ET CÉTÉRA! (roman de Denis Morin)

Nous ne devons pas toujours chercher à comprendre le pourquoi des choses, des faits et des êtres. Tout se meut en de vastes constellations. Tout s’émeut. Les théologiens parlent de communion des saints. J’emprunterai plutôt l’expression de communion des vivants.   (p.90)

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YSENGRIMUS — L’écrivain Denis Morin, dans son nouvel opus intitulé Et cétéra! (roman épistolaire), nous fait entrer de nouveau dans l’univers sereinement organisé de ses sagas familiales. La chose commence par un petit mystère sur papier bruissant. Une dame d’un certain âge, ayant un certain profil social, reçoit une certaine mystérieuse lettre. Au début, cette lettre, on ne sait même pas si elle est écrite par un homme ou par une femme, car elle n’est pas vraiment signée et sa calligraphie est soignée certes, mais neutre. Et cette lettre, qui est envoyée de France, est suivie d’autres lettres. Et, dans ces lettres, on se met à faire des références entendues à un certain nombre d’évènements ayant été vécus autrefois, dans une certaine région du Québec, nommément le Bas-du-fleuve. Oh mais c’est bien que l’auteur ou l’autrice de ces lettres se fait graduellement connaître comme étant quelqu’un du cru, malgré sa sibylline distance présente.

Les choses vont s’amorcer de cette façon-là. Et on va entrer tout doucement dans un univers de vie ordinaire où le mystère vient s’insinuer. Ce mystère est le plus suave des mystères… le mystère à réminiscence. Et dans la vie de la bonne petite bourgeoisie provinciale apparemment sans histoire, ce mystère-là, eh bien il vous turlupinera plus que tout. Un objet, un grand objet, un bel objet va devenir très important dans la mise en place du tout de ce dispositif d’évocation. Le piano. Pour tout dire sans trop en dire, il y aura confrontation et compagnonnage entre deux styles pianistiques. Le piano dit classique et le piano dit jazz. Tout se joue alors dans la rhapsodie des contextes musicaux et des passions anciennes. On ne cultive pas spécialement les références musicales (ou musicologiques) dans ce roman. On ne s’amuse pas à renvoyer à tel corpus ou tel autre. Il s’agit plutôt d’une coexistence entre les styles, entre les tons et même entre les pianos physiques eux-mêmes. Il y aura en effet un piano configuré pour jouer jazz et un piano configuré pour jouer classique. Tous ces pianos, d’ailleurs, deviennent de véritables coffres au trésor, car ils sont souvent truffés de lettres et de secrets divers. Pour tout dire, il y a du piano décoratif dans l’air. Et, de fait, la discrétion de Denis Morin au sujet du corpus pianistique qui lui roule dans la tête en produisant cet opus se déploiera, en point d’orgue (si vous me passez le mot), sous la forme d’une liste des œuvres musicales ayant soutenu l’écriture (p. 169). Trois CD de piano, un pianiste unique. Approfondissement n’est pas foisonnement.

Sans surprise, on retrouve, au fond du mystère en cours de déploiement, les relations humaines. L’amour, la culpabilité enfouie, l’abandon, les regrets, les maladresses tragiques. Et si on ose s’autoriser un aveu discret, en ne trahissant aucun secret de lecture, on peut mentionner que l’un des principaux thèmes traités, c’est l’adoption. L’adoption, le fait d’avoir un enfant adoptif, le fait de donner son enfant en adoption, le fait de vivre et de mûrir dans la situation d’adoption. Et la quête, inquiète et sourdement passionnée, des parents originels et de la scène originelle.

Le style sobre et soigné de Denis Morin est très efficace dans l’installation des atmosphères, fort peu picaresques ici, au demeurant. Le récit fait doucement valser ensemble le figuratif direct et l’imaginaire exploratoire. De fait, il serait parfaitement adéquat d’imputer à Denis Morin les propos suivants, qu’il fait discrètement apparaitre sous la plume épistolaire d’une de ses protagonistes, elle-même romancière et traductrice:

Pour l’écriture, tout se joue dans ma tête, entre rêve et réalité. Qu’est-ce qui est réel? Qu’est-ce qui est fictif? La création est-elle plus porteuse de sens que la vraie vie? Pour mes écrits, les personnages frappent à la porte, puis me hantent, un peu à la manière de votre première lettre. Je ne m’y attendais pas. J’invite alors ces personnages à entrer ou je les laisse sur le seuil pour les observer un brin.  (p. 21)

Les personnages prennent place, dans le cadre discret mais net de tous leurs implicites sociaux. Le contexte social évoqué est cossu, bourgeois, cogitatif, ratiocineur, subtil et de sensibilité artistique. Les choses se jouent principalement sur la Rive-Nord de Montréal et aussi sur la frontière entre le Québec et l’état américain du Maine. Tous ces gens sont à l’aise financièrement et ils ont donc ces aspirations d’artistes qu’ils assouvissent au mieux. En réalité, ils sont tous un petit peu atteints d’un certain bovarysme diffus. Alors, il y a des peintres, des musiciens, des dessinateurs, des cinéastes. Et une romancière…une romancière qui ne doit pas totalement s’accepter elle-même attendu qu’elle rêve très intensément d’être… d’autres romancières…

…elle a toujours rêvé de devenir Yourcenar, mais sa prose dégarnie et précise serait quelque part entre Anne Hébert et Duras. Son éditrice lui avait conseillé de viser la durée, car la patience et la résilience sont des qualités essentielles à tout artiste qui se respecte.

Il faudra qu’un soir, elle aborde cette question avec Simone sur Skype. Créer dans la durée, autant pour satisfaire le besoin irrépressible et vital maintenant que pour inscrire dans un siècle donné sa «chambre à soi», en accord avec Virginia Woolf.  (p. 159)

Effectivement woolfiens, les personnages de ce roman investissent beaucoup d’énergie à se découvrir soi-même et à évoquer le détail de leurs tourments intérieurs. Au fil de la lecture de cet ouvrage de Denis Morin, on a une impression structurelle de tranquillité de surface que même la découverte de drames enfouis ne perturbe finalement pas vraiment. On s’aperçoit fatalement qu’il est un peu inévitable de s’aviser du fait que le Québec, c’est pas la Syrie ou la Palestine. Le Québec, c’est un endroit où les problèmes d’une certaine classe de gens sont des problèmes du premier monde. Et ce sont les tensions de ce genre d’univers, tensions feutrées et confortables comme cet univers même, que Denis Morin travaille à nous faire ressentir. Et nous faire décoder. Et nous faire découvrir. Et nous faire percevoir, comme en autant de microcosmes. Les personnages féminins sont cruciaux. Ils ont cette dimension importante de dépositaires de secrets familiaux et patrimoniaux. Les figures féminines ne sont rien de moins que les exécutrices de la force motrice du récit. Ce roman porte le sous-titre genré (au sens exclusif des genres littéraires): Roman épistolaire. Mais si en plus on pouvait adjoindre un sous-titre descriptif de contenu, au titre Et cétéra!, quand même un peu large et ambivalent, on pourrait opter pour un autre sous-titre genré (au sens strict du terme, cette fois-ci): Dialogue épistolaire entre deux femmes. Voilà qui serait tout à fait adéquat pour faire sentir ce qui se trame aux tréfonds de cette fable tranquille.

Roman d’ambiance, donc, roman bourgeois, roman tertiaire, roman involontairement mélancolique, aussi. Petite quête des savoirs et des espérances aspirant à résoudre, à dénouer, à déverrouiller, à défaire des culpabilités. Il s’agit ici, en toute simplicité, de rétablir ou d’établir la sérénité du troisième âge. Denis Morin nous livre donc les volutes de cette ambiance. Et cela attire la sympathie. Les personnages sont attachants. On leur veut du bien. On cherche avec eux à comprendre ce qui se passe. Ce qui s’est passé. Ce qui survivra et perdurera. Quelle est la nature des pertes? Quel est le degré de lancinance et d’amertume des douleurs cachées? Discret fantasticien, Denis Morin, un peu comme dans Rose Meredith, est très diligent pour faire subrepticement entrer dans la danse des personnages fantomatiques. Cela s’installe tout doucement et comme en se jouant. Les chers disparus se mettent à sereinement coexister avec les personnages réels. Et ces personnages fantomatiques sont les dépositaires d’une mémoire diffuse autant que les catalyseurs d’un savoir en quête. Et donc ils continuent de déployer leur psychologie, même après leur disparition. Cela a une incidence non négligeable sur le rythme et le traitement du récit. Il flotte comme une inquiétude mnésique dans l’air. Mais bon, l’un dans l’autre, les choses se terminent bien. Il y a bien quelques surprises un petit peu raboteuses et perturbantes, en finale, mais celles-ci ne sont ni lourdes ni artificieuses. Et au bout du compte, tout le monde est content.

On a ici ce que ma mère aurait appelé une belle histoire comme il en faudrait tant. Je dis ceci, pour bien faire comprendre qu’on n’est pas dans les Rougon-Macquart, si vous voyez ce que je veux dire. Nous entrons plutôt dans les replis d’un bon et sage roman d’époque (avec les Skype, les téléphones photographes, les textos et les bons vieux électro-plis avec images en attachement et copies conformes visibles ou muettes). Et cela, quelque part, nous fait sentir que le confort de la position de privilégié social reste l’instrument implicite maximal pour résoudre les crises anciennes, résorber les douleurs surannées et s’ouvrir à une meilleure assomption de soi. Nous ne devons pas toujours chercher à comprendre le pourquoi des choses, des faits et des êtres.

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Denis Morin, Et cétéra!, JDH Éditions, coll. Nouvelles Pages, 2021, 169 p.

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