7 au Front

L’Algérie tiraillée entre script caporalisé égyptien et scénario politique innovant

Après trois mois de manifestations titanesques exigeant le départ du « système » (sic), marquées par la participation de millions d’Algériens de tous âges et de toutes conditions sociales, on note aucun changement politique notable. Excepté le congédiement forcé du président Bouteflika, ordonné par le général  Ahmed Gaïd Salah intervenu sous la pression menaçante du soulèvement populaire, et aussi l’incarcération de quelques cacochymes corrompus du régime, le « Système » trône toujours souverainement au pouvoir. L’oligarchie règne toujours en maîtresse absolue du pays. Elle détient encore royalement les leviers de l’État. Admettons qu’il ne saurait en être autrement sans le renversement de l’État et du mode de production capitaliste en Algérie impérialiste.
 
De fait, depuis la destitution de Bouteflika, l’armée du régime assure l’intérim de la présidence. Son président autoproclamé Ahmed Gaïd Salah gère le pays comme une caserne : avec autorité. Il dirige le pays d’une main de fer dans un gang de vautours. Le chef d’État-major en impose avec son opulente personnalité massivement écrasante de force armée. Quoi qu’il en soit, l’institution militaire démontre qu’elle demeure la fraction dominante du pouvoir-le dernier rempart du « Système ». Elle prouve qu’elle est la seule instance « politique » à assurer la pérennité du pouvoir, la sauvegarde des intérêts généraux (généreux) de la bourgeoisie nationale – liée au capital international par un faisceau d’intérêts financiers – et des structures étatiques algériennes.
 
De fait, semaine après semaine, dans ses déclarations alternant l’éloquence bienveillante et la rhétorique comminatoire, le général Ahmed Gaïd Salah s’impose comme l’homme fort de l’immuable pouvoir superficiellement purgé. Lentement mais sûrement, l’État-major de l’armée intronise son hégémonie sur l’exécutif. Dans ses conseils des ministres ambulatoires constitués de sa seule personne, le chef d’État-major souffle le chaud et le froid. Il étreint le peuple, puis il éreinte le peuple (un scénario à l’égyptienne?).  Il le hausse à la dignité d’entité mâture respectable, puis il s’adresse à lui comme à un enfant soumis au devoir d’obéissance. Feignant d’ignorer que le peuple algérien a acquis enfin depuis le 22 février son émancipation politique (!?…), le généralissime persiste à le considérer comme un éternel mineur. Un jour il lui promet des épousailles, le lendemain il le menace de représailles, s’il manifeste trop de liberté et s’entête à vouloir contracter librement un mariage politique novateur avec son nouvel amoureux « pays démocratique modernisé à l’Occidentale« , enfin affranchi de la tutelle de ce pouvoir mafieux… et aspirant à son suppléant pègreux.
 
Cette posture d’autocrate galonné tenté par le pouvoir (présidentiel) n’est pas sans rappeler celle du « maréchalissime » Sissi.  Rappelons brièvement la situation de l’Égypte marquée en 2011 par le soulèvement populaire, appelé Tahrir. Début 2011, durant deux mois, des millions d’Égyptiens descendent dans la rue, occupent la place Tahrir, pour exprimer leur rejet du régime, et surtout pour réclamer du pain et des logements pour les familles… ce qu’ils n’obtiendront jamais. En effet, sur la Place Tahrir, l’épicentre de la révolte, des millions de citoyens égyptiens (dirigés par les petits-bourgeois en révolte et les caciques de l’opposition officielle) semblaient  exiger la démission de Moubarak et la fin du « Régime ou Système » (sic). Aux cris de « Moubarak, dégage ! », ou encore «  ‘Aïch, horia, ‘adala edjtéma’ia ! » – « Pain, liberté, justice sociale ! », ils réclamaient le départ du régime despotique, comme expression de leur besoin de meilleures conditions de vie et de travail.
 
Acculée par l’éruption dangereuse des travailleurs engagés dans de puissantes grèves illimitées (voilà où résidait le réel danger), l’armée ( considérée par les bourgeois manifestants comme unie au peuple) a poussé Moubarak vers la sortie, pour organiser, assurait-elle, des « élections libres » (ce qui n’existe nulle part en régime capitaliste). Le 11 février 2011, en dépit du bilan meurtrier de la répression policière, évalué à plus de 850 morts, le peuple égyptien floué fête dans la liesse l’éviction d’Hosni Moubarak.
 
