La cuisine arabe, de la rusticité bédouine à la grande gastronomie

RENÉ NABA — Ce texte est publié en partenariat avec www.madaniya.info.

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Introduction

Les rubriques culinaires sont plus que souvent orientées vers la découverte du plat et sa réalisation. Peu ou prou se penchent sur l’acquisition des goûts d’une civilisation par le biais de ses mœurs gastronomiques.

L’art culinaire exprime, comme pour les autres arts, l’acquisition d’une qualité de vie et de culture. La civilisation arabo-musulmane n’y échappe pas et nous en apprécions les apports jusqu’à aujourd’hui.

Cette civilisation est créatrice du premier livre de cuisine sous forme livresque, de l’art de servir, de déguster les plats et de se tenir à table quelques décennies après sa naissance dans un milieu plutôt aride et austère.

Ce «tour de table» des conquêtes gastronomiques se terminera pour nos papilles par la découverte d’un plat fort apprécié dans les foyers de la «Umma» gastronomique. Plus connu sous le nom de Mulukhiya, il connaît nombre de variables dans sa fabrication et une grande unité dans ses ingrédients de base, au Maghreb, au Machrek et en Afrique.

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1 – La cuisine bédouine avant les Futuhat1

À l’image de son environnement aride, la cuisine de la péninsule arabe reflète une certaine frugalité et austérité.

Le quotidien de ses habitants dans et hors des villes est dominé par la consommation de galettes, bouillies diverses à base de céréales, légumes et plus rarement ragoûts. Les laitages (plus particulièrement le lait caillé) et la viande sont fournis en premier lieu par le dromadaire, complétés par celui de la chèvre, du mouton et la volaille. Le poisson est surtout consommé le long des côtes. La fabrication du beurre clarifié trouve son origine dans le robuste mouton Awassi.

Un fruit, l’unique pourrait-on dire, la datte, complète ces modestes agapes.

Pour les familles les plus aisées, dont les commerçants au long cours, les préparations culinaires peuvent être complétées par les produits rencontrés au gré leurs pérégrinations. S’y distinguent particulièrement les emprunts à la cuisine sassanide.

Une exception cependant: le Yémen. Au sud de la péninsule arabique, il bénéficie d’un régime pluvial exceptionnel, source d’exportations de fruits et de légumes par ses ports.

Une rusticité culinaire qui subsiste en dépit de nombreux échanges commerciaux, par caravanes, avec l’Empire byzantin, l’Empire sassanide, l’Éthiopie, l’Inde et l’Afrique de l’Ouest.

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2 – Conquêtes et «nouvelles cuisines»

Les premières conquêtes, c’est les villes saintes de la Mecque et Médine puis la péninsule arabe jusqu’au Yémen avec une incursion au royaume d’Aksoum, en Éthiopie.

Puis, successivement, la Mésopotamie, les cotes de la Méditerranée et l’Empire sassanide jusqu’à atteindre l’Inde et l’Espagne. Une expansion, source de nouveaux ingrédients et de changement des goûts et habitudes culinaires.

En premier, et parmi les plus précieux apports est celui de l’empire sassanide. La civilisation conquise livre ses mille ans de secrets culinaires aux envahisseurs. Une gastronomie reconnue depuis fort longtemps tout le long de la route de la soie2.

C’est la découverte, des gelées, du riz, des épinards, des aubergines ainsi que de nombreux agrumes, accompagnés d’amandes, de noix, de la noix de coco d’Inde et de la verte pistache.

Les palais des conquérants frémissent sous l’effet de cette nouvelle douceur et acidité. Ils s’approprient des recettes et des modes de préparation.

Les conquêtes continuent vers l’Est et l’Ouest. La fin de la dynastie Omeyades voit l’arrivée des Abbassides et la création d’un état dissident omeyyade en Espagne: l’Émirat de Cordoue. À l’Est, l’Afghanistan puis les frontières de l’Inde sont les nouvelles bornes de l’empire. Les pôles d’excellence gastronomique se multiplient.

