LA PLAIE DU PASSÉ (Adam Mira)

YSENGRIMUS  — Dans ce recueil de seize nouvelles réalistes et intimistes, on nous invite à voir le monde contemporain à travers le regard d’un palestinien ayant vécu dans un camp de réfugiés jusqu’à l’âge de quarante ans puis ayant subitement immigré, lourdement lacéré des plaies du passé, au Québec et ce, avant d’avoir appris ne fut-ce que les rudiments les plus minimaux de la langue française. L’écriture dépouillée et directe d’Adam Mira nous fait entrer en toute simplicité dans un univers mental et social étonnant, déroutant, à la fois tragique et crucial. D’un récit à l’autre, on rencontre un homme (ou des hommes) ayant vu sa famille massacrée sous ses yeux… ou ayant vu le laitier d’un quartier d’Alger froidement abattu par la soldatesque juste parce qu’il commençait à bosser avant l’aube… ou côtoyant une mère atteinte de quasi-mutisme à cause des cruautés et des privations des camps et de la guerre. La souffrance aiguë, l’arrachement et le profond manque affectif sont omniprésents dans ces récits, à mi-chemin entre fiction et témoignage.

Malgré le fait que ma mère et mon père m’aient rendu visite pendant plusieurs années, ils ne m’ont jamais pris dans leurs bras, ils ne m’ont jamais fait de câlin. Chaque fois que je voyais quelqu’un devant moi qui recevais une tendresse ou un câlin, la jalousie envahissait mon cœur. J’avais soif d’amour, j’avais besoin de vivre le reste de ma vie entre les câlins et les tendresses!

La dimension cuisante et poignante des drames évoqués dans cet ouvrage est donc subtilement équilibrée par le ton prosaïque, tranquille et limpide du traitement. Le résultat est à la fois très authentique et d’une étrangeté presque décalée, le tout restant solidement installé dans l’ordinaire et le quotidien (même le quotidien bizarre des camps). Un autre facteur particulièrement savoureux et insondablement sympathique entre en ligne de compte au fil de ces historiettes en forme de miniatures. C’est celui de la langue. Le (ou les) personnage(s) mis en scène doit avancer pas à pas dans l’apprentissage de la langue française. Et, par moment, il nous en parle, il en fait le sujet direct et explicite de certains de ses récits. Apprendre consciencieusement le français lui suscite d’ailleurs un mal inattendu à… la langue, justement… la langue l’organe, on s’entend. En travaillant méthodiquement son français, entre autres devant le miroir, notre personnage doit tellement ajuster son appareil phonateur qu’une douleur linguale assez durable se met en place (la nouvelle s’intitule: La langue me faisait mal). Comme quoi, oui, il faut souffrir de la bouche aux pieds, pour s’intégrer. Mais on a ici une petite lancinance bien bénigne va, comparée à celle de ces plaies du passé qui vous rendent presque suicidaire. L’intégration et l’ajustement culturel sont, avec le déracinement et le fardeau durable qu’imprime en nous la Storia, les principaux thèmes de cette suite d’attachants récits. Le monde ordinaire, surtout le contexte quotidien occidental, y est regardé avec un sourire mi-serein mi-taquin mais aussi à travers une singulière lentille, une dense lentille de larmes, en fait. Titre des seize textes: Un automne lugubre. Lutter en français. Mes tentatives de suicide! La langue me faisait mal. J’ai déniché un travail. La femme suspecte et les deux samaritains. La Blanche! Je suis tombé amoureux d’une japonaise. À la recherche de Nadia. Histoire d’une maison. Bénévole indésirable. République bananière. La plaie du passé. Un voyage à travers le temps. De la part d’une princesse célibataire. Chez les frères Castro.

Écrivain réaliste donc, sorte de mémorialiste émotionnel, Adam Mira ne néglige cependant pas la dimension symbolique dans certains de ses récits. Parfois c’est une maison qui parle de son passé (Histoire d’une maison), parfois c’est nulle autre que la Mémoire de l’Humanité qui disserte sur elle-même (Un voyage à travers le temps). Une autre de ces nouvelles (De la part d’une princesse célibataire) est un véritable conte oriental. La reine d’un petit oasis se cherche un mari. Pour attirer vers elle les hommes ayant le plus de prestance, de stature, de noblesse d’âme et de conversation, elle va organiser un grand concours de composition et de récitation de poésie. Tous les apprentis baladins de l’horizon vont se rameuter. Mais…

Je ne vous en dis pas plus… sauf pour dire que le monde est si beau et que le monde est si cruel. Tel est le message fondamental du recueil de nouvelles La plaie du passé.

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Adam Mira, La plaie du passé, Montréal, ÉLP éditeur, 2016, formats ePub ou PDF.

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4 réflexions sur “LA PLAIE DU PASSÉ (Adam Mira)

  • 11 avril 2020 à 14 h 54 min
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     »Je ne vous en dis pas plus… sauf pour dire que le monde est si beau et que le monde est si cruel. »

