Algérie, ils ont cru à un soulèvement populaire et ce ne fut que fumé de narguilé

Par Robert Bibeau. Mercredi le 13 mars 2019. Sur le webmagazine Les7duQuébec.
 

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Bouteflika s’estompe

 
La nouvelle est tombée le lundi 11 mars dernier, le Président algérien Abdelaziz Bouteflika renonce à un cinquième mandat. Il l’affirme dans un communiqué remis à la presse : « Il n’y aura pas de cinquième mandat et il n’en a jamais été question pour moi, mon état de santé et mon âge ne m’assignant comme ultime devoir envers le peuple algérien que la contribution à l’assise des fondations d’une nouvelle République en tant que cadre du nouveau système algérien que nous appelons de tous nos vœux. Cette nouvelle République et ce nouveau système seront entre les mains des nouvelles générations… ». Le président algérien reporte sine die l’élection présidentielle prévue pour le 18 avril et il appelle une Conférence : « La Conférence nationale inclusive et indépendante sera une enceinte dotée de tous les pouvoirs nécessaires à la discussion, l’élaboration et l’adoption de tous types de réformes devant constituer le socle du nouveau système que porte le lancement du processus de transformation de notre État-nation… », bref, la clique dont Bouteflika est le pantin, invite les autres cliques à se mesurer pour la rédaction d’une nouvelle constitution. (1)
 
La veille, le général Gaïd Salah, chef d’état-major des armées, déclarait : « L’armée est la colonne vertébrale de l’Algérie et elle est garante de la stabilité et de la sécurité de la patrie. L’armée « partage » avec le peuple algérien « les mêmes valeurs et principes ». Se rejoignent (…) entre le peuple et son armée (…) tous les fondements d’une vision unique du futur de l’Algérie. » (2)
 
Il faut comprendre que ce n’est pas tant un constat que dresse le général en chef, mais une menace qu’il adresse aux partis politiques de l’opposition à ne pas se servir de l’agiotage populiste pour ébranler l’État et ses institutions. Le général veut ainsi leur rappeler que dans la rédaction de la nouvelle constitution, ils ne devront pas dépasser le seuil des « réformes » tolérables dans le cadre du système capitaliste qui permet de remettre en cause le gouvernement et ses représentants, mais jamais les institutions et leurs fonctions. Sinon, l’une de ces institutions – l’armée colonne vertébrale – se chargera de rappeler la source de tout pouvoir étatique – qui ne réside pas dans la constitution, mais dans la force et la violence de l’armée comme les Algériens s’en souviennent de l’époque de la guerre civile sanglante (1991– 2002).
 

Bouteflika s’esquive

 
Par cette esquive de Bouteflika, dont on se demande si elle n’était pas planifiée, la guerre des clans opposant différentes factions du grand capital algérien et leurs larbins politiciens entre dans une nouvelle phase critique. (3) Par ce renvoi à une Assemblée constituante pour la rédaction d’une nouvelle constitution, le clan dominant renvoi les autres camps à leurs intrigues. La joute est ouverte entre toutes les factions du vieux FLN, et même ouverte à la pléthore des partis d’opposition « démocratiques » bourgeois. Évidemment, nul clan ne peut repousser ce défi réformiste même si chaque clique comprend que le clan au pouvoir – maître de l’appareil d’État depuis des décennies – jouit d’une longueur d’avance dans l’art d’intriguer… Du « Déjà vu » en Tunisie et en Égypte.
 
Le bénéfice qu’amène cette proposition est de contenir la guerre fratricide sur le front juridique, bureaucratique, électoraliste, et de désamorcer la grogne populiste que la petite-bourgeoisie fomente espérant troquer son influence sur la populace contre quelques avantages pécuniaires. L’oligarchie, en contrôle de l’appareil d’État, dont l’armée est un pilier, sait bien que de trop laisser la rue s’agiter ne peut que mener à la radicalisation des revendications. Déjà, après trois semaines d’agiotage les slogans ont évolué de : «NON au 5e mandat», à «À bas le régime», puis : «À bas le système» … que cache cette formule? Serait-ce «À bas le système capitaliste»?
 
L’intellectuel Omar Aktouf présente son interprétation de cette revendication : « Les Algériens réclament l’éradication du « système » d’établissement et de reconduction du pouvoir, autant politique qu’économique, « système » qui sévit depuis l’Indépendance. C’est la mise hors d’état de nuire de ce que j’ai personnellement dénommé « système Algérie » en entier qui est demandée.  Le peuple manifeste haut et fort son désir de voir cesser cette mainmise continue sur les richesses et les destinées du pays ; il n’en peut plus des jeux de « chaises musicales » de transmission à tour de rôle du pouvoir entre « clans ». » (5) Mais n’est-ce pas le lot de tous les pays démocratiques bourgeois où sévissent les mascarades électorales? (6)
 

Le prolétariat algérien ?

