Le chômage concerne tout le monde
Recherche menée par Robert Gil
Jamais, dans son histoire, la France n’avait connu un nombre de chômeurs aussi élevé. Et ce chômage n’est pas une simple courbe, une statistique abstraite. Il a de nombreux effets délétères sur la société et sur la prospérité commune. Ces effets concernent en premier lieu les 3,3 millions de personnes de la catégorie A, qui n’ont eu aucune activité salariée le mois précédent, donc aucun revenu salarié, et dont certains, notamment les plus jeunes, n’ont pu bénéficier d’aucune allocation compensatoire. A ce chiffre il faut ajouter les presque 2 millions de chômeurs qui ont pu bénéficier d’une activité réduite, ou les presque 300 000 personnes qui sont dispensées de recherche d’emploi pour cause de formation ou de stage. Pour toutes ces personnes, le chômage représente à la fois une perte de revenus, une situation professionnelle précaire qui leur interdit de se projeter dans l’avenir, et conduit parfois à la désocialisation. Au-delà de ces effets immédiats, le chômage se traduit également par une perte future. L’absence d’emploi implique moins de cotisations et donc une moindre pension de retraite plus tard, tandis que la réinsertion professionnelle sera d’autant plus difficile que les « trous » dans le CV seront vus avec suspicion par de futurs employeurs.
Mais le chômage n’affecte pas que les chômeurs. Il touche aussi l’ensemble des salariés de droit privé. Tout d’abord par la pression qu’il exerce sur le « marché » du travail. Tout salarié exerçant dans un métier exposé se voit en effet comme un chômeur potentiel. En période de chômage de masse, aucune protection ne préserve efficacement du chômage. Le diplôme n’est pas un rempart, il rend même le chômage encore plus injuste pour celui qui le subit. L’expérience se transforme en délit d’âge, la jeunesse en inexpérience, la surqualification en inadéquation de profil. Tous les arguments sont bons pour choisir l’un plutôt que les cent autres qui se présentent à un poste. La compétition entre chômeurs ressemble à un cruel jeu de chaises musicales où vingt personnes tourneraient autour de dix chaises. Et chaque mois, à mesure que le chômage augmente et que de nouvelles personnes se présentent, on enlève une chaise ou l’on ajoute des joueurs. Dans ces conditions, il ne faut pas seulement être rapide, il faut avoir de la chance et même, quelquefois, savoir pousser les autres. Aussi, le chômage détruit les solidarités entre travailleurs, affaiblit les syndicats et pousse les salariés en emploi à mettre en sourdine leurs revendications. Par peur du chômage, ils oublient de réclamer le paiement d’heures supplémentaires, de négocier une hausse de salaire qui compenserait l’inflation, et acceptent une intensification du travail sans broncher. Via les accords compétitivité-emploi, ils peuvent même à présent subir des diminutions de salaire horaire, pourvu que l’accord soit majoritairement accepté par les salariés. En somme, le chômage touche les salariés du secteur privé tout comme il touche les chômeurs : il limite leurs revenus et leur pouvoir d’achat et il insécurise l’emploi et les carrières.
Les fonctionnaires sont également touchés par le niveau du chômage. D’abord parce que l’attrait de la fonction est intimement corrélé au marché de l’emploi. Plus le niveau de chômage est élevé, plus les candidats sont nombreux aux concours de la fonction publique, en particulier pour les concours les plus accessibles. Or, si davantage de candidats se présentent à un concours, leur chance de succès individuelle devient plus faible. Aussi, il faut parfois bien plus que les compétences exigées formellement pour réussir un concours. Tel poste accessible aux simples bacheliers pourra être obtenu par le titulaire d’un master. Cette situation conduit à une surqualification massive des fonctionnaires recrutés qui, s’ils obtiennent la sécurité de l’emploi, doivent souvent accepter un sacrifice substantiel en matière de carrière ou de revenus. Leur stratégie consiste alors à tenter de passer les concours internes pour s’élever dans la hiérarchie de la fonction publique. Mais les mêmes causes produisant les mêmes effets, la multiplication des candidatures aux concours internes conduit à la même surqualification et aux mêmes frustrations. Parallèlement, l’afflux de bons candidats aux concours incite les gouvernements à faire peser sur les fonctionnaires en poste l’essentiel des économies qu’ils décident. Pourquoi améliorer l’attrait des carrières dans la fonction publique si tant de candidats se présentent ? Une nouvelle fois, le chômage conduit ici encore à la frustration professionnelle et la stagnation des traitements.
Le niveau du chômage pèse également sur les retraités, les familles et les malades, sur tous ceux dont les revenus et le niveau de vie dépendent de la sécurité sociale. En effet, moins d’emplois signifie mécaniquement moins de recettes pour les caisses de la sécurité sociale et donc l’apparition ou l’approfondissement des déficits. Ainsi, ces baisses de recettes conduisent presque mécaniquement les gouvernements à lancer des plans d’économies qui se traduisent immanquablement par des baisses du niveau des pensions ou des allocations, ou par des déremboursements. Les retraités apparaissent ici comme très vulnérables car ils n’ont aucun moyen d’agir sur leur niveau de revenu, lequel dépend presque exclusivement de leur carrière et de leurs choix passés. Les familles ne peuvent elles non plus réviser leurs choix quant à leur nombre d’enfants. Quant aux malades, l’idée selon laquelle ceux-ci abuseraient « volontairement » du système est grotesque lorsqu’on sait que beaucoup renoncent déjà à se soigner en raison d’une prise en charge trop faible de la sécurité sociale.
« Celui qui voit un problème et qui ne fait rien, fait partie du problème »…GANDHI
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