L’enlèvement de Monsieur NEXTA par le Bélarus: Les préparatifs de guerre se poursuivent

Par Israël Adam Shamir.

 

Que pense Loukachenko de lui-même et de son pays ? N’agit-il pas comme le roi d’Israël ? Israël s’autorise à tuer et à kidnapper ses ennemis, où qu’ils se trouvent. Les États-Unis s’autorisent également à faire tout ce qu’ils jugent nécessaire ; enlever des centaines de personnes et les jeter à Guantanamo, ou simplement les abattre, comme ils ont tué Soleimani. Mais d’autres États ? Non, Dieu nous en préserve ! Ils sont censés accepter placidement ce que leurs supérieurs décident et respecter les règles du jeu.

 

Cependant, Louka (comme on l’appelle affectueusement) est fait d’une matière plus solide. C’est l’homme qui a refusé catégoriquement de confiner sa nation ; il a organisé le défilé du jour de la Victoire en Europe dans sa capitale, Minsk, le 9 mai 2020, alors que le reste du monde avait peur de sortir dans la rue. Et maintenant, il détient le type qui incarne NEXTA, Roman Protassevitch, l’organisateur des manifestations de l’année dernière à Minsk. Roman P. se moquait des demandes d’extradition, depuis son refuge à Varsovie ; sa chaîne sur Telegram, NEXTA, a offert des millions en récompense pour qui arrêterait Louka. Et soudain, surprise, le voilà en prison. Rira bien qui rira le dernier.

 

Les réseaux sociaux russes jubilaient. Ils ont bricolé une photo de leurs James Bonds nationaux, Petrov et Boshirov, célèbres pour leur  [lors de l’affaire Skripal], pilotant l’avion détourné vers Minsk. Bien que les Russes, prudents, ne soient probablement pas impliqués dans l’affaire, le cœur des Russes était tout acquis à Louka, celui qui a arrêté le Hipster.

 

À Sotchi, la station balnéaire de la mer Noire au climat chaud, et résidence secondaire des présidents russes, Poutine a bien reçu Loukachenko, lui a offert une baignade dans la mer et s’est moqué des menaces occidentales. Ce ne sont que des émotions passagères, a-t-il dit, une explosion d’émotions. Cela passera bientôt. Il a fait référence à la recommandation inquiétante de l’UE de fermer le ciel au-dessus du Belarus, une menace directe pour la Russie, un tour de vis supplémentaire, dans l’a mise en place du rideau de fer. Il serait certes inconfortable pour la Russie et coûteux pour le Belarus que ces limitations persistent. Toutefois, grâce au soutien de la Russie, le Belarus n’a pas à s’inquiéter. Et les États-Unis n’ont pas ordonné à leur aviation d’éviter le Belarus, contrairement aux Européens. C’est coûteux d’avoir à contourner le Belarus ; laissons les Européens payer la facture.

 

La Russie s’adapte au nouvel ordre mondial et s’en sort bien. C’est le pays le plus libre du monde aujourd’hui, avec des théâtres, des musées et des églises ouverts, des restaurants pleins de visiteurs, et il y a un vaccin pour tous ceux qui en veulent. Mais cette liberté a été conquise à coup d’efforts considérables, et les alliés de la Russie ne sont pas également capables de résister à l’Occident. Ils sont plus petits, et il est plus facile de faire pression sur eux. La Biélorussie, le balcon russe sur l’Europe, se trouve coincé entre les États satellites des États-Unis, c’est un pays vulnérable. L’encerclement de la Russie et de ses alliés serait devenu une réalité sans la longue et amicale frontière chinoise.

 

Le Belarus s’est positionné comme la plaque tournante occidentale de l’influence chinoise, comme l’allié et l’ami le plus occidental de la Chine. Les nationalistes russes disent que le Belarus est plus pro-chinois que pro-russe. Le Belarus est un État eurasien, affirme M. Loukachenko, reliant ainsi son pays à la fois à la Russie et à la Chine. Si le ciel du Belarus était fermé, l’accès de la Chine à l’Europe en souffrirait. Cela ouvrirait également une brèche pour une attaque soudaine de missiles sur la Russie. Pour cette raison, entre autres, de nombreux analystes russes considèrent l’affaire Ryanair comme une provocation. Ils disent que l’Occident avait amorcé le piège et savait tout à l’avance. Les États occidentaux ont réagi si vite et si massivement qu’une connaissance préalable du déroulement de l’opération semble une conclusion inéluctable.

 

La CIA a joué un coup de poker : elle a sacrifié un jeune homme de peu d’importance pour fragiliser la Chine et la Russie et muscler le poing de Biden, qui doit rencontrer Poutine prochainement. D’autres affirment que c’est tout le contraire : que c’est le KGB du Belarus qui a remporté un grand succès, tandis que l’opposition bélarussienne soutenue par l’Occident a reçu un coup terrible. Des experts encore plus conspirationnistes affirment qu’il s’agissait d’une opération russe visant à renforcer les liens du, trop indépendant, avec son voisin géant.

 

Effectivement, il n’y a pas assez de certitudes sur les événements de Ryanair pour exclure une provocation. M. Loukachenko affirme qu’il aurait exigé que l’avion atterrisse à Minsk s’il avait su que Roman P. était à bord de l’avion. Mais il ne le savait pas, dit-il. Nous savons avec certitude qu’un contrôleur du trafic de l’aéroport de Minsk avait informé le commandant de bord de l’avion Ryanair qu’il avait reçu un courriel (provenant ostensiblement du Hamas) affirmant qu’il y avait une bombe à bord de l’avion, prête à exploser au-dessus de l’aéroport de Vilnius. La menace était douteuse ; le Hamas n’a jamais fait exploser d’avions, mais il a utilisé des kamikazes pour faire sauter des bus en Israël, de sorte que personne ne pouvait garantir qu’il s’agissait d’une blague.

 

Dans le monde entier, à l’Est comme à l’Ouest, toutes les alertes à la bombe sont traitées comme si elles étaient réelles, alors qu’il s’agit bien plus souvent de canulars. L’année dernière, la Russie a reçu des milliers de fausses alertes à la bombe, prétendant généralement qu’une école était piégée. Ces fausses menaces sont souvent liées à l’Ukraine, où se trouve un réseau néonazi actif et farouchement anti-russe. Malgré la quasi-certitude qu’il s’agit d’un canular, les autorités russes traitent invariablement ces menaces comme des faits réels. L’Occident aussi. En août de l’année dernière, la RAF britannique a fait décoller deux avions de chasse pour intercepter un avion de ligne Ryanair en raison d’une menace pour la sécurité ; il s’agissait en fait d’un téléphone portable oublié dans les toilettes.

 

Il est donc normal de prendre des mesures de sécurité. Dans tous les cas, c’est le droit et le devoir du commandant de bord de décider. Celui-ci a décidé de dévier vers l’aéroport de Minsk. C’est un fait – il existe un enregistrement des conversations entre l’avion et l’aéroport. Sur le chemin de l’aéroport de Minsk, un avion de chasse biélorusse accompagnait l’avion. Le signal avait été brouillé, conformément à la procédure standard, lorsque l’avion de ligne s’est approché de l’aéroport de Minsk et qu’il est passé près de la centrale nucléaire. Les archives de Ryanair confirment que l’avion de chasse n’a pas intercepté l’avion de ligne, ne l’a pas menacé et n’a pas été perçu par le commandant de bord comme une menace. S’il est possible que le Belarus ait été au courant du canular (ou même qu’il l’ait organisé), il n’y a aucun moyen de le prouver.

 

Après l’atterrissage de l’avion, les passagers sont descendus et ont été conduits au terminal. Pendant qu’ils attendaient l’inspection de l’immigration, Mme Sapega, la petite amie du type qui représentait NEXTA, a pris une photo de lui sur son smartphone et a envoyé la photo à un ami commun. Et celui-ci s’est empressé de poster la photo sur Telegram, en disant que leur chef était à Minsk ! C’est ainsi que les autorités biélorusses ont appris que cette personne, recherchée depuis longtemps par la police, se trouvait sur leur territoire. Il a donc été placé en détention. C’est ce que racontent les autorités biélorusses, et cela pourrait être vrai (ou non). Quoi qu’il en soit, il n’y a pas eu de détournement d’avion, ni d’atterrissage forcé, ni d’autres actes douteux. Que les autorités biélorusses aient su dès le départ qu’un homme recherché se trouvait à bord n’a aucune importance. Après la publication de la photo de l’homme sur Telegram, elles ne pouvaient même pas prétendre qu’elles ne savaient pas.

 

Et s’ils avaient su que le jeune homme était à bord ? Même si c’était le cas, ils ont quand même agi de leur propre chef. Tout pays a le droit de faire atterrir tout avion civil volant dans son propre espace aérien. Cela découle non seulement de l’idée de souveraineté, mais est également confirmé par la pratique.  En 2016, les autorités de Kiev ont fait décoller des jets et, sous la menace, ont forcé un vol de Belavia en route vers Minsk à revenir et à atterrir à Kiev. Après l’atterrissage, elles ont retiré et détenu un passager – l’expert russo-arménien Armen Martirosyan. Pourquoi ? Parce qu’il avait déclaré (en plaisantant, selon lui) par téléphone depuis l’aéroport avant le décollage qu’il transportait avec lui des documents compromettants sur le président ukrainien Porochenko. En fait, il n’avait aucun document ; il a été relâché par la suite, mais le fait de forcer l’avion à atterrir n’avait provoqué aucune réaction internationale.

 

Les États-Unis insistent sur leur droit d’accoster tout navire civil. En 2004, les États-Unis ont fait atterrir de force un avion privé dans lequel se trouvait un membre de la chambre haute du parlement russe et ancien vice-ministre, Andrei Vavilov. Il a été emmené pour interrogatoire directement depuis l’aéroport. Le cas le plus célèbre remonte à 2013. L’avion du président bolivien Evo Morales avait décollé de Moscou. Les services de renseignement américains soupçonnaient Snowden d’être à bord. L’avion du président a été forcé d’atterrir à Vienne, où l’avion a été fouillé. Snowden n’ayant pas été retrouvé, l’avion a été relâché. Ensuite, les États-Unis ont publiquement et officiellement déclaré leur droit sacré de détenir et de fouiller tous les navires civils du monde.

 

Les États-Unis n’ont pas été les seuls à débarquer des avions. En 2012, la Turquie a forcé un avion Moscou-Damas à atterrir. Mais c’était un avion russe, alors tout le monde s’en fichait.  Qui les Biélorusses ont-ils détenu, au final ? Un citoyen biélorusse nommé Roman Protassevitch, fondateur et responsable de la chaîne Telegram NEXTA, celui-là même qui a organisé les émeutes de Minsk en 2020. J’observais Roman P. en temps réel sur l’écran de mon smartphone alors qu’il dirigeait les émeutes à Minsk lors des événements de 2020 en Biélorussie. J’ai alors pensé qu’Israël aurait immédiatement largué un missile sur ce studio douillet s’il s’était avisé de donner l’ordre aux émeutiers d’attaquer la police israélienne. Si un missile constitue un message peu proportionné, alors plusieurs parachutistes israéliens auraient frappé à sa porte. Une telle ingérence ne peut être tolérée. Ce que NEXTA a fait relevait d’un acte de rébellion et de sédition, et les stations de télévision et de radio rebelles sont susceptibles d’être bombardées. Comme Israël vient de bombarder les bureaux de l’Associated Press et d’Al Jazeera à Gaza. Comme les Américains ont bombardé des stations de télévision à Belgrade, Bagdad et Kaboul.

 

D’une façon ou d’une autre, le Belarus a donc réussi à capturer l’organisateur de NEXTA. Bravo ! Israël a enlevé des civils pour moins que cela, par exemple, le lanceur d’alerte Mordechai Vanunu, qui avait révélé les secrets de l’arsenal nucléaire – enlevé à Rome. Les États-Unis ont récemment forcé l’atterrissage d’un avion pour arrêter un participant présumé aux événements du 6 janvier au Capitole.  Jusqu’au jour de l’arrestation de Roman P, cependant, seul ce camp, celui de l’hégémon israélo-américain, s’était aventuré à agir comme État pleinement souverain. Loukachenko a fait un pas important et audacieux en revendiquant l’égalité avec Israël même et en mettant la Russie sur le même pied que les États-Unis. Il était grand temps. La Russie a désormais bafoué ces restrictions internationales auto-imposées.

