Vers une récession mondialisée
par Agoravox.fr
A en croire le FMI, en 2017, la croissance mondiale synchronisée était à un niveau jamais enregistré depuis 2010, et cette croissance devait se confirmer indéfiniment. Par « croissance mondiale », il faut entendre la croissance du total des produits intérieurs brut s(PIB) mondiaux ou « revenu mondial ».
2018 a été une grande déception pour Mme Lagarde, et la mise à jour des perspectives de l’économie mondiale publiée par le FMI en janvier 2019, intitulée « Une expansion mondiale affaiblie » a mis quelques bémols à l’optimisme qui régnait jusque là. La directrice générale du FMI, a déclaré : « Même si l’économie mondiale progresse, les risques sont de plus en plus importants. Cela signifie-t-il qu’une récession mondiale est imminente ? Non, mais le risque d’un ralentissement plus marqué de la croissance mondiale a certainement augmenté. » Le FMI, qui a finalement évalué la croissance mondiale de 2018 à 3,7%, prévoit pour 2019 une croissance de 3,5%. Mais sa sœur jumelle, la Banque Mondiale, plus pessimiste : elle a estimé la croissance mondiale de 2018 à 3% et prévoit 2,9% pour 2019. Auquel des deux oracles faut-il se fier ?
Mais au fait, cette « récession mondiale » qui préoccupe tant Madame Lagarde, en quoi consisterait-elle donc ?
Comme pour les évaluations et les prévisions, la réponse dépend de la personne à qui la question est posée.
Avant la crise financière mondiale qui avait débuté en été 2007, le FMI avait défini la récession mondiale comme une croissance mondiale de moins de 2% ou 3%, mais depuis, les points de vue ont changé. En 2008, alors que la croissance mondiale était inférieure à 3% Olivier Blanchard, le directeur de la recherche au FMI de l’époque s’est opposé au fait de considérer qu’il s’agissait d’une « récession mondiale », et depuis il devient difficile de comprendre ce que le FMI entend par cette qualification. Si on s’en tient à l’ancienne définition du FMI et que l’on choisit de croire la Banque Mondiale, le monde était déjà en récession mondiale en 2018, et devrait continuer en 2019.
Les observateurs d’une association internationale de chercheurs et d’entreprises indépendantes, « The Conference Board », considèrent que la possibilité d’une récession mondiale est la principale préoccupation des dirigeants d’entreprise à l’aube de 2019 et que l’Allemagne a déjà commencé à se préparer au pire. Dans la préface du dernier rapport sur la stabilité financière publié par le FMI en octobre 2018, on pouvait lire :
« Pour l’avenir, des nuages apparaissent à l’horizon. La reprise économique mondiale a été inégale et les inégalités ont augmenté, alimentant des politiques introverties et contribuant à une incertitude accrue des politiques.
Le ratio de la dette totale du secteur non financier au PIB dans les juridictions dotées de secteurs financiers d’importance systémique atteint un sommet sans précédent de 250%. La valorisation des actifs reste tendue dans plusieurs secteurs et régions et les normes de souscription se détériorent, notamment dans les segments de marchés basés sur la finance ».
Parmi les principales préoccupations exprimées dans le rapport figuraient :
- l’incapacité des gouvernements et des régulateurs à imposer toutes les réformes nécessaires pour protéger le système des comportements irresponsables des banquiers
- un niveau d’endettement mondial nettement supérieur à celui enregistré lors du dernier krach de 2008
- l’augmentation spectaculaire des prêts des « banques fantômes » en Chine et l’incapacité d’imposer des restrictions sévères aux sociétés d’assurance et aux gestionnaires d’actifs
- la croissance des banques mondiales telles que JP Morgan et la Banque industrielle et commerciale de Chine à un niveau supérieur à celui de 2008, faisant craindre qu’elles ne restent « trop grandes pour faire faillite ».
Et le 15 janvier 2019, l’Institute of International Finance (l’association mondiale du secteur financier) a publié ses derniers résultats du Global Debt Monitor sous le titre « Devil in the Details » (le diable sous tous ses angles). Le verdict est sans appel :
- la dette mondiale a augmenté de plus de 12% depuis 2016 pour atteindre 244 milliards de dollars, soit 318% du PIB mondial au troisième trimestre 2018 (légèrement inférieur au sommet record de 320% du PIB mondial enregistré au troisième trimestre 2016).
- le secteur des entreprises a représenté plus du tiers de la hausse, faisant de la dette / PIB un niveau record de 92% du PIB mondial.
- Un risque de pénurie de financement en dollars se fait jour : les engagements en devises de banques autres que les États-Unis se chiffrent à 13 300 milliards de dollars (21% du PIB mondial).
Un événement financier important qui n’est pas mentionné dans les rapports ci-dessus concerne la chute du marché boursier mondial en 2018. La capitalisation boursière mondiale, mesurée par l’indice Bloomberg, avait atteint son plus haut niveau historique à 87,79 millions de dollars le 28 janvier 2018, puis des baisses au cours de l’année ont ramené ce chiffe à 66,02 millions de dollars le 26 décembre 2018, soit une baisse d’environ 25% en 11 mois.
Cette forte chute a obligé les grandes banques centrales y compris la Réserve Fédérale américaine (Fed) à faire volte-face, renoncer au durcissement monétaire qu’elles avaient annoncé et, après des injections massives de liquidités dans les principales juridictions, ont permis aux actions mondiales de connaitre leur meilleur mois de janvier 2019 depuis 1987, avec un gain de plus de 20% en un mois, un feu d’artifice purement spéculatif, mais très rémunérateur pour les initiés.
L’annonce par la Fed est intervenue le 31 janvier 2019. Elle a indiqué qu’elle serait « patiente » face à de nouvelles augmentations de taux et « souple » quant à l’assainissement de son bilan. Sept jours plus tôt, le 24 janvier 2019, la Banque Centrale Européenne avait annoncé qu’elle maintiendrait ses taux directeurs à leurs niveaux actuels jusqu’à l’été 2019 et « plus longtemps, si nécessaire », et que son programme d’achat d’obligations ayant pris fin , elle prévoyait de réinvestir les liquidités des obligations arrivant à échéance sur une longue période. Enfin, le 25 janvier 2019, la Banque populaire de Chine (PBC) a lancé un swap de devises destiné probablement à soutenir la liquidité des obligations à long terme des banques et les encourager à reconstituer leurs fonds propres en émettant des obligations à perpétuité, ce que Frances Coppola a appelé le « Grand renflouement bancaire chinois ».
Lors d’une réunion de l’American Economic Association à Atlanta, le premier directeur général adjoint du FMI, M. David Lipton, a déclaré au Financial Times le 6 janvier 2019 que les dirigeants des plus grands pays du monde n’étaient pas préparés aux conséquences d’un grave ralentissement mondial :
« La prochaine récession se situe quelque part à l’horizon et nous sommes moins disposés à y faire face que nous ne devrions l’être… encore moins préparés que lors de la dernière crise (en 2008). »
Si une récession mondiale se produit en effet, comment se produira l’effet domino ?
Comme le chantait Bob Dylan, « The answer, my friend, is blowing in the wind » (la réponse est dans le souffle du vent).