Qui a peur des lanceurs d’alerte?

OLIVIER CABANEL — Alors que la majorité des citoyens se réjouissent de l’implication des lanceurs d’alerte, que les politiques semblent les soutenir, comment ne pas s’interroger sur les situations paradoxales se font régulièrement jour ?

Récemment, ceux qui ont dévoilé LuxLeaks se sont à nouveau retrouvés à la barre d’un tribunal…

Condamnés auparavant à une peine de prison subsidiaire et à une amende, ils ont fait appel et ne comprennent pas la contradiction de cette société qui, d’une part, prétend les soutenir, et qui, en même temps, décide de les faire comparaitre à la barre d’un tribunal…

Qu’en est-il réellement de leurs statuts ?

Le gouvernement Hollande semble avoir été ému, et a posé en juin 2016 la base d’un projet de loi nommé Sapin II portant sur « la transparence, la lutte contre la corruption et la modernisation de la vie économique »…lien

Sauf que cette loi entend aussi bien protéger les lanceurs d’alerte que les entreprises… et lorsqu’elle passe par la case Sénat, revient dotée d’amendements discutables, comme par exemple : « clarifier la définition du lanceur d’alerte et son irresponsabilité pénale en définissant mieux sa responsabilité civile (…) inscrire dans le code du travail l’interdiction de toute discrimination à son égard (…) garantir la confidentialité de la personne visée par un signalement jusqu’à son renvoi devant une juridiction de jugement »...lien

Comme on pouvait s’y attendre, le Sénat a donc eu la volonté de limiter cette loi, comme l’a souligné Philippe Bas, président de la commission et membre de LR (les républicains) : « la protection des lanceurs d’alerte est légitime, mais il faut aussi protéger ceux qui peuvent faire l’objet de dénonciations abusives, de calomnie, de diffamation », ouvrant donc largement le parapluie. lien

Finalement, début novembre 2016, le Sénat rendra encore effectivement plus contraignant le statut de lanceurs d’alerte, le rendant toujours plus inaccessible, même s’il restera dans la loi la rémunération des indics du fisc. lien

Ces péripéties ne sont pas de nature à rassurer les 2 lanceurs d’alerte qui se retrouvent depuis peu à la barre luxembourgeoise, alors qu’ils avaient souhaité rester anonymes.

Comme on le sait, ça n’a pas été le cas, et ils sont dans une situation sociale peu enviable.

Antoine Deltour et Raphaël Halet, ex-employés de l’entreprise PwC, (PricewaterhouseCoooers) sont effectivement incriminés d’avoir assuré la fuite de documents confidentiels lesquels avaient démontré l’optimisation fiscale de nombreuses multinationales, ce qu’on appelle en bon français de l’évasion fiscale.

Dans un premier temps, ils ont écopé respectivement de 12 et 9 mois de prison avec sursis et de 1500 et 1000 euros d’amende, sous l’accusation de « vol, de violation du secret professionnels, d’accès frauduleux dans un système informatique et de blanchiment de documents soustraits ». lien

N’oublions pas le journaliste de cash investigation qui avait récupéré les documents fiscaux afin de les diffuser, Edouard Perrin, acquitté en première instance.

L’appel est en cours, et gageons que la justice prendra enfin une décision logique…

Quittons la France pour d’autres lanceurs d’alerte.

L’un des plus anciens d’entre eux, Bradley Manning coupable d’après la justice américaine d’avoir violé la législation sur l’espionnage, en divulguant 700 000 documents confidentiels (lien)…

Au secret, il a été torturé, subissant pendant plusieurs mois un traitement cruel et inhumain. lien

Avec la venue du nouveau président américain, on peut légitimement s’inquiéter de ce qu’il pourrait lui arriver maintenant…

Son comparse, Julian Assange, est en exil en Grande Bretagne dans une triste ambassade, et il n’a plus de liberté de circuler depuis des années… étant de plus accusé à tort de viol.

En effet, quand les deux suédoises ont porté l’accusation, elles ont avoué que les rapports sexuels étaient « consentis », reprochant seulement à l’accusé de n’avoir pas mis de préservatif, alors qu’elles l’avaient demandé. lien

Or les USA utilisent ce soi-disant viol pour demander son extradition, et lui faire payer bien évidemment la diffusion de Wikileaks.

