7 au Front

Un narcissisme masochiste, ou plutôt un… un hédonisme contraint

YSENGRIMUS —  Cet article est disponible en anglais et en italien ici :
Article de Ysengrimus-anglais-italien du 29 mars 2024

Nous vivons des temps narcissiques. Les femmes ont beaucoup à y voir et les hommes emboîtent ouvertement le pas. Jadis elle se faisait belle pour lui. Maintenant elle construit le tonus, le costume, le décors de beauté qui lui plait à elle, et lui, eh bien, il en fait partie du mieux qu’il peut… ou pas. Nous sommes entré(e)s à l’époque où la femme s’occupe d’elle-même et il n’y aura pas de retour en arrière. Les nostalgiques de la femme soumise resteront inexorablement sur le bord de la route vers l’Urb. Cela se joue désormais entre la femme et son miroir. Même si elle croit encore qu’elle se façonne ainsi pour le bénéfice et la joie de l’homme comme autrefois, elle se leurre. Il faut la décrire sans partager l’illusion qu’elle entretient sur elle-même. La corde phallocrate est cassée. La frustration des instances masculines à l’ancienne est de plus en plus tangible, face à cette nouvelle culture ordinaire en émergence. La meilleure preuve imaginable du fait que l’homme ne dicte plus le ton des choix des femmes, c’est justement qu’il emboîte le pas, un peu à la traîne. L’homme commence à s’installer devant le miroir aussi, hanté par cette batterie de nouvelles priorités. Les angoisses de l’apparence commencent à sérieusement le gagner aussi. La culture intime des femmes remporte un certain nombre de joutes. L’une d’entre elles est celle de la généralisation et du partage de ses angoisses. Et pourquoi pas? Pourquoi les femmes seraient-elles les seules à se polluer l’existence avec ces questions d’apparence? Il faut partager le fardeau, en quelque sorte, le répartir également (en attendant de le jeter par terre). C’est de bonne tenue. Qui plus est, la morale archaïque qui jugeait négativement le narcissisme est totalement hors-jeu. Ce type vieillot de culpabilisation, personne n’en veut plus et à raison. Pensons-y froidement: qu’y a-t-il de mal à s’aimer soi-même. Qu’y a-t-il d’inadéquat à voir l’estime de soi comme un fondement de l’estime des autres? Notre temps répond: rien, et il a en partie raison, devant la logique ancienne. L’estime de soi n’a pas toujours été une valeur fondamentale. C’en est une maintenant. L’estime de soi fut longtemps subordonné à la soumission à la famille, à l’employeur, au pays. Ce n’est plus le cas. Le narcissisme pourrait être la grande pulsion libératrice de ce temps… s’il se contentait de jubiler et de jouir.

