Comment construire un reportage de démolition
Par Serge Charbonneau
Raoult: la visite présidentielle
(S’il vous plaît, visionner le reportage avant de prendre connaissance des leçons. Merci)
Voici un bel exemple de reportage pour enseigner aux jeunes journalistes comment démolir un individu qui avance des vues qui « doivent être combattues » (selon la probable demande de votre employeur).
Leçon 1
Dès le départ, utiliser le vocabulaire qui ébranle la solidité de sa réputation.
Le mot clef à employer est : « controversé » !
Un mot efficace qui s’imprègne immédiatement dans l’esprit.
Il faut donc dire : « Le CONTROVERSÉ professeur Didier Raoult reçoit Emmanuel… »
Leçon 2
Suggérer aux téléspectateurs que le professeur se fait prendre les culottes baissées !
Utiliser la formule : « La visite était SURPRISE, l’image INATTENDUE… »
Le téléspectateur ressent qu’on vient de prendre par surprise le vilain et que celui-ci n’a pu se défiler !
Leçon 3
Le YOUMEUNE !
Présenter une scène montrant au maximum la chaleur envers le digne président qui a pris la peine de se déplacer, lui-même.
Montrer le président, avec son masque de circonstance, s’adresser du haut de son grand âge et de sa sagesse légendaire aux jeunes chercheurs tout heureux de le voir d’aussi près.
Si ce n’était de l’extrême contagion du Covid, sûrement que plusieurs jeunes-en-feu auraient voulu le toucher.
– Vous avez quel âge ? Demande le sage et suffisant président.
Les âges défilent ! Ça vient nous chercher.
C’est « Youmeune » (human, humain).
Le youmeune c’est toujours vendeur.
Leçon 4
Laisser le contrôle (le « lead« ) à celui vers qui il faut faire pencher les cœurs.
Dans ce cas-ci, les cœurs doivent pencher vers le vaillant président qui est sage et avisé.
La scène payante est celle des remerciements présidentiels envers ces héros de la recherche, ces combattants qui font cette guerre dans laquelle nous sommes plongés.
Le vaillant et honorable président dit :
– Merci de participer à l’effort, c’est très important (c’est le président qui le dit, c’est très important).
Bien faire entendre la réponse des jeunes chercheurs, tous débordants de reconnaissance suite à ces remerciements présidentiels
– Merci à vous ! Disent-ils ! La scène est presque émouvante !
Ça vient chercher tous les cœurs le moindrement sensibles !
Leçon 5
Éviter les détails.
Nul besoin de dire ce que le controversé professeur a pu montrer et démontrer au vaillant et très avisé président.
Dire que la visite a été longue suffit. « Une longue visite de plus de trois heures. »
Et hop ! C’est suffisant.
Les démonstrations du controversé Raoult ne sont d’aucun intérêt pour l’objectif de notre reportage.
Leçon 6
Lancer ce que le téléspectateur doit retenir, doit assimiler et doit comprendre :
« Le président a pris la peine de se déplacer pour bien montrer qu’il s’intéresse à toutes les formes de recherche », même celle du controversé professeur qui défend cette « chloroquine » !
Cette chloroquine DÉFENDUE par le controversé Didier Raoult. Bien souligner que le vilain Raoult PERSISTE ET SIGNE !
Voilà une autre formule classique et efficace : « persiste et signe ».
Cette formulation consolide notre reportage qui va bon train. Notre objectif de mettre en doute ce que ce Raoult avance est sur la bonne voie.
Si on interrompt le reportage à ce moment et qu’on questionne un téléspectateur qui s’intéresse peu au sujet, en lui demandant : « Que pensez-vous de Raoult ? » On a toutes les chances d’avoir comme réponse que ce chercheur à l’allure assez « flyée » n’inspire pas confiance et que son fameux médicament qui s’appelle la chloroquine ne vaut pas cher et surtout n’inspire pas confiance ! Si on demande à notre téléspectateur peu renseigné s’il prendrait ce médicament s’il avait le terrible Covid-19, il va probablement dire non. Le but du reportage est justement de lui faire rejeter ce médicament dit « miracle« .
