7 au Front

L’art de la négociation du président syrien Hafez Al Assad

RENÉ NABA — Ce texte est publié en partenariat avec www.madaniya.info.

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Article de Abir Choubra. Adaptation en version française par René Naba, directeur du site https://www.madaniya.info/

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Sous une fresque représentant la bataille de Hittine

Le message était limpide et ne souffrait la moindre ambiguïté, mais le prodige de la diplomatie atlantiste de la décennie 1970 Henry Kissinger n’a su percuter ce message subliminale. Ces négociations avec le président syrien Hafez Al Assad se déroulaient sous une fresque représentant la bataille de Hittine, immortalisant la victoire de Saladin sur le croisé Guy de Lusignan, lui ouvrant les portes de la Palestine.

Dénommée aussi batailles des cornes de Hittine ou encore bataille de Tibériade, elle a lieu le 4 juillet 1187 près du lac de Tibériade, en Galilée. Elle opposa les armées du royaume de Jérusalem, dirigées par Guy de Lusignan, aux forces de Saladin. Ce dernier remporta une victoire écrasante, qui lui ouvrit les portes de la Palestine.

Autre fait saillant: Hafez Al Assad a fait attendre le successeur de Henry Kissinger au département d’état Warren Christopher, au point que l’américain, exacerbé, a menacé de quitter Damas sans rencontrer le président syrien. Mais Assad avait délibérément fait patienter son hôte américain pour signifier aux États Unis que lui, Hafez Al Assad, n’était pas de la même trempe que les autres dirigeants arabes et qu’il ne se précipitait pas, toute affaire cessante, pour aller au-devant des dirigeants américains.

Ces révélations sont contenues dans un ouvrage de Bouthaina Chaabane, conseiller politique du président Bachar Al Assad, intitulé «Au bord du précipice» paru en 2017 aux Editions «Bissan pour l’édition et la diffusion», dont la journaliste Abir Choubra en rend compte sur le site «5 Noujoum», un site libanais dirigé par Sami Kleib, ancien directeur du service arabe de RFI, journaliste dissident de la chaîne transfrontière qatariote «Al Jazeera».

Pour le locuteur arabophone, cf. ce lien:

L’ouvrage, qui se fonde sur les documents officiels et secrets de l’état syrien, expose pour la première fois l’attitude de la Syrie envers les Américains, ainsi que sur le conflit israélo-arabe, notamment «la tromperie de Sadate» après la guerre d’octobre 1973 et surtout la teneur des entretiens Hafez Al-Assad- Kissinger. Le livre explicite en outre les raisons de l’intervention de la Syrie dans la guerre civile libanaise (1975-1990) et le rôle incitatif des États Unis pour attiser le conflit libanais en vue de faire diversion aux négociations égypto israéliennes de désengagement des forces dans le Sinaï.

Extraits:

Hafez Al Assad à Bill Clinton Sommet de Genève Janvier 1994:

«De ma vie, je ne saurai accepter une proposition qui ne m’offre pas la possibilité de libérer le Golan. En aucun cas je ne transigerai sur le droit du peuple syrien à libérer le Golan de l’occupation israélienne. Je n’ai aucun doute que les générations futures sauront libérer le Golan».

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La guerre d’Octobre 1973.

«Kissinger a réussi à transformer une victoire militaire arabe en une défaite politique du fait de l’acceptation par Sadate d’un cessez le feu, alors que l’armée égyptienne avait réussi à détruire la Ligne Bar Lev, (les fortifications israéliennes le long du Canal de Suez). L’acceptation par Sadate d’un cessez le feu, unilatéralement, a neutralisé la stratégie syrienne visant à maintenir la pression sur deux fronts (depuis le Golan syrien et le Sinaï égyptien)… Assad a été alors contraint d’accepter à son tour un cessez le feu après qu’il se soit retrouvé, seul, sur le champ de bataille, abandonné par son partenaire égyptien, alors qu’Israël était ravitaillé en armes par un pont aérien des États Unis.

«Assad a appris par la télévision la conclusion d’un accord égypto-israélien de désengagement des forces du Sinaï. Il est alors entré dans une colère noire interpellant à voix haute, à distance, le président égyptien, en ces termes: Te rends-tu compte de ce que tu fais? Cela signifie qu’Israël va transférer sur le front du Golan la totalité de ses chars et de son artillerie, dégagés du Sinaï.