 

L’action de M. Loukachenko n’est peut-être pas un grand pas dans la lutte mondiale des titans, mais c’est certainement un petit pas en avant pour le Belarus et la Russie. La rédactrice en chef de RT, Margarita Simonyan, a posté sur Telegram qu’elle enviait le Belarus. Qui ne serait pas envieux d’un leader aussi audacieux ? D’un autre côté, elle peut être fière de la Russie. Sans la protection de Moscou, le Belarus aurait déjà été entièrement « démocratisé », comme la Syrie et l’Irak.

 

Il est grand temps d’appliquer pleinement la symétrie internationale. Récemment, les services spéciaux américains et leurs collègues subalternes de Kiev ont coopéré lors d’une opération. Ils avaient prévu de clouer au sol un avion de ligne en route entre Minsk à Istanbul alors qu’il traversait l’espace aérien ukrainien. Des combattants du Donbass devaient être incités à monter à bord du vol en question à Minsk, soi-disant pour prendre le vol en toute sécurité vers Istanbul, qui serait ensuite débarqué « de force » à Kiev où ils auraient pu être arrêtés et condamnés. Lorsque le complot a été éventé, les gouvernements occidentaux n’ont pas abordé ce qui était techniquement un détournement d’avion ; ils ont seulement regretté que l’opération ait échoué.

 

L’Empire maintient Julian Assange en état d’arrestation depuis des années. Des dizaines d’informaticiens russes (qualifiés de « hackers ») ont été arrêtés dans des pays tiers et extradés vers les États-Unis ; des centaines d’autres ont été enlevés dans le cadre du programme de « restitutions extraordinaires » et emmenés mourir à Guantanamo. Loukachenko a démontré que deux hommes solides pouvaient eux aussi jouer à ce petit jeu.

 

Le détenu de NEXTA, Roman P., a déjà commencé à chanter, et tout de suite, quelques heures après sa détention. Nous nous attendons à apprendre comment la Pologne et les États baltes (et la CIA) se sont ingérés dans les affaires intérieures du Belarus, comment ils ont planifié et tenté une « révolution de couleur » à Minsk. Les photos de son smartphone ont révélé qu’il y a quelques années, ce jeune homme s’est porté volontaire pour servir dans le bataillon néonazi Azov en Ukraine, prenant des selfies sous une croix gammée. Il ne s’agit pas nécessairement d’un crime au Belarus, même si Azov était bien connu pour ses crimes de guerre dans le conflit du Donbass.

 

Sa petite amie, Mme Sofia Sapega, la petite jeune fille si maligne qui a pris la malheureuse photo à l’aéroport de Minsk, s’est avérée être rédactrice en chef d’un site qui a dénoncé des policiers biélorusses et les sympathisants du gouvernement ; elle a appelé les rebelles à se venger sur leurs familles et leurs maisons. « Elle est détenue depuis deux mois » [sic].

 

Il est probable que le gouvernement du Belarus découvre beaucoup de choses intéressantes en interrogeant ces deux jeunes gens. En outre, cette arrestation est susceptible de refroidir certaines têtes brûlées en Biélorussie. Jusqu’à présent, ils se croyaient intouchables ; ils ont maintenant appris que le gouvernement peut défendre le pays contre les émeutiers et le fera.

 

En règle générale, je sympathise avec les rebelles. Mais parfois, les rebelles sont trop sûrs d’eux. Ils pensent qu’ils sont des Elfes combattant les Orques. La chaîne NEXTA a mené sa guerre contre les gens de l’économie réelle du Belarus, contre son industrie et son agriculture, pour le nouveau monde numérique. S’ils gagnaient, comme en Ukraine, l’industrie biélorusse serait pillée et vendue pour une bouchée de pain ; comme en Ukraine, les travailleurs biélorusses seraient au chômage, sa grande agriculture serait ruinée. Mais l’Ukraine avait un président faible, M. Ianoukovitch, qui a fui en Russie lorsqu’il était en danger. Loukachenko est taillé dans une autre étoffe. Il ressemble davantage au président syrien Bashar Assad, l’homme qui est toujours au pouvoir après avoir reçu des années durant l’ordre de partir. Son amitié serait très bénéfique pour M. Poutine.

 

https://www.unz.com/ishamir/the-abduction-of-nexta/

joindre l’auteur: adam@israelshamir.net

traduction: Maria Poumier

 

Robert Bibeau

Auteur et éditeur

Une réflexion sur “L’enlèvement de Monsieur NEXTA par le Bélarus: Les préparatifs de guerre se poursuivent

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