Leçon 7
Utiliser le conditionnel. Le conditionnel est un temps merveilleux qui laisse toutes les portes que l’on ouvre, ouvertes.
Il ne faut pas dire :
« Les effets de la chloroquine testée ici à IHU Méditerranée Infection « sont » positifs, mais il faut dire « SERAIENT » positifs. »
La compétence « douteuse » de ce controversé Raoult imposent au journaliste « sérieux » ce conditionnel. Le journaliste persiste et signe en disant que des » études « sérieuses » » sont toujours en cours pour évaluer, entre autres, les théories que persiste à défendre ce Raoult.
Leçon 8
Utiliser quelques mots du controversé professeur pour simplement lui faire redire ce que notre conditionnel précédent disait, c’est-à-dire que ses tests «seraient» positifs. Évidemment, à ce moment le vilain prof va « affirmer », lui, que ses fameux tests personnels SONT positifs, mais bon ! Comme le téléspectateur sait à quoi s’en tenir, les propos du controversé prof seront désamorcés dès le départ, même si celui-ci affirme que « tout va bien » !
Eh ! Oh ! Comment ça : « Tout va bien » !!!
Leçon 9
Revenir à la charge et s’assurer que les quelques mots laissés au controversé n’ont pas servi à lui faire gagner des points. Il faut souligner avec force que : « LA MOLÉCULE « D I V I S E » TOUJOURS LE MONDE «MÉDICAL» ! Et v’lan !
C’est donc expert rebelle contre experts sérieux. Et les experts du gouvernement sont évidemment mieux cravatés donc évidemment plus sérieux que ce hippie blond à la moustache mal rasée.
Leçon 10
Dire clairement et directement ce qui doit être pris au sérieux. Il faut utiliser des organismes à la réputation inattaquable.
L’Agence NATIONALE du médicament dit qu’il y a danger de risque cardiaque. Ouille !
Cette position de l’ANDM atteint droit au cœur notre téléspectateur qui reçoit la nouvelle comme une gifle derrière la tête : Tiens toé !
Le ministre de la Santé rappelle que ce dangereux médicament (la chloroquine) doit être administré uniquement à l’hôpital et seulement dans « LES CAS LES PLUS GRAVES » ! (Lorsque la chloroquine est totalement inutile, finalement !) Un clip important, percutant et convaincant, celui du ministre responsable et sérieux (qui a une cravate impeccable témoignant ainsi d’une crédibilité que seuls les complotistes peuvent remettre en doute).
On se doit d’aller chercher ce solide ministre qui affirme sa réalité presque qu’en frappant du poing sur son bureau de ministre. Un témoignage de ministre impressionne toujours tous les téléspectateurs peu renseignés. Qui donc peut mettre en doute un ministre qui donnerait sa vie pour sauver celle de ses concitoyens ? Ses concitoyens menacés d’une mort probable si ce médicament n’est pas pris au sérieux !
Et v’lan ! C’est la deuxième gifle à notre téléspectateur. Une seconde gifle pour être bien sûr qu’il a bien compris.
Encore une fois : Tiens toé ! Prends ça !
Leçon 11
Ne pas lâcher Raoult Utiliser un autre mot clef.
Un mot qui permet de frapper l’esprit et qui peut resservir à maintes reprises : « MIRACLE »
Utiliser l’efficace formule : « Didier Raoult est persuadé d’avoir trouvé le remède « MIRACLE » !
Employer cette formule sur l’image percutante à la Une de Libération qui a eu la générosité d’accorder sa Une à cet échevelé qui croit avoir trouvé le remède « miracle ». Cette image et ce texte d’accompagnement peuvent s’avérer très efficaces pour guider vers notre objectif le jugement de notre téléspectateur.
Leçon 12
Répondre à des questions. Donner des réponses.
