De la diglossie dans les chaumières montréalaises

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YSENGRIMUS — Les histoires de ci-devant baisse du français à Montréal rejoignent une statistique qui circule depuis plusieurs années dans les coins: le nombre de non-francophones-et-non-anglophones augmente six fois plus vite que le nombre de locuteurs d’une des deux langues officielles dans la grande région montréalaise. Bon, bon, si on retire les facteurs en creux (ne pas se procréer et partir pour Repentigny) qui révéleraient un manque de francophones de souche en ville, il reste un seul facteur en plein: l’immigration internationale. L’immigration internationale est par définition linguistiquement hétérogène. Elle fournit ce qu’on appelle dans notre doux jargon sociologique local les allophones, ceux qui parlent une langue “autre” (que les deux langues officielles du Canada). En procédant de la bonne façon et avec le respect requis, des politiques de planification linguistique adéquates peuvent tout à fait amener les allophones aux langues diverses, éparses, sans communication mutuelle directe à embrasser le français comme langue véhiculaire “de la nation”. Le défi est là et il est là depuis au moins cinquante ans. L’augmentation de l’immigration internationale au Québec est en fait un atout, en ce sens que le français ne fait plus face à une autre puissante langue unique (l’anglais qui, avec le profond discrédit US n’a, en plus, plus le prestige qu’il avait aux yeux de nos nouveaux compatriotes) mais à une multiplicité et une diversité de langues communautaires et familliales qui rend un français, langue seconde du segment allophone de la collectivité, beaucoup plus vendable. Si évidemment on évite de faire du charriage, du barouettage et de la petite politique minable (d’un bord ou de l’autre) avec ce délicat problème sociétal de fond. Ainsi on notera, par exemple, que le fait d’avoir concentré les plus récentes recherches démographiques sur la langue du cercle intime peut s’avérer fort trompeur et inutilement paniquant.
Les sociolinguistes nomment DIGLOSSIE l’aptitude qu’ont certaines cultures polyglottes à maintenir une étanchéité complète entre la langue parlée dans un cercle et la langue parlée dans un autre cercle. Plusieurs de nos compatriotes du monde viennent de cultures très profondément diglossiques. Cela fera d’eux des promoteurs naturels de leur langue vernaculaire dans la sphère privée et du français dans la sphère publique. Fait intéressant, j’en jasait justement l’autre jour avec mon barbier montréalais, un italien charmant qui tient échoppe de barbier depuis 1968 et qui ne parle pas l’anglais. Il m’expliquait que la propension linguistique des italo-canadiens du Québec et celle de ceux du reste de l’Amérique du Nord était fort distincte. Les italiens de Montréal tendent à parler italien (ou le dialecte de leur région italienne d’origine) dans le cercle familial et français à la ville. Les italiens de Toronto et du reste de l’Amérique du Nord tendent à parler anglais tant à la ville qu’à la maison. L’Amérique du Nord assimile tandis que le Québec promeut sa langue, tout en préservant la culture d’origine des ci-devant allophones. Cette diversité culturelle effective et cet avantage diglossique hérités historiquement sont la clef du succès de la formule québécoise. Il fallait entendre le ton dépité de mon barbier italien devant la perte de l’italien et du dialecte manifesté par sa parenté torontoise. La diglossie protège les deux groupes du danger d’assimilation, par qui que ce soi. Elle fait du soucis de préservation ethno-culturelle des québécois une priorité universelle et fort intimement comprise, chez les allophones, et fonde ainsi le noyau dur d’une solide compréhension mutuelle sur ces questions si sensibles. C’est indubitablement la formule de demain. Si tu me donnes le choix entre ça et les Flamands des Belges ou les Anglos un peu carrés de nos grands-pères, je prend le lot allophone n’importe quand. Il faut étudier cela plus attentivement, cette capacité diglossique des groupes immigrants et c’est vraiment important. Elle avantage le français comme langue collective québécoise et on n’en parle strictement jamais. Simplisme, simplisme.
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