BRUISSEMENTS DE L’INFINI (Diane Boudreau)
Les êtres continuent de vivre
Quand même ils changent de maison
(p 55)
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YSENGRIMUS — La poésie de Diane Boudreau se présente comme une suite de courts textes jouant de sobriété et de dépouillement. Les thèmes abordés touchent le quotidien et la concrétude. Ce sont des poèmes calmes mais qui laissent habituellement sentir une tension, une intensité tellurique, qui couve. Il s’en dégage une solide harmonie entre poéticité et écriture ordinaire. Les luttes sociales y manifestent parfois la prégnance de leur douloureuse existence.
Tu me diras
Tu ne diras
Que la terre est bien dure
Le pain trop sec
Le vin trop cher
Toi qui possèdes maison
Et jardin
Manges à ta faim
Bois chaque jour
Le mal à ton dos
Fais-en cadeau
À ceux qui n’ont plus rien
Frères et sœurs de Bosnie,
Haïti, Somalie…
Tes maux de tête
…à ceux et celles couchés dehors
Ici,
Près du vieux port.
(p. 29 — typographie et disposition modifiées)
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Le souci monde est discret mais présent et ferme. La souffrance du monde est une réalité inique, insupportable et qui ne se laisse pas oublier ou taire. Les origines modestes de la poétesse expliquent en partie ces manifestations critique. Elle ne renie en rien ses origines de classe et, notamment, elle se souvient vivement qu’il fut un temps, pas si lointain, où elle ne disposait même pas de son propre écritoire.
Sans demeure
Écrire un jour
À un pupitre
Un vrai
Et cesser de mendier
Dans ma propre maison
Une pièce.
Essayer d’échapper
Au tourbillon
Où idées de papier
Disparaissent
…si ce n’était ces bouts d’écrits
À la fin d’un cahier
Pareils à des enfants sans demeure.
(p. 70 — typographie et disposition modifiées)
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Sans concession mais aussi sans ostentation, la poétesse est, tout simplement, la voix d’un temps, son temps. Les manifestations de conscience sociale émanent donc aussi directement de la réalité socio-historique que nous subissons tous. Le cas des guerres de théâtre est particulièrement exemplaire, sur ce point. Il est toujours frustrant et angoissant de se retrouver, par simple effet des forces objectives, du côté de l’oppresseur.
Irak
Dépotoir planétaire
Volcan fumant de haine
La guerre
J’ai honte des humains
Qui frappent dans le noir
J’ai honte de ma race
Et de ses jeux barbares
Ignorer?
Oublier?
Quand donc viendra le jour
Où chaque humain aura sa place?
Et, s’il en vient,
Restera-t-il assez d’air pur
Assez d’eau claire
Pour y croire?
(p. 26 — typographie et disposition modifiées)
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La lancinante perplexité, face aux crimes contre l’humanité toujours en cours, manifeste son aigreur mais ne bascule jamais vraiment dans un désespoir insondable. S’installe en filigrane et sans concession, la résilience, la résistance. Le fait est que le fait de ne pas pouvoir tout régler ne rend pas nécessairement apathique. À l’impuissance factuelle répond le tourment des idées. La confrontation avec les crises sociales raccorde la poétesse avec son héritage, notamment avec celui se transmettant de femme â femme.
Courte échelle
Elle a des gestes d’une précision
Un regard d’un aplomb
Que je n’ai jamais eu à son âge,
Cette femme
Qui vient de moi
Sans avoir mon visage
Et qui ira plus loin encore
Que tous mes chemins à la fois.
(p. 37 — typographie et disposition modifiées)
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La sensibilité femme est de toute façon omniprésente. L’être-femme prend sa place sans se tirailler pour ou la revendiquer. Il s’agit simplement de faire tourner sa facette d’existence dans l’angle que l’histoire lui a voué, angle qui, lui, se place de plus en plus sur l’axe de la plénitude. La femme fera ce que la femme a toujours voulu faire. Et ainsi, par exemple, témoin moderne de la féminité moderne, la femme contemporaine assume pleinement son aspiration au voyage.
Sur la route
Un matin de juillet,
Ressentir cette allégresse du départ
Cette ivresse de tout laisser derrière
Au hasard…
Abandonner sa vieille peau et se confondre
À l’infini sur la route…
Si ce n’était des gens que j’aime
De cette longue attente
Avant de les revoir
Je pourrais tout quitter heureuse
Dès ce soir…
(p. 63 — typographie et disposition modifiées)
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La force vient du monde où l’on assume l’extase du voyage, bien sûr. Mais un regard femme sur ce monde reste un enjeu de première importance. Le travail de l’écriture féminine s’articule depuis les profondeurs tranquilles, les soubassements ordinaires, chez Diane Boudreau. Elle tire sa force de son appréhension personnelle de la nature, du monde, des faits. Mai il vient des moment où cela ne suffit pas. La poétesse se ressource alors au sein du collectif humain. Elle tire sa force de l’humain. Elle tire aussi sa force des particularités cruciales de la sororité. C’est le stable et solide chemin de Nadie, qui, elle, entend bien ne pas exister comme femme convenue.