Aujourd’hui, les journalistes ne posent plus des questions, mais donnent des réponses. Le journaliste moderne est un guide de la bonne pensée à avoir. Alors, allons-y franchement :
« Mais qui est ce Raoult ? » Ce Raoult qui « DIVISE » la France !
« DIVISE » ce mot clef. Toujours à employer et à ne jamais mettre de côté.
Le « bon » journaliste montre en jouant l’objectivité ladite division.
Il ne faut jamais fléchir et toujours bien orienter, de façon subtile, bien entendu, le jugement de notre téléspectateur. Il y a «division», mais il y a surtout un côté qui a raison et l’autre qui est pour le moins « douteux ». Raoult est-il un infectiologue visionnaire ou un grand communicant ?
Poser la question, c’est y répondre. Oui, un « grand communicant » ! Finalement une grande gueule !
Hop ! L’esprit de notre téléspectateur peu renseigné est de plus en plus clair.
Le Raoult est mis à nu. Si on arrête ici notre reportage et qu’on demande à notre téléspectateur peu renseigné son impression au sujet de Raoult, que pensez-vous qu’il répondra ?
Oui, vous pouvez gager gros.
Leçon 13
Livrer la réalité indéniable. Cette réalité qu’on va rapidement nous mettre sous le nez.
Il faut prendre les devants et prévenir les attaques à venir.
Donc il ne faut jamais nier la réalité indubitable. Et la réalité du controversé Raoult est assez marquante ! Eh oui ! Malgré tout, il est un professeur « passablement » qualifié !
Il faut donc dire : « Derrière « les apparences » se cache un professionnel reconnu. »
Voilà, c’est suffisant ! Pour sceller le tout sans trop de dégâts, donnons la parole à un personnage qui porte en lui la sagesse paternelle : Renaud Muselier.
Le brave Renaud fut compagnon de classe de Didier, mais il donne l’impression d’avoir été son professeur ! Le brave Muselier (né en 1959) décrit efficacement le jeune Raoult (né en 1952). L’ex-ministre disant que Raoult montrait déjà « sur les bancs d’école » un caractère pugnace est terriblement efficace !
« Il était plus travailleur, plus « puissant », plus « fédérateur », globalement, vraisemblablement plus intelligent que tout le monde ! »
La formulation « vraisemblablement plus intelligent que tout le monde » qu’emploie le brave ancien ministre Muselier a un potentiel efficient. Notre téléspectateur peu renseigné peut risquer de comprendre que le jeune Raoult se prenait pour celui qui est « plus intelligent que tout le monde ».
Mais trêve d’analyse…
Le controversé Raoult a obtenu son Doctorat en médecine en mars 1981. Quant au brave Muselier que l’on présente avec sa veste blanche et son pantalon de circonstance il a peut-être été un peu plus politicien que médecin ! Le controversé « docteur » Raoult a également obtenu le diplôme de l’Université de Médecine Tropicale de la ville de Marseille en 1981. Il est même titulaire d’un C.E.S (Certificat d’Études Supérieures) en bactériologie-Virologie clinique, et d’un C.E.S en Diagnostic biologique parasitaire obtenu en 1982. Ça ne s’arrête pas là ! Il a aussi obtenu des diplômes à l’étranger, plus précisément à Atlanta, aux États-Unis. Il est diplômé de l’U.S. Department of Health and Human Service, « Principles of Epidemiology en 1983, et de « Communicable Disease Control » en 1984. Il a obtenu ces deux certifications au Center for Disease Control. Il obtient aussi en France le titre de Spécialiste de Médecine interne.
Bah ! Nul besoin d’ébruiter tous ces titres, on risque de perdre l’attention de notre téléspectateur peu renseigné.
Mais nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas mentionner quelques-unes des distinctions que le controversé Raoult a reçues. Il est garanti que ses partisans vont nous parader ces dites distinctions. Alors, soyons bons joueurs et mentionnons-en au moins une ; son prix de l’Inserm (l’Institut national de la santé et de la recherche médicale) obtenu en 2010 et qui lui a donné les reins pour financer sa machine de guerre dans le domaine des maladies infectieuses, cet institut Méditerranée infection de Marseille !
