PENSÉES ENVOLÉES (par SIORIS)
Sans la liberté de blâmer, il n’y a point d’éloges flatteurs
Sioris
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YSENGRIMUS — L’architecte, scénariste et poète Sioris [Paul Henri Denis Sirois] fait circuler, ces temps-ci (2019), sous le manteau, dans les Basses-Laurentides, le recueil de ses Pensées envolées. Déjà, en partant, il y a ceux qui en seront et ceux qui n’en seront pas car, mutin et matois comme un singe, Sioris procède à une distribution sélective et hautement parcimonieuse de son œuvre, artisanalement éditée. Moi-même, laurentidois de verte souche, je ne suis parvenu à mettre la patte sur un exemplaire que grâce à la générosité pure, méthodique et exotérique de la Salonnière des Basses-Laurentides qui me l’a gentiment prêté. Une portion de la dédicace paraphée de Sioris à icelle se lit d’ailleurs comme suit:
À une rare messagère
Tel un ange venu sur terre
Des Pensées envolées
Et autres textes variés
Merci de ta belle amitié…
L’ouvrage est une collection d’aphorismes, de saillies et d’apophtegmes classifiés soigneusement et alphabétiquement par catégories, comme en une sorte de glossaire ironique et farfelu. Cet exposé échancré contient quelques poèmes épars, miniatures en prose diverses et illustrations en noir et blanc (que l’on doit à l’illustrateur Joé), mais surtout il décline plusieurs centaines d’aphorismes, de saillies et d’apophtegmes. L’appréhension de ce corpus savoureux, aussi massif que biscornu, nous permet justement de mieux stabiliser, dans notre esprit, la distinction entre ces trois types de brèves maximes. L’APHORISME est une courte formulation philosophique groupée, serrées et mobilisant impérativement les efforts de la pensée rationnelle et les priorités de la sagesse (Exemple, digne d’Héraclite: Quand on a un doute, on peut au moins avoir une certitude). La SAILLIE est une joke, une plaisanterie brève qui fait rire et sourire mais qui, par-dessus tout, surprend pour son incongruité et son adresse à dérouter par l’amusette (Le comble du ridicule, ce n’est pas de vouloir être aussi bon tireur que Lucky Luke mais de se faire tuer par son ombre). L’APOPHTEGME, pour sa part, est une phrase mémorable, brève aussi, et qui restera imprimée dans notre mémoire pour son originalité lancinante ou sa force de frappe imagée (Lorsque le mensonge en entraîne un autre, le rouge devient une couleur froide dans le brasier d’un iceberg). Ces trois types de maximes ne sont évidemment pas des compartiments étanches. Elles se compénètrent intimement, plus souvent qu’à leur tour, se mixant aussi joyeusement avec paradoxes, proverbes, et lambeaux poétiques. Sioris nous prouve ce fait, clef en main, à maintes reprises.
Original autant que mûri dans sa formulation (l’auteur a travaillé à partir de carnets de notes qu’il collige depuis des années), l’ouvrage se complète d’un jeux d’astucieuses exergues. De Bourgault et Coluche à Voltaire et Mallarmé en passant par Roosevelt et Gandhi, on nous fait découvrir la sagesse des amitiés intellectuelles de Sioris, qui en ont un petit bout à nous dire sur le monde et la vie, elles aussi (La joie est en tout, il faut savoir l’extraire. — Confucius, p. 68). Finalement, notre farfadet de la pensée vernaculaire dédie littéralement certains de ces aphorismes à certaines de ses connaissances proches. Cela fait que les lecteurs de son entourage rapproché auront la joie de découvrir quelle facette de sa pensée en émulsion lui rappelle quelle figure de la jolie maison de poupée de son petit village intérieur.
Voici le florilège en vrac (disposé tout simplement en ordre chronologique de lecture) des trente-six (36) aphorismes, saillies et apophtegmes (sur plusieurs centaines) que j’ai retenu ici, en guise d’exemplification du travail de Sioris, pour le bénéfice de mes lecteurs et lectrices qui n’ont pas la chance d’être dans le secret de la sinuosité confidentielle de sa discrète promenade éditoriale:
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Trente-six (36) aphorismes, saillies et apophtegmes de Sioris (2019)
1- Les gens détestables sont nos meilleurs amis, quand ils nous ignorent.
(p. 21)
2- La meilleure façon de rater un amour n’est-elle pas d’en imaginer la fin?
(p. 22)
3- Avez-vous remarqué que les plus beaux monstres sont toujours ceux qui sont les plus laids?
(p. 30)
4- Youp c’est la vie et Youpi, la mascotte; mais les deux sont joyeux.
(p. 34)
5- Quand on cache sa célébrité derrière des verres fumés, ce n’est pas en sortant d’une limousine qu’on passe inaperçu.
(p. 36a)
6- Une chanteuse country est tombée de la scène en chantant la chanson de Ginette Reno: Les yeux fermés.
(p. 36b)
7- N’essayez pas d’oublier le passé… car il déteste rester en arrière.
(p. 38)
8- Quand on a un doute, on peut au moins avoir une certitude.
(p. 49)
9- Écrire, c’est se souvenir.
(p. 54)
10- Ne perdez pas de temps à avouer vos faiblesses, elles se remarqueront bien assez vite.
(p. 56)
11- Le hasard ne croise jamais le chemin de nos certitudes. Car le hasard serait ridicule s’il s’annonçait avant d’arriver.
