7 au Front

L’intelligentsia : l’éternelle «Cerbère» des maîtres du monde

Par Khider Mesloub.

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Que o Silêncio dos Justos não Mate Inocentes: A intelligentsia : o eterno «Cerberus» dos mestres do mundo (queonossosilencionaomateinocentes.blogspot.com)

« Oui, Messieurs, c’est la guerre entre les riches et les pauvres : les riches l’ont voulu ainsi ; ils sont en effet les agresseurs. Seulement ils considèrent comme une action néfaste le fait que les pauvres opposent une résistance. Ils diraient volontiers, en parlant du peuple : cet animal est si féroce qu’il se défend quand il est attaqué. » Louis-Auguste Blanqui – 1805-1881. 

 

Décidément, l’histoire bégaie. Et l’intelligentsia éructe toujours autant bruyamment son mépris du peuple travailleur. Elle vomit toujours avec autant de répulsion sa haine contre les classes laborieuses, particulièrement en période de soulèvements populaires, notamment comme lors du mouvement des Gilets jaunesOu, comme actuellement, de manière plus sournoise, contre les activistes hirakiens brocardés pour leur refus d’agréer la compromission de la majorité de l’élite bourgeoise algérienne avec le nouveau pouvoir recyclé porté aux nues par les « représentants autoproclamés du Hirak » en quête de sinécures et de prébendes. https://les7duquebec.net/archives/260545 

 

Les intellectuels organiques, ces parasites à la plume élitiste vénale, n’ont d’autre utilité sociale que de tresser des lauriers à leurs maîtres (les classes dirigeantes) et de se dresser avec hargne contre les classes populaires.  

Avec la révolte du mouvement des Gilets jaunes, https://les7duquebec.net/archives/241154   les médias et les intellectuels organiques, ces voix de leurs maîtres, avaient dévoilé, avec des aboiements rhétoriques emphatiques, dans un lexique mordant pour le peuple et léché pour les puissants, leur rôle de Chien de garde de l’ordre établi. Leur aversion invétérée du peuple. Leur propension pavlovienne à se mettre au service des classes dominantes. 

  

Durant toute la période de la lutte des Gilets jaunes, journalistes et intellectuels, ces clercs des temps modernes, avaient communié dans la même ferveur de la surenchère de propagande haineuse contre le mouvement, rivalisant d’ingéniosité pour le dénaturer, le discréditer, le diffamer. Pour distiller contre le mouvement les pires calomnies. En Algérie, c’est à la faveur du durcissement de l’autoritaire régime recyclé que les douces et dociles élites algériennes ont dévoilé leur hideuse figure « harkie » (1) contre le hirak, défiguré par leurs coups de griffes infligés à la manière des chattes domestiques réputées pour leur combativité menée au moyen de miaulements d’obéissance.  

 

En France, à l’époque de la révolte des Gilets jaunes, même le multimillionnaire Bernard-Henry Levy avait pris l’initiative de publier une tribune au titre évocateur « L’Europe est en péril ». En termes moins hypocrites, le capitalisme est en péril. En défenseur invétéré du capital, dans ce texte, ce plumitif de salon s’alarmait de l’émergence des « populismes », autrement dit, des mouvements sociaux en lutte en Europe, notamment le mouvement des Gilets jaunes, dédaigneusement catalogué de raciste, d’antisémite, d’homophobe. Dans sa croisade contre les mouvements populaires « antisystème », le richissime Bernard Henry Levy avait débauché une trentaine d’écrivains célèbres pour mener son opération de propagande et de calomnie contre les peuples révoltés. Conduits par ce calamiteux philosophe à la pensée polémologique ruisselant de sang vampirique et à l’activité nourrie d’affairements belliqueux macabres sur fond de fructueuses opérations financières, ces littérateurs avaient appelé à se mobiliser contre la « vague » populiste qui menacerait l’Europe. Autrement dit, qui menacerait la stabilité des privilégiés de l’Europe, le règne des classes possédantes. 

