Stratégies USA et coûts dans la guerre des gazoducs (North Stream 2)

Nous vous proposons deux articles complémentaires traitant de la guerre commerciale que se mène les États-Unis, l’Allemagne et l’Europe, ainsi que la Russie,  à propos du commerce d’énergie (ici du gaz) et du partage des marchés impérialistes. Cette bataille titanesque reflète exactement l’état désespéré dans lequel se trouve l’économie mondiale où les alliés d’hier  (USA – Allemagne) se déchirent l’un pour acheter son énergie au meilleur prix (industrie allemande) – l’autre pour vendre son énergie avec le plus de profit (États-Unis) – alors que la Russie – l’ennemi juré d’avant hier – propose son énergie à prix d’économie – chamboulant ainsi l’alliance politique – diplomatique – militaire de l’Atlantique nord. Qui a des yeux pour voir se rend compte que les intérêts économiques dictent les actes politiques et autres. Comme les intérêts économiques ont forgés l’Alliance Atlantique montante – les revirements et la crise économique permanente sépare les alliés d’hier et force la création de nouvelles alliances inter-impérialistes où le prolétariat servira encore une fois de chair-à-canon s’il ne sait pas refuser de se laisser embrigader. Robert Bibeau. http://www.les7duquebec.com
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Premier article
Par Manlio Dinucci  Sur Mondialisation.ca, 23 décembre 2019  ilmanifesto.it
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Alors qu’ils se battent dans un dur affrontement sur l’impeachment du président Trump, Républicains et Démocrates déposent les armes pour voter au Sénat presque à l’unanimité l’imposition de lourdes sanctions contre les sociétés participant à la réalisation du North Stream 2, le redoublement du gazoduc qui à travers la Baltique apporte le gaz russe en Allemagne. Sont touchées les sociétés européennes qui participent au projet de 11 milliards de dollars, désormais réalisé presque à 80%, avec la société russe Gazprom : l’autrichienne Omy, la britannique-hollandaise Royal Dutch Shell, la française Engie, les allemandes Uniper et Wintershall, l’italienne Saipem et la suisse Allseas qui prennent part à la pose des conduites.
Le redoublement du North Stream augmente la dépendance de l’Europe au gaz russe, avertissent les États-Unis. Ils sont surtout préoccupés par le fait que le gazoduc -en traversant la Mer Baltique dans des eaux russes, finlandaises, suédoises et allemandes- contourne les Pays de Visegard (République Tchèque, Slovaquie, Pologne, Hongrie), les États Baltes et l’Ukraine, c’est-à-dire les pays européens les plus liés à Washington par l’OTAN (auxquels s’ajoute l’Italie).
 

Source de la carte : https://en.wikipedia.org/wiki/Nord_Stream
La mise pour les États-Unis, plus qu’économique, est stratégique. Ce que confirme le fait que les sanctions sur le North Stream 2 font partie du National Defense Authorization Act, l’acte législatif qui pour l’année fiscale 2020 fournit au Pentagone, pour de nouvelles guerres et nouvelles armes (y compris spatiales), le colossal chiffre de 738 milliards de dollars, auquel s’ajoutent d’autres postes portant la dépense militaire étasunienne à environ 1.000 milliards de dollars. Les sanctions économiques sur le North Stream 2 s’insèrent dans l’escalade politico-militaire contre la Russie.

Une confirmation ultérieure se trouve dans le fait que le Congrès USA a établi des sanctions non seulement contre le North Stream 2 mais aussi contre le TurkStream qui, en phase finale de réalisation, va apporter le gaz russe à travers la Mer Noire jusqu’en Thrace orientale, la petite partie européenne de la Turquie. De là, par un autre gazoduc, le gaz russe devrait arriver en Bulgarie, Serbie et autres pays européens. C’est la riposte russe au coup porté par les États-Unis, qui en 2014 réussirent à bloquer le gazoduc South Stream. Celui-ci aurait dû relier la Russie à l’Italie à travers la Mer Noire et par la terre jusqu’à Tarvisio (Udine). L’Italie serait ainsi devenue une plate-forme d’aiguillage du gaz en Ue, avec de notables avantages économiques. L’administration Obama réussit à faire échouer le projet, avec la collaboration de l’Union européenne même.

La société Saipem (Groupe italien Eni), touchée à nouveau par les sanctions étasuniennes sur le North Stream 2, fut déjà lourdement touchée par le blocage du South Stream : elle perdit en 2014 des contrats d’une valeur de 2,4 milliards d’euros, auxquels se seraient ajoutés d’autres contrats si le projet avait continué. Mais personne à l’époque, ni en Italie ni dans l’Ue, ne protesta contre l’enterrement du projet opéré par les États-Unis. Maintenant que sont eu jeu les intérêts allemands, s’élèvent en Allemagne et dans l’Ue des voix critiques sur les sanctions USA contre le North Stream 2.
On ne dit rien par contre sur le fait que l’Union européenne s’est engagée à importer des USA du gaz naturel liquéfié (Gnl), extrait de schistes bitumineux par la destructrice technique de fracturation hydraulique. Washington, pour frapper la Russie, essaie de réduire son exportation de gaz en Ue, faisant payer les coûts aux consommateurs européens. Depuis que le président Trump et le président de la Commission Européenne Juncker ont signé à Washington en juillet 2018 la “Déclaration conjointe sur la coopération stratégique USA-Ue y compris le secteur énergétique”, l’Ue a doublé l’importation de Gnl des USA, co-finançant les infrastructures avec une dépense spéciale initiale de 656 millions d’euros. Cela n’a cependant pas sauvé les sociétés européennes des sanctions USA.
Manlio Dinucci