(p. 62)
12- Le comble du ridicule, ce n’est pas de vouloir être aussi bon tireur que Lucky Luke mais de se faire tuer par son ombre.
Nota Bene — Pourtant le ridicule ne tue pas.
(p. 64)
13- Avant votre décès, si vous voulez vous faire incinérer, assurez-vous d’avoir une bonne police d’assurance contre le feu.
(p. 65a)
14- Une personne est vraiment âgée ou maigre lorsque son âge est supérieur à son poids.
(p. 65b)
15- Vivre sa jeunesse trop tard, c’est commencer sa vieillesse trop tôt.
(p. 67)
16- Un éléphant albinos, ce n’est pas comme un éléphant blanc.
(p. 68)
17- Sans la liberté de blâmer, il n’y a point d’éloges flatteurs.
(p. 74)
18- Lorsque le mensonge en entraîne un autre, le rouge devient une couleur froide dans le brasier d’un iceberg.
(p. 81)
19- Je n’ai rien contre la vérité, c’est ce qu’elle ne dit pas qui m’agace.
(p. 82a)
20- La vérité est parfois grisâtre dans l’ombrage de ses aveux.
(p. 82b)
21- C’est dans le miroir de nos yeux qu’un enfant puise en nous les reflets de son existence.
(p. 83)
22- Depuis que les soucoupes volantes on fait leur apparition, c’est bizarre on dirait qu’elles ont disparu.
(p. 85)
23- L’orgueil met l’égo entre guillemets.
(p. 87)
24- La mode est dans les valeurs d’une pensée commune.
(p. 91)
25- Les voisins sont ceux qui vivent près de nous, mais demeurent souvent des étrangers. Et lorsqu’ils font du bruit tard dans la nuit, c’est toujours bizarre. Ils sont les étrangers qui dérangent le calme de notre solitude en nous rappelant qu’on est rarement seuls.
(p. 92)
26- Paroles et actions d’un politicien
— Je cesserai de parler pour mieux vous écouter.
— Je cesserai d’écouter pour mieux réfléchir.
— Je cesserai de réfléchir pour mieux agir.
— Et je cesserai d’agir pour mieux parler.
(p. 97)
27- En politique, les meilleures réponses sont souvent dans la question.
(p. 98)
28- Est-ce notre destin qui décide de nos choix ou nos choix qui décident de notre destin?
(p. 101)
29- Ne lisez pas cette phrase si vous ne savez pas lire.
(p. 102)
30- À trop de questionnement, on finit par inventer les réponses.
(p. 104a)
31- Le bien pensant est un conformiste qui n’a pas d’opinion personnelle sauf celle des autres…
(p. 104b)
32- Le mépris est la dignité de la colère.
(p. 104c)
33- Le désir est impudique lorsque l’ironie y prend plaisir.
(p. 109)
34- La NATATION ce n’est pas un sport pour les poissons.
(p. 111)
35- Ce que l’esprit est capable de concevoir, il est capable de l’accomplir.
(p. 114)
36- Vaut mieux mourir incompris que de passer sa vie à s’expliquer.
(p. 123)
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Spirituel, incisif et sardonique, tout l’ouvrage respire une sorte de joie de vivre grinçante et ironique qui fait sourdement sentir la présence d’un esprit particulièrement intelligent, sagace et industrieux. Cultivant un second degré fin et matois, Sioris parvient, en plus, à nous faire admettre qu’il ne se prend pas spécialement au sérieux et que l’humour n’est pas nécessairement ce fameux grand banquet du mythique village gaulois de nos enfances… il peut aussi être une petite tasse de thé bue discrètement, dans une officine de salonnière, en riant confidentiellement des autres fous et des autres folles de notre monde fatalement bichrome.
À lire impérativement… si possible… car ne passera pas entre toutes les mains…
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Sioris [Paul Henri Denis Sirois], Pensées envolées — Poésie, citations et autres textes variés, in-plano avec reliure spirale, Saint-Eustache, chez l’auteur, 2019, 128 p.
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Renversant et merveilleux ! …. j’en ris encore ….
J’en retiens deux…. sans dénigrer aucun…. »La NATATION ce n’est pas un sport pour les poissons ». et »Vaut mieux mourir incompris que de passer sa vie à s’expliquer. »
»La NATATION ce n’est pas un sport pour les poissons »…donc, est encore plus universel que tout ce qu’on peut imaginer… et s’applique a bien des situations… c’est tout simplement »lumineux »… al fois pertinent, pétillant et profond… pour ne pas dire intelligent ! … Sacré Sioris…!
» »Vaut mieux mourir incompris que de passer sa vie à s’expliquer. »…. cuila encore, résume toute ma vie ! :))) … ma pensée »mûre » également…. et c’est a croire qu’ils sont bien malins nos morts,…sûrement embusqués dans leur tombes a rire de nous et nous voir vouloir nous expliquer toute notre vie ! :))))
Excellent Ysengrimus ! cette fois…. vous avez tiré le jackpot on dirait ! … et puis quelle combinaison pour le moins renversante aussi …que d’être Architecte, Poète et scénariste… on sent que le bonhomme a bien vécu… et compris et appris… sur »l’insoutenable légèreté de l’être » dans le sens littéral cette fois…:)))
Pourquoi ne pas en faire un gros tirage ?! tant qu’il y est… et puisque ce genre de perles … ça manque cruellement en cette pauvre époque de chien…!
Un jour peut-être…