Or le narcissisme contemporain est hautement masochiste. Que voit la femme obnubilée dans son miroir? Une autre femme, qui n’est pas là parce qu’elle se pavane, faussement nonchalante mais en fait hautement manufacturée, sur les couvertures de revues et dans le déroulement des bandes d’actualité. Une autre femme que notre contrite au miroir juge, unilatéralement et sans vérification bien précise, mieux faite, mieux construite, mieux proportionnée, plus apte à faire émaner la beauté, à transmettre la jouissance. Les hommes suivent toujours. Ils suivent de plus en plus cette culture intime exacerbée et cruelle de la compétition et de la terreur de la perte de l’image propre, adéquate, conforme. Ils ne la dominent plus mais la confirment toujours, y compris de par leurs sottes éructations. Narcisse avait au moins la décence d’aimer inconditionnellement le personnage qu’il voyait se refléter dans le lagon, qu’il prenait pour une femme d’ailleurs. Ici Narcisse se hait. Il ou elle se trouve trop ceci ou trop cela. On ne se contemple pas pour jouir de soi, on se contemple pour se subir, pour souffrir, pour chercher à se modifier. Où est-il passé le temps où Fonzi, le petit macho sans complexe de Happy Days, se plantait devant son miroir peigne en main pour se coiffer et… renonçait ostensiblement à le faire, jugeant sa crête de coq inaltérablement parfaite. C’était lui le narcissisme jubilant, apanage masculin suranné. Il accompagnait le phallocratisme dans sa période dorée. C’est terminé. Aujourd’hui, c’est la compétition exacerbée des corps, des normes, des mesures, des modèles. Les femmes se déchirent entre elles. Elles dénoncent ledit modèle comme on attaque le plus virulent des adversaires et, en même temps, elles aspirent à rencontrer des normes axiomatisées, abstraites, tyranniques, émanant du même adversaire. Elles se dénigrent entre elles, se démentent, se dénoncent, se contredisent, se tirent dans les pattes. Elles veulent et ne veulent pas se modifier pour rencontrer l’axiome. Le double message se hurle dans la douleur des chairs. Si je ne me reconfigure pas (chirurgicalement ou autrement), on ne va pas m’aimer. Si je me reconfigure (chirurgicalement ou autrement), ce ne sera plus vraiment moi qu’on aimera. Paradoxe insoluble pour une sortie abrupte de la joie de vivre, sinon de la vie. Mais lancinant paradoxe d’une époque aussi. Maximale haine de soi répercutée en l’autre. Combien de nos Narcisse contemporains se sont retrouvé(e)s à hurler de frustration devant leur miroir, allant jusqu’à griffer ou à frapper à coups de poings rageurs la partie corporelle qui ne leur plait pas. L’individualisme contemporain aurait pu créer un vivier favorable et plaisant pour l’amour de soi. La compétition commerciale et l’obsession des modes et des conformités convertissent le tout en la plus cuisante des souffrances normatives. L’enfer de l’égocentrisme, c’est bel et bien toujours les autres…

D’ailleurs parler de masochisme est partiellement fautif. Le masochisme a au moins la décence —si je puis dire— de tirer du plaisir de contacts physiques cuisants. C’est, l’un dans l’autre, une forme de sensualité, abrupte, brutale et surprenante, pas à la portée de tous les épidermes certes. Mais il reste que le masochisme est joyeux et assouvissant chez ceux et celles qui l’assument ouvertement. Ce que je décris ici est triste, rageur, frustré, dépité, morbide, malheureux comme les pierres. Je crois finalement qu’on a affaire à un hédonisme contraint. C’est la jouissance truquée par excellence de notre modernité de toc. Désormais, il faut faire dans le sexy, dans le (pseudo) sensuel, dans le séduisant, dans le pulpeux et l’onduleux, dans l’enviable, dans le prostitutionnel, quitte à se faire gonffleter les lèvres, les pectoraux ou la poitrine pour y parvenir. Les hommes absorbent toute sortes de substances suspectes pour se faire monter une soufflette d’Adonis manqué (ces pratiques, désormais, ne sont pas restreintes aux gyms et salles de musculation, il s’en faut de beaucoup). Les femmes, on n’en parle pas… la cruauté chirurgicale envers leur corps culmine, en nos temps comme jamais. Hédonisme de poseurs et de poseuses, sensualité de théâtre de carton pâte. Faux plaisir, jouissance absente. Frustrer et faire des jaloux et des jalouses est plus important que de ressentir un plaisir effectif. Ce n’est pas une orgie, c’est un défilé de mode, contrit et souffreteux. N’avez-vous donc jamais constaté que, dans un défilé de mode, absolument personne ne s’amuse?

Narcissisme sans amour de soi. Masochisme qui souffre non pas pour jouir mais pour paraître et se refaire à l’image imagée de l’image imaginaire impossible. Hédonisme contraint (ce qui est une rude contradiction dans les termes). La libération sexuelle est une faillite. Elle nous a libéré de notre soumission de bouvillons et de génisses face au hobereau cultivateur et obtus de jadis, pour nous livrer, nu(e)s et désemparé(e)s, à la compétition urbaine, cynique, envieuse, insensible et exacerbée du capitalisme commercial et au vedettariat truqué de l’égocentrisme néo-inquiet… Pour le coup, la jouissance, le plaisir, la beauté toute simple, la vraie séduction du coeur, ce sera pour un autre jour…

femmeaumiroir

4 réflexions sur “Un narcissisme masochiste, ou plutôt un… un hédonisme contraint

  • Très cher Ysengrimus !