 


Deuxième article
Par Pascal Boniface (revue de presse : pascalboniface.com – 23/12/19)*
Le président Donald Trump vient de prendre un décret présidentiel appelant à geler les avoirs des compagnies engagées dans la construction du pipeline Nord Stream 2 permettant d’exporter du gaz russe en Europe via la mer Baltique. Il s’agit donc, de la part des États-Unis, de menaces de sanctions lourdes à l’encontre de sociétés non américaines, pour des opérations menées en dehors du territoire américain. C’est tout le « charme » du caractère extraterritorial de la législation américaine : une loi décidée en fonction des intérêts américains peut avoir des effets à l’échelle mondiale.
Aussitôt, la compagnie suisse Allseas stoppait ses travaux et l’avenir du gazoduc semblait compromis. L’ensemble des sociétés de taille à être investies sur ce chantier ont des activités aux États-Unis et la crainte de sanctions les tétanise donc. Deux sénateurs américains, Ted Cruz et Ron Johnson, avaient averti le PDG d’Allseas d’arrêter immédiatement et de laisser le pipeline inachevé, l’alarmant que si l’entreprise essayait de façon insensée de le terminer, il prendrait le risque de mettre sa compagnie en faillite.
La dollarisation de l’économie internationale et l’affirmation de la législation extraterritoriale des États-Unis rendent crédible cette menace. Bien avant l’élection Donald Trump, de nombreuses compagnies européennes ont été condamnées à de lourdes amendes, avoisinant au bas mot, sur les 10 dernières années, 40 milliards de dollars. On se rappelle que la BNP (sous le mandat de Barack Obama) avait été condamnée à une amende de 9 milliards de dollars pour être intervenue au Soudan et en Iran.
Cette décision est motivée en apparence par la volonté de ne pas renforcer la Russie coupable d’avoir annexé la Crimée. La Russie, qui dépend toujours aux 2/3 de l’exportation de matières premières énergétiques pour se procurer des devises, en est en effet la première victime. Mais l’Allemagne, qui devait recevoir principalement ce gaz, est également impactée. La chancelière Merkel a dénoncé une interférence dans les affaires intérieures allemandes. Mais ira-t-elle au-delà de cette protestation verbale ?
 
Le pipeline Nord Stream 2 évite stratégiquement les pays baltes, la Pologne et l’Ukraine, pays très proaméricain. L’ambassadeur américain en Allemagne n’a pas hésité à présenter cette mesure comme pro-européenne, puisqu’il s’agit de refléter les inquiétudes de ces pays. Derrière cette décision se cache surtout une volonté américaine de pouvoir plus facilement exporter son pétrole et son gaz de schiste, pourtant plus cher que le gaz russe.
Les États-Unis utilisent donc la menace de sanctions pour faire avancer leurs intérêts économiques. Et surtout pour imposer leurs décisions et priver les autres pays, aussi bien rivaux qu’alliés, de pouvoir prendre souverainement les leurs. Après l’interdiction d’acheter du pétrole à l’Iran, les menaces par rapport aux investissements à Cuba, c’est une nouvelle atteinte fondamentale à la souveraineté des pays européens. Il y a une très grande contradiction entre le fait d’appartenir à la même alliance et d’être aussi peu considérés par le leader du principal pays de l’alliance. Aucun pays ne porte plus atteinte à la souveraineté des pays européens que leur allié américain aujourd’hui. Combien de temps les pays européens vont-ils accepter cela ?
Les Américains reprennent en fait à leur compte le principe de « souveraineté limitée », forgé par Brejnev en 1968 à propos de la Tchécoslovaquie en particulier, et des pays du Pacte de Varsovie en général. Emmanuel Macron avait déclaré que l’OTAN était atteinte de « mort cérébrale ». C’était en fait une vision optimiste. L’OTAN est toujours bel et bien vivante, voire même très contraignante, mais elle ne joue plus le rôle de protecteur par les États-Unis des Européens. Elle joue le rôle de castrateur stratégique des ambitions européennes. Il est vraiment temps pour les Européens de sortir du somnambulisme stratégique qui les conduit à ne pas s’opposer aux Américains en échange d’une protection face à une menace hier soviétique réellement existante, aujourd’hui russe, gonflée artificiellement, pour maintenir leur imperium sur les Européens.
Pascal Boniface est politologue, fondateur et directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS)
*Source : pascalboniface.com
 
 

Robert Bibeau

Auteur et éditeur

5 réflexions sur “Stratégies USA et coûts dans la guerre des gazoducs (North Stream 2)

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