Le mensonge en politique

OLIVIER CABANEL — Un politologue, s’exprimant sur France Culture, tente, un siècle après, un rapprochement troublant entre la situation des années 30, et la nôtre… De quoi lancer un joli débat


Le philosophe Jacques Bouveresse consacre en effet son dernier ouvrage (les premiers jours de l’inhumanité/ édition Hors d’atteinte-2019)  à Karl Krauss, auteur de « les derniers jours de l’humanité » (édition Agone-2003)

Krauss a été l’un des premiers à évoquer « le mensonge patriotique », concept repris aujourd’hui par Bouveresse, qui a déclaré : « on est revenu à ce genre d’attitude qui consiste à placer la patrie au-dessus de l’humanité ». lien

Mais avant d’évoquer ces « mensonges patriotiques », allons tout d’abord voir du côté des mensonges de nos politiques.

On n’a pas oublié la surprenante déclaration de Sibeth Ndiaye, nouvelle porte-parole du gouvernement,  pour qui le recours au mensonge n’est pas un problème, quand il s’agit de défendre son président.

En effet, Sibeth Ndiaye, même si elle tente maintenant une jolie volte-face, en utilisant  l’argument habituel des « paroles sorties de leur contexte » a pourtant bel et bien déclaré : « j’assume parfaitement de mentir pour protéger mon président ». lien

Bien sûr, la propagande et la manipulation médiatique ne sont pas une nouveauté, mais ces deux tendances ont repris du poil de la bête ces dernières années.

Normal dès lors, que, dès 2015, le politologue Thomas Guénolé, ait décidé de créer le prix du meilleur menteur en politique.

Le palmarès 2016 etait riche : de Robert Ménard, classé N°1, à Donald Trump, en passant par Manuel Valls, Nicolas Sarkösi, Christian Estrosi, François Fillon, Maud Fontenoy, Jean-Pierre Chevènement, Nicolas Bay, Florian Philippot…

Ce dernier, quant à lui a accumulé les contre-vérités, « la France n’a plus les moyens d’expulser les étrangers délinquants de son territoire…les sans-papiers ne disposent d’aucun droit d’après la loi… »… etc. lien

Il n’en est pas resté là, et a continué ses dérives.

La liste de 9 de ses mensonges est sur ce lien, et si ce constat date de 2013, il perdure aujourd’hui…avec une possible tendance exponentielle.

Maud Fontenoy, se faisant passer pour une écolo, affirmait droite dans ses bottes que « 12000 chercheurs s’étaient exilés aux Etats-Unis, car la France ne leur permettait pas de faire des recherches sur l’extraction non polluante du gaz de schiste ». lien

Estrosi pour sa part avait affirmé qu’il était à l’origine des portiques de sécurité Gare St Charles, afin de protéger les voyageurs contre des risques d’attentat…joli mensonge, car en réalité, c’est la SNCF qui avait commandé ces portiques destinés à contrôler les billets. lien

Fillon pour sa part, a obtenu le prix du meilleur retournement de veste pour avoir mis dans son programme la privatisation de l’assurance maladie, (lien), puis déclaré le contraire, une fois nommé candidat de la droite. lien

Le détail des autres mensonges pointés et la liste des coupables est sur ce lien.

Ce palmarès date de 2017 et il peut être avantageusement prolongé.

Quid de Jérôme Cahuzac ?

« Je n’ai pas, Mr le député, de compte à l’étranger », déclarait celui qui était censé traquer les exilés fiscaux, devant les députés de l’assemblée nationale. lien

Quid de  Jacques Chirac, qualifié de « super-menteur »… ?

Il évoquait une « Europe de l’impuissance, ouverte comme une passoire à toutes les crises du monde »…puis quelques temps après il se déclarait « un européen convaincu depuis l’origine ». vidéo

Dans le domaine de la santé, il eu PompidouMitterrand…qui tentèrent de cacher une douloureuse maladie.

Et quid au chapitre des sentiments…

« Si tu reviens j’annule tout », déclarait l’un…alors que l’autre se rendait à une rencontre galante en scooter, convaincu que son casque allait masquer son identité…et quid de la double vie de Mitterrand ?

Temps révolus ?

Rien n’est moins sûr !

