Le discours de Biden sur l’Afghanistan: l’aveu d’une lourde défaite
Par Bill Van Auken
Le président américain Joe Biden a prononcé un discours mardi après-midi dans lequel il a déclaré la fin de de 20 ans de guerre américaine en Afghanistan.
Le lendemain du jour où un transport militaire C-17 a évacué les dernières troupes américaines de Kaboul et au milieu de célébrations dans les rues d’Afghanistan de la fin de l’occupation américaine, le discours de Joe Biden contenait des déclarations jamais entendues venant de la Maison-Blanche. Biden reconnut les coûts dévastateurs d’une guerre qui s’était terminée par une débâcle humiliante.
La défaite subie par les États-Unis aux mains de l’insurrection talibane dévoile l’échec non seulement des politiques menées en Afghanistan, mais aussi de toute la stratégie ayant guidé les actions de l’impérialisme américain, à l’intérieur et à l’extérieur du pays, pendant des décennies.
L’objectif politique immédiat du discours de Biden était de défendre son gouvernement contre les critiques féroces dont il est l’objet, sur sa gestion de l’évacuation chaotique de 17 jours qui a suivi la prise de contrôle du pays par les talibans et sur l’effondrement précipité du régime fantoche de Kaboul et de ses forces de sécurité, formées par les États-Unis. Treize militaires américains ont perdu la vie au cours de cette opération, 20 autres ont été blessés.
Les attaques viennent non seulement des républicains, mais aussi d’une large couche de responsables démocrates. Les médias, qui se sont « incorporés » à l’armée américaine et soutiennent sans relâche les guerres des États-Unis, ont réagi avec une hostilité particulièrement virulente.
L’éditorial du Washington Post de mardi décrit l’évacuation de Kaboul comme «un désastre moral, attribuable non pas aux actions du personnel militaire et diplomatique à Kaboul… Mais, aux erreurs, stratégiques et tactiques, de Biden et de son gouvernement». Pour faire bonne mesure, le journal a publié une colonne de Michael Gerson, l’ancien conseiller principal et rédacteur de discours de George W. Bush, qui partage la responsabilité politique des guerres criminelles en Afghanistan et en Irak. Celui-ci y condamne «la sortie paniquée, bâclée et humiliante du gouvernement Biden d’Afghanistan, qui dépend de la gentillesse des talibans et est commémorée par des images indélébiles de chaos et de trahison».
Une telle rhétorique surchauffée reflète les divisions et récriminations furieuses au sein de l’establishment dirigeant américain et de son appareil militaire et de renseignement, à propos de la débâcle en Afghanistan.
Bien que truffé de contradictions, d’évasions et de falsifications historiques, le discours de Biden visait, du moins en partie, à faire appel aux larges sentiments anti-guerre de la population américaine.
Il était «temps d’être à nouveau honnête avec le peuple américain», a-t-il déclaré, reconnaissant tacitement que la classe dirigeante américaine avait systématiquement menti à celui-ci sur les raisons et la conduite des guerres en Afghanistan, en Irak et ailleurs.
Il a déclaré que les États-Unis avaient dépensé «300 millions de dollars par jour pendant deux décennies» pour cette guerre, ajoutant que «oui, le peuple américain devrait entendre cela… Et qu’est-ce que nous avons perdu en conséquence en termes d’opportunités».
Il a souligné les lourdes pertes en vies humaines et en mutilations, 2.461 soldats américains ayant été tués et 20.744 blessés. «Beaucoup de nos vétérans ont vécu l’enfer», a-t-il dit. «Déploiement après déploiement. Des mois et des années loin de leur famille… des difficultés financières, des divorces, la perte de membres, des lésions cérébrales traumatiques, le stress post-traumatique. Nous le voyons dans les difficultés que beaucoup d’entre eux rencontrent lorsqu’ils rentrent chez eux. … Le coût de la guerre, ils le porteront avec eux toute leur vie».
Biden a cité «une statistique choquante et stupéfiante qui devrait faire réfléchir tous ceux qui pensent que la guerre peut être de faible intensité, à faible risque ou à faible coût: 18 anciens combattants, en moyenne, meurent par suicide chaque jour en Amérique – pas dans un endroit lointain, mais ici même en Amérique».
Il a également évoqué de manière oblique les coûts sociétaux engendrés par un pays perpétuellement en guerre: «Si vous avez 20 ans aujourd’hui, vous n’avez jamais connu une Amérique en paix».
Le tableau peint dans ce discours est une condamnation accablante de l’establishment dirigeant américain et de ses deux partis politiques, qui ont perpétué des guerres ayant infligé d’indicibles souffrances, privé la société de vastes ressources et fait subir à toute une génération une violence et une terreur ininterrompues.
Le président américain n’a cependant pas mentionné le coût le plus important de la guerre et de l’occupation américaines : la mort de 170.000 à 250.000 Afghans, les centaines de milliers de blessés et le déplacement de millions de personnes civiles non-combattantes.
