avoir stabilité ou prospérité relative… et qu’on consacrait immédiatement a la guerre, et aux razzias, ou encore aux changements de régimes et révoltes, ou encore aux réformes religieuses sanguinaires, sans parler des collectes d’impôts en nature et en argent auprès des pauvres paysans dès que l’année s’anonçait bonne et pluvieuse…

    A ce titre et par exemple, immédiatement après la fameuse bataille d’Isly, on l’armée du Maroc alla porter secours aux Algériens et se battre contre la France en Algérie, bataille qui verra l’echec des troupes Marocaines et les marquera cette fois, aussitôt de retour au pays, le Sultan Moulay Hassan 1er, envoya une  »Harka » habituelle dans toutes les régions du Maroc pour collecter des impôts et des hommes, alors que le pays était plongé dans l’une des sécheresses suivies de famines les plus cruelles de cette décennie ! et pour la première fois donc, les Caïds et Pachas et son service dans tout le royaume iront a sa rencontre avec son armée lors de sa tournée, pour l’implorer d’épargner les paysans qui on seulement n’avaient rien a manger, mais tombaient également comme des mouches par la famine dans les campagnes ! et consommaient leurs ânes et mules, les sangliers et les racines des plantes pour ne pas crever ! il faut obligé de faire demi tour lorsqu’il se rendit lui même compte de la catastrophe aux confins du Souss au sud…et qu’on lui rapporta que les tribus du Sahara beaucoup plus au sud, comme les Ait Baamrane, crevaient aussi de soif et de faim avec leurs troupeaux de chameaux et sont également monté au Souss et n’y ont rien trouvé, et ont du monter plus au nord vers Safi !

    Ceci donc donne un aperçu de la situation réelle et sociale dans un pays musulman comme le Maroc, qui était bien mieux loti que d’autres pays arabes plus arides et plus Sahariens ! la religion au final, tenait le rôle d’accessoir et de luxe suprême, la majorité du temps, et de repère identitaire et culturel donc plus qu’autre chose !

    Répondre
  • 25 novembre 2022 à 19 h 52 min
    Permalien

    la bataille d’Isly eu lieu en 1844 entre le Maroc et la France au abords du fleuve Tafna dans le nord-ouest Algérien, a quelques distance de la ville marocaine orientale Oujda…, et c’est durant cette même année et suivant cette défaite marocaine (due principalement aux bombardements de la marine française de grandes villes Marocaines plus a l’ouest comme Tanger), que la sécheresse et une famine terrible déchirait tout le Maroc !

    Les sécheresses étaient consécutives une année après l’autre, et au 18ème siècle, il y eut une qui dura près de 40 ans au Maroc ! c’est ce qui débouchera sur la fameuse famine de 1775 suivie de la peste en plus lorsque tous les greniers a grains du pays étaient vides, les provisions inexistantes, et dans certains cas extrêmes des gens se sont livré au cannibalisme pour survivre !

    Bref, c’était un complément d’infos de mon dernier commentaire !

    Répondre
  • 8 décembre 2022 à 5 h 24 min
    Permalien

    La science est la religion de la volonté de puissance et rien d’autre. Lisez les texte du compte de Buffon.

    Répondre

Répondre à Sam Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *