LA MAGIE DE DANIEL T. (film documentaire de Nicolas de la Sablonnière, 2019): Certainement magnifique, mais, bon… pas si magique
Moi, ce que j’aime, c’est les peintres qui me surprennent, tsé…
Daniel T. Tremblay
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YSENGRIMUS — Nicolas de la Sablonnière, dit Delasablo, poursuit la réflexion sur les artistes marginaux qu’il a amorcée dans ses précédents documentaires, Tomahawk et Planète Bol. On nous présente aujourd’hui un peintre saguenéen du nom de Daniel T. Tremblay. Le monsieur est littéralement et très exactement un peintre obsessionnel. Il travaille sur toutes les surfaces, principalement à l’acrylique. Il configure géométriquement ses œuvres picturales, notamment en utilisant des étampes et des stencils. Les bombes aérosol de peinture lui servent à disposer ses motifs, d’une façon nette et prompte, et cela lui suscite de la satisfaction. De fait, il peint avec tout, brosses, pinceaux, jet direct ou flageolant de couleurs. Son corpus est gigantesque. Non seulement il peint avec tout, mais il peint sur tout. En effet, une des caractéristiques remarquables de cet artiste, c’est qu’il peint sur à peu près n’importe quels objets. Il peint sur de la toile, sur une porte de garage, sur des portes d’armoires, sur des pots de fleurs, sur les quatre faces de morceaux de bois parallélépipédiques, sur des tables de restaurants qu’il trouve dans le recyclage, sur des guitares, sur des sacs, sur la poubelle de sa cuisine, sur sa boite à lettres. Tout, pour Daniel T. Tremblay, est susceptible de se trouver réinvesti par la couleur et les configurations formelles.
La peinture de Daniel T. Tremblay peut être semi-figurative ou non-figurative. Il n’hésite pas une seconde à qualifier ses œuvres de décoratives. Ses représentations de faciès sont saisissantes. Comme le signale monsieur Tremblay, ceux-ci nous regardent toujours de face, jamais de profil. Le corpus est extrêmement diversifié, constamment renouvelé. Le travail est exploratoire. Convulsionnaire. Maladif. Compulsif. Et les œuvres de s’accumuler, après trente ans de production. Elles se comptent par centaines, possiblement par milliers. Les tableaux et objets peints par Daniel T. Tremblay sont entreposés dans différents endroits. L’attitude généreuse de quelques bons samaritains, que l’on rencontre tout au long du film, fait que le gros de son corpus n’est pas perdu, disons, pour l’instant. Pas perdu mais pas inventorié, non plus… C’est un vrac… soigneusement et respectueusement emballé, mais un vrac tout de même. Monsieur Tremblay se diffuse peu mais il produit beaucoup. Le sens visuel remarquable de Nicolas de la Sablonnière, qui est lui aussi peintre, nous permet ici évidemment de découvrir le cheminement d’un artiste parfaitement passionnant. La caméra capture les couleurs, poursuit les formes, rencontre et fait valoir les matériaux, étudie les variantes infinies de l’œuvre. L’exploration. La magie. Voici que monsieur Tremblay, à la ville, tombe en arrêt devant un ci-devant truc en métal de la ville pour tenir les arbres [sic]. C’est une de ces grilles circulaires disposées au sol, tout contre la surface terreuse, et qui attend un arbre qui n’est pas encore planté et encadré par elle. Monsieur Tremblay, en gaminet blanc, bombe cette grille métallique d’une bonne couche de peinture noire et se couche à plat ventre dessus. Un motif grillagé pour gaminet est né. Applaudissements approbatifs des quelques badauds témoins de la scène.
Les choses qui, dans la présentation d’ouverture du documentaire, semblent s’amorcer tout doucement, presque sereinement, vont, à mesure où on va avancer dans la compréhension de la situation et du cheminement de cet artiste, se mettre à sérieusement grincer. C’est que Daniel T. Tremblay en est venu, comme fatalement, à être envahi, dévoré, submergé, tourmenté par son art. Et cela a littéralement foutu sa vie en l’air. Sa vie maritale en l’air, sa vie familiale en l’air, ses conditions financières en l’air, son équilibre psychologique en l’air. Il est ce qu’on appelait autrefois un maniaco-dépressif. On parle aujourd’hui plutôt de bipolaire. Je ne me gêne pas pour le dire. Je suis bipolaire et je me soigne. Il faut bien comprendre que les gens qui sont dans ce genre de situation, comme monsieur Tremblay nous l’explique dans le documentaire, passent par des phases d’activités intensives (picturales, dans son cas) qu’on appelait autrefois les phases de manie. Et celles-ci sont suivies d’intenses phases d’affaissement dépressif. Le tout est susceptible d’engendrer des comportements déviants de toutes natures, notamment des comportements violents. On découvre que la conjointe de monsieur Tremblay a été obligée de le quitter. C’est une artiste, elle aussi. Une artisane verrière. On la rencontre. Elle nous parle, sur un ton serein et lucide, de l’homme et du peintre. Lors d’une descente aux enfers corrélée à la production d’un grand tableau, Monsieur Tremblay a posé des gestes violents. Conséquemment, il a fait un séjour en prison et en institution psychiatrique. Son ex-conjointe nous évoque donc la réalité d’un artiste littéralement bouffé par son art. Ce peintre hyper-productif ne cultive aucun des gestus institutionnels habituels. Il vend peu. Il est mal connu. Maintenant, il vit seul, entouré de son œuvre. Je les aime, mes tableaux, dit Daniel T. Tremblay. Et il est clair que de les produire chez lui, en son monde, et de les savoir autour de lui a beaucoup d’importance pour lui.
Un fait particulièrement intéressant et relativement nouveau dans le triptyque documentaire de Delasablo, sur les artistes marginaux, si on compare avec les deux artistes précédemment évoqués, c’est que monsieur Daniel T. Tremblay a une doctrine picturale élaborée et formulée. Il a une vision de l’art et une analyse de son héritage artistique. Il les présente, les exprime. Il fait les musées et les expositions, seul ou avec ses vieux comparses. Quand on lui propose de comparer l’œuvre et l’impact de deux peintres saguenéens, il sait parfaitement quoi dire. Il a des grands peintres de référence. Paul-Émile Borduas, Riopelle, Frère Jérôme sont pour lui des figures déterminantes, plus cruciales même que les peintres européens ayant élaboré l’art moderne. Incidemment, et très modestement, Daniel T. Tremblay nous dit que s’il n’y avait pas eu de Riopelle, il n’y aurait pas eu de Daniel T. Tremblay. Tant et si bien qu’en écoutant ce personnage diversifié, non seulement on découvre et saisit mieux comment il travaille, mais on prend aussi connaissance d’une visée compréhensive sur l’art pictural. Cette doctrine des Beaux-Arts va d’ailleurs, au cours de l’exposé cinématographique, prendre un tournant tout à fait intéressant. À 1:08:30 se présente une sorte de film après le film ou de film dans le film. On voit apparaitre le titre Les face-à-face avec Christiane Cardinal. Et, à partir de ce moment-pivot du film, on va rencontrer d’autres artistes, la majorité d’entre elles, des femmes (dont, justement, Christiane Cardinal). On va aussi visionner leur corpus de tableaux, adéquatement échantillonnés par la caméra. Avec ces femmes artistes, Daniel T. Tremblay interagit, directement, simplement. Il va voir leur travail dans leurs studios, discute avec elles. Les voici qui comparent leurs techniques. Ils se parlent les uns des autres. En un graduel crescendo, on les voit s’accumuler, se retrouver, se regrouper, casser la croute ensemble. Et le tout se conclut dans une exposition entre amis, assurée par Daniel T. Tremblay, chez lui. Les médias locaux couvrent alors l’événement. La magie opère quand même un peu.
On prend pleinement la mesure de ces deux dimensions, celle du peintre solitaire, convulsionnaire, crispé sur son travail et celle de l’amateur d’art éclairé, rasséréné, calmé, pondéré et qui interagit respectueusement et intelligemment avec d’autres artistes. Ces deux facettes de l’artiste et de l’homme Tremblay sont montrées, intriquées et complémentaires. La cinématographie de Delasablo continue d’être parfaitement satisfaisante. Les couleurs sont nettes. La colorisation opère, discrètement et bien. Les dispositifs spatiaux extérieurs sont joliment découpés, maisons, rues, rivière, parcs. Les intérieurs sont à la fois intimistes et originaux. L’appartement d’un peintre. On a, sous les yeux, en fait, trois corpus d’œuvres d’art, distincts et complémentaires. Celui du peintre qu’on découvre, celui des autres artistes qu’il côtoie ou commente, et celui du documentariste qui nous guide dans cette double découverte. Ledit documentariste sait parfaitement dominer sa présentation. Ses questions d’entrevue sont brèves, senties, limpides. Verbalement et visuellement, il expose son propos avec maîtrise et justesse. Le montage est efficace. La présentation visuelle des choses vaut, pour elle-même. On sent, en visionnant ce film, que Delasablo aime faire du cinéma. Dans de beaux moments finement croqués, on voit Daniel T. Tremblay en train de faire son épicerie, de se préparer à manger, de manger ce qu’il s’est préparé, de passer son aspirateur, de prendre ses pilules multicolores et de recycler son pilulier pour l’intégrer à une œuvre d’art. On le voit en train de peindre aussi, évidemment. Sous le regard d’une caméra amie, monsieur Tremblay vaque à organiser sa petite vie. Il reçoit la visite de son ex-conjointe et de son fils. On les accompagne dans leur repas et leur conversation sur les idylles de bals de finissants et les crises historiques de l’art québécois. La cinématographie de Nicolas de la Sablonnière est toujours très heureuse et très sûre. Cela nous donne à prendre connaissance, encore une fois, d’un exposé solidement amené. Cet opus a, de plus, la qualité indéniable de nous fournir l’exaltation artistique, visuelle et esthétique qu’il entend livrer, tout en nous imprégnant de la cohérente continuité de la subtile réflexion delasablienne sur les grandeurs et les affres de l’art non-institutionnel. Qu’en est-il des artistes marginaux? Qu’en est-il de leur vie et de celle de leurs pairs? Qu’en est-il de leur lancinante souffrance? Et qu’en est-il de leur existence ordinaire, quotidienne? Que se passe-t-il, en dehors des circuits de gloriole et du spectacle bourgeois de l’art? Rien de si magique, en fait… On le sait tant tellement trop bien… et c’est justement pour ça qu’il faut tant tellement qu’on nous le montre.
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LA MAGIE DE DANIEL T., Nicolas de la Sablonnière (dit Delasablo), 2019, Antarez films et Gene Bro Prod, film documentaire de 131 minutes.
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Tout juste incroyable cet artiste… une vraie légende urbaine très représentative de la belle province tournée vers l’art et la peinture…surtout pas bourgeoise, surtout pas commerciale ! et puis y a tout ces entrepôts ou ses oeuvres s’entassent par milliers !!! de quoi être certain qu’un jour rien de cela n’aura été fait en vain… j’en suis persuadé !
Merci pour ce document lumineux et coloré et que je viens de finir a l’instant ! Au fait, si je pouvais me le permettre et oser, si j’étais le producteur du documentaire, j’aurais demandé à l’artiste de faire don d’une partie de ses anciennes oeuvres pour des hôpitaux, des institutions, des écoles et des endroits qui manquent cruellement d’art, de couleurs…. je suis certain qu’il ne refuserai sûrement pas !
Hier lorsque j’ai visionné le Doc, j’ai tout de même détecté des trucs intéressants dans les »oeuvres » de l’artiste… vraiment pas des stencils et des coloriages a la bombe aérosol qui ne sont pas que cela eux non plus ! bref, c’est juste qu’il n’a pas voulu développer son style, un genre et thèmes plus académiques ou recherché… je le soupçonne d’ailleurs d’avoir pris ce tournant exprès, il envoie chier un peu les artistes qui se prennent la tête, et n’a pas voulu s’exercer lui même dans cette direction je crois…
Bref, A propos d’artistes peintres et autres assimilés, je dois dire que certains Marocains m’ont toujours bouché un coin… les vieux de la vieille profs aussi de la première école des beaux arts de Casablanca (on parle des années 1960…uniquement), dont certains ont étudié à celle de Paris avec les »grands »…. et pour tout dire… c’est que je les ai découvert surtout chez les gens friqués du Maroc accrochés aux murs… de pures merveilles (qui valent des fortunes).. et l’ironie, est qu’à chaque »hommage’, qu’on leur rend encore aujourd’hui dans les musées et même à Paris parfois, il n’y a souvent que très peu de toiles qui soient représentatives de leurs meilleurs réalisations… c’est que les collectionneurs Marocains ne prêtent pas aux musées, et ne font voir leur trophées a personnes sauf a eux !!! collectionneurs de merde avec une mentalité de merde !
il y a donc »Jilali Gharbaoui » et »Ahmed Cherkaoui » considérés un peu comme des précurseurs… mais il y a surtout un »Farid Belkahia » ex lauréat de Paris et ex directeur de l’école de Casablanca a ses débuts et qui a fini par troquer la peinture pour des assemblages de peaux de chèvre et de cuivre, avant de finir avec des représentations ou genre de toile strictement en peau de chèvre, avec non pas de la peinture, mais des teintures naturelles ou au Hénné pour évoquer la tradition marocaine ! Phénoménal le type (Aujourd’hui décédé)… ou ce que j’ai pu voir de lui en tous cas chez des friqués du Bled ! je ne suis pas arrivé à trouver les toiles en question sur des oeuvres maîtresses… qui me rappellent toujours des formes que je dessinais moi même plus jeune intuitivement :))) voici un lien :
le meilleur moyen d’avoir une idée sur ses toiles c’est simplement de taper son nom dans google »Farid Belkahia » et cliquer sur images…. :))
sinon, y a ce truc sur youtube d’un type qui en parle et résume un peu la trajectoire du peintre au centre pompidou https://www.youtube.com/watch?v=le6hvgPajjA
Bon c’est sûr qu’il y en a plein d’autres, parfois étonnants comme Chaibia Talal, une vieille mémé analphabète mais géniale qui n’a jamais mis les pieds nulle part, et qui s’est retrouvée au sommet de sa gloire de son vivant …. décédée aujourd’hui aussi …. ses toiles aussi valent des fortunes… un genre de picasso marocaine ! :)))))
Bref, je me souviens lorsque je bossais au Maroc, j’ai vu et parfois connu plein de peintres de tous les genres qui faisaient n’importe quoi et tentaient de se positionner, louer des espaces dans les hôtels ou les galeries… mais ceux qui avaient du vrai talent étaient inconnu de tous et n’avaient même pas de quoi bouffer… ils ne se consacraient pas vraiment à leur talent d’artiste…. j’en ai qq souvenirs…
Amicalement !