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L’entretien orageux Assad-Sadate à l’aéroport de Damas

Bouthaina Chaabane relate dans les détails l’entretien orageux entre les deux anciens frères d’armes.

L’entretien qui s’est déroulé à l’aéroport de Damas, est le premier du genre de cette violence. Le second aura lieu avant la visite de Sadate à Jérusalem.

«Assad a accusé Sadate de «duplicité», de lui avoir «planté un coup de poignard dans le dos» en raison de ses manquements répétés à sa parole. Ainsi, à titre d’exemple, Sadate avait promis à Assad de maintenir l’équivalent d’un corps d’armée égyptien sur la frontière avec Israël, faisant ainsi droit à une requête d’Assad.

En fait, Sadate louvoyait. Assad, cinglant: «Quelle est la raison qui te presse à procéder au désengagement des forces égyptiennes et israéliennes. Tu ne peux pas laisser au moins un point de confrontation de manière à signifier aux Israéliens que l’armée égyptienne demeure en état de confrontation avec Israël et que la guerre peut reprendre à tout moment?

Réponse de Sadate: Bien. Je vais maintenir l’équivalent d’un corps d’armée un corps face à Israël. Mais cette promesse, comme tant d’autres, est restée vaine.

(Note de la rédaction de https://www.madaniya.info/)

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Le voyage de Sadate à Jérusalem

Le journaliste britannique Patrick Seale, auteur d’un mémorable ouvrage sur la lutte du pouvoir au Moyen –Orient «:Asad of Syria: The Struggle for the Middle East» (1988), relate ainsi les 7 heures d’entretien orageux, le 2eme du genre, entre Assad et Sadate lorsque l’égyptien est venu faire part au syrien de son intention de se rendre à Jérusalem

Voici le passage principal de Patrick Seale :

«Assad et Sadate se sont réunis pendant sept heures. La discussion a été vive. Assad critiquait violemment Sadate. A un moment Sadate pour se soustraire à la pression du syrien lui fit une étonnante proposition.

Le président égyptien s’écria alors «Allons ensemble à Jérusalem. Si tu ne peux pas m’accompagner, je te demande de garder le silence, de ne pas m‘attaquer ni de me condamner… Si j’échoue je le reconnaîtrai publiquement et demanderai alors de te conférer la responsabilité du leadership du Monde arabe.

Assad était saisi d’incrédulité. Il employa un ton d’une grande dureté à l’égard de Sadate, le mettant fortement en garde contre ce projet, «la plus grande catastrophe dans l’histoire du Monde arabe»…. «Il va en résulter une rupture de l’équilibre stratégique qui incitera Israël à attaquer les pays arabes sans défense à commencer par les Palestiniens, puis le Liban et le voyage n’apportera pas la paix. Au contraire, il va éloigner les perspectives de paix».

Rapportant les propos de Hafez Al Assad, Patrick Seale, décédé en 2014, assure que le président syrien a envisagé d’emprisonner Sadate dans le but de l‘empêcher de quitter la capitale syrienne afin de mettre en échec le projet de voyage de Sadate à Jérusalem.

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L’embargo pétrolier arabe

Le livre souligne le rôle du Roi Faysal d’Arabie saoudite dans l’embargo pétrolier décrété lors de la guerre d’octobre 1973 à l’encontre des pays amis d’Israël, principalement l’Europe et le Japon. «Cet embargo a probablement contribué à l’assassinat du Roi Faysal par un membre de son entourage familial». (…) A la grande surprise de la Syrie, les ministres des Affaires étrangères d’Egypte (Ismail Fahmi) et d’Arabie saoudite (Omar Sakkaf) se sont précipités à Washington pour trouver un arrangement sur la levée de l’embargo pétrolier de manière inconditionnelle le 1 er Mars 1974, soit au bout de six mois».

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Kissinger et le lobby juif américain.

«Pour imposer ses vues à ses interlocuteurs arabes, Kissinger prenait prétexte des difficultés qu’il rencontrait auprès du lobby juif américain pour avaliser ses propositions et réussissait ainsi à obtenir de l’Égypte des concessions en faveur d’Israël, mais se heurtait à une ferme opposition de la Syrie sur ce sujet… Assad mettait l’accent sur la nécessité d’une paix juste et globale, sans la moindre concession sur le territoire syrien occupé ainsi que sur le règlement des problèmes fondamentaux des Palestiniens».

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La rencontre Hafez Al Assad-Richard Nixon à Damas en 1974

Rompues en 1967 après la 3eme israélo-arabe qui entraîna l’occupation par Israël du plateau du Golan, les relations diplomatiques entre Washington et Damas reprennent, en juin 1974, après la conclusion de l’accord sur le désengagement entre Israël et la Syrie, avec dans la foulée d’une visite officielle en Syrie du président Richard Nixon.

«Nixon promet à Assad que les États Unis vont œuvrer à l’avènement d’une paix juste et permanente en application de la Résolution 338 du Conseil de sécurité de l’Onu adoptée après la guerre d’octobre 1973. Kissinger a paru irrité par ces propos qu’Assad considérait comme une garantie américaine d’un retrait complet d’Israël aux frontières de juin 1967. Ce qui impliquait le retrait du Golan. Kissinger s’est mis alors à chercher à atténuer la portée de l’engagement de Nixon en voulant le nuancer. Nixon n’a pu mettre un terme à ce comportement, absorbé qu’il était désormais alors par le scandale du Watergate et sa démission.

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Assad-Kissinger-Warren Christopher

«Assad faisait délibérément attendre Kissinger et son successeur Warren Christopher avant leur audience présidentielle. Kissinger attendait calmement que son interlocuteur syrien daigne se présenter à l’audience présidentielle, alors que Warren Christopher s’est indigné d’un tel comportement, menaçant une fois de quitter le palais présidentiel de Damas. Dans les deux cas, Assad voulait faire passer un message: à savoir qu’il était différent des autres dirigeants arabes et ne passe pas son temps à s’excuser et qu’il se précipitait, toute affaire cessante, pour accueillir un responsable américain.

«Dans le même ordre d’idée, Assad avait coutume de placer les négociations syro américaines sous une fresque représentant la bataille de Hittine, dans une sorte de piqûre de rappel de la victoire de Saladin sur le croisé Guy de Lusignan, lui ouvrant les portes de la Palestine.

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Jimmy Carter: Hafez Al Assad, Un «Saladin contemporain».

«Jimmy Carter a d’ailleurs qualifié Hafez Al Assad de «Saladin contemporain», alors que le dirigeant phalangiste libanais Karim Pakradouni, le négociateur pour le compte des milices chrétiennes auprès des dirigeants syriens, l’a gratifié du titre de «Bismarck des Arabes».

Hafez Al Assad: le Bismarck des Arabes

«Que serait devenu le Moyen orient, si Assad avait été autant tenté par les compromissions que ne l’a été Sadate ? Très simplement, le Moyen Orient aurait été radicalement différent de ce qu’il était à la fin du XX me siècle.

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«Au bord du précipice».

Bouthaina Chaabane explicite le titre de son ouvrage en indiquant que cette expression résume mieux que tout la méthode de négociation d’Hafez Al Assad avec les Américains en ce qu’il est arrivé à diverses reprises au président syrien d’abandonner les négociations pour donner l’impression que tout s’était effondré, avant de revenir à la table des négociations.

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Claude Cheysson ou La stratégie de la vessie

Claude Cheysson, ministre socialiste des Affaires étrangères sous la présidence de François Mitterrand a qualifié un jour,- l‘auteur de ces lignes en est témoin-, la méthode de négociations d’Assad de «stratégie de la vessie», qui consistait pour le président syrien de commencer ses entretiens par un long exposé historique et géopolitique sur un sujet donné, veillant à offrir à son interlocuteur occidental forces breuvages diurétiques –café ou thé- avant de conclure son exposé de plusieurs heures, alors que son interlocuteur occidental congestionné par sa rétention urinaire prolongée s’empressait d’opiner pour soulager sa vessie.

Pour aller plus loin sur ce thème, ci-joint un portrait croisé d’Hafez Al Assad et de Saddam Hussein

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