 
Plus tard, dans une émission de télévision « On n’est pas couché », Bernard Henry Levy avait fustigé le mouvement des Gilets jaunes, qualifié de « mortifère » le mouvement et ses défenseurs de « populistes qui sont les profiteurs du désespoir, de la misère, pour casser la République et s’en prendre aux institutions ». Traduction : s’en prendre au capitalisme.

 

Face aux « Gilets jaunes », les porte-paroles de la bourgeoisie s’étaient unanimement tous rassemblés dans un front commun pour les fustiger, les qualifier de racistes, de fascistes, d’homophobes, de factieux. Mais aussi d’idiots. « Gilets jaunes : la bêtise va-t-elle gagner ? », se demandait Sébastien Le Fol dans Le Point (10 janvier 2019). Un autre intellectuel domestiqué, journaliste de son État, avait déclaré sur la chaîne du pouvoir BFM TV, « Les vrais “gilets jaunes” se battent sans réfléchir, sans penser ». Son confrère « de laisse » du Figaro Vincent Trémolet, avait écrit le 4 décembre 2018 : « Les bas instincts s’imposent au mépris de la civilité la plus élémentaire ». Voici quelques autres perles journalistes vomies par ces plumitifs de service dans leurs périodiques respectifs mais sûrement pas respectables : « Mouvement de beaufs poujadistes et factieux » (Jean Quatremer), « dirigé par une « minorité haineuse » (Denis Olivennes), s’apparentant à un « déferlement de rage et de haine » (Le Monde) dans lequel des « hordes de minus, de pillards » « rongés par leurs ressentiments comme par des puces » (Franz-Olivier Giesbert) libèrent leurs « pulsions malsaines » (Hervé Gattegno).  
 

Ainsi, à l’occasion du surgissement de cet inédit mouvement de masse des Gilets jaunes, l’intelligentsia avait dévoilé sa véritable fonction d’auxiliaire intellectuelle servile de la classe dominante. Journalistes, intellectuels et membres de la classe dominante, toute cette mafia élitiste officielle, s’étaient ligués pour pilonner le mouvement des Gilets jaune. Les journalistes, à coups de projections informatives insidieusement anti-mouvement gilets jaunes ; le pouvoir, à coups de projectiles balistiques handicapants ; les intellectuels, à coups de projets de mobilisation de l’armée et de l’incitation de la police à user de leurs armes létales contre les gilets jaunes. 

 

En effet, d’aucuns avaient appelé le gouvernement Macron à mobiliser l’armée pour rétablir l’ordre. À l’instar de l’intellectuel organique, Luc Ferry, le fasciste, frère d’arme de Bernard Henry Levy le fasciste, professeur de philosophie et ancien ministre, qui avait défrayé la chronique en sommant les policiers à faire usage de leurs armes meurtrières. Luc Ferry le fasciste avait demandé à la police de tirer à balles réelles contre les Gilets jaunes lors des manifestations. « Qu’ils se servent de leurs armes une bonne fois, ça suffit », avait-il déclaré lors d’une émission radiophonique intitulée « Esprits libres » (Cela ne s’invente pas. Esprits libres… de massacrer le peuple quand il se révolte contre son esclavage). Mais aussi en exhortant l’armée à intervenir contre le mouvement des Gilets jaunes. Autrement dit, à écraser dans le sang ce mouvement. « On a la quatrième armée du monde, elle est capable de mettre fin à ces saloperies », s’était-il exclamé sur un ton furibond empli de haine de classe du vassal. 

  

La dénonciation génocidaire des Gilets jaunes par Luc Ferry n’était pas le délire d’un esprit égaré, psychopathe, mais la pensée profonde de ces « Esprits libres » (thuriféraires de la démocratie des riches), de la majorité de cette intelligentsia décadente, et de ses maîtres, la classe dominante bourgeoise. Cette dernière, incapable d’appliquer d’autre politique pour protéger ses privilèges, notamment par la « redistribution des richesses », impossible en cette période crise systémique, avait envisagé officiellement de recourir à l’armée pour réprimer et enrayer la révolte des Gilets jaunes. Au reste, dans l’urgence, elle avait blindé son régime répressif par le vote de lois despotiques (une préparation aux lois d’urgence sanitaire qui allait suivre). À cet égard, il est utile de rappeler que le budget alloué à la répression étatique a agressivement augmenté. En France, les dépenses en équipements et matériels des forces de police et de gendarmerie ont progressé de 181% entre 2012 et 2017, passant ainsi de 132,4 millions d’euros à plus de 372 millions d’euros. Depuis lors, il a encore été considérablement augmenté. Le budget de l’armée et de la police est le seul à ne pas connaître la crise, comme dans tous les pays, notamment  l’Algérie.

 

Ce ton haineux de l’élite contre le peuple rappelait curieusement celui des écrivains de l’époque de la Commune engagés de manière enragée contre le mouvement de révolte des communards. En effet, historiquement, ce déversement de haine contre le peuple révolté s’était déjà produit au cours de la Commune de Paris.

  

La Commune est cet événement historique où le peuple parisien s’était emparé du pouvoir. Effectivement, du 18 mars au 21 mai1871, le pouvoir avait été concentré entre les mains du peuple. Au cours de cette phase révolutionnaire, la Commune avait gouverné dans la ville de Paris. La Commune avait organisé la société dans l’unique intérêt du peuple. Elle avait été le premier « État ouvrier », première expérience de l’autogestion populaire. Durant cette éphémère période de prise de pouvoir par le peuple, la classe dominante, réfugiée à Versailles, avait déployé tous les moyens meurtriers pour récupérer les rênes de son pouvoir. Jusqu’à se compromettre avec l’Allemagne de Bismarck, la veille encore combattu sur les champs de bataille. 

 

La Commune de Paris avait immédiatement donné lieu à des réactions véhémentes. Tout ce qui comptait en France d’écrivains et d’intellectuels avait manifesté pour le mouvement et pour ses protagonistes une haine assassine. Toute ressemblance avec l’intelligentsia contemporaine déchaînée contre le mouvement des Gilets jaunes n’est pas fortuite, comme n’est pas fortuite l’entreprise de dénigrement et de torpillage politique du mouvement hirakien actionnés par certains intellectuels algériens dévorés d’ambitions gouvernementales.

 

Contre la Commune de Paris, la bourgeoisie, effrayée par la mise à mal de l’ordre social, avait trouvé aussitôt un allié de poids : l’intelligentsia littéraire, qui avait mis sa vénale plume au service des classes dominantes. Dans un sursaut d’union sacrée de classe, la majorité des écrivains s’était associée à la bourgeoisie pour fustiger la Commune de Paris, pourfendre les révolutionnaires. La Commune de Paris avait aussitôt déchaîné, chez ces littérateurs, un tombereau d’injures et de falsifications.  

 

À l’exception notable de Jules Vallès, Arthur Rimbaud, Paul Verlaine, Villiers de l’Isle-Adam, partisans de la Commune, et partiellement de Victor Hugo qui avait conservé une certaine neutralité, tous les écrivains de l’époque s’étaient soudés dans une haine inexpiable contre les communards. Ces écrivains s’étaient emportés avec virulence contre la révolution parisienne, « gouvernement du crime et de la démence » (Anatole France).

 

 Par-delà leurs divergences idéologiques, tous ces écrivains avaient trempé leurs plumes venimeuses dans l’encrier sanguinolent versaillais pour éructer leur belliqueuse hostilité assassine contre la Commune, pour appeler au massacre des communards. Ils avaient transformé symboliquement leurs plumes en baïonnettes prêtes à écrire en lettres rouge sang leurs œuvres criminellement bourgeoises. 

 

Toutes obédiences politiques confondues, depuis les écrivains conservateurs à l’instar de Maxime Du Camp et Gustave Flaubert, en passant par les royalistes comme Alphonse Daudet, le comte de Gobineau, Ernest Renan, la comtesse de Ségur, Taine et bien d’autres, jusqu’aux réactionnaires Leconte de Lisle et Théophile Gautier, tous ces écrivains avaient troqué leur costume de salon contre l’uniforme de mercenaire au service de Versailles. 

 
Outre ces écrivains de l’Ancien régime, étaient venus s’agréger à la canonnade contre la Commune les plumitifs de sensibilité républicaine, comme François Coppée, Anatole France, George Sand, Émile Zola (oui, cet écrivain encensé comme un progressiste était en vrai un partisan de la nouvelle République bourgeoise génocidaire et colonialiste, autrement dit la Troisième République née sur le massacre de masse de la Commune de Paris et la théorisation pédagogique de la politique colonialiste exterminatrice enseignée par l’école de Jules Ferry), pour ne citer que les plus célèbres. En dépit de quelques nuances dans leurs diatribes hystériques anti-communardes, la dénonciation des communards était unanimement partagée par l’ensemble de ces écrivains (aujourd’hui encore édités, publiés, enseignés à l’école ; alors que de célèbres écrivains des années 1900 -1940 ont été bannis du système scolaire et des librairies en raison de leur collaboration avec le régime de Vichy). Parmi les plus virulents propagandistes zélés, d’aucuns avaient décidé de rejoindre le chef du pouvoir exécutif, Thiers, à Versailles, le boucher de la Commune, pour le seconder dans ses préparatifs de la répression.  

 

Dans leurs violentes campagnes anti-communardes, ces écrivains avaient versé dans une outrance verbale haineusement meurtrière, emplie de préjugés de classe. Toute cette engeance littéraire communiait dans une aversion aristocratique des classes laborieuses. Pour ces parasites intellectuels, les classes laborieuses étaient avant tout des classes dangereuses. Aux yeux injectés de haine de ces plumitifs réactionnaires, la Commune était l’œuvre de la « canaille », de la « populace », « mue par l’envie » (Macron est allé à bonne école en usant de termes avilissants contre les Gilets jaunes, qualifiés de “foule haineuse”).  

  

Au reste, ils comparaient le prolétariat à une « race nuisible », les travailleurs à des « bêtes enragés », à des « nouveaux barbares » menaçant la « civilisation ». Les Communards avaient été affublés de tous les qualificatifs effrayants :« brigands », « barbares », « Peaux-rouges », « cannibales ». Aujourd’hui, sous la plume des chiens de garde de l’ordre établi, reviennent fréquemment les termes de « racailles », « ensauvagement » pour qualifier les classes populaires remuantes. 

 

Indubitablement, il est de la plus importance historique de rappeler l’issue sanglante de la Commune de Paris. En effet, du 22 au 28 mai 1871, la Commune avait été réprimée dans le sang par les troupes de Versailles. Bilan de cette « semaine sanglante » : près de 30 000 personnes massacrées, 46 000 arrestations, 10 000 déportations (parmi les déportés expédiés dans les bagnes de la Nouvelle-Calédonie figure la célèbre révolutionnaire Louise Michel, qui se liera d’amitié avec beaucoup d’Algériens kabyles internés également dans ces bagnes calédoniens à la suite de la révolte des El-Mokrani, monumentale insurrection contre le pouvoir colonial français, survenue en Algérie le 16 mars 1871, deux jours avant le déclenchement de la Commune de Paris : les grands esprits révolutionnaires se rejoignent).

 

La bourgeoisie, éprouvée par la frayeur de sa probable disparition, scandalisée par l’audace du peuple d’avoir pris les commandes du pouvoir, d’avoir tenté de briser les bases du système marchand, a fait chèrement payer, pour l’exemple, cette « hérésie » révolutionnaire aux communards (aujourd’hui, sa descendante classe bourgeoise mondiale fait chèrement payer aux classes populaires massivement révoltées ces dernières années, notamment en France, en Algérie, à Hongkong, au Liban, au Chili, etc., leur audacieuses insurrections, par la dégradation de leurs conditions de vie, le musèlement de leurs droits d’expression, la restriction de leurs libertés collectives, l’écrasement de leur esprit frondeur obtenu au moyen de l’instauration généralisée du despotisme étatique, la militarisation de la société, du terrorisme étatique). 

 

Edmond de Goncourt ne s’était pas trompé dans son verdict apologétique scélérat lorsqu’il avait écrit : « les saignées comme celle-ci, en tuant la partie bataillante d’une population, ajournent d’une conscription la nouvelle révolution. C’est vingt ans de repos que l’ancienne société a devant elle. » (Actuellement, en 2002-2021, avec la terreur « covidatoire », le carnage économique et le massacre sociale, les gouvernants tentent – illusoirement ? – de nous enlever le goût de la révolte pour vingt ans, nous confiner à une existence de survie nourrie d’obéissance et de soumission, gavée de répression, rassasiée d’arrestations, garnie d’incarcérations).  Quant à Gustave Flaubert, pour sa part la répression n’avait pas été suffisamment cruelle, car il avait estimé « qu’on aurait dû condamner aux galères toute la Commune et forcer ces sanglants imbéciles à déblayer les ruines de Paris, la chaîne au cou, en simples forçats. Mais cela aurait blessé l’humanité. On est tendre pour les chiens enragés, et point pour ceux qu’ils ont mordus. » Des propos qui auraient pu être écrits ou prononcés par Bernard Henry Levy ou Luc Ferry, par la confrérie servile des intellectuels et la corporation vénale des journalistes contemporains. 

 
Ainsi, tous les écrivains avaient apporté leur soutien au régime sanguinaire de Versailles. Ils avaient approuvé, cautionné et béni cette répression sanglante, ce génocide de la population parisienne (comme aujourd’hui l’ensemble de la corporation médicale, scientifique, intellectuelle, politique cautionne le génocide sociale et l’extermination économique perpétrés par les gouvernants, ces représentants du Grand capital financier, sous couvert de crise sanitaire du Covid-19). 

 

Pour cette engeance intellectuelle, la Commune de Paris avait favorisé l’éclosion d’une imagination débridée haineusement anti-ouvrière. En effet, cette élite intellectuelle avait rédigé dans une prose réactionnaire des textes incendiaires émaillés de métaphores animalières, médicales, à la connotation dégradante dégoulinante de mépris de classe. Elle avait usé de termes hérissés de peurs et d’épouvantes propres à susciter parmi l’opinion publique l’effroi et la terreur. 

 

Pour la majorité de ces écrivains, la Commune était l’expression d’une imperfection congénitale biologique, d’une dépravation morale (sic). La Commune était l’illustration de « la lutte du Bien contre le Mal, de la civilisation contre la barbarie, de l’ordre contre l’anarchie, de l’intelligence contre la bêtise, de la tête contre le ventre, du devoir contre l’égoïsme, du travail contre la paresse, de l’élite contre le l’engeance populaire ».  

 

Voici un florilège des textes de ces écrivains enragés, engagés contre la Commune  

 

« Que l’humanité est une sale et dégoûtante engeance ! Que le peuple est stupide ! C’est une éternelle race d’esclaves qui ne peut vivre sans bât et sans joug. Aussi ne sera-ce pas pour lui que nous combattrons encore, mais pour notre idéal sacré. Qu’il crève donc de faim et de froid, ce peuple facile à tromper qui va bientôt se mettre à massacrer ses vrais amis!», avait asséné Leconte de Lisle.

Ailleurs, à propos des communards, Leconte de l’Isle avait dénoncé ainsi « cette ligue de tous les déclassés, de tous les incapables, de tous les envieux, de tous les assassins, de tous les voleurs, mauvais poètes, journalistes manqués, romanciers de bas étage ». Tandis qu’Alphonse Daudet voyait plutôt des « têtes de pions, collets crasseux, cheveux luisants. ». Pour Anatole France, les Communards n’étaient qu’« un comité d’assassins, une bande de fripouillards, un gouvernement du crime et de la démence ». 