Nadie
«Quand bien même je suis femme
Ne dites pas madame
Ni vous, ni bonsoir
Ni talons hauts
Ni rouge aux lèvres
Ou robe du soir…
Je suis timide
J’aime la mer
Et les blés d’or
Dans les roseaux
Jambes qui dansent jusqu’aux étoiles
Bras comme branches de bouleau
…et les doigts effilés de celle
Qui cherche à tout connaître
Avec un jour d’avance
Sur la vie.
Bien essoufflée,
Inquiète,
Bien frêle aussi.»
(p. 68 — typographie et disposition modifiées)
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La mer et les blés d’or se centrent sur cette précieuse construction qui est femme. C’est ainsi que la constellation femme s’installe sans tambour ni trompette au sein de la poéticité fondamentale de Diane Boudreau. C’est pourquoi que la poétesse alloue une attention soutenue à ses amitiés féminines.
Gîte
Dans le cœur de ta maison
Ma Lise
Les gens vont et viennent
S’arrêtent, se reposent
Rêvassent, rient et causent
Et font le plein d’amour
Avant de repartir
Pour le grand tour du monde…
(p. 50 — typographie et disposition modifiées)
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Le modernisme des amitiés féminines regardant demain bien en face ne doit pas pour autant faire oublier les traditions du monde des femmes. La poétesse sent toujours solidement la ferme prise, dans le sol nourricier, de ses racines. Son héritage, notamment celui se transmettant de femme â femme, c’est aussi le rapport crucial à la mère de la mère.
Mamie bonheur
Toujours affairée
À penser, à chercher
À écrire ou à lire
À coudre, à tricoter
Sans cesse attirée
Par la vie, les défis
Nouvel air au piano
Voyages, vieux pays
Avec à côté d’elle
Les fleurs sur le patio
Les oiseaux dans la cour
Et les biscuits au four
Elle a depuis longtemps
Chassé de sa demeure
L’ennui et le malheur.
(p. 59 — typographie et disposition modifiées)
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La sagesse s’installe. Et le nouvel air de piano en vient à imposer sa loi. Il viendra éventuellement, le voyage final. On s’en avise. On y pense. On en vit. Et c’est de prendre la mesure de l’onctueux éphémère du moment que l’on s’enrichit subtilement de la voix du guide perdu, mirifiquement dissimulée dans les petits replis du temps passé, assis sur sa valise. La fusion principielle entre amitié et ardeur du voyage fonde les éléments clefs du cheminement.
Issue
Où es-tu
Guide des jours gris
Ami de toujours
Alors que le chemin ici s’arrête?
Sur ma valise, assise,
L’horizon collé au front,
Je cherche l’issue
De l’intérieur,
Le passage secret
Imprévisible…
(p. 47 — typographie et disposition modifiées)
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Le voyage poétique ne s’interrompt jamais vraiment. Le recueil de poésie Bruissement de l’infini contient 45 poèmes. Il se subdivise en quatre petits sous-recueils: Venus d’ailleurs (p 11 à 19), Par une brèche (p 21 à 31), Au-delà de l’horizon (p 33 à 43), et Avant la traversée (p 45 à 75). Ils sont précédés d’une dédicace (p 7) et d’un poème liminaire d’une page intitulé Bruissements de l’infini (p 9), et suivis d’une table des matières (p 77 et 78) et de remerciements (p 79). Le recueil est illustré d’une peinture à l’huile de Paul Marie en page couverture ainsi que de onze photographies en noir et blanc (dont la teinte intégrale vire volontairement au verdâtre). Ces photographies sont de Claire Blanchard, Julie Charest, Denis Pelchat, Denis Tessier et Sophie Tessier.
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Texte de la quatrième de couverture:
«Ces poèmes éveillent une nostalgie de l’intouchable de l’au-delà… réveillent force, courage et goût de poursuivre… Je les sens comme ces bouquets de fleurs fraîches que l’on veut éternelles.»
Pierrette Martel Giroux
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Diane Boudreau, Bruissements de l’infini, Élisa Blanche Éditions, 1997, 79 p.
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