    Je me demande parfois ce que vous  »fichez » uniquement ici sur les 7 du Québec, et dans votre blog sur le Carnet d’ysengrimus,  »confiné », incognito, trop humble, trop réservé et presque caché, alors que votre place serait fort certainement de faire la tournée des plus sérieux journaux, magazines, conférences, universités, plateaux divers intellectuels, médiatiques et sérieux…etc !!!!??? Ce billet d’ailleurs ne se lit pas tout seul, il se lit avec les liens vers vos anciens billets, et saisir votre longue et infatigable quête d’ouvrir les yeux des femmes comme des hommes, sur notre époque et sur le passé ! j’ai parfois peur en vous lisant! comme on aurait peur du psychothérapeute rompu à une vie d’exercice de sa profession, et qui nous dévisagerait, lirait dans nos pensées, deviner nos secrets, nos hontes, et nous confronterait avec ! vos mots sont tellement justes, vos propos sont le fruit d’un don en plus d’une intelligence qui vous appartiennent… et qui nous comblent de nos propres vérités, de sagesse, de lumière et parfois de honte de nous mêmes !

    Vous avez tapé dans le mille on dirait encore cette fois-ci! et vous ne vous lassez jamais de nous expliquer, nous réexpliquez, nous inculquer et nous ouvrir les yeux sur ces concepts qui nous entourent et qui nous emprisonnent, ces doctrines qui nous gouvernent, ces méchants signes de notre époque…bref, vous êtes un phénomène à vous tout seul ! et c’est probablement pour dire que vous ne faites rien de plus que mettre en évidence notre cécité, notre inculture, notre insuffisance, notre crétinerie et notre plate ignorance ! tout bêtement ! :)))

    De ce concept et leçon que vous avez lancé il y a plus d’une décennie, ce  »narcissisme masochiste…au Hédonisme contraint », à lui seul, vous pourriez transformer le monde avec ! si seulement vous pouviez le diffuser, l’enseigner, le développer comme on sent que vous êtes capable, le vulgariser quoi ! je crois que de la manière dont vous le simplifiez aussi, vous feriez un tabac universel ! je plaisante même pas ! il y a dans votre pédagogie en général quelque chose d’universel, de clair, d’évident et de transmissible, traduisible dans toutes les langues et les cultures ! vous êtes une fierté non pas pour le Québec ou la francophonie uniquement mon ami, mais pour des générations d’humains universels, polyglottes, paumés, perdu et ayant vachement besoin qu’on leur règle les mécaniques du cerveau à cette époque ! parents comme enfants, et de tout âge !

    Merci mon cher Ysengrimus ! et je ne remercierais jamais assez le ciel, la terre et les éléments qui vous ont mis sur mon chemin ! Merci du fond du cœur !

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  • Ping : Un narcissisme masochiste, ou plutôt un… un hédonisme contraint « Le Carnet d'Ysengrimus

