Nouvelles du monde: Russie,Vietnam,Irak,Canada,Chine

Par Gérard Bad. Le 19.10.2018.  Sur http://www.les7duquebec.com
 

RUSSIE : les retraités dans le viseur

Le gouvernement de Poutine a cru bon de profiter du mondial de foot en Russie pour faire passer quelques jours avant son ouverture une réforme qui, en particulier, fait passer l’âge de la retraite de 60 ans à 65 ans pour les hommes et de 58 ans à 63 ans pour les femmes. Ce qui fait qu’avec l’âge moyen de vie de 66,5 années en Russie, bien peu de Russes pourront bénéficier d’une retraite car ils seront tous morts avant. Ce qui fait aussi que l’augmentation promise du montant de la retraite n’entraînera pas de dépense supplémentaire car bien peu en bénéficieront, et pour peu de temps. D’autre part, alors que comme ailleurs le montant de la retraite est déterminé en fonction des cotisations versées par le salarié, cette retraite est vraiment minimale car les salaires baissent après 45 ans d’âge jusqu’à 20 %, et qu’une économie informelle (noire) développée ne garantit rien du tout.
Mais c’était méconnaître la résilience de la population russe dont 80 % affirment leur opposition à cette réforme. Les festivités passées, des mouvements ont éclaté début juillet dans une trentaine de villes sous forme de manifestations souvent réprimées, et sont relayées régulièrement depuis par les oppositions politiques tout autant réprimées. Une mesure a été donnée par ce rejet du pouvoir politique lors des élections régionales récentes qui ont vu une participation plus basse que jamais de 20 % de citoyens. Une des raisons de cette réforme des retraites serait le manque de main d’œuvre causée par une dénatalité persistante et le vieillissement de la population.
 

VIETNAM

Des actions de protestation illégales se sont déroulées au Vietnam début janvier 2018 en réponse à des plans concernant les SEZ (Special Economic Zone) selon lesquelles les compagnies étrangères pourraient louer des terrains pour 99 ans, y construire des usines, et y appliquer des conditions d’exploitation dérogatoires au droit commun. Des protestations nationalistes anti-chinoises se sont répandues dans tout le pays comme il y a quatre ans, en mai 2014, en réponse à l’autorisation donnée à la Chine d’exploiter des puits de pétrole off shore dans un secteur très disputé des mers de Chine. Ces protestations avaient vu des centaines d’usines attaquées et incendiées. On avait compté 7 morts et des milliers d’arrestations. Après coup, on s’est aperçu que la majorité des usines attaquées n’appartenaient pas à n’importe qui, pas à des Chinois de Chine mais à des Coréens, Taïwanais, Japonais ou Singapouriens.
En 2014, d‘autres revendications étaient apparues. Alors que le sens était en majorité nationaliste, certaines revendications touchaient la liberté d’expression et des changements dans les conditions de travail. Bien des ouvriers se mirent alors en grève sauvage et rejoignirent les manifestations, particulièrement là où se trouvaient les plus fortes concentrations industrielles, dans les provinces de Dong Nai et Binh Dong, où les usines furent attaquées, incendiées, vandalisées ou occupées.
En 2018, les protestations se retournèrent le plus souvent contre l’État vietnamien. Le sentiment général était antichinois mais dans la foule, on pouvait voir des pancartes portant des revendications pour la liberté religieuse, la liberté d’expression, ce qui pouvait être une réponse au projet de loi sur la cybersécurité qui autoriserait les autorités à exercer un droit de censure sur les médias sociaux et obligeant certains comme Facebook à révéler leurs communications. Aussi, on pouvait entendre des manifestants qui rejoignaient ces manifestations nationalistes avec des revendications diverses et des affirmations selon lesquelles le gouvernement vietnamien (au moins historiquement) avait été perçu comme plus permissif eu égard à ce type de protestation, dont la légitimité était basée sur l’histoire du mouvement de libération nationale.
Aujourd’hui, ce type de protestations continue de se développer. Pour l’essentiel, elles ont consisté en une combinaison de manifestations politiques et de conflits directs avec l’Etat. Les informations ne sont pas faciles à obtenir et ne viennent pas toujours au moment où l’événement se déroule. Une pesante censure y est pour beaucoup. La plupart des vidéos ou images qui ont été diffusées sur Facebook par les acteurs de base ont été rapidement effacées par Facebook.

