7 au Front

Le déclin du mouvement des Gilets jaunes

Par Khider Mesloub.

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20.05.2019_English-Italiano-Spanish-Portuguese-Yellow

 
Surgi spontanément sur un terrain social léthargique, dans une France qui s’ennuyait, le mouvement des Gilets jaunes a bouleversé assurément le paysage politique. En effet, si, avec l’élection de Macron, le panorama politique traditionnel gauche-droite a été pulvérisé en vue d’introniser la pseudo Révolution macronienne à l’Élysée, l’éruption du mouvement des Gilets jaunes a, quant à lui, accentué le phénomène de putréfaction politique par la disqualification de tous les partis, y compris la nouvelle formation macronienne censée s’implanter définitivement dans l’arène politique.
 

En revanche, si, au départ, le mouvement Gilet jaune a fait trembler sur ses bases le gouvernement par sa radicalité revendicative et sa combattivité subversive, rapidement il a commencé  à s’essouffler du fait de son fourvoiement sur des voies étriquées politiciennes exprimées par ses revendications petites-bourgeoises « citoyennes, civiles, populistes et référendaires », notamment par le fumiste Référendum d’Initiative Citoyenne (RIC).

 
En effet, la tare principale du mouvement Gilet jaune est son absence cruelle de programme prolétarien, d’où le retrait du prolétariat des processions hebdomadaires. Sa feuille de route est jalonnée de revendications émiettées et décousues, improvisées tout au long de son parcours de lutte. Tracée dans le feu du combat par des femmes et des hommes novices en politique, dépourvus de toute formation politique prolétarienne et d’expérience militante ouvrière, orientée par ailleurs par une petite-bourgeoisie qui souhaitait exprimée sa hargne de ne pas recevoir du capital ce qu’elle estime lui être due, tenant le rôle de maitre de chantier des réformes patentées, cette feuille de route ne pouvait inexorablement mener le mouvement social que dans un cul-de-sac. Au vrai, le mouvement Gilet jaune n’aspirait nullement à emprunter la voie de la révolte sociale consciente, encore moins celle de la révolution. Incidemment, ces orientations ne sont jamais le moteur du soulèvement initial, elles se dessinent au fur et à mesure du développement de la lutte suivant la répression que la réaction met en place pour écraser le mouvement et selon la maturation du contrepouvoir populaire face à cette réaction. Encore faut-il que les conditions objectives et subjectives de la Révolution prolétarienne soient à maturité. Ce n’était pas le cas cette fois-ci… Partie remise.
 
Porté par une petite-bourgeoisie enragée précarisée et paupérisée, en phase de prolétarisation avancée, toujours arcboutée à l’idéale de l’ancienne société de l’État-providence fétiche, la petite-bourgeoisie a tenté vainement de réformer ce capitalisme social qui lui assurait une existence privilégiée au sein de la « société démocratique française» (sic), la République des laissés pour compte d’en-bas. En fait, le mouvement des Gilets jaunes s’est battu pour l’instauration du pouvoir populaire, mais érigé sur un capitalisme utopique rénové, assurant soi-disant une équitable redistribution des richesses, garantissant l’aplanissement des clivages sociaux et l’éradication des crises économiques. Un capitalisme moralisé, humanisé, reverdi, immaculé, qui plus est dirigé par des politiciens et des patrons intègres. En un mot : un capitalisme de rêve. Chimérique. Utopique. Impossible… car le mode de production capitaliste n’a pas été conçu pour cet objectif. Nous y reviendrons dans notre prochain éditorial.
 
À l’évidence, l’enchantement provoqué par ce mouvement, notamment parmi de nombreux militants révolutionnaires, est dû à son radicalisme subversif initial objectivé par ses attaques frontales contre l’État des riches; à sa combattivité insurrectionnelle opérée en dehors de l’encadrement des organisations politiques et syndicales de gauche comme de droite. Mais l’illusion a été de courte durée. Car cette radicalité combattive détruisait certes quelques symboles des riches, mais n’était pas en mesure d’anéantir le capitalisme… seul remède aux maux qui accablent le prolétariat et le peuple tout entier.
 
Aujourd’hui, le déclin du mouvement des Gilets jaunes est patent. D’aucuns, dans un sursaut de survie, s’échinent à pérenniser le mouvement. Et pour cause. Certains, notamment les célèbres meneurs, propulsés sur le devant de la scène par les médias bourgeois, maintenant habitués aux lumières des plateaux télé, appréhendent avec désarroi leur relégation dans l’ombre, leur retour à l’anonymat. D’autres, accoutumés aux liens de solidarité et d’amitié noués au cours de cette longue période de lutte, craignent la rupture de cette vie fraternelle, le renouement avec la solitude sociale.
 

Aussi, pour justifier la pérennité du mouvent, se proposent-ils de se lancer dans des actions spectaculaires et retentissantes. C’est ainsi qu’ils ont annoncé, dans leur compte-rendu voté lors de la 2e Assemblée des assemblées tenue à St-Nazaire le 6 avril 2019, une série d’actions étalée sur plusieurs mois. (1) Actions appuyées sur les mêmes rêveries petites-bourgeoises citoyennes : « Justice sociale », « Justice fiscale », « Capitalisme écologique », « Démocratie électoraliste référendaire ». Nous avions les révolutionnaires du Weekend, nous aurons des révolutionnaires calendaires, résolus à lutter, mais selon un agenda agencé en fonction d’un calendrier politique respectant le planning familial et professionnel de la société et des membres du mouvement en tenant compte de la disponibilité de chacun, car nos révolutionnaires calendaires ont des impératifs professionnels journaliers à respecter et des loisirs réguliers à consommer.