Dans l’est et le sud de la Méditerranée, c’est la découverte de la gastronomie romaine. Elle est complétée par les connaissances de la diététique grecque, acquises au travers des nombreuses traductions en cours dans les « maisons de la sagesse » (Bayt ou Dar al Hikma), véritables laboratoires de la connaissance scientifique, littéraire et sociale.

Au beurre clarifié du mouton se rajoutent huile d’olive, miel, poivre, cumin noir (nigelle) et gingembre. La fameuse marinade de poisson romaine, le garum3, l’une des premières productions industrielles de l’Antiquité, change de nom pour devenir le murrî.

L’aigre-doux affine une deuxième fois le palais de nos conquérants qui découvrent une nouvelle céréale en passant le Golfe de Syrte, en route vers Gibraltar: la semoule des Berbères.

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3- Les arts de la table: Bagdad et Cordoue

Bagdad, «ventre» et «nombril du monde» est, en 762, la nouvelle capitale de l’empire abbasside. Elle compte un million d’habitants, le plus grand centre urbain de l’époque, semble-t-il.

Au cœur de cette ville se côtoient, richesses, effervescence et création intellectuelle et plus discrète, mais présente, la « nouvelle cuisine ». Les dirigeants de l’empire en sont de fervents consommateurs. Parmi eux, le fameux calife Haroun al Rachid (786-809).

Le prince Ibrahim ibn al-Mahdi, demi-frère du calife Haroun, est l’un des initiateurs de cette « nouvelle cuisine ». Grand cuisinier et goûteur, il consacre sa vie aux plaisirs de la table. Il lance la mode des compilations de recettes. Il est guidé dans cette démarche par une femme qui est son éminence grise culinaire, la fameuse Badi’a. D’abord esclave puis concubine, elle l’accompagnera sa vie durant.

Le premier ouvrage sur la cuisine est édité de son vivant. Il n’en reste aucun exemplaire. Le premier livre conservé, le Kitâb al Tabikh de Al Warräq, date du Xe siècle, conservé en Finlande, y fait référence comme un ouvrage fondamental.

Tous les aliments sont catégorisés, des recettes précises décrivent les préparations, mais… sans indiquer les quantités. Ces cent trente-deux chapitres et quatre cent vingt recettes comportent de nombreux éléments sur la cosmétique, l’hygiène et la diététique.

On y découvre l’usage du massepain4, l’apport des fruits secs, des confitures, du nougat, des bonbons berlingots, une recette d’œufs brouillés aux truffes, l’usage du café comme grain de parfum et la fabrication du vin… de datte et de raisin.

Les pâtissiers bagdadiens perfectionnent le feuilletage et adoptent le sucre raffiné qui remplace le miel. On généralise l’usage des eaux distillées (rose, violette et oranger) de même que celle du musc et de l’ambre.

La cuisine européenne, loin de ces délicats plaisirs, ne tarde pas à les récupérer par son commerce, ses croisades et ses contacts avec l’Espagne d’Al Andalus.

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4 – Cordoue

Capitale dissidente, elle accueille, le chanteur transfuge de la cour rivale, Bagdad. Il est musicien, fin gastronome, s’appelle Ziryäb et trouve la protection du monarque.

Il introduit l’Oud à cinq cordes en Europe, mais laissera surtout sa marque dans les arts et les protocoles de table.

À même le sol, la dégustation des plats ne fait pas honneur à leur qualité. Il en rehausse la présentation par des tables basses couvertes de cuivre au lieu de nappes de lin. Il demande le service successif des plats et non simultané pour permettre une dégustation progressive à leur sortie de cuisine.

Les boissons seront dorénavant servies dans des verres au lieu des traditionnelles coupes en métal, un héritage de l’Antiquité.

Les deux capitales apportent chacune à sa façon, des éléments structurants à cette gastronomie. L’art gastronomique est au diapason des autres arts avec des hauts et des bas, de l’est à l’ouest de l’empire.

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5 – «Nouveau Monde» et cuisine arabe

La conquête et la colonisation de l’Amérique furent source de pillages. Après l’or et l’argent, les conquérants s’emparent de la richesse culinaire de ce continent, une façon indirecte d’en reconnaître la valeur nutritive.

