7 au Front

Réflexion sur les fondements interactifs et informatifs du cyber-journalisme

YSENGRIMUS — Il y a quelques temps, lors d’un débat sur Les 7 du Québec, deux de nos plus assidus collaborateurs ont eu l’estoc suivant, parmi bien d’autres. C’était au cœur d’un de ces grands élans digressifs dont je me tiens bien loin désormais comme participant mais que je lis toujours très attentivement, car la sagesse y percole souvent. Après que Lambda ait déploré la sempiternelle rudesse des échanges, Epsilon lui dit ceci:

Mais Lambda, vous êtes tout autant rude avec vos interlocuteurs, et ça n’est pas grave. C’est une question de style. Et vous montrez que vous êtes particulièrement sensible à la rudesse d’autrui. Ce qui est bien.

Vous savez, sur internet, il ne faut pas prendre tout ça avec le même sérieux que dans la vie. Car tout est ajouté des émotions fantasmatiques sur le net, parce que nous n’avons pas la vraie personne en face de nous. Vraiment, il ne faut pas se focaliser sur des réponses un peu plus rudes que la coutume. Et ça fait partie du jeu. C’est sans conséquence. Et vous pourriez m’en dire autant que ça ne changerait pas l’opinion que j’ai de vous et mon comportement dans mes réponses à vos rudesses, le cas échéant.

Réponse de Lambda:

Vous parlez d’internet, Monsieur Epsilon, moi je vois un moyen de diffusion d’information, un journal, un magazine, un média d’information. Vous voyez ce site comme étant un média social, une sorte de Facebook où le discours citoyen se vautre dans les mondanités et l’opinion, avec bien entendu les accrochages d’usage. Votre vision ne correspond pas à la mienne.

Si on veut faire du Facebook, soit. Mais si on veut faire de l’information et pousser la réflexion, il faut un minimum de crédibilité et de sérieux. Comment voulez-vous concurrencer en crédibilité avec les médias de masse si on joue avec des clowns? Vous voyez beaucoup de professionnels de l’information insulter les gens? Moi, je n’en ai jamais vu.

Ces deux interventions, surtout la seconde, synthétisent toute la problématique actuelle du journalisme citoyen. Le problème journalistique se formule désormais comme suit, c’est inévitable. Comme suit, je dis bien, c’est à dire dans les termes fort peu anodins d’une crise existentielle. Le journalisme est-il un corps de comportements communicatifs normés, fatalement aseptisés, reçus, stabilisés historiquement, avec une certaine façon ritualisée de colliger l’information, de la synthétiser, de la disposer, de la desservir, qui serait constante. Est-il un comportement produisant un corpus circonscrit?… un peu comme la poésie en vers ou les recettes de cuisine sont constantes et à peu près stabilisables à travers le temps.

Ou alors le journalisme n’est-il pas lui-même rien d’autre qu’une vaste manifestation perfectionnée (une parmi d’autres), justement, de mondanité et de formulation d’opinion, dont les cyber-ressources actuelles ne révèlent jamais que la profonde mutation contemporaine. Le journalisme, malgré ce qu’il voudrait bien faire croire, c’est pas une discipline rigoureuse comme, disons, la géométrie. Cela implique d’importantes questions. Le caractère «professionnel» ou «informé» du journalisme traditionnel est-il jamais autre chose qu’une illusion un peu parcheminée de classe élitaire (bien entretenue par la frilosité classique de l’esprit de corps, lui-même effarouché par le progrès que l’explosion actuelle impose). Les divers journalismes jaunes, la presse poubelle ou potineuse ne sont pas des inventions très récentes. Les élucubrations bobardeuses journalistiques, les diffamations de personnalités politiciennes et les relations de rencontres d’OVNI, sont vieilles comme le journalisme. L’internet est loin, très loin, d’avoir inventé tout ça. L’internet n’a pas inventé non plus le discours polémique, dont en retrouve des traces virulentes jusque chez les Grecs et les Romains.

L’élément nouveau des conditions journalistiques contemporaines ne réside pas vraiment non plus dans le fait que n’importe quel ahuri peut s’improviser diffuseur d’information de presse. Rappelons-nous, un petit peu, de l’époque pas si lointaine où celui qui contrôlait le chantier de coupe de bois contrôlait la pulpe, que celui qui contrôlait la pulpe contrôlait le papier, et que celui qui contrôlait le papier contrôlait à peu près tout ce qui s’écrivait dessus. Le journalisme n’a JAMAIS existé dans un espace intellocratique serein et éthéré. Cela n’est pas. Et l’objectivité de la presse, depuis sa conformité au factuel jusqu’à l’équilibre des opinions qu’elle véhicule, a toujours été un leurre de classe, dont l’unique bonne foi, toute épisodique, fut de se laisser aller parfois à croire à sa propre propagande.

L’opposition entre mes deux intervenants ici pose de facto une triade critique Facebook/média citoyen/média élitaire et, nul ne peux le nier, c’est l’espace intermédiaire, celui du média citoyen, qui se cherche le plus et ce, à cause du poids des deux autres. Un mot sur ces trois facettes du tripode.