 
Depuis l’amorce de ce mouvement populiste, où la rue n’a eu qu’un rôle de faire valoir et de « chair-à-manifester», le prolétariat algérien est resté sur ses gardes, car il n’a aucun avantage à attendre, ni de cette fronde contre le clan hégémonique, ni du renoncement de Bouteflika, le président zombie, pas plus que de son remplacement via une mascarade électorale convenue. Somme toute, cet agiotage petit-bourgeois pour le partage des prébendes, allocations, postes, et sinécures de l’administration gouvernementale est à cent lieues des difficultés quotidiennes qui confrontent le prolétariat algérien, difficultés qui sont davantage de l’ordre – comme pour les gilets jaunes français et belges – des bas salaires, des taxes et la hausse des prix, de l’emploi, du logement, des transports et de la santé publique qu’à propos de la prestance du chef de l’État.
 
Encore une fois, dans cette affaire électorale algérienne, comme dans l’affaire du « Printemps arabe », comme dans le mouvement des Gilets jaunes, comme dans tant d’autres mouvements populistes, la petite-bourgeoisie aura démontré son incapacité à diriger un mouvement pour le renversement du pouvoir établi. C’est la leçon que le prolétariat international doit tirer de cette expérience comme des autres qui l’ont précédée depuis la Seconde Guerre mondiale. Tant que le prolétariat en tant que classe sociale, ne se décidera pas à prendre l’insurrection en main, nous assisterons à ces flambées de fumée de narguilé. (7)
 


 

Notes

 
 

  1. http://www.aps.dz/algerie/86748-le-president-bouteflika-adresse-un-message-a-la-nation-annoncant-le-report-de-l-election-presidentielle
  2. http://www.aps.dz/algerie/86748-le-president-bouteflika-adresse-un-message-a-la-nation-annoncant-le-report-de-l-election-presidentielle
  3. Le capital n’a pas d’odeur ni de nationalité, il n’est donc pas algérien, mais les capitalistes qui le possèdent et sont responsables de valoriser ce capital sont de nationalité algérienne même si leurs intérêts économiques se confondent avec ceux des autres capitalistes.
  4. http://www.les7duquebec.com/7-au-front/la-repression-des-soulevements-demancipation-bourgeoise/
  5. http://www.france-irak-actualite.com/2019/03/omar-aktouf-les-algeriens-reclament-l-eradication-du-systeme-qui-sevit-depuis-l-independance.html
  6. La démocratie aux États-Unis. Les mascarades électorales. L’Harmattan. 2017. Sur Amazon https://www.amazon.ca/démocratie-aux-Etats-Unis-Robert-Bibeau/dp/2343144672/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1521149336&sr=8-1&keywords=robert+Bibeau&dpID=41f0Kjchz1L&preST=_SY264_BO1,204,203,200_QL40_&dpSrc=srch
  7. http://www.les7duquebec.com/7-au-front/la-revolte-populaire-seule-candidate-capable-de-transformer-la-situation/

 

Robert Bibeau

Auteur et éditeur

7 réflexions sur “Algérie, ils ont cru à un soulèvement populaire et ce ne fut que fumé de narguilé

  • 13 mars 2019 à 1 h 33 min
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    Je seconde en tous cas votre analyse sur cette menace des généraux… qui est on ne peut plus claire ! Lorsque vous concentrez le pouvoir policier et politique, en plus de l’argent de la rente pétrolière et gazière, en plus de l’armée et son dispositif militaire comme le clan au pouvoir en Algérie, il faut craindre le pire… il suffirait d’une étincelle pour mettre le feu aux poudres ! si les manifs continuent et sont récupéré en partie par les islamistes dissidents et interdits de parole, ou par une quelconque opposition qui revendique des appuis d’une partie de la diaspora et de sympathisants à l’étranger, le clan au pouvoir n’hésitera pas à crier à l’ingérence étrangère et décréter un état de siège ! chose qu’ils ont déjà tenté avant cette décision de Bouteflika (ou qui semble émaner de lui) de ne plus briguer le 5ème mandat !
    on a l’impression qu’européens comme arabes qui n’ignorent rien de cette réalité craignent ce scénario et se gardent d’une quelconque ingérence, se croisent les doigts et retiennent leur souffle pour une issue pacifiée…! la difficulté tient au fait que ce peuple n’a encore désigné personne pour parler en son nom, et sous estime la capacité des islamistes à renaître de leur cendres et se repositionner rapidement sur la scene ! la question est donc de savoir maintenant comment ces clans au pouvoir vont tenir la pression et engager un processus de transition qui parraisse crédible ! il leur faudra nécessairement traiter avec de nouveaux visages et plusieurs oppositions soumises jusque là au silence, à la peur et à la clandestinité ! personne en effet n’est capable de prédire la suite !
    La situation Algérienne présente quelques similitudes avec l’égypte de Moubarak, ou la Tunisie de Ben Ali, certes, mais elle à surtout certains points communs avec la Syrie et la Libye ! Si l’axe Moscou – Algers travaille sur des dessins et intérêts régionaux et continentaux et s’accorde sur une politique étrangère assez homogène qui carbure aux achats d’armes massives, il demeure que le peuple n’en a rien à cirer, et qu’il bouillonne face à la cherté de la vie, le taux de chômage, l’incompétence des dirigeants et voir des milliards de dollars dilapidés ou partagés entre clans.

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    • 13 mars 2019 à 9 h 01 min
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      @ SAM
      Pour ma part je crois que la structure de pouvoir et le rôle que joue la populace vis-à-vis l’armée s’apparente davantage à l’Égypte et au cas tunisien – Rappelez-vous que l’armée avait laissé les clans s’entredéchirer par manifestants interposer et qu’en dernier ressort l’armée a tranché allant jusqu’à installer le chef d’État major SISI s’emparer du pouvoir en Égypte.
      En Syrie ce fut fort différent = face à la menace extérieure – occidentale-OTAN – la bourgeoisie et les clans syriens ont serrés les rangs et mis fin temporairement à leurs différents autour de Bachar al-Assad ce qui leur assura la victoire. En effet, ce n’est pas l’intervention Russe qui assura la victoire du gouvernement syrien mais son unité face au danger.
      En Libye, les clans désunis – stipendiés par les puissances occidentales – ne comprirent pas la menace et laissèrent leur avidité de pouvoir clanique et leur cupidité monétaire les emporter – ils se fractionnèrent en fonction d’intérêts mesquins et dix ans plus tard ce pays est « somalisé et soudanisé » bref ils vivent sous la terreur guerrière que même les puissances occidentales ne maîtrisent pas – Ces pays sont retournés à l’Ère tribale équipé d’armes modernes et de portables et les puissances occidentales – chinoise et russe laissent faire ayant d’autres chats à fouetter et n’ayant rien à foutre de ces peuplades pauvres et affamées.
      C’est l’unité de la classe du capital et de sa bourgeoisie d’un pays qui fait la différence dans chaque situation.
      En Algérie, Bouteflika et sa clique ont fait le bon mouvement pour préserver la cohésion des différents clans aspirants au pouvoir qui sont tous conviés à se chamailler autour d’un bout de chiffon appelé « constitution » et en effet mon cher SAM, comme tu écris : « il demeure que le peuple n’en a rien à cirer, et qu’il bouillonne face à la cherté de la vie, le taux de chômage, l’incompétence des dirigeants et voir des milliards de dollars dilapidés ou partagés entre clans. »
      Robert Bibeau Éditeur Les7duQuébec.com

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  • 14 mars 2019 à 22 h 04 min
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    Lu sur le Monde aujourd’hui  »On a voulu des élections sans Bouteflika, On a eu Bouteflika, sans les élections! » :)))
    C’est l’un des slogans Algériens des manifs récentes post décision de Bouteflika de rester…. mais aussi :
     »Partez, ça veut dire partez pour de bon! » foutez le Camps, on veut plus vous voir !!!!
    Ils ne se laisseront pas faire aussi facilement !

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  • 16 mars 2019 à 9 h 15 min
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    @ Arlette
    Tu as totalement raison = effectivement on peut facilement imaginé qu’il y a de nombreux prolétaires dans cette manifestation algérienne
    Tout comme il y avait de nombreux prolétaires parmi les troupes nazi en Allemagne – les troupes américaines en Europe – les troupes britanniques et japonaises sur le Pacifique. C’est le prolétariat qui sert de chair à canon – chair à manifester – chair à voter etc.
    Notre rôle de révolutionnaire prolétaire est d’éclairer les enjeux et de montrer quel est l’essence réel concret d’un conflit… Ainsi en 1939-1945 l’essence du conflit interimpérialiste était le repartage des marchés commerciaux entre impérialistes.
    en 2019 en Algérie l’essence du conflit est une bataille entre clans et cliques capitalistes bourgeoises pour la succession du clan Bouteflika à la tête de l’appareil d’État bourgeois. Rien à gagner pour la classe prolétarienne de remplacer Bouteflika par son sosie ou par un autre bourgeois sorti de la cuisse de Jupiter ou de Trump ou de Poutine ou de
    Il en fut de meme en Égypte et Moubarak fut remplacé par Sissi et que devient le prolétariat égyptien sous le maréchal SISSI ?? Et si les frères musulmans avaient conserver le pouvoir quel serait le sort du prolétariat égyptien
    Ce sont leurs guerres de succession pas les nôtres – même si les nôtres sont nombreux à être dupés
    Merci de ton post
    Robert Bibeau http://www.les7duquebec.com

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