Le XVIe siècle impacte la cuisine arabe sous deux angles: des éléments turcomans s’y greffent sous l’influence de l’Empire ottoman puis elle s’enrichit de la tomate, du poivron, du piment, la pomme de terre, la courgette, le maïs et le cacao venus des Amériques.

Peu ou prou de sources, indiquent les voies suivies par cette intégration. A priori, une opération réussie, mais dont l’importance et le cheminement est à mesurer à l’aune des recettes et habitudes qu’elle génère.

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6 – Des interdits et restrictions religieux

Le Coran précise interdictions et restrictions dans le domaine alimentaire. Communément désignées par le terme hallal.

Il est nécessaire de faire le distinguo, car ils n’ont pas le même impact sur le quotidien.

Remarquons d’abord que les restrictions de la nouvelle religion sont moins sévères, à l’époque, que celles des autres religions monothéistes, mais également l’hindouisme. La philosophie bouddhiste invite, sans obligation, à ne pas consommer de la viande pour éviter la souffrance des animaux. D’autre part, ces obligations ne s’appliquent qu’aux citoyens musulmans.

Pour les autres citoyens, et dans un esprit de respect mutuel, la consommation d’alcool et de porc est autorisée.

La restriction des boissons fermentées se veut un combat contre l’ivresse publique et ses perturbations. Il s’agit bien de restriction et non d’interdiction. Le vinaigre, fabriqué à partir d’alcool, est d’un usage courant pour les plats pour leur conservation et donne du goût. Le prophète appréciait fortement une préparation culinaire connue sous le nom de Tirit à base de pain sec, préparé dans du bouillon et diverses viandes assaisonnées au vinaigre. Ce plat est toujours présent dans la cuisine turque sous le nom de Tirit et sa variante l’Iskender Kepab.

La consommation du porc est donc interdite pour le sujet musulman et elle s’étend également aux bêtes trouvées mortes ou non sacrifiées rituellement. Cette interdiction s’imposa sans trop peine. L’aridité du climat ne facilitait pas un élevage nécessitant un environnement un tant soit peu humide.

La production littérature qui s’en suivit ne concerne d’ailleurs que l’alcool et non le porc. Les médecins arabes conseillent par exemple l’usage du vin à titre médical dans les livres de recettes et le célèbre Abu Nawas5 rédigea sans doute les plus beaux poèmes bachiques connus à ce jour.

Le végétarien n’est pas le bienvenu à l’époque : refuser de déguster les dons du tout puissant peut passer comme une insulte à sa générosité.

Comme d’autres religions, l’islam souhaitait se distinguer par ses propres règles et restrictions.

Pour aller plus loin sur ce même thème, cf ce lien

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7 – La Mulukhiya dans l’ « Umma » gastronomique

Un plat légendaire et des origines en Égypte pharaonique. Avantage ou désavantage, il soulève moult critiques quant à savoir qui possède la meilleure recette. Le gourmet passe outre ces polémiques pour se consacrer aux subtilités qu’offre chacune des adaptations liées à son environnement et son histoire.

Le nom du plat est commun à la Syrie, au Liban, à la Palestine, l’Égypte, la Libye, la Tunisie, l’Algérie et le Maroc. À la différence des autres pays, le Maroc utilisera le gombo (bamya, corne grecque, gnawia) au lieu de la corète potagère pour fabriquer un plat qui porte le même nom.

En Afrique, le plat existe sous d’autres noms (Faakoye, Kereng-kereng), à base de corète potagère, au Soudan, au Kenya, au Tchad, au Mali, au Burkina Faso et en Côte d’Ivoire. Même la lointaine Haïti en connaît une version sous le nom de Lalo. Sans doute amené là par les esclaves arrachés à leur continent.

La légende situe la corète dans l’Égypte des Pharaons ce qui expliquerait la présence du mot MULUK (rois) dans son nom. Un plat réservé exclusivement aux rois pour devenir par la suite plus populaire.