Plus près de nous, Nathalie Loiseau, tête de liste aux élections européennes de LREM, va avoir beaucoup de peine à se débarrasser de sa casserole, démasquée pour avoir menti sur son appartenance à un groupe d’extrême droite, dans sa jeunesse. lien

Récemment aussi, Florence Parly, la ministre des armées a finalement menti, elle aussi, en déniant le fait que la France vendait des armes utilisées dans le conflit yéménite.

Après avoir affirmé que « la France n’a vendu aucune arme qui puisse être utilisée dans le conflit au Yémen », elle a tenté une parade en déclarant « qu’elle n’en avait pas connaissance ». lien

Pas de chance, Jean-Charles Larsonneur, député du même bord politique que la ministre, oubliant la présence d’un micro, vient de déclarer : « la France vend des armes à des pays pas très recommandables ». lien

Macron n’échappe pas, lui non plus, à la folie mensongère, soit lorsqu’il affirme que la septuagénaire qui manifestait n’avait pas été poussée par un policier, (lien) soit lorsqu’il annonce l’augmentation du smic horaire, la baisse de la CSG…etc… ainsi que le dénonçait Mathilde Panot, députée de la France Insoumiselien

On finira par croire que, pour le 1er personnage de l’état, l’enfumage est une seconde nature, comme on a pu le constater lors des dernières mesures, avec l’exemple de l’indexation des retraites. lien

Et quid de Castaner qui affirme qu’il n’y a pas de violences policières lors des manifs des GJ ? lien

https://yetiblog.org/wp-content/uploads/2019/01/Blessures.de_.guerre.jpg

Marlène Schiappa n’y échappe pas.

Elle s’est emmêlé les pinceaux entre les féminicides et se trouve maintenant accusée de produire des « fake news » par un syndicat de commissaires. lien

De là à s’aventurer à conclure « tous pourris », serait peut-être exagéré…il doit bien rester dans notre pays quelques élus intègres.

La question reste pourtant posée : la raison d’état est-elle au-dessus des règles citoyennes qui sont censées encadrer nos vies ? On finirait par le croire…

D’autant que le président de la république vient tout juste de refuser d’accorder son indépendance au parquet. lien

Revenons plutôt à la prestation de Jacques Bouveresse, lors de la « grande table des idées », émission de France Culture du 4 avril dernier.

Convaincu d‘être à peu près le seul, avec Badiou, à avoir pris ouvertement la défense de la vérité objective, le philosophe s’est largement exprimé sur ce thème, établissant un troublant parallèle entre les évènements qui ont conduit à la seconde guerre mondiale et notre situation actuelle.

« Entre manipulation des émotions au profit des mensonges autoritaristes, corruption du langage et corruption morale, abondance des phrases creuses et impuissance de l’intellectuel face à certaines réalités, Bouveresse opère un retour très contemporain sur l’œuvre de Karl Kraus », comme l’écrit Raphaël Bourgeois, l’animateur de l’émission.

On pouvait notamment entendre lors de cette émission des extraits des déclarations du journaliste satiriste écrivain Karl Kraus qui dénonçait dans les années 30: « après le formidable effondrement de notre civilisation dans le mensonge, il n’est plus rien resté à celle-ci que la vérité sans fard de son état, si bien qu’on en est presque arrivé au point de ne plus pouvoir mentir ».

Tout au long de son dernier ouvrage, Bouveresse explique la diffusion du faux par les médias, la montée du péril autoritaire, l’apocalypse climatique qui vient, dénonçant le retour du réflexe autoritaire et la faiblesse des démocraties.

Il évoque aussi le « retour vers la patrie » l’opposant à l’humanité, lorsque les dirigeants faisaient appel au « mensonge patriotique », le philosophe opérant un douloureux rapprochement entre la période qui a précédé le nazisme, et notre époque. lien

Le réveil actuel du nationalisme est pour Bouveresse l’un des signes tangibles que nous sommes peut-être en train de reproduire les tragiques évènements qui ont mené à la seconde guerre mondiale.

Bien sur le philosophe s’en tient pour l’instant à constater des analogies, des ressemblances, mais ne va pas jusqu’à en tirer des déductions…

Il rappelle que si les mêmes causes peuvent parfois produire les mêmes effets, l’histoire a démontré qu’il n’en était pas toujours ainsi.

Pour autant, cet optimisme provisoire est-il recevable ?

L’avenir nous le dira, car comme dit mon vieil ami africain : « le mensonge donne des fleurs, mais jamais de fruits ».

2 réflexions sur “Le mensonge en politique

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