La France ne s’est pas grandie à l’occasion en 2015 en refusant d’accueillir Julian Assange, alors que celui-ci avait révélé à la présidence française que les USA les espionnaient. lien

Impossible non plus d’occulter le sort d’Edward Snowden, provisoirement à l’abri en Russie, mais dont les destinées pourraient bien se trouver fragilisées par l’apparition du nouveau président américain, lequel semble se rapprocher du président Poutine.

Il avait révélé la surveillance de masse organisée par les USA, par le truchement de la NSA.

D’après certains de ses proches, sa vie serait déjà en danger, et ceci depuis 2012, alors comment ne pas imaginer que sa situation se dégrade encore plus sous peu ? lien

D’autant que, par l’intermédiaire de Greenwald, tous les documents de Snowden seront publiés, étape par étape, et ceci depuis l’été 2016lien

S’il faut en croire Laura Valentin, de « Blastingnews », il devient de plus en plus évident que la bonne entente entre Donald Trump et Vladimir Poutine, remettra très vite en cause la sécurité du lanceur d’alerte. lien

Et puis, il y a Irène Frachon qui a lutté seule, contre l’industrie pharmaceutique en général, et le médiator en particulier, pour finalement l’emporter, mais à quel prix ?

Aujourd’hui au devant de la scène par le biais d’un film qui relate son combat, « la fille de Brest  », réalisé par Emmanuelle Bercot, elle a enfin accédé à une certaine reconnaissance, mais est-il pour autant acceptable qu’il ait fallu autant d’années pour qu’elle soit finalement absoute, et portée aujourd’hui quasi aux nues ?

Alors bien sur, juridiquement, les pouvoirs ont décidé de lois destinées à les protéger… mais quid des applications de ces lois, quand des amendements viennent défendre le contraire du contenu de la loi ?

Quand un amendement du Sénat met en garde le législateur d’une dénonciation qui pourrait affaiblir l’image de marque d’une entreprise prise en défaut, comment serait-il possible de ne pas ternir l’image même de la délinquance de cette même entreprise ?

Stéphanie Gibaud, l’ex directrice marketing de l’UBS (Union des Banques Suisses), qui après avoir dénoncé à sa hiérarchie des opérations peu acceptables, s’est retrouvée stigmatisée par celle-ci, rétrogradée, mise au placard, et finalement virée, vivant depuis avec le RSA, sans que l’état français ait bougé le moindre petit doigt, alors que l’intéressée lui a permis de récupérer tout de même 12 milliards d’euros, pour 38 000 comptes off shore.

En début février, elle sera mise en accusation, par son ex banque, pour diffamation…elle risque une mise en examen.

La loi Sapin II envisageait de rémunérer les lanceurs d’alerte, ce qui finalement n’a pas été retenu, et qui, le reconnait Stéphanie Gibaud n’était pas acceptable.

Pour autant, l’état pourrait au moins soutenir socialement les lanceurs d’alerte, d’autant plus qu’ils ont permis à ce dernier de faire de belles opérations financières… elle réclame donc au moins de la solidarité, que l’état lui trouve un emploi, ce qui serait la moindre des choses, et lui offre un soutien financier, au moins sur le terrain juridique.

Comme le conclut la lanceuse d’alerte, il y a une grosse marge entre les paroles et les actes, et à ce jour, l’état « reconnaissant » ne lui a rien offert en échange. lien

Elle raconte tout ça dans un livre qui vient de paraitre : « la femme qui en savait vraiment trop  », co-écrit par Raphaël Raymond.

Un vent mauvais continue donc de souffler sur les lanceurs d’alerte, et on peut légitimement douter que leur statut s’arrange lors de la prochaine présidentielle.

Récemment, le FN semble en « panne de cohérence  », car s’il a bien demandé au président de la République de soutenir Antoine Deltour et Raphaël Halet, qui, selon un communiqué « ont fait leur devoir de citoyen malgré les risques encourus », les 17 députés européens de ce parti ont voté pour la résolution sur le secret des affaires, lors d’une directive qui, en faisant mine de lutter contre l’espionnage industriel, menace la liberté d’informer. lien

Quant à François Fillon, il manie l’art de dire une chose et son contraire, en reconnaissant d’un coté que «  les lanceurs d’alerte mènent un combat essentiel pour la démocratie  », tout en déclarant « qu’il fallait fixer des limites au dévoilement des données privées ». lien

Et quid d’Emmanuel Macron qui, dans sa loi travail, a introduit la notion du « secret des affaires », faisant de la France le premier pays à pénaliser la divulgation d’informations à valeur économique, ce qui permettra de mettre en prison les lanceurs d’alerte, les journalistes, et bien sur, les syndicalistes. lien

Comme dit mon vieil ami « africain » : « Incapables de gouverner, vous divisez, incapables de rassembler, vous stigmatisez, Racailles, aveuglés par le pouvoir, vos cœurs sont voilés, beaucoup plus que le visage de cette femme voilée. Racailles* ».