    Je vous salue Ysengrimus ainsi que l’auteur Adam Mira pour nous le rappeler…en effet…! et en jetant un coup d’œil sur la présentation de l’ouvrage sur ELP Éditeur, j’y apprend que Monsieur Mira à longuement mené sa bosse en Afrique, au Maghreb, au Moyen orient avant de s’installer à Montréal! …Ahhh Montréal ! ce port nordique qui a des allures d’Amsterdam en réalité et ou toutes sortes d’âmes égarées comme la mienne est venue s’installer !:))) Montréal mériterait la chanson de Brel, Dans le port d’Amsterdam il y a les marins qui chantent les rêves qui les hantent, ou qui meurent plein de bière et de drame, mais aussi ceux qui naissent, dans la chaleur épaisse des langueurs océanes ! Montréal dont l’aéroport quelconque, froid, décrépi et triste à remplacé son port de jadis, quelle misère…! Ils auraient pu au moins en faire un Aéroport digne de la renommée et l’histoire de la ville qu’il dessert et ses habitants des quatre coins du globe ! Cet Aéroport Montréalais en réalité est une porte d’entrée sur un monde tout aussi beau et cruel que vous le résumez, et contrairement aux ports de jadis, ne retient même pas les millions de voyageurs avec leurs histoires et leurs incroyables trajectoires ne serait-ce que pour une bière ou un café sur une terrasse, n’a pas le moindre restaurant qui donne envie de se restaurer… et pour beaucoup d’âmes perdues de tous ces immigrants qui y débarquent la première fois, ressemble à un couloir qui n’a de but que s’en débarrasser au plus vite et les confronter au ciel et au goudron, au froid souvent et au vent, et de porter la main à la poche en guise de bienvenue en Amérique du Nord !

    Bref, ce n’est que plus tard, une fois installé que vous découvrez Montréal, et constatez comment tous ces immigrants arrivent tant bien que mal à se défaire de leur vécu, (certains ne quitteront jamais leur turbans, voiles et robes) forcés, contraints, angoissés dans cet univers qui roule à toute allure sur les autoroutes, ce pays ou tout semble réglementé et policé, cet univers ou vous apprenez au final que même ses habitants plus anciens que vous ont souvent la même histoire à raconter…sinon même les plus ancrés depuis des générations n’y comprennent que dalle !

    Par ailleurs, je trouve que les livres numériques chez ELP éditeur sont plutôt ceux qui mériteraient une couverture et être vendu en format livres de poche ou autre en librairie ! …mais je sais, hélas, ceci est une autre histoire…que je ne comprendrai sans doute jamais moi même ! et dont la moindre, ces libraires qui prennent 30 a 50% de marge sur les ventes de livres auto publiés… et autres horreurs de ce monde de l’édition ou les rapaces de tous poils n’ont jamais épargné lui aussi !

    Merci Ysengrimus pour cette découverte !

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  • 11 avril 2020 à 17 h 44 min
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    C’est ça un de mes rêves, le dernier important pour moi, à faire. Faire un film sur ma vie et celle de ma femme et mes deux enfants. Être policier et voir comme on massacre des paysans pour les faire passer comme des guerrilleros sans compter que, effectivement, il y a des gens qui deviennent des policiers pour le sens d’aider plutôt que pour le pouvoir. Bref, une fois les avoir dénoncés, je suis viré de la police et 12 ans persécuté pour le gouvernement pour me silencer. Pendant ce temps, j’ai un travail informel que n’arrive même pas à faire nourrir ma famille, ramasser de la nourriture dans les poubelles, 3 tentatives de suicide pour finalement, rester 28 mois confinés avant de quitter la Colombie. Pour cette raison, j’aime le Québec et j’ai appris à mes enfants à ce battre pour ce pays, même s’il l’est dans l’imaginaire!

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  • 11 avril 2020 à 20 h 11 min
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    Pablo, votre histoire est touchante, essayez au moins de l’écrire dans un premier temps, et qui sait ? un jour quelqu’un voudra l’adapter à l’écran pour une série TV ou au cinéma ! si vous y mettez force et détails, si vous y mettez vos tripes, que vous arrivez à décrire vos sentiments, ceux de votre famille, votre épouse, et bien entendu tous les détails de l’histoire de la dénonciation et des persécutions subies…ce genre de sujet n’est pas anodin et il suscitera l’intérêt des gens, même si vous l’écrivez en espagnol et que vous le traduisez en français ensuite en anglais ! faites l’effort de jeter un coup d’œil sur les différentes méthodes en ligne qui vous conseillent comment écrire votre livre, bâtir une structure en plusieurs chapitres et les titrer, avec prologue / introduction et epilogue / fin… Moi je serais vous, j’écrirai mon livre et je nommerai les responsables, que ce soit dans la police ou dans l’État Colombien…vous contribuerez ainsi à garder une trace dans l’histoire de votre pays d’origine…

    C’est dommage que toute l’Amérique centrale et latine soit encore aux prises avec ce même problème que vous décrivez, celui de la guerre menée aux paysans et aux premières nations pour exploiter leur terre, leur voler leur biens et les contraindre à l’exil, et c’est la preuve que rien n’a vraiment changé depuis toujours…hélas !

    Par ailleurs, j’aimerai bien visiter une fois la Colombie, très beau pays avec les villes et plages du nord, la forêt et jungle encore vierges, et la culture caractéristique de chaque région… j’ai eu d’ailleurs un ami qui a épousé une Colombienne avec qui ils vivent à Montréal…je les ai un peu perdu de vue… et il me racontait justement certains aspects  »sécuritaires » avec la police qui rigole pas là bas…surtout dans en dehors des grandes villes…bref, c’est ainsi dans toute l’Amérique centrale et latine, ce sont les riches qui font la loi et qui sont protégés !…comme partout ailleurs !

    Amicalement !

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  • 11 avril 2020 à 20 h 20 min
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    Et remarquez, je vous donne un conseil d’écrire et je suis pas capable d’écrire moi même ! j’ai même une connaissance très proche qui a commencé à écrire et à insisté pour m’envoyer ses quelques chapitres pour un avis dessus…à deux reprises et sans même m’aviser !!! Pour moi, l’écriture c’est une autre histoire, même l’autobiographie je la perçois autrement en ce qui me concerne… et au final, je me dis qu’écrire c’est pas pour moi ! …

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