Biden a été incapable de fournir une explication rationnelle de cette guerre. Il a affirmé qu’elle avait été lancée en réponse aux attaques, toujours inexpliquées, du 11 septembre 2001 sur New York et Washington DC, où 15 des 19 pirates de l’air étaient des Saoudiens, et aucun des Afghans.
Il s’est vanté que la guerre américaine avait « décimé » Al-Qaïda en Afghanistan, tout en reconnaissant que «la menace terroriste s’est métastasée dans le monde entier, bien au-delà de l’Afghanistan ». Il a cité des éléments liés à Al-Qaïda en Syrie, en Irak, en Somalie, dans la péninsule arabique et « dans toute l’Afrique et l’Asie ».
En effet, en Afghanistan même, le renseignement américain estime que l’État islamique Khoran (ISIS-K), responsable de l’attentat suicide de l’aéroport de Kaboul, compte quelque 2.000 combattants, contre quelques centaines de membres d’Al-Qaïda en Afghanistan, en 2001.
La croissance de ces forces mercenaires est le produit direct des guerres d’agression américaines en Afghanistan et en Irak, et de l’utilisation par Washington de milices liées à Al-Qaïda comme troupes terrestres par procuration dans ses guerres de changement de régime en Libye et en Syrie.
Pris dans son ensemble, le discours de Biden est une mise à nu dévastatrice des guerres américaines basées sur des mensonges et des fabrications et dont le coût a été horrifiant. À cet égard, l’Afghanistan est indissociable de l’Irak, de la Libye, de la Syrie et d’autres pays.
À quoi tout cela a-t-il servi ? Qu’est-ce qui a justifié le gaspillage de milliers de milliards de dollars et la perte de centaines de milliers de vies ? Et qui doit être tenu responsable de ces crimes au sein du gouvernement, des principaux partis, du haut commandement militaire, des entreprises américaines, des médias et des personnalités universitaires qui ont promu et justifié ces guerres ?
Biden a affirmé dans son discours : « Cette décision concernant l’Afghanistan ne concerne pas seulement l’Afghanistan. Il s’agit de mettre fin à une ère d’opérations militaires majeures qui visaient à refaire d’autres pays ».
En effet, un désastre de cette ampleur signale la fin d’une époque et l’éclatement de toute une stratégie poursuivie par l’impérialisme américain, fondé sur l’utilisation de la force militaire pour compenser l’érosion progressive de son hégémonie mondiale.
À partir des années 1980, Washington fut déterminé à « casser le syndrome du Vietnam », c’est-à-dire à inverser les conséquences politiques de la défaite subie par l’impérialisme américain au Vietnam, afin de lancer de nouvelles guerres d’agression impérialistes.
Avec la dissolution de l’Union soviétique aux mains de la bureaucratie stalinienne de Moscou, cette politique a pris son envol ; elle eut pour prélude la première guerre américaine dans le golfe Persique, suivie des interventions américaines dans les Balkans. Washington a adopté la notion que le monde était arrivé à un « moment unipolaire » où l’impérialisme américain pouvait se lancer dans une course effrénée à la domination et à la contre-révolution mondiales.
On a exploité les événements douteux du 11 septembre 2001, qui n’ont jamais à ce jour été réellement expliqués, pour justifier les guerres d’agression à l’étranger, la torture, et pour échafauder un État policier aux États-Unis mêmes.
Le retrait humiliant d’Afghanistan signale l’échec non seulement de la politique américaine dans ce pays mais aussi de toute une stratégie, d’une vision du monde et d’un programme de domination mondiale et de réaction intérieure qui perdurent depuis 30 ans.
Cette débâcle, qui s’entrecroise avec une escalade de la lutte des classes aux États-Unis et dans le monde, sous l’impact de l’inégalité sociale croissante et des politiques homicides axées sur le profit des classes dirigeantes du monde en réponse à la COVID-19, a des implications profondément révolutionnaires.
Le danger de la guerre n’a pas diminué pour autant. En effet, Biden a utilisé son discours pour insister sur la capacité de l’impérialisme américain à poursuivre ses attaques meurtrières d’«au-delà de l’horizon», contre l’Afghanistan ou tout autre pays du monde ; tout en déplaçant sa puissance militaire vers des confrontations bien plus dangereuses avec la Chine et la Russie, deux puissances nucléaires.
La question décisive est l’armement du mouvement émergent de la classe ouvrière avec une perspective socialiste et internationaliste pour mettre fin à la guerre et au système capitaliste qui en est la source.
EN COMPLÉMENT À CE TEXTE LE LECTEUR TROUVERA ICI LA POSITION DU GROUPE RADICAL DE GAUCHE D’AFGHANISTAN : Retrait des troupes américaines et de l’OTAN d’Afghanistan et menaces restantes – les 7 du quebec https://les7duquebec.net/archives/266722
Cette guerre d’Afghanistan me rappelle celle du Vietnam, entre autres abominations. Avec son cortège de trahisons, d’erreurs, d’horreurs et de victimes de part et d’autre. Des façons d’être et de faire qui entretiennent la haine entre les peuples.
PING : https://queonossosilencionaomateinocentes.blogspot.com/2021/09/o-discurso-de-biden-sobre-o-afeganistao.html