Ce texte est issu de la chanson de Kery JamesRacailles.

2 réflexions sur “Qui a peur des lanceurs d’alerte?

  • 25 octobre 2021 à 17 h 17 min
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    faudrait d’abord faire le distingo entre lanceurs d’alerte….chose que ces lois ne semblent pas intéressées a faire en premier lieu !

    Lorsque les lanceurs d’alerte vont dénoncer des entreprises ou des banque et toute société privée, font face à des moyens colossaux en avocats que ces mêmes société mobilisent par contrats tout au long de l’année, a des tarifs qui peuvent aller aussi hauts que 1000 euros l’heure ! ces pseudo lois de protection de ces lanceurs d’alerte ne pourront jamais se payer des avocats pareils, ni empêcher les sociétés d’y avoir recours.

    Lorsque les lanceurs d’alerte vont des dénoncer des fonctionnaires ou des organismes de l’état ou l’état en entier… bonne chance…ce job la, les opposants politiques et les critiques des gouvernements le font en continu et tout le temps parfois eux aussi avec preuves a l’appuis et débouchent nulle part ! alors imaginons un type seul contre un état ! il n’y a aucune loi qui sera garante de sa sécurité ou de sa protection et encore moins d’une quelconque compensation financière !

    les lanceurs d’alerte a mon avis doivent bien réfléchir a une seule et unique chose avant de passer a l’acte : Si je m’embarque la-dedans… ce sera l’équivalent d’un suicide professionnel et celui d’une vie, et personne ne pourra rien pour moi ! la voilà la vérité !

    Souvent les gens au travail ne font que dénoncer des harceleurs et des patrons complices et le regrettent pour le restant de leur vie ! et c’est la chose la plus courante et banale sur laquelle tellement d’encre a coulé par des spécialistes et des universitaires sans jamais y changer quoique ce soit !

    Lorsque vous  »brûlez toutes vos cartes », même les gens censées et payées pour vous défendre dans le système et par le biais de ces lois ne peuvent plus rien pour vous ! elle ne font que vous consoler et vous dire de vous trouver un autre job, changer de job, de pays ou de vie !

    Il y a un seul truc qui fonctionné dans l’histoire et chez les américains en particulier…celui qu’on voit encore dans les films :  »le programme de protection de témoins » pour faire tomber la Mafia en plus ou des organisations criminelles… et qui est tellement exigeant et demande tellement de sacrifices de la part du témoin allant jusqu’à changer complètement d’identité, de ville et de lieu de vie… ! et donc si dénoncer des criminels vous coûte autant… il faut pas s’attendre a mieux si vous dénoncez une grosse entreprise ou un etat et espérer terminer votre vie peinard en plus ! ….

    Les états-unis en plus, c’est le seul endroit ou pays sur terre ou un Bradley Mannings (aujourd’hui ayant changé de sexe), ou encore même un Edward Snowdon, peuvent espérer rester en vie au vu des révélations et leurs ampleurs qui impliquent l’état Américain… et espérer surtout que des avocats privés puissent poursuivre l’état et en tirer des millions de dollars a des fins de  »compensation »… Mais s’ils étaient Russes ou Chinois ou autres, ils seraient déjà six pieds sous terre, ou encore Européens, ils n’auraient pas évité la case prison aussi et fini sur la touche !

    Je crois donc que ce sujet relève de ce que j’ai toujours appelé  »les limites » du système ! réclamer au système une protection ou une compensation au dela de ses limites, c’est un peu comme souhaiter qu’il pleuve des guirlandes et des boîtes de chocolat ! hélas… A moins que avant de faire des lois, faire la encore des  »programmes » solides et contraignants et déterminer qui en serait eligible ! et lorsqu’on fait une loi, celle-ci réfère a ce programme justement !

    Lors

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