Ernest Feydeau avait précisé que « ce n’est plus la barbarie qui nous menace, ce n’est même plus la sauvagerie qui nous envahit, c’est la bestialité pure et simple ». Théophile Gautier acquiesçait : les Communards sont des « animaux féroces », des « hyènes » et des « gorilles », qui « se répandent par la ville épouvantée avec des hurlements sauvages ».

Avec des métaphores médicales, la Commune fut selon Maxime Du Camp « un accès d’envie furieuse et d’épilepsie sociale », et selon Émile Zola « une crise de nervosité maladive », « une épidémique fièvre exagérant la peur comme la confiance, lâchant la bête humaine débridée, au moindre souffle ». 

Sur un ton paternaliste, un autre écrivain, Maurice Montégut, s’épanchait avec sollicitude sur les pauvres : « La paix et la concorde doivent venir d’en haut, descendre, ne pouvant monter. C’est le devoir des compréhensifs, des forts, de tendre la main aux faibles, aux enténébrés. Comment en vouloir à la foule – puisque l’on ne fait rien pour l’éclairer, l’instruire – d’avoir gardé l’atavique instinct des brutes préhistoriques, au temps où les ancêtres cannibales, dans les forêts monstrueuses, ne se rencontraient que pour se dévorer sur le seuil des cavernes ? Avec un peu de douceur, beaucoup de charité, on apaise les bêtes frustres qui tendent le dos, se soumettent sous l’étonnement d’une caresse ».  

Pour certains écrivains, l’esprit égalitaire de la Commune offusquait leur conception élitiste et aristocratique de la société. Ainsi, Taine avait écrit avec ironie, sur un ton persifleur : « Le patron, le bourgeois, nous exploite, il faut le supprimer. Moi ouvrier, je suis capable, si je veux, d’être chef d’entreprise, magistrat, général. Par une belle chance, nous avons des fusils, usons-en et établissons une République où des ouvriers comme nous soient ministres et présidents ». Renanpour qui l’Allemagne constituait un modèle, avait estimé que « l’essentiel est moins de produire des masses éclairées que de produire de grands génies et un public capable de les comprendre ».  

De même, les femmes « communardes » n’avaient pas été également épargnées par les outrances verbales de ces écrivains sanguinaires versaillais. Ces femmes, appelées aussi les pétroleuses (femmes qui, pendant la Commune, auraient allumé des incendies avec du pétrole), étaient comparées à des « louves » ou des « hyènes ». Ainsi, Arthur de Gobineau avait écrit : « Je suis profondément convaincu qu’il n’y a pas un exemple dans l’histoire d’aucun temps et d’aucun peuple de la folie furieuse, de la frénésie fanatique de ces femmes. » 

Un autre écrivain moins célèbre, Ernest Houssaye, avait déclaré quant à lui : « Pas une de ces femmes n’avait une figure humaine : c’était l’image du crime ou du vice. C’étaient des corps sans âme qui avaient mérité mille fois la mort, même avant de toucher au pétrole. Il n’y a qu’un mot pour les peines : la hideur ».

Au moment de la répression sanglante des Communards, Anatole France jubilait : « Enfin, le gouvernement du crime et de la démence pourrit à l’heure qu’il est dans les champs d’exécution ! 

Emile Zola se montrait, pour sa part, indulgent envers les Versaillais : « Le bain de sang que le peuple de Paris vient de prendre était peut-être d’une horrible nécessité pour calmer certaines de ses fièvres. Vous le verrez maintenant grandir en sagesse et en splendeur. »

Décidément, sous le règne de la domination de classe règne toujours l’abomination de classe, l’extermination sociale.

Dès que le peuple laborieux, le prolétariat, relève la tête, la haine de la classe dominante s’abat sur lui. Suivie ensuite par les répressions, les internements, puis les massacres de masse, perpétrés toujours avec le soutien politique et la caution idéologique de l’intelligentsia.

Khider Mesloub  

1- Harki : Supplétif indigène algérien recruté durant la Guerre d’Algérie, autrement dit collaborateur du colonialisme français.  

Robert Bibeau

Auteur et éditeur

2 réflexions sur “L’intelligentsia : l’éternelle «Cerbère» des maîtres du monde

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