Cet institut qui se « targue » (bravo pour l’utilisation de ce mot) de produire le plus de publications scientifiques.
Il faut noter avec force le précieux détail que c’est l’un des rares sinon le seul institut du genre « qui fait de l’argent » ! Ce côté vilain capitaliste est toujours vendeur ! Avec cette mention de rentabilité notable, le cerveau de notre téléspectateur peu renseigné devrait se diriger lui-même vers où l’on désire l’amener ! Il peut même imaginer le controversé Raoult ayant une résidence cossue et une bagnole plus évoluée qu’une 2 CV.
Leçon 14
Enfoncer le clou.
Le meilleur moyen d’enfoncer un clou dans le cercueil d’une réputation, c’est d’utiliser (même hors contexte) les déclarations contradictoires de notre victime.
Il faut donc noter, toujours avec force, les premières déclarations de Raoult concernant le coronavirus. Et vraiment, nul besoin de mettre cette déclaration en contexte. Ne prendre que l’essentiel utile de la déclaration du controversé Raoult.
Pour cimenter le tout, il faut avoir recours à un spécialiste habillé d’une crédibilité des grands jours et atteint d’une « sériosité » marquée (sérieux). Un tel individu permet d’enfoncer complètement le restant du clou. Quelques déclarations massue seront fatales. Notre spécialiste est là pour prouver, hors de tout doute raisonnable, que le Didier Raoult n’a pas toujours raison !
Il dit : « On peut être un très grand scientifique et avoir une mauvaise lecture des événements » Et v’lan !
Si notre téléspectateur n’a pas maintenant son opinion totalement orientée vers l’objectif que l’on vise, c’est qu’il n’est pas un individu « peu renseigné » ! Toute personne normalement « peu renseignée » se rallie maintenant à notre jugement clairement démontré. Notre expert crédible (sic) s’il est le moindrement doué, peut se laisser aller sur le chemin de la description psychologique. Et pour le présent reportage, notre perle rare a ce talent. Il « souligne » que Raoult est un peu « fantasque », un peu « rebelle », bref il nous fait comprendre que ce Raoult aime défier l’autorité qui est pourtant qualifiée ! Ah ! Le vilain !
En bon journaliste-orienteur, on peut reprendre les expressions assassinent de notre intervenant crédible comme l’expression « le rebelle ». – « Le « rebelle » espère désormais voir SON étude sur la chloroquine validée ! »
Leçon 15
Indiquer où se trouve la science sérieuse.
Parce que la science, c’est elle qui doit avoir le dernier mot et non un « rebelle » en quête de gratification.
«… plusieurs essais ont été lancés « à grandes échelles » pour trouver un traitement contre le Covid-19 » (au Québec nos journalistes parlent de « la » Covid-19).
Il faut bien noter l’ampleur de la fameuse « recherche » française : Discovery. C’est là que nous plaçons, en quelque sorte, la cerise sur notre gâteau du dénigrement qui est au goût de l’establishment mondialiste nous employant.
Et hop !
Ce n’est pas sorcier.
J’espère que vous avez bien saisi la leçon. Allez, la prochaine fois on fera encore mieux.
Bon confinement
et surtout lavez-vous en les mains !
Salutations,
Serge Charbonneau. Québec
Monteur-réalisateur de reportages télé à l’emploi du service de l’Information de la Société Radio-Canada de 1978 à 1997.
P.S.: Notez que l’emploi du terme « hydroxychloroquine » n’arrive qu’à la toute fin (à 10 secondes de la fin).
Ce détail n’est pas, non plus, anodin. Pour valider vos nouvelles connaissances, s’il-vous-plaît revoir
Raoult: la visite présidentielle
Merci
Entre cette marde et Radio-Can, aucune différence!
Publié dans le journal » La Marseillaise »…le 14 avril 2020, journal qui n’est pas un chien de garde:
Le sérieux de l’IHU et de ses publications seraient-ils remis en cause par la communauté scientifique?