  • Eh oui c’est une sale époque mon cher, car on tente de priver les jeunes et nouvelles générations de ce qu’on a connu nous ! aujourd’hui les rapports entre ados et jeunes gens ont hérité justement de toutes ces tares et rapports narcissique et superficiels a tous les coups ou presque ! et côté adulte, ça adore le fric et ça baigne dans le stupre et la porno jusqu’au trognon, sans jamais régler leurs problèmes au contraire ! et je vous raconte pas ce qui se passe du côté des arabes ou les cocus ne se comptent plus, les divorces conflictuels et parfois tragiques pour les deux sexes…aussi ! bref, c’est sûr qu’ils ont pas encore adopté les sex toys et les compromis conjuguaux même si les couples fonctionnent déja comme des entreprises a but trè lucratif et qu’ils ont ça dans le sang ! et paradoxalement donc, c’est dans le monde Arabe et pas du tout en occident que tirer un coup avec une étrangère ou un étranger a la va vite bat tous les records mondiaux dans ce domaine en dépit des apparences et des préjugés sur les Arabes ! :))) car le sexe est plus facile et accessible a tous les jours, les heures et les secondes dans ce monde arabe que le pain ! :)) Je vous épargne mes histoires perso a ce titre… car je ne me prive pas non plus quand j’y vais au lupanar du bled… et souvent, c’est aussi facile que de se tenir droit et propre, et savoir rendre le sourir a ces jolies femmes en pagaille ! ici par contre, c’est plus complexe et ça devient dangereux dè lors que derrière le cul, il y a des attentes et des fantasmes plus complexes qui relèvent de psychologie ou alors de psychiatrie ! et je parle pour les deux sexes, car tout est extrêmement policé et tout fait l’objet d’interprétations et autres développements psychotiques ou politiques ! :)))

    Bref… l’amour quant a lui est de plus en plus rien d’autre qu’une chimère, aujourd’hui on vous apprend a vous aimer ou a vous détester au dela du raisonnable et du rationnel, et n’aimer personne d’autre ! …bon je ne généralise pas… mais si la majorité croit que le sexe remplace l’amour, alors tant mieux et tant pis pour eux ! … même si je ne m’en plaindrait pas

    Enfin côté religieux de tous poils, mais on ne parle pas ici de barbus et de voilées qui ne sont pour la plus part aujourd’hui qu’un phénomène de marketing religieux et qui sont de sacré(es) cochons et amateurs chair et de pipes en plein air et autres sites de cul jusqu’a la folie… je parle des gens plus sages un peu pieux sans être des ascètes, ce qui est tout de même remarquable avec la religion est qu’en effet elle eduque a l’amour en couple, sur la durée, elle le crée et le force même s’il n’y a pas d’amour forcement au début…car après avoir fait les gosses et passé le stade des pires chicanes et disputes, ça installe le couple dans la durée même s’ils peuvent critiquer ou se moquer l’un de l’autre toute leur vie … bref, et côté cul, c’est plus assagi aussi et plus conservateur…et sont heureux de ce côté-ci et ne vont pa chercher la petite bête ! :))) et explique en partie pourquoi même les nouvelles générations ne veulent pas laisser tomber la religion et sa rationalité sociale après tout ! Je crois qu’en tant que bougnoul ici, je n’ai jamais pensé ou imaginé que les jeunes femmes d’ici, des chrétiennes du moins culturellement, préparaient religieusement le lunch de leurs maris ou mecs a tous les jours, et  »servaient » leur mecs de manière que les musulmanes que j’ai laisé au bled ne font jamais  »il n’a qu’a se restaurer sur place ou dans la rue ou aller avec ses copains…chuis pas sa boniche »… et même réaction du côté de mon ex même ici ! :)) alors que les mecs au boulot, surtout les italiens, les européens etc, la boîte a lunch était préparée comme un repas d’hôtel avec tous le soin et les gâteries… et bon c’est sûr, pas les Québécois, qui eux bouffent le restes du pâté chinois de la veille et que eux même ont du emballer a la hâte pour venir qu boulot…pendant que leurs nanas Québécoises ramènent des carrottes et du celeri crus et des comcombres et surveillent leur ligne !:)))… et puis tous ces affamés je vous jure Ysengrimus, lorsqu’on leur commandait de la bouffe de l’extérieur, des grillades arabes, des pizzas et des gâteries, ils se jettaient dessus et ne laissaient rien au bout de 5 min, ce qui me poussait tout le temps a les taquiner et leur lancer  »mais fichtre… bande d’affamés heureusement que j’ai commandé pour vous, sinon vous nou auriez bouffé !  » :))) ils étaient morts de rire ! 🙂 et c’est justement parceque ça met de l’argent de côté pour la maison, le fringues, l’auto et le reste que beaucoup se privaient a fond mecs comme nanas, et ça cultive les apparences et la frime a fond juqu’a la folie !

    bonne fin de semaine …

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