 
Quand on veut s’attaquer à la société du capital, on ne s’affiche pas par la divulgation solennelle d’un calendrier de lutte où sont consignées les actions à mener. Actions par ailleurs inefficaces – sans conséquence économiques et qui risquent d’être renvoyée aux calendes grecques. Quand on souhaite la Révolution, on agit spontanément hic et nunc.
 
Quoi qu’il en soit, l’idéologie du mouvement des Gilets jaunes demeure prisonnière de l’idéologie de la classe dominante. Bien qu’il lutte contre le gouvernement (alors que c’est contre l’État et contre le capital que la guerre doit être menée), ce n’est certainement pas pour détruire la forme de gouvernement bourgeoise. Il nourrit toujours l’espoir d’élire un autre pouvoir « plus démocratique », mais dans le cadre du maintien du capitalisme et de la défense des intérêts de la « nation française », dans le prolongement de l’esprit de la Révolution bourgeoise de 1789. En effet, par-delà le caractère hétérogène du mouvement (ce mouvement est composé d’un prolétariat périphérique, d’une classe moyenne précarisée, et de la petite bourgeoisie paupérisée – petits patrons, artisans, autoentrepreneurs), s’expriment incessamment les mêmes revendications : illusoire pouvoir du peuple démuni, démocratie directe via le processus électoral verrouillé par la bourgeoisie, impossible fermeture des frontières « nationales » qui n’existent plus, chauviniste défense de la patrie contre la pseudo invasion et la soi-disant domination d’étrangers vas nu pied sans le sous, futile protestation contre la finance cosmopolite, et le capitalisme mondialisé. Il ne s’agit pas de dénoncer, mais d’abattre réellement – concrètement – complètement l’ensemble de la superstructure capitaliste bourgeoise moribonde. Cet exploit ne se fera pas en marchant dans les rues le weekend. Seule, la grève prolétarienne générale illimitée pourra asphyxier le capital – le privé du sang de la plus-value prolétarienne – jusqu’à l’abattre et l’exterminer. Cette fois-ci, le prolétariat a évalué que les conditions de cette grève insurrectionnelle n’étaient pas réunies.
 
Une chose est certaine : ce mouvement s’étiole, périclite. Il est voué à disparaitre sans avoir pu être récupéré par les partis de gauche comme de droite. Espérons qu’aucun candidat frauduleusement « Gilet jaune » ne survivra à la vague réactionnaire des élections européennes. En tout état de cause, grâce à l’émergence de ce mouvement, la nature réactionnaire et répressive de l’État des riches a été dévoilée. La démocratie bourgeoise française a révélé sa véritable essence totalitaire réactionnaire par son mépris de classe exprimée par l’ensemble de la classe dominante (chef d’État, dirigeants politiques, médias à la solde, intelligentsia hystérique), par les sévices des policiers, par les morts et les mutilations provoquées, par les répressions policières, par les rafles des manifestants, par les arrestations massives abusives, par les condamnations démesurées, par les emprisonnements considérables de manifestants et le fichage systématique des militants. La gauche se propose de faire barrage à l’extrême droite, quelle fadaise. Elle est au sein de l’Assemblée nationale, de l’exécutif gouvernemental et de l’appareil d’État bourgeois ainsi qu’au sein de la gauche électoraliste et écologiste l’extrême droite.
 

Le mouvement des gilets jaunes a été une formidable école d’apprentissage du soulèvement social dont chaque militant prolétarien révolutionnaire a le devoir de tirer les enseignements qui nous serviront lors du prochain soulèvement.


 

Note

  1. http://www.les7duquebec.com/7-dailleurs/compte-rendu-de-la-seconde-assemblee-des-assemblee-des-gilets-jaunes-st-nazaire-avril-2019/

2 réflexions sur “Le déclin du mouvement des Gilets jaunes

  • Sinclair

    Il est un peu tôt pour enterrer le mouvement des gilets jaunes. Le clivage gauche/droite est lui par contre bien enterré. Le peuple des ronds-points pourrait encore réserver des surprises au système libéral.

    Répondre
  • robert bibeau

    salut robert
    Je viens de lire l’ article de Mesloub sur les gilets jaunes , il passe d’ une extrémité à l’autre, déçu je pense que le GJ n’ entre pas dans le cadre de ses prédictions. Il en arrive au final à dire la même chose que Simon « les révolutionnaires du WK »
    http://www.echangesetmouvement.fr/2019/01/gilets-jaunes-et-apres/
    « On n’est jamais insurgé dans la rue un seul jour par semaine. Une véritable insurrection ne comporte pas la limite d’un jour et le retour aux habitudes. Il y avait dans cette extension hebdomadaire l’espoir qu’il y avait eu quelques avancées locales avec la participation de certaines catégories professionnelles (routiers, raffineries notamment) de voir le mouvement ouvrier prendre le relais comme cela s’était produit avec le mouvement étudiant en Mai 68. » HS
    Bien a toi GB

    Répondre

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