La suite, tout le monde la connaît : les Frères musulmans, seule force alternative du pouvoir bourgeois très structurée et manipulée par l’armée, a remporté les élections. Leur propulsion inespérée au pouvoir a prouvé cette évidence politique : changer de gouvernement par les élections bourgeoises ne change rien à la situation économique, politique et aux conditions sociales du peuple, sinon qu’elles offrent aux masses la possibilité d’élire une nouvelle bande de malfrats et de saltimbanques. En effet, le gouvernement islamiste dirigé par Morsi, allié aux Frères  musulmans, ces adeptes de la religion qui prêche la soumission à l’ordre dominant, a dévoilé son incapacité à  gérer le pouvoir inter-factions parmi le panier de crabes égyptien. Mais surtout, il s’est évidemment révélé tout autant corrompu que l’ancien régime. Et sa politique réactionnaire islamiste, illustrée par son entreprise dictatoriale d’imposer une « moralité » islamique moyenâgeuse, a suscité beaucoup d’hostilité parmi la nouvelle génération moderne urbaine. Voilà l’explication de ce pourquoi l’armée dûe prendre la relève. Le mode de production féodale est disparu d’Égypte comme il est disparu d’Algérie.
 
Évidemment, au cours de  la période  de gouvernance islamiste, le véritable pouvoir est demeuré concentrer entre les mains de l’armée, la seule force en mesure d’assurer l’ordre capitaliste au niveau national (au profit des puissances internationales).  En 2013, des mouvements  de protestation renouent avec l’esprit de révolte de 2011. Des grèves sont déclenchées car aucune des revendications fondamentales des travailleurs n’ont été satisfaites (pain, salaire, logement). Au plus fort de la nouvelle vague de contestation, on dénombrait plus de 14 millions de manifestants (plus fort que les Gilets jaunes !). Le maréchal Al Sissi assure la population laborieuse révoltée de sa protection (sic- Il y a péril en la demeure!). Il déclare que l’armée protège les manifestants, qu’elle est l’alliée du peuple (sic). Il garantit une transition « démocratique bourgeoise » du pouvoir. Ainsi, le « maréchalissime » Al-Sissi soutient le peuple égyptien comme la corde soutient le pendu !
 
En juin 2013, sous l’effet conjugué de la crise économique et de l’exacerbation de la colère des masses paupérisées, Morsi (le féodal) est préventivement  « détrôné » par l’armée afin d’éviter la transformation de la révolte du peuple en insurrection contre l’État. Ce coup d’État suscitera une opposition totale de la composante islamiste (aristocratique-féodale) contre le nouveau régime militaire. La réaction du pouvoir est sanglante : un massacre impitoyable de manifestants.
 
Au final, le maréchal Sissi récupère la révolte (qui ne fut jamais une Révolution sociale). Un nouveau «gouvernement civil-bourgeois» est mis sous tutelle de l’armée. Les mouvements sociaux sont réprimés. Les manifestants emprisonnés ou massacrés. La terreur étatique renoue avec les vieux démons répressifs de l’ancien régime de Moubarak. La résistance féodale pro-Morsi tente de s’organiser. Mais sans  succès. Elle est réprimée dans un bain de sang : un millier de morts le 14 août 2013 sur la place Rabia, au Caire. Un an plus tard, en mai 2014, le maréchal Al- Sissi, adoubé par les États-Unis, est plébiscité à la présidence de la République avec 97% des suffrages exprimés. Une fois élu président, il accentue la répression et adopte une politique économique foncièrement libérale. Depuis l’élection de Sissi, l’armée joue un rôle central dans l’économie. L’État militaire égyptien réprime dans le sang toute protestation menaçant ses intérêts économiques et politiques.
 
En tout état de cause, depuis le putsch militaire du maréchal Al-Sissi, les espoirs nés du soulèvement de 2011 se sont évaporés. Depuis lors, le peuple égyptien est confronté à une dégradation dramatique de sa situation économique et à la main de fer du pouvoir dictatorial militaire. Indubitablement, les « Printemps arabes » se sont mués en Hiver glacial. En effet, de la Tunisie à la Syrie en passant par l’Égypte et le Yémen, les fameuses révoltes, assimilées mensongèrement à des révolutions, ont connu des issues dramatiques (!) Ces soulèvements populaires ont débouché soit vers la guerre civile (animée par des mercenaires djihadistes stipendiés par les puissances impérialistes), la récupération islamiste (les thuriféraires aristocratiques des pays du Golfe Persique) ou la dictature militaire bourgeoise quand les mascarades électorales ne donnaient pas le résultat escompté.
 