Pourtant quelques unes y ont échappé comme :
– des grèves sauvages dans des usines proches de Ho Chi Minh City, comme des grèves dans les provinces de Dong Naim et Binh Dong
– des manifestations de masse à Ho chi Minh City, Hanoi, Nha Ting
– des blocages routiers, y compris le blocage dix heures durant de la route nationale, lien principal entre Hanoi et Ho Chi Minh City
– des attaques contre des structures policières diverses dont des commissariats, y compris un guet-apens contre les équipes spéciales chargées de la répression des émeutes qui ont dû se rendre et dont les membres furent libérés totalement déshabillés
– une tentative d’occuper des bâtiments publics à Binh Thuan qui fut repoussée à l’aide de canons à eau, comme à Phan Thiet quand la foule envahit le siège du PC local

 
On ne peut savoir clairement où tous ces mouvements distincts et localisés peuvent mener car les revendications ne sont pas toujours bien clairement évoquées. Quelques-uns des observateurs pensent qu’une protestation peut rapidement se terminer pour réapparaître ailleurs plus tard. Pourtant, les résultats immédiats tangibles sont :
– ♠ des centaines d’arrestations lors des protestations et d’autres opposants déportés on ne sait où
-♠  des manifestants chassés des rues qu’ils ont occupées pendant trois nuits sauf à Bin Thuan où les protestations se tinrent nuits et jours, et où le pouvoir paraissait alors entre les mains de la foule des manifestants.
Des concessions du gouvernement : il déplaça la durée du bail de la SEZ et les clauses du bail non dérogatoires aux lois existantes, notamment sur les conditions de travail. Et quelque temps après ces concessions, le gouvernement annonça qu’il reportait la mise en œuvre de l’ensemble du projet au moins jusqu’à octobre.
 