Une deuxième légende voudrait que la corète potagère ait été considérée comme une plante vénéneuse d’où le nom de KHAYAT. L’envahisseur Hyskos (les peuples de la mer) soumit ses sujets égyptiens à l’obligation d’une dégustation en préfixant le mot égyptien du mot MULU. Loin de constituer une menace pour leur vie, elle devint vite un plat toujours présent dans le panthéon de la cuisine arabe.

La corète potagère (connu aussi sous le nom de krinkrin, mauve des Juifs) est une herbacée qui peut atteindre jusqu’à quatre mètres de haut et riche en chlorophylle. Elle a des vertus purgative, émolliente, fébrifuge, diurétique, tonique, adoucissante, galactagogue, calmante, antalgique et émolliente. Des qualités dignes des meilleures recettes diététiques.

Elle ne convient cependant pas aux affections rénales. Son goût est plus proche de l’oseille que de l’épinard avec lequel elle offre quelques analogies.

La civilisation arabo-islamique la connaît et elle apparaît dans la littérature culinaire dès le 10e siècles au Caire sous le règne de al Mu’izz, guéri grâce à elle, de maux d’estomac, sur conseil de ses médecins. Al Hakim, dynastie chiite oblige, l’interdit parce que trop liée aux déboires des débuts de l’Islam. Une interdiction qui ne fait pas long feu.

Le cinéma égyptien, marqué par le nationalisme d’après-guerre, s’empare de ce plat populaire dont la préparation simple est opposée à celle d’une cuisine occidentale jugée trop «complexe».

Selon les pays, la Mulukhiya sera consommée le premier jour du calendrier musulman pour une nouvelle année «verte», c’est-à-dire prospère et pleine de bonheur.

Dans certaines régions de Tunisie, elle est aussi préparée à la fin d’un deuil et le premier jour de l’Aïd el Fitr.

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8 – Ingrédient de base et préparation

Au Maghreb, la Mulukhiya est séchée et réduite en poudre. La préparation peut durer plusieurs heures avec une cuisson à feu doux. On y retrouve de la viande cuite au préalable dans l’huile puis délayée avec de l’eau bien chaude. Le mélange forme un liquide verdâtre qui passe au marron foncé lors de la cuisson. On peut y ajouter un peu d’amertume par rajout de menthe, d’écorce d’orange ou d’écorce de grenade séchée. L’assaisonnement et type de viande varient selon les régions. Le Maroc se distingue, comme déjà évoqué, par l’utilisation du gombo pour fabriquer un plat du même nom.

Au Moyen-Orient, la Mulukhiya se prépare à partir des feuilles fraîches. En Égypte, et seulement hors saison, ces feuilles peuvent être séchées, mais pas réduite en poudre. Les feuilles sont émincées puis cuites dans un bouillon de viande, de poulet ou de lapin et assaisonnées d’ail et de coriandre fraîche.

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Conclusion

À l’image de ses sciences, sa philosophie et son histoire, la civilisation arabo-musulmane étudie, traduit, adapte et remodèle un existant dans ses zones d’extension pour en enrichir le patrimoine avec un nouveau savoir-faire et une intégration des plus réussies.

Ce phénomène concerne aussi les plaisirs de la table dont la rusticité originale est vite transformée en une gastronomie digne des plus grandes tables et inspiratrices d’une Europe médiévale encore à la recherche de ses marques.

La compilation et le livre de recettes perdurent et rencontrent toujours un franc succès dans les foyers.

La cuisine arabe a sa place dans le patrimoine de la gastronomie mondiale.

Le Brésil, qui abrite une importante diaspora libanaise et syrienne, a réadapté la cuisine arabe. Une chronique de Slimane Zeghidour