Quoi qu’il en soit, ces révoltes ont échoué dans leur entreprise de transformation « démocratique-bourgeoise » et sociale de leur société. Et cet échec s’explique par la nature de la lutte de classe dans ces États néocolonisés. Dans ces pays, comme  dans de nombreux pays compradores, dominent des familles et des clans héritages du passé féodal pas si éloigné, gouvernant leur État comme une entreprise familiale privée-reliquat de l’époque féodal archaïque. En effet, ces familles et ces clans néoféodaux concentrent les richesses et  le pouvoir dans des États patrimoniaux. De là s’explique leur détermination à se battre jusqu’à l’extermination totale de « l’adversaire » (le peuple i.e. le prolétariat) pour conserver leur pouvoir. Au  reste, l’appareil militaire, les instances politiques et la classe bourgeoise sont confondues dans une même oligarchie corrompue. Cette aristocratie, l’armée, la bourgeoisie affairiste et d’État, règnent en maîtres absolus sur ces pays. Mais, quand l’aristocratie parasitaire menace d’exterminer la source de toute valeur en mode de production capitaliste (le prolétariat), alors la bourgeoisie d’affaires et du commerce, et son armée entrent en scène pour calmer le jeu et sauvegarder le prolétariat assujetti – source de toute richesse marchande.
 
À l’évidence, pour revenir à l’Algérie, l’enlisement de la situation politique algérienne n’augure rien de bon. En effet, depuis quelques semaines, un bras de fer entre le « nouveau peuple algérien moderne » conscient de sa mission historique et le régime grabataire aujourd’hui cristallisé par son chef d’Etat-major, désespérément accroché à ses réflexes de « despotisme constitutionnaliste », est engagé.  Quelle  que soit l’issue de la crise, l’Algérie est croit-on transfigurée. Elle arbore fièrement un nouveau visage rayonnant d’assurance en son avenir « démocratique » et progressiste déclare la petite-bourgeoisie qui a cru son heure venue.
 
Assurément, depuis le 22 février 2019, date symbolisant sa « nouvelle indépendance », tout le pays s’est métamorphosé en kermesse festive. L’espace public mué en agora permanente. Dans une effervescence réformiste sans précédent, le peuple algérien a pris possession de la Rue. Il a élu domicile dans la rue, métamorphosée en Espace Public de Liberté, transformée en Assemblée Populaire Délibérative.
 

En tout état de cause, en Algérie, cet événement  marque l’avènement d’un Algérien moderne sur la scène historique politique,  l’essor d’une nouvelle génération d’agents sociopolitiques, l’éclosion d’une subjectivité politique exceptionnelle, l’éveil d’une mentalité « révolutionnaire » prodigieuse, la naissance d’un renversement du rapport psychologique entre gouvernés et gouvernants, l’annihilation de toutes les inhibitions inhérentes à une société algérienne sclérosée soumise depuis des siècles à la colonisation étrangère et intérieure, l’étiolement de toutes les frustrations, l’effondrement de toutes les hiérarchies, l’éclatement  du conformisme culturel et communautaire, l’affirmation de l’autonomie individuelle, le déclin des transcendances terrestres et célestes, la désacralisation de l’autorité, la délégitimation de la souveraineté despotique, la libération réelle de la femme, l’aube de l’égalité des sexes, le crépuscule du patriarcat, le début de la sécularisation de la société algérienne, la restauration de l’authentique identité culturelle algérienne expurgée de ses excroissances orientales moyenâgeuses, le renouement avec l’humour et l’esprit de dérision longtemps cultivés par les Algériens, l’épanouissement de la culture de l’espoir vecteur d’une vie meilleure et de la volonté de la transformation sociale hic et nunc.

 
Aujourd’hui, pour asseoir son autorité moribonde, imposer sa feuille  de route transitoirement militarisée, l’exsangue régime fantomatique en sursis, dirigé ostensiblement par le chef  d’Etat-major, tente sous divers prétextes d’étouffer toutes les voix dissidentes, même les plus « démocratiques », particulièrement celle du peuple, l’unique voix (voie) légitime. De fait, actuellement, l’Algérie est ballottée entre la tentation du script caporalisé égyptien à la Sissi conduit par le chef d’État-major et le parachèvement du scénario civil « révolutionnaire » écrit, réalisé et joué par l’ensemble du peuple libre algérien.
 

Quand bien même la contre-réforme triompherait par la dictature militaire, l’Algérie aura accompli sa réforme culturelle, mentale, psychologique, intellectuelle, politique. L’Algérie aura vécu une expérience collective emblématique, gravée dans toutes les rues du pays, occupées  durant des semaines par le peuple algérien viscéralement épris de liberté et d’égalité sociale. Quoi qu’il en soit, ce ne  serait que partie remise. Car le grandiose mouvement de réforme du 22 février constitue la répétition générale d’une Révolution future victorieuse, inscrite dans une perspective de révolution prolétarienne mondiale.

 
Mesloub Khider

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