On a eu Tapie en entreprise, puis Mélenchon en politique, maintenant Raoult en Santé?
Suite aux annonces du Dr Raoult dévoilant jeudi 9 avril sa dernière étude, les premiers commentaires de la communauté scientifique ne semblent toujours pas dessiner de consensus. À l’instar du président de la Fédération des médecins de France, Jean-Paul Hamon, qui regrette une dérive relevant
de la politique spectacle à propos de la visite d’Emmanuel Macron à l’IHU Méditerranée, certains dénoncent désormais un scandale éthique comme le docteur Damien Barraud, médecin réanimateur
en unité Covid au CHR de Metz-Thionville.
La Marseillaise : Quelle est la situation actuellement dans votre service de réanimation ?
Damien Barraud : On a l’impression
d’avoir passé le fameux pic, atteint un
plateau. Le rush d’admissions semble
être derrière nous, même si le service
continue à tourner à plein. Si le tri des
malades est habituel en réanimation, on
avait suffisamment de capacité pour ne
pas faire de tri aussi drastique comme
cela semble s’être déroulé en Italie, avec
des limites d’âge très basses. On a travaillé
comme on l’aurait fait hors période
de crise.
LM L’effraction médiatique de la communication du professeur Raoult a-t-elle gêné le travail des médecins dans cette crise ?
D.B. : Elle a gêné le travail des médecins
à plusieurs niveaux : si nous étions sur la
même ligne dans mon équipe, il y a eu
dans mon hôpital certains collègues de
services conventionnels qui voulaient
prescrire de l’hydroxychloroquine, ce
qui a créé beaucoup de palabres et de discussions.
Il y a eu également des conséquences
sur nos rapports aux malades
et aux familles, qui nous ont demandé
parfois de manière très véhémente de
prescrire de l’hydroxychloroquine, en
nous menaçant de procès si nous ne le
faisions pas. Entre le stress et la pression,
cette polémique a généré une ambiance
pesante, dont nous nous serions
bien passés tant le climat était déjà difficile.
Enfin, cela entrave la bonne marche
de la recherche, certains patients refusant
de recevoir d’autres traitements.
LM Comment expliquez-vous l’emballement qui a propulsé le Dr Raoult sur le devant de la scène médiatique ?
D.B. : L’emballement me semble multifactoriel.
Il s’explique probablement
d’abord par le mode de communication
adopté par le professeur Raoult, qui a
su utiliser Youtube et les réseaux sociaux
pour rapidement se poser en sauveur
de la nation, avec une solution miracle,
dans une période de grand stress
dans la population. Toutefois, la faiblesse
des preuves scientifiques fournies par son
équipe aurait dû clore le débat immédiatement.
Si cela ne s’est pas passé ainsi,
c’est me semble-t-il lié à une défaillance
chronique du système hospitalo-universitaire
français, qu’une telle crise a révélée
au grand jour. Certains reproches à
l’encontre du gouvernement concernant
la gestion de la crise sont justifiés.
Il y a eu de vraies erreurs, telles que les
pénuries de masques, de matériel. Mais
la pression a été telle que le gouvernement
a dû lâcher la bride lorsqu’un bateleur
annonce sur la place publique
qu’il dispose d’un traitement miracle.
Le décret gouvernemental concernant
la prescription de l’hydroxychloroquine
est le témoin de cette prise d’otage. Dans
un fonctionnement normal, la communauté
scientifique aurait dû s’élever et
mettre fin à tout cela. En 2017, un rapport
du haut Conseil de l’évaluation de
la recherche et de l’enseignement supérieur
(HCERES) a pointé de graves dysfonctionnements
au sein de l’IHU
Méditerranée infection, suffisants pour
entraîner en 2018 la perte de labellisation
Inserm et CNRS. Dès 2006, des faits
d’inconduite scientifique ont été mis au
jour, et entraîné une interdiction transitoire
de publication scientifique par
l’American Society of Microbiology, et
de nombreux commentaires sur le site
PubPeer par des scientifiques du monde
entier. Concernant la publication de sa
première étude sur son traitement contre
la Covid-19, il n’y a probablement pas
eu de reviewing, l’éditeur en chef de ce
journal étant le bras droit de Raoult.
Lorsque l’étude a été publiée, beaucoup
de scientifiques ont pointé les anomalies
de ce travail. Au niveau hospitalier,
l’AP-HM sait aussi ce qu’il se passe. Le problème
est simple : les équipes de l’IHU
rapportent 25% des points Sigaps
[Système d’interrogation, de gestion et
d’analyse des publications scientifiques,
Ndlr] de l’AP-HM, ce qui représente énormément
d’argent pour l’institution, qui
n’a aucun intérêt à perdre la poule aux
oeufs d’or. Dans un monde normal, tout
est réuni pour que soit justifiée une mise
au ban de la communauté scientifique du
professeur Raoult. Mais tout le monde se
tait. Ou ne proteste que mollement, alors
qu’il s’agit d’un véritable scandale.
Quelles conséquences sur le plan éthique relevez-vous ?
D.B. : Dans son dernier papier, il inclut
deux enfants de dix ans, ce qui est une entorse
éthique grave, parmi d’autres. En
plus d’être une faillite scientifique, ces
travaux sont une faillite éthique. Si la
recherche clinique est réglementée, s’il
existe des règles méthodologiques qui ont
été élaborées avec le temps, ça n’est pas
pour rien, mais pour produire de la
meilleure science. Sa manière de communiquer
va à l’encontre du code de
déontologie médicale, qui prévoit que
le médecin doit faire preuve de prudence,
de ne faire état que de données confirmées,
et pas de publicité. Même si l’hydroxychloroquine
marche, ce que je souhaite,
il fait perdre beaucoup de temps
avec ses méthodes hors des clous.
LM La méthodologie demeure-t-elle essentielle pour être « dans les clous » dans ce genre de crise ?
D. B. : Nous sommes passés de l’empirisme
à des méthodes structurées car
nous sommes justement passés par des
échecs, dont nous avons appris. L’histoire
de la médecine est jonchée de dizaines
de ces échecs. Ce que propose le
professeur Raoult, c’est le degré zéro
de la recherche scientifique. L’expérience
est importante mais non suffisante
: il nous faut des données. Ce sont
les données qui sont irréfutables, pas
l’expertise qui pourrait d’ailleurs être
questionnée. L’argument d’autorité basé
sur le productivisme d’articles est
de la poudre aux yeux. Pour revenir à
la question du sens d’un traitement,
l’important n’est pas uniquement de
faire disparaître un virus dans le nez,
il faut également que le malade aille
mieux. Le meilleur exemple avec l’hydroxychloroquine
c’est le chikungunya
: l’hydroxychloroquine inhibait le
virus, in vitro, de manière tout à fait
efficace. Mais chez l’homme, elle aggravait
l’état du patient. Donc il n’y a pas
d’autre moyen de s’en rendre compte
que de réaliser des essais dans les règles
de l’art, avec un groupe contrôle,
idéalement avec placebo. C’est tout à
fait possible en urgence. Et parfaitement
éthique.
LM Que regrettez-vous dans cette polémique ?
D.B. : Tout. Tout le déroulement de ce
cirque dont nous n’avions pas besoin
dans cette période si difficile. Et je regrette
que les médias entretiennent cela
plutôt que d’être apaisants. Il faudrait
que les médias soient dans un mouvement
éducatif, afin d’élever les gens,
leur apprendre à critiquer, prendre du
recul, pour ne pas tomber dans la première
croyance. Lancer des sondages,
demander son avis à tout le monde sur
un plateau, est irresponsable. Du coup
les gens, en grand stress dans cette période,
se raccrochent au premier qui
leur donne de l’espoir. Ce n’est pas déontologique.
Plus la période est grave, plus
nous nous devons, nous tous, médecins,
chercheurs, soignants, comme journalistes,
de garder la tête froide et de travailler
de manière rigoureuse.