IRAK : les séquelles de la guerre contre daesh

Le Chatt Al Arab est l’estuaire commun de plus d’un kilomètre de large de l’Euphrate et du Tigre, à proximité de l’Iran et du Koweït, avec pour centre les villes de Bassorah irakienne et d’Abadan iranienne. Dans les années 1950 c’ était encore une région prospère, pas seulement à cause du pétrole mais aussi d’une incroyable richesse écologique adaptée à l’eau salée de la mer et à l’eau douce des fleuves, bordée d’une ceinture de plus de 15 millions de palmiers et d’une grande richesse agricole.
Trois guerres (Iran-Irak 1980-1988, guère du Golfe 1990-1991, guerre d’Irak 2003), la répression sanglante de la part de Saddam Hussein en 1991, l’instabilité présente autour du conflit syrien et la percée de Daech ont anéanti cette prospérité et causé d’irréparables dommages, non seulement à cette richesse écologique mais aussi à l’ensemble des activités agricoles. Cet anéantissement a été renforcé par les ponctions importantes en amont sur les eaux des deux fleuves par la Turquie, l’Iran, le Kurdistan et la région de Bagdad. C’est ainsi qu’un habitant voit la ville de Bassorah : « Aujourd’hui, les canaux de la ville sont livrés aux immondices. Les turbines des centrales électriques sont à l’arrêt et la ville du pétrole survit presque sans électricité et sans eau potable. La moitié des habitants sont chômeurs. » Le réchauffement climatique est venu renforcer la diminution drastique des eaux douces du fleuve : l’élévation du niveau de la mer a fait que la nappe phréatique est devenue salée et que toute la campagne environnante — autrefois des marais, aliments en eau douce et riches de cultures de riz et de maïs — est devenue impropre à toute culture (récemment, le gouvernement a même interdit ces cultures consommatrices de ce qui pouvait rester d’eau douce).
Cet été a été particulièrement éprouvant pour les populations avec une moyenne de 50 °C et une pénurie d’électricité (toute fourniture de courant venue d’Iran ayant été coupée pour non-paiement). Les guerres et les conséquences de l’appauvrissement en eau et de la désertification ont entraîné un exode de la population aux alentours de la ville de Bassorah dans l’espoir de profiter de la manne pétrolière (la région assure les 3/4 de la production pétrolière d’Irak, c’est le terminal de l’ensemble des pipelines du pays et elle possède de nombreuses raffineries).
La province compte 5 millions d’habitants sur les 38 millions de l’Irak dont 4 millions vivent autour de Bassorah, où la population s’est accrue d’un million de migrants depuis 2003. Ces migrants vivent dans des bidonvilles avec des problèmes d’approvisionnement notamment en eau et en électricité (le 7 septembre dernier, 30 personnes ont dû être hospitalisées suite à une intoxication microbienne avec l’eau). Le chômage est supérieur à 30 %.
Toute la population de cette région est de religion chiite, comme le gouvernement de Bagdad, fait qui a son importance car lors des émeutes dont nous allons parler personne ne peut avancer des motivations religieuses. En fait, devant la carence des autorités chiites de Bagdad, ce sont les responsables religieux locaux qui assument les fonctions régaliennes, situation qui expliquera qu’ils seront particulièrement visés. C’est aussi cette appartenance à la religion chiite liée à la misère sociale notamment chez les jeunes (60 % de la population a moins de 24 ans) qui explique que plus de 60 000 d’entre eux se soient portés volontaires dans l’armée levée pour combattre Daesh.  1 580 sont morts et 3 000 ont au moins été amputés d’un membre et selon les statistiques des Hachd al-Chaabi. Tous avaient espéré, en s’engageant ainsi, qu’ils en tireraient un avantage quelconque ; une fois revenus au pays, ils sont totalement abandonnés, subissant la situation commune et d’autant plus frustrés.
Situation globale d’autant plus explosive que l’activité pétrolière se développe mais les espoirs des habitants d’y trouver un emploi est pratiquement nul car les multinationales qui exploitent le pétrole préfèrent embaucher des migrants venant de tout le sud-est asiatique, particulièrement dociles et sous-payés.
C’est ce qui explique les événements qui vont se déclencher, à partir d’un simple blocage de l’entrée d’une raffinerie le 8 juillet dernier, par des jeunes déterminés à obtenir une embauche. La répression brutale de ce piquet a été l’étincelle qui a enflammé toute la région dans un vaste mouvement de protestation contre le pouvoir local chiite, lorsque chaque vendredi des milliers manifestaient contre la dégradation de leur condition de vie, la corruption, le chômage et la répression. Notamment en bloquant le port d’Umm Qasr par lequel passent les exportations pétrolières et les importations de nourriture, bloquant aussi les artères routières principales, occupant l’aéroport local. Pour le vendredi 7 septembre, le gouvernement local avait déclaré un couvre-feu, toute personne vue dans la rue serait immédiatement arrêtée. L’explosion populaire de ce vendredi 7 septembre est devenue une véritable émeute avec l’incendie de bâtiments publics, des sièges du parti chiite, du consulat iranien, des casernes des milices chiites, de mosquées, du siège de la TV locale. Cette explosion sociale, en dehors de toute question religieuse ou ethnique, déclenche une répression d’autant plus violente ; on compte plus d’une douzaine de morts, des dizaines de blessés et des centaines d’arrestations. Mais le gouvernement de Bagdad pour qui l’enjeu pétrolier reste essentiel et qui craint l’extension du mouvement dans la région de Bagdad monte d’un degré dans la répression avec l’établissement d’un commandement conjoint des opérations disposant de pouvoirs étendus, une recommandation de prendre des mesures sécuritaires exceptionnelles et des condamnations judiciaires sévères.
 

CANADA La grève des grutiers

Dans ce qu’est aujourd’hui le BTP, sur les chantiers de constructions de toutes sortes, la grue est un des éléments essentiels du procès de construction, ce qui donne aux grutiers un pouvoir de fait. De plus, ce sont des spécialistes qui assument de grandes responsabilités et qui doivent avoir une sérieuse formation professionnelle. Jusqu’alors, on ne parlait guère de grèves de grutiers mais récemment, un mouvement de grèves sauvages de grutiers en Chine avait focalisé la lutte de classe sur cette activité.
Le 14 juin dernier, les grutiers du chantier de construction du pont Champlain à Montréal se mettent en grève sauvage, totalement illégale suivant la réglementation canadienne du travail. Leur protestation se dirige contre un changement important dans la formation des grutiers imposée par l’organisation patronale du secteur, la Commission de construction du Québec (CCQ).
D’une part, la période de formation qui était jusqu’alors de 870 heures est réduite à 150 heures et même à 80 heures pour ces grues mobiles que sont les camions-flèche, d’autre part ce changement autorise le remplacement temporaire d’un grutier par un ouvrier quelconque du bâtiment. Le syndicat Union des opérateurs de grues n’a pratiquement pas réagi à cette réforme. Ces grutiers en grève mettent en avant les risques évidents touchant la sécurité sur les chantiers mais il s’agit aussi de la défense professionnelle contre un accès plus facile à cette profession qui serait un moyen de pression des patrons sur las salaires et sur les conditions de travail. La grève fait tache d’huile spontanément sur tous les chantiers de construction du Québec, et le lundi 18 juin la grève est totale, bloquant pratiquement tous les chantiers du BTP.
Le CCQ ne tarde pas à réagir, d’une part en criminalisant les démarches des grutiers en grève souhaitant le débrayage le plus total possible, assimilant ces démarches à des chantages, pressions physiques (ce qui n’est jamais exclu dans toute grève, 650 dossiers de poursuites ont été ainsi établis), d’autre part en déposant un recours devant le tribunal administratif pour faire déclarer la grève illégale et ordonnant la reprise du travail sous peine de pénalités importantes. Un tel jugement est rendu le 21 juin. Le syndicat, s’il apparaît qu’il soutient la grève d’une manière ou d’une autre, encourt une amende qui peut se monter jusqu’à 80 dollars par jour, et doit entériner ce jugement en ordonnant la reprise du travail, qui est effective le 25 juin, pas tant à cause de l’ordre du syndicat mais des menaces d’amende voire de licenciement contre les grévistes.
Le syndicat ne peut faire autre chose que de demander la formation d’une commission pour étudier les conditions d’application de la réforme patronale sur la formation des grutiers.
 

