De la militarisation de la répression à la répression militaire
Par Khider Mesloub. Le 22.04.2019. Sur le webmagazine Les7duQuébec.com
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Déferlante populaire ou populiste ?
En cette période de soulèvements populaires déferlant partout dans le monde, depuis la France avec les Gilets jaunes jusqu’au au Soudan, en passant par le Venezuela, le Yémen et l’Algérie, l’unique réponse apportée par les gouvernants aux manifestants revendiquant leur droit de vivre dignement, est la répression. De toute évidence, dans tous les pays en proie aux révoltes sociales, l’État muscle son bras armé, affirme sa puissance, manifeste sa force écrasante, dresse des remparts de plexiglas pour défendre son ordre établi. Aux revendications légitimes du peuple, il répond toujours avec plus de férocité par la répression.
Et cette répression policière prend de nouvelles formes. En effet, la police s’appuie sur un armement toujours plus impressionnant et sophistiqué pour défendre l’ordre capitaliste. En France, avec les manifestations des Gilets jaunes, les violences policières ont été extrêmement sanglantes. À chacune des manifestations organisée le samedi, on a dénombré des centaines de blessés graves causés par la répression policière. De nombreux manifestants ont été éborgnés par les tirs des flashball. Contre les manifestants, la police utilise régulièrement des armes de guerre. À chaque manifestation des Gilets jaunes, les forces répressives vident leurs réserves de gaz lacrymogène et de grenades, preuve de l’acharnement de ces forces de l’ordre à charger et à mater violemment les manifestants. En outre, les charges sans sommation, les tirs de balles en caoutchouc et de grenades lancés intentionnellement se sont notablement multipliées. De surcroît, au cours de ces opérations de répressions, outre l’usage inattendu de blindés militaires pour réprimer les manifestants, le gouvernement Macron a appelé en renfort l’armée pour suppléer les forces policières dans le maintien de l’ordre établi.
Ainsi, rien n’arrête l’escalade répressive policière. De manière générale, ces dernières années, lors des manifestations, les forces de l’ordre utilisent fréquemment des LBD (les Lanceurs de Balle de Défense). En France «démocratique» (sic), cette arme de guerre a été introduite en 1995. Le LBD 40, ressemblant à un fusil, possède la précision d’une arme de guerre. C’est d’ailleurs l’argument avancé par l’Etat pour légitimer la généralisation de cette arme létale, pour «démocratiser» l’usage de cette arme de guerre. Assurément, une arme de guerre utilisée par un pays «démocratique» a toujours des vertus médicinales : elle soigne les manifestants contre leur fébrilité subversive, leurs pulsions insurrectionnelles. De même, dans un pays de droit, la guerre « démocratique » menée contre les «pays sous- développés dictatoriaux» est toujours propre, légitimement votée par les représentants des citoyens. Grâce à ses opérations chirurgicales menées avec des armes d’une grande précision, la «guerre démocratique» ne fait pas de morts, mais uniquement des victimes collatérales.
Quoi qu’il en soit, le LBD a été initialement employé par les policiers de la BAC (Brigade anticriminalité) patrouillant dans les quartiers populaires, ces cités dortoirs où sont parquées les classes populaires assimilées aux classes dangereuses. Après expérimentation sur les populations paupérisées souvent issues de l’immigration, cette arme de guerre s’est généralisée, banalisée, «démocratisée», puisqu’elle sera ensuite massivement utilisée lors des répressions policières contre les manifestants pour pacifier leurs ardeurs revendicatives, leur apprendre la docilité, l’obéissance, la soumission. Aujourd’hui, aussi bien dans les manifestations que dans les quartiers populaires, les forces répressives n’hésitent plus à utiliser fréquemment cette arme de guerre contre la foule. Les blessures causées sont souvent très graves. Et le nombre de personnes blessées, mutilées et même tuées par cette arme de guerre est considérable.
Au reste, les Lanceurs de Balles de Défense (LBD) introduisent une véritable logique de guerre. Cet arsenal de guerre a pour « vocation » de mutiler et de terroriser la population insubordonnée, révoltée. Ces dernières décennies, les répressions policières s’étendent toujours des marges de la société turbulente vers la population civile urbanisée pacifique. Particulièrement vrai lors des mobilisations revendicatives, toujours en pleine expansion du fait de l’accentuation de la crise économique.
Aussi, assistons-nous à la banalisation de la répression, de la violence policière. Certes, au départ, la répression policière s’est exercée, en guise d’expérimentation, uniquement contre les marges de la société « déviante », les classes pauvres des cités populaires. Mais, avec l’aggravation de la crise économique et politique, sur fond de précarisation et de paupérisation de la petite-bourgeoisie, accompagnée de révoltes sociales récurrentes, la répression policière s’est étendue de plus en plus à l’ensemble de la population toujours autant massivement mobilisée dans les manifestations pour protester contre la dégradation de ses conditions sociales. En effet, après avoir sévi longtemps particulièrement contre les manifestations radicales politiques et les quartiers populaires en ébullition, la répression policière se généralise aujourd’hui à toute la société civile mobilisée dans les mouvements sociaux. Elle s’abat sans distinction sur tous les rassemblements, quel que soit le but des revendications. L’objectif est d’éviter l’occupation de la Rue par le peuple. D’empêcher de transformer la rue en Espace Public de liberté. Car tout espace public de liberté est propice au développement de la solidarité entre manifestants, à l’éclosion du débat politique entre égaux, à l’épanouissement d’une fraternité au sein du mouvement, et par voie de conséquence à la naissance d’une force collective populaire capable de disputer le pouvoir aux instances dirigeantes dominantes. Autrement dit, la rue devient un Contre-pouvoir.
