BLANCHEUR INOUÏE (Diane Boudreau)
Soleil
Si jamais le soleil s’éteint dans ta vie
Bouge d’un pas, change ton point de vue
Tu verras
Il était caché mais pas disparu
(p 51)
.
YSENGRIMUS — Avec le travail dense et velouté de cette poétesse, on est probablement dans la blancheur mais on est surtout, indubitablement, dans l’inouï. La poésie de Diane Boudreau se présente comme une suite de courts textes jouant de sobriété et de dépouillement. Les thèmes abordés touchent le quotidien et la concrétude. Ce sont des poèmes calmes. Un optimisme ambivalent les caractérise. Il s’en dégage une solide harmonie entre poéticité et écriture ordinaire. Les choses se jouent donc souvent entre nos temps et nos espaces à nous.
Janvier à St-Jovite
Neige, neige
Tassée lentement sous le vent
Et sous les longs élans
Des skieurs du dimanche
Douce, douce neige
Feutrée de silence
Accrochée aux grands conifères
Et aux versants les plus secrets de la vallée
Et nous deux
Silencieux
Comme en un sanctuaire
À l’orée du boisé
Si pur
Attentifs
En ces haltes d’azur
Habitées de mésanges
Aux battements d’ailes si vifs
Aux frôlements si légers
Que je n’ose bouger.
(p. 26 — typographie et disposition modifiées)
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Nous voici donc ensemble face aux éléments. Rien ne se nie mais rien ne se donne. Il faut agir mais il faut percevoir aussi, appréhender, ondoyer, ressentir. Il n’est pas question de postuler le lisse ou le facile. L’écriture semble facile. Le monde qu’elle évoque le sera fatalement moins. C’est qu’un rapport problématique spécifique s’établit envers les forces contraires.
Dans la nuit
Je ris et je danse
Ô délice
Mais il se meurt.
Je t’aime, tu m’aimes
Ô bonheur
Mais elle est seule.
Hier c’était moi
Aujourd’hui c’est lui
Et demain…?
Quand donc y aura-t-il assez de soleil
Que personne ne soit dans la nuit?
(p. 15 — typographie et disposition modifiées)
.
Optimisme ambivalent. Le monde porte une souffrance et le vibrato de cette souffrance revient sur la poétesse qui, par empathie naturelle mais aussi par harmonie intellective, partage la souffrance appréhendée. C’est pas drôle, c’est pas marrant, c’est lancinant mais la poésie qu’on découvre ici n’aspire pas à se lamenter. Il y a du difficile, du douloureux, du tyrannique même. Mais la sensibilité optimiste de la poétesse la pousse à affronter les forces contraires et à les tourner à son avantage. Aussi c’est: à nous deux, les intempéries.
Promenade au bois
Il pleut… Bon.
Déçu…? Non.
C’est la fête
Aux feuilles
C’est la fête
Aux écureuils.
Bottes, impers
…et hop là!
Les marmottes
Nous voilà!
(p. 31 — typographie et disposition modifiées)
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La poétesse est, de fait, phénoméniste. L’existence est une affaire assumée. On la modifie dans sa périphérie mais on l’assume pleinement en son centre. C’est un traitement non fataliste de la fatalité qui se donne à lire ici. Une joie devant le fait qui s’impose. La poétesse ne plie pas devant ce qu’elle regarde et contemple. Elle tire sa force des particularités définitoires et réjuvénantes de l’existence. Elle le sait: il faut continuer.
Je continue
Un chêne est tombé
C’était mon ami
Ma vie était liée à lui.
Elle l’est encore…
À travers le temps et l’espace
Il sera là
Il veillera sur moi
À sa façon.
Je sentirai la force
Revenir en mes membres
En mon cœur rejaillit
Une source nouvelle
Il m’habite déjà
Reprend racine en moi
Et me fera aller plus haut
Plus loin
Je continue pour lui.
(p. 29 — typographie et disposition modifiées)
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La force vient du monde, bien sûr. Mais un regard femme sur ce monde reste un enjeu de première importance. Le travail de l’écriture féminine s’articule depuis les profondeurs tranquilles, les soubassements ordinaires, chez Diane Boudreau. Elle tire sa force de son appréhension personnelle de la nature, du monde, des faits. Mais viennent des moments où cela ne suffit pas. La poétesse se ressource alors au sein du collectif humain. Elle tire sa force de l’humain. Elle tire aussi sa force des particularités cruciales de la sororité. C’est le stable et solide chemin de Talie.