CHINE

Fin juillet 2018, les 1 000 travailleurs de la firme Shenzhen Jaic Technology, dont la production va essentiellement aux USA, se mettent en grève et tentent de constituer un syndicat indépendant ; 7 sont licenciés et 30 sont arrêtés. Pour la première fois en Chine, un mouvement de solidarité s’est développé dans tout le pays, impulsé par des étudiants de l’université proche et qui a touché 11 autres universités sous la forme d’une pétition qui a recueilli près de 2 000 signatures. C’est sans doute peu à l’échelle de la Chine mais cela vaut la peine d’être signalé et regardé comme une tentative de tourner la censure qui sévit sur les médias sociaux. Un exemple de la répression qu’encourent ceux qui s’engagent ainsi est donné par l’arrestation en novembre dernier des étudiants d’un groupe de lecture des œuvres de Marx sous l’inculpation : « des foules pour perturber l’ordre social ». Il n’est pas exclu que ces actions de solidarité soient une instrumentalisation des conflits par des oppositions politiques d’origine maoïste.
De toute façon, soutenues ou pas les grèves continuent : depuis le début de l’année, 1 050 grèves se sont ainsi déroulées (et ont subi des arrestations pour 23 d’entre elles), 2 000 dans les douze derniers mois.
 

Les exploités du low cost se rebiffent

On peut se poser plusieurs questions à propos du mouvement qui touche, à l’échelle européenne, les travailleurs de Ryanair, la compagnie aérienne low cost.  Pourquoi ces travailleurs ont accepté pendant si longtemps des conditions de travail telles qu’elles sont révélées aujourd’hui ?
Pourquoi se soulèvent-ils maintenant contre ces conditions, unis à l’échelle européenne ?
Les réponses sont à chercher dans le marché mondial des pilotes de lignes et hôtesses. La force de travail est une marchandise qui subit les règles du marché : s’il y a peu de demande de la part des employeurs face à une offre abondante de travailleurs, les salaires et les conditions de travail sont à la discrétion de l’employeur et les travailleurs sont d’une certaine façon contraints de les accepter.
S’il y a une demande importante, face à une offre réduite, salaires et conditions sont grandement améliorés.
C’est précisément cette dernière situation qui prévaut aujourd’hui : le parc européen de pilotes vieillissant, l’offre des emplois augmente. En 2016, cette demande s’est élevée à 20 000 pilotes et dans les années qui viennent, l’aviation civile devrait embaucher dans le monde 70 nouveaux pilotes chaque jour. Cette situation met les pilotes travaillant pour Ryanair dans une position de force, qu’ils n’avaient pas il y a quelques années. Le statut qui leur avait été imposé d’auto-entrepreneur, sous législation irlandaise, permettait de leur imposer des conditions de travail particulièrement contraignantes que l’état du marché des pilotes les contraignait d’accepter s’ils voulaient simplement travailler. La rareté des pilotes a fait qu’ils peuvent aujourd’hui se regrouper sur le plan européen dans des organisations distinctes pour tenter de faire modifier salaires et conditions de travail. Le conflit, à l’échelle européenne, est toujours en cours, a gagné les hôtesses et dure depuis des mois avec des formes diverses, la direction de Ryanair résistant de son côté pied à pied. Et pratiquant tous les coups tordus utilisés par des employeurs pour briser un conflit.
 

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