Qui sème la répression récolte l’insurrection
En Algérie, aujourd’hui, à la faveur du soulèvement emblématique populaire contre le système (entendre ici le système FLN la faction au pouvoir), les vieux démons répressifs s’emparent à nouveau du Méphistophélès étatique algérien. Le prurit de la répression démange son corps policier et militaire. Décidément, ce régime est né dans la guerre pour l’obtention de l’indépendance acquise grâce aux sacrifices de la population, et se perpétue par la guerre livrée à la population mise sous dépendance.
Ainsi va la société sécuritaire policière algérienne fondée sur une insécurité sociale et économique généralisée de la population. Le régime nous a toujours nourris de peur et de matraques. En Algérie, la pacification des mouvements sociaux s’opère toujours par la répression policière, voire l’intervention sanglante militaire. La satisfaction des revendications démocratiques, par la militarisation de l’État (comme dans tout autre État démocratique bourgeois – la force de la répression dépend de la force de l’insurrection). Paradoxalement, au moment où la « société civile » (sic) algérienne s’installe pacifiquement dans la rue pour la transformer en Agora, l’armée s’empare du gouvernorat pour gouverner militairement par el Hogra. Au moment où le nouvel homme fort du régime affaibli, Ahmed Gaïd-Salah, appelle le peuple algérien pacifique à l’apaisement, il ordonne à son bras armé, les forces répressives, de réprimer violemment les manifestants pacifiques.
La répression ne peut que renforcer la détermination et la colère du peuple algérien déjà aguerri à poursuivre son combat contre ce régime grabataire illégitime. La répression contre le mouvement ne peut que le rendre encore plus populaire. Qui plus est, les Algériens victimes de violences policières vont se radicaliser et comprendre la véritable nature de l’État bourgois : être au service de la classe dominante et gouverner par la répression si requis. En outre, l’opposition du peuple algérien aux violences policières va fédérer leurs forces pour mieux organiser leur résistance, et contribuer à la convergence de leur lutte.
Ironie de l’histoire, un coup de matraque ou une bombe lacrymogène aiguise davantage la conscience politique d’un peuple que des années de militantisme professé par des partis politiques. La répression policière accélère l’émergence de la conscience de classe plus vite que des années de campagnes électorales. De fait, les campagnes-mascarades électorales ont exactement l’effet contraire – elles contribuent à émousser la conscience de classe prolétarienne. Elle permet de comprendre la fonction réelle de la police et de l’armée dans une société de classe. En effet, la police n’a qu’une seule fonction : et ce n’est pas de faire la circulation, ni de lutter contre la délinquance ( par ailleurs sous-produit de la société de classe, car la misère engendre immanquablement la criminalité). La police est créée pour mater les révoltes et maintenir l’ordre existant, autrement dit pour assurer la protection et la tranquillité des classes possédantes.
Depuis l’indépendance, l’Algérie est coutumière des violences policières et militaires. Inutile de citer toutes les dates marquées du sang des centaines de milliers d’Algériens blessés ou assassinés. Le régime ne s’est jamais départi de ses réflexes répressifs meurtriers. Aussi, en cette période de soulèvement populaire contre le Système, après quelques semaines de tolérance, le régime dévoile-t-il son véritable visage. Après une courte phase de «tolérance» débonnaire et calculée, à nouveau les répressions policières s’abattent sur le peuple algérien. En effet, plusieurs manifestations ont été brutalement réprimées. La police a fait usage de canons à eau et de grenades lacrymogènes pour disperser des manifestants pacifiques. Plus alarmant, lors de la répression d’une récente manifestation d’étudiants à Alger-centre, la police a fait usage d’armes de guerre, des canons à son.
Comme l’écrit Said Salhi, vice-président de la Ligue des droits de l’Homme (LADDH), « Des camions NIMR ISV avec dispositif de canon à son fabriqués en Algérie ont fait leur apparition cette semaine à Alger pour disperser les manifestants pacifiques, alors qu’ailleurs dans le monde notamment aux USA, ils sont interdits pour leur impact nocif sur la santé des citoyen-ne-s, causant des pertes d’audition et autres graves dommages allant jusqu’à la mort». La petite bourgeoisie militante aime bien exposer ses plaies pour attirer la compassion du pouvoir et réclamer la clémence de la dictature bourgeoise. Le petit-bourgeois ne veux pas remettre en cause la dictature bourgeoise – simplement en contester la violence outrancière. Il faut se demander : comment se fait-il qu’après toutes ces années de répression meurtrière sans relâche, encore cette fois, les petits bourgeois soient surpris de voir la dictature bourgeoise se manifeste dans toute sa violence implacable ? À moins que cette surprise soit feinte… mais dans quel but alors ?
Après l’emploi des armes létales pour disperser les manifestants pacifiques, l’armée « populiste algérienne » se prépare-t-elle, comme en Égypte ou en Tunisie, à entrer en scène pour procéder à la « pacification » du pays en proie au soulèvement populaire, cette fois non pas contre la faction FLN du Système, mais contre l’ensemble du Système capitaliste dictatorial ?