Talie
Femme-flamme
Yeux de braise
Talie
D’où que tu viennes
Toutes les femmes
Mère fille fée
Fière Indienne
Fille du vent et de la terre
Toutes les femmes
Sont en toi
Talie
Toute la vie…
Scellée.
Précieux cristal
Au jardin de lumière.
(p. 52 — typographie et disposition modifiées)
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Le jardin de lumière se centre sur ce précieux cristal qui est femme. C’est ainsi que la constellation femme s’installe sans tambour ni trompette au sein de la poéticité fondamentale de Diane Boudreau. C’est ainsi que la poétesse alloue une attention soutenue à ses amitiés féminines.
À la source
Un oiseau de lumière
À la source même s’abreuve.
Notes neuves,
Cristallines
Se répandent dans l’espace
En poussière de lune
Pénètrent jusqu’au cœur de l’être
Y chassant l’amertume.
Claudine
Ton chant
Puissant et pur
Étrange et doux
Nous ravit,
Tel un oiseau du paradis
Venu jusqu’à nous.
(p. 35 — typographie et disposition modifiées)
.
Et ceci nous emporte, comme verte tempête des sens et des émotions, au sein de la si virulente et si contemporaine problématique des genres. Le miroir ne se casse pas. Il se gondole, il pleure aussi mais l’un dans l’autre, il se regarde, se voit et s’assume. Avec la femme c’est la communion, le raccord pacifié et ancien de la sororité séculaire et spéculaire. Le miroir n’est pas en tesson, il est en lagon, en embruns et en guirlandes boréales. Avec l’homme, les résultats sont plus aléatoires. Parfois le verbe se grippe dans le rapport de force sous-jacent et alors, oh, oh, ça ne fonctionne pas fort.
Conversation
Tu retrousses mes phrases, les fait culbuter
Leur donne crocs-en-jambe.
Tu me dépossèdes
De moi
M’étourdis
Me réduis à néant
Comme si la vie
S’enfuyait
De toutes parts
En t’écoutant.
Qui es-tu
Pour me lacérer ainsi?
Et moi
Que suis-je devenu?
Casse-tête oublié
«Modèle à recoller»
Pour tromper
Ton ennui?
(p. 43 — typographie et disposition modifiées)
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Quoi de nouveau sous le soleil et quoi de sec sous la rivière ? Mais tout n’est pas perdu et on peut tout de même suggérer que la Guerre des Roses n’aura pas lieu. En effet, le sens de la rencontre chez la poétesse arrive à mieux préserver ses atouts, quand les enjeux se densifient. Il s’agit —vieille lune fatale— de détecter le bon gars. Parfois donc, ça gaze pas fort. Et d’autres fois, ça fonctionne bien mieux.
Avec lui
Avec lui
Point n’est besoin de dire
Ou de chercher…
Tout est là
Dans la simplicité heureuse
Du sublime ordinaire
Enfin mon cœur repu
Suis arrivée au puits
Je bois
Mon infini perdu.
(p. 27 — typographie et disposition modifiées)
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C’est avec la mise en place du sublime ordinaire que se rapatrie mon infini perdu. C’est là un aphorisme de sagesse. Le recueil de poésie Blancheur inouïe contient 33 poèmes. Il se subdivise en quatre petits sous-recueils: Voyage (p 11 à 21), Jusqu’au puits jusqu’à la source (p 23 à 37), M’ancrer à la vie (p 39 à 53), et Avec le temps dans ma main (p 55 à 72). Ils sont précédés d’une dédicace (p 7) et d’un texte liminaire de deux pages (en manuscrit ronéo) intitulé Les mots viendront danser (p 8 et 9), et suivis d’une table des matières (p 74 et 75) et de remerciements en page finale. Le recueil est illustré d’une page couverture ainsi que de douze dessins de type encres et fumées (dont la teinte intégrale vire volontairement au verdâtre). Ces illustrations sont de Céline G. Lapointe.
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Extrait de la quatrième de couverture:
Des mots simples, du quotidien, qui, ordonnés à leur manière, transforment les choses, les êtres, et viennent nous rejoindre là où notre âme trouve sa source. Une fois de plus, les encres et fumées de Céline G. Lapointe accompagnent de façon remarquable cette poésie chaude, sereine et d’une grande sensibilité. De très beaux moments de paix et d’harmonie intérieure à vivre et à partager.
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Diane Boudreau, Blancheur inouïe, Diane Boudreau, 1993, 76 p.
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Magnifique Diane. J’ai hâte de t’écouter en juin. Très belle recension aussi Paul.