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Sources

  • Wikipédia sur la cuisine arabe en anglais, français et arabe.
  • La cuisine des Califes, David Wines, Sindbad Actes Sud, 1998
  • La cuisine de Ziryâb, Farouk Mardam-Bey, Sindbad Actes Sud, 1998
  • Medevial Arab Cookery, Maxime Rodinson, A.J.Arberry & Charles Perry, Prospect Books, 2006
  • Molokhia A taste of South Soudan, Noela Mogga, http:\\tasteofsouthsudan.com
  • La cuisine arabe pre-islamique et du temps de Mahomet, Marie Josephe Moncorge, Oldcock, 2018
  • Cuisine d’Orient Cuisine d’Occident, Manuela Marin, Médievales, 1997
  • Annals of the Caliph’ Kitchen. Ibn Sayyar al Warraq’s Tenth century Baghdadi Cookbook, Nawal Nasrallah, Brill, 2010
  • Cuisine and Dishes in Use During the Prophet Muhammed Era (A.D. 569-632) in European Journal Interdisciplinary Studies, September-December 2017, Volume 3, Issue 4
  • La Cuisine du Maghreb n’est-elle qu’une simple histoire de couscous ? Sous la direction de Kilien Stengel et Sihem Debbabi Missaoui, L’Harmattan, 2020

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Notes

  1. 1Conquêtes arabo-musulmanes.
  2. 2La route de la soie est un ancien réseau de routes commerciales reliant l’Asie (ville de Chang’an en Chine, aujourd’hui Xi’an) à l’Europe (ville d’Antioche. Aujourd’hui la ville d’Antakya en Turquie). Elle tire son nom de la plus précieuse marchandise qui y transitait : la soie.
  3. 3Le garum, ou liquamen (qui veut dire « jus » ou « sauce » en latin) était le principal condiment utilisé à Rome dès la période étrusque et en Grèce antique (garos). Il s’agissait de chair ou de viscères de poisson, voire d’huîtres, ayant fermenté longtemps dans une forte quantité de sel, afin d’éviter tout pourrissement. Il entrait dans la composition de nombreux plats, notamment à cause de son fort goût salé (source WIkipedia).
  4. 4Le massepain est une pâte à base d’amandes mondées et finement moulues, mélangées à du blanc d’œuf et du sucre.
  5. 5 Persan né entre 747 et 762 à Ahvaz, Abû Nuwâs, de son vrai nom al-Ḥasan Ibn Hāni’ al-Ḥakamī, décède vers 815 à Bagdad au service de la cour.

    Abû Nuwâs est le plus brillant représentant de ce courant poétique des 8e et 9e siècles, lancé par Bashâr Ibn Burd. Délibérément ce courant s’écarte de l’influence bédouine, en mettant en avant une poésie d’amour, bachique et érotique, inspirée de la vie citadine. Considéré en son temps comme l’un des plus grands poètes de langue arabe, il est toujours très apprécié. Connu surtout pour sa poésie bachique et érotique, il composa également dans d’autres genres, notamment des pièces de poésie ascétique (zuhdiyya), ou encore des panégyriques (madîh) adressés à ses patrons. On lui attribue par ailleurs la paternité du genre des tardiyyât (scènes de chasse) (Source Wikipedia).

    Deux traductions sont accessibles en français : Le vin, le vent, la vie, Sindbad, Arles, 1998 et Bacchus à Sodome : poèmes, Paris Méditerranée, Paris, La Croisée des chemins, Casablanca, 2004

5 réflexions sur “La cuisine arabe, de la rusticité bédouine à la grande gastronomie

  • 22 février 2022 à 1 h 33 min
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    Bonjour Mr Naba,

    Je me suis toujours demandé d’où vient cet emprunt de Mulukhiya au Maroc pour désigner un légume totalement différent le gombo comme vous dites ou l’Okra… et n’ayant strictement rien avoir avec la Mulukhiya tunisienne, égyptienne ou orientale objet de votre billet ! puisque ce plat est totalement inconnu dans la cuisine Marocaine pourtant très riche et très diversifiée !