Médias journalistiques élitaires. Ils sont foutus en terme de crédibilité fondamentale et plus personne de sérieux ne cultive la moindre illusion au sujet de leur partialité de classe. En plus, ils se détériorent qualitativement, en misant de plus en plus sur des pigistes et des gloses et traductions-gloses d’agences de presse. L’électronique les tue lentement comme distributeurs d’un objet (commercial) matériel traditionnel, ce qui les compromet avec une portion significative de leurs lecteurs d’antan. L’éditorial d’autrefois, donnant péremptoirement la ligne d’un quotidien ou d’un hebdomadaire, n’est plus. Il a été remplacé par des chroniques de francs-tireurs vedettes portés plus par leur succès d’audimat que par une base doctrinale effective. À cause de tout cela, un temps, on croyait vraiment les journaux conventionnels condamnés. Mais ils ont manifesté une notable résilience. Mobilisant leurs ressources, ils se sont adaptés, étape par étape, aux différents cyber-dispositifs et, en s’appuyant sur des ressorts empiriques (apprentissage collectif graduel du fonctionnement des blogues journalistiques, menant à leur noyautage) et juridiques (intimidation de plus en plus virulente des formes de discours et de commerce alternatif), ils on refermé un par un les différents verrous de la liberté d’expression et d’action, tout en restant de solides instruments de diffusion de la pensée mi-propagandiste mi-soporifique de la classe bourgeoise. Une fois de plus on observe qu’une solution technique ne règlera jamais une crise sociale, elle s’y coulera comme instrument et la crise continuera de se déployer, dans ses contradictions motrices, sans moins, sans plus. Les médias élitaires n’ont donc pas perdu tant que ça leur aptitude à tout simplement faire taire. Ceci est la confirmation du fait que la qualité intrinsèque, l’adéquation factuelle ou la cohérence intellectuelle, ne sont pas du tout des obligations très nettes quand ton journal est le bras de la classe dominante.

Facebook (et tous ses équivalents tendanciels). L’immense espace où le discours citoyen se vautre dans les mondanités et l’opinion avec bien entendu les accrochages d’usage n’est pas déplorable à cause de l’empoigne qui y règne mais bien à cause de sa dimension de vaste soupe de plus en plus gargantuesque et inorganisée. Qui relit du stock émanant de ces dispositifs? Qui prend la mesure de la censure mécanique par mots-clés qui y sévit de plus en plus nettement. Et, malgré cette dernière, c’est fou l’information qui nous attend, en percolant, dans un corpus de type Facebook (ou équivalents). In magma veritas, si vous me passez le latin culinaire! Sauf que, allez la pêcher… Je me prends parfois à fantasmer une sorte de gros agrégateur hyper-fin (car il serait tributaire de la fulgurance de cette intelligence artificielle authentique qui est encore à être). J’entrerais, mettons «Croyance aux OVNI» ou «Arguments dénonçant la corruption politique» et mon super-agrégateur plongerait dans Facebook (et équivalents) et y pêcherait ces développements et les organiserait, les convoquerait, les corderait, par pays, par époques, par tendances politiques ou philosophiques. Le corpus informatif magnifique que ça donnerait. On s’en fiche un peu pas mal que ces gens se chamaillent entre eux. Ils parlent, ils s’informent, ils amènent des nouvelles, comme autrefois sur les places des villages et dans les grands chemins. Molière a appris la mort de Descartes d’un vagabond venant de Paris monté temporairement sur l’arrière d’un des charriots de son théâtre ambulant. Je peux parfaitement me faire enseigner les prémisses de la dissolution effective du capitalisme pas un gogo méconnu dont le texte dort en ce moment sur Facebook, MySpace ou myobscurewittyblog.com. Ne médisons pas trop des ci-devant médias sociaux. Ils sont la tapisserie du Bayeux de notre époque. Les historiens ne les jugeront absolument pas aussi sévèrement que nous le faisons.

Médias journalistiques citoyens. Entre les deux, il y a les médias citoyens. Un cadre présentatif journalistique un peu à l’ancienne, quoique «pour tous» (commentateurs et auteurs) sur lequel se déverse la tempête interactive, sabrée du cinglant blizzard de toutes les digressions, redites et empoignes. De fait, entre la redite-télex et l’édito de choc, les médias journalistiques citoyens cherchent encore leur formule, et maintes figures d’hier ont jeté la serviette, les concernant. Ces médias alternatifs, où tout est encore â faire, sont principalement cybernétiques bien évidemment. Et ils s’alimentent de deux héritages. Ce sont justement les deux héritages, complémentaires et interpénétrés, qui, bon an mal an, se rencontrent et se confrontent ici, dans mes deux citations d’ouverture: l’interactif et l’informatif. Il ne faut pas se mentir sur les médias citoyens, dont l’exaltation des débuts s’estompe. Les manifestations verbales et conversationnelles de la lutte des classes la plus aigüe y font rage. Rien n’est badin ici, rien n’est formel, rien n’est comportemental (courtois ou discourtois). Tout concerne la lutte des forces progressistes et des forces réactionnaires de notre société pour se positionner et se maintenir dans l’espace, secondaire certes, subordonné mais toujours sensible, de le communication de masse.

La lutte des classes se bridait pesamment, sous les piles de papier encré du journalisme conventionnel. Dans le journalisme citoyen, elle se débride allègrement dans les pixels. Pour le moment, cela ne rend pas la susdite lutte des classes nécessairement plus méthodique, avisée ou systématique mais subitement, ouf, quelle visibilité solaire!

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3 réflexions sur “Réflexion sur les fondements interactifs et informatifs du cyber-journalisme

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  • Votre analyse de Facebook est très pertinente : on voit que vous avez la distance avec el ronron qui rassure du fil d’actu, du moins, ce qu’il en reste. Moi aussi, je m’interroge sur les journalisme citoyen. Je pense que les « preuves » de la contre information rapportée sur les réseaux sociaux n’existent pas. On fait avec des « bribes », nuance, et c’est tout.
    1°)-Les preuves de la solution finale :
    Annette Wieworka racontait comment des gens du Lot-et-Garonne ont empêché pendant la guerre un départ de train pour Auchwitz, au seul spectacle des bébés jetés dans une bétaillière. Ils ignoraient tout du Zyclon B, etc…
    Nos sommes comme ces habitant du sud-ouest, à ne voir que la partie émergée des choses, une ou deux pièces du puzzle.
    Les « preuves », on ne les aura pas avant 50 ans, ou alors on sera déjà mort ou morte.

    2°)-La « preuve » des crimes de Obama !

    Ils me font bien rigoler ces youtubers, qui prétendent posséder 100% des preuves des crimes commis par Obama. Et dont toute la vidéo se contente de raconter des bricoles sans importance : comment Obama a bousculé une vieille dame, en allant acheter sa baguette de pain !
    En revanche, rien sur le pizzagate. Rien sur Daech créé par Killary Clinton et Obama !
    ·
    Comme dit Irascible Le Gaulois, les choses vont beaucoup plus vite aujourd’hui, notamment avec le numérique, les statistiques, les documents hackés, les smartphones, l’info circule très vite, la pression peu monter très vite sur la justice qui elle c’est vrai est plus lente mais ne peut-on pas nous aussi, à notre tour, revendiquer aussi une situation d’urgence pour sauver des vies ? »(sic).

    Oui, l’information circule plus vite. Mais si on a décidé de nous cacher quelque chose, même le lanceur d’alerte avisé ne pourra avoir que des soupçons.

    L’incroyable férocité contre Julian Assange

    Oui, il y a des documents hackés, comme l’a fait Julian Assange. Lui a voulu sincèrement révéler au monde entier de la contre information explosive.

    On voit aujourd’hui l’incroyable férocité, dont il est la victime. Il est en danger de mort, pour reprendre le titre du livre rédigé par notre camarade Aymeric Monville, intitulé : « Julian Assange en danger de mort » édition Delga, 2019. Sa vie de martyre dans la prison britannique de haute sécurité de Belmarsh à Londres.

    L’objectif, pour la camp mondialiste, est d’éviter qu’un autre Assange ne débarque sur le net : voilà ce que Obama, Clinton et Macron craignent par dessus tout !
    Je me souviens de cette diffusion de documents Wikileaks sur Macron et sa fausse campagne présidentielle, au mois d’avril 2017.
    Macron en personne avait menacé les facebookiens de peines de prison très graves, s’ils relayaient les infos de Wikileaks : je me souviens, j’en ai encore froid dans la dos..!

    4°)-La preuve de l’ampleur du chômage et de la pauvreté :

    Sur un autre sujet, prenons les faux chiffres officiels du chômage et de la pauvreté minorant largement l’ampleur du phénomène.
    J’ai passé suffisamment de temps à pédaler dans ces faux chiffres, pour savoir que mon modeste avis (l’existence de 15 millions de pauvres), ne pèse pas lourd face au poids médiatique de l’INSEE, affirmant qu’il n’y en a que 9 millions, et que l’Institut ment en cadence, avec effronterie !
    Dans un article Médiapart en date du 27 mai 2021, l’INSEE, sous tutelle de Bercy pour les primes et déroulement de carrières, fait croire qu’il n’y a « que » 2 millions de personnes vivant dans la grande pauvreté.

    Ce chiffre est un fake manifeste. On se souvient d’un rapport de la Fondation de l’Abbé Pierre de 2014, chiffrant à 3 millions, le nombre de femmes et d’hommes vivant dans des taudis. Mais là encore, personne n’a le chiffre véritable du nombre de personnes vivant dans la grande pauvreté.

    Comme écrivait Chris Hedges, ex journaliste vedette du New York Times, le mensonge structure nos sociétés occidentales. Je dirai : le mensonge est la pierre angulaire du système capitaliste.
    Et le fait que l’information circule plus vite n’y change rien : puisque l’information qui circule, ce sont les faux chiffres de l’INSEE en matière de pauvreté, repris par les lanceurs d’alerte naïfs, manipulés !

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