    La préparation du gombo ou okra au Maroc est associé au  »tagine de M’lukhiya » espèce de ragoût qui se prépare aussi a la cocotte minute chez la ménagère lambda, mais comme tous les tagines (plat en terre cuite recouvert de son couvercle en forme de dôme) dela cuisine marocaine, adopte les légumes en fonction des saisons et les utilise soit seules soit les marie a d’autres légumes dans un ordre strict et bien balisé… et donc les marie aussi soit a une viande de mouton, généralement l’épaule, ou de veau, ou alors de Poulet Baladi (poulet de campagne à la chair rouge – bleue qui s’apparente à du gibier et non à la volaille blanche commune et industrielle), afin de faire ressortir le goût particulier de chaque légume et ne pas le gâcher par une viande qui en altèrerait le goût… le gombo okra frais et complet par exemple va s’utiliser tout seul de préfèrence avec une viande d’agneau, et l’ajout d’une tomate en rondelles ou en tranches, pendant que l’artichaut, les petits poids verts, la fève verte fraîche ou le mélange de deux de ces légumes pourra accompagner autant le veau que l’agneau avec l’addition de morceaux de citron confit pour en en relever le goût en saison…. le coing ou la courge, ainsi que l’ajout de fruits secs comme les raisons secs ou les abricots secs, tous se marient autant a l’agneau qu’au veau pour un résultat sucré salé typique et caractéristique… les raisins secs sont très utilisé avec le gibier, le poulet et le lapin aussi, pour un goût d’avantage sucré… etc

    Par ailleurs, les Marocains raffolent de ce qui pourrait se rapprocher de la Mulukhiya orientale en des herbes sauvages qui poussent au printemps, et qui s’apparentent a des espèces d’épinards
    ou proches en goût, principalement la mauve dite  »Al Bakkoula », ou encore la tige du chardon d’espagne dite  »Al guernina », ou encore le pourpier dite la  » Rejla » en arabe marocain dialectale…. les trois ne sont pas considéré comme des produits d’agriculture commune, mais des herbes et plantes sauvages qui poussent au printemps et que les femmes rurales récoltent dans les champs en friche après les pluies, et vendent en bottes après les avoir soigneusement nettoyé et sélectionné (ou débarrassé de leur épines pour le pourpier), le long des routes ou ramènent aux marchés pour les vendre car s’envolent aussitôt! Ainsi la mauve et le pourpier se cuisent comme des salades ou des entrées avec des épices et de l’huile d’olive, (nettement plus goûteux que les épinards aussi) et sont présentées et agrémentées d’olives rouges confites et morceaux de citron confit, par contre le pourpier ou chardon d’espagne qui lui est de la même famille que l’artichaut et possède un goût amer délicieux (très consommé et recherché en Espagne, au Portugal et en Italie aussi) se cuisine soit à l’agneau ou encore au fameux poulet baladi et s’agrémente aussi de citron confit et d’olives confites tout autant pour un goût paradisiaque connu uniquement dans la gastronomie des grandes villes du nord et du centre… mais il est vrai qu’il existe un nombre incalculable de plantes comestibles et populaires chez les berbères en montagne, ou encore dans les oasis du sud, et avec lesquelles ils peuvent agrémenter leur couscous (semoule de blé ou d’orge travaillée à la main) ou leurs soupes d’hiver et d’été.

    J’ai bien entendu eu l’occasion de goûter a la fameuse Mulukhiya orientale grâce à des amis tunisiens, et d’autres égyptiens , et j’ai aimé la seconde beaucoup plus, puisque moins huileuse… ou alors il s’agissait de faille de préparation chez nos amis Tunisiens… et donc je confirme que l’équivalent est inconnu au Maroc, sauf chez quelques personnes qui assurent être familiers avec la plante après l’avoir adopté en orient et ramené la recette avec eux au pays …

    En tous cas, merci pour ce billet !

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  • 22 février 2022 à 13 h 33 min
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    Bien entendu, dans l’histoire du Maroc, les conquérants Arabes et musulmans, bien qu’ayant fini par imposer l’islam dans le pays, n’ont pas pu résister longtemps à l’influence de la cuisine berbère et ses trouvailles millénaires et ont pu l’agrémenter par les apports strictement Arabes et se la réapproprier en quelques sortes ou l’embourgeoiser… en plus de se réapproprier et adapter la cuisine andalouse qui s’est étalée sur près de 9 siècles en Espagne et dans les principales villes du nord du Maroc, ainsi que toute la cuisine maure du sud de l’europe née du brassage des cultures avec les populations européennes de la méditerranée… la sicile au sud de l’Italie comme vous le savez sans doute déjà possède un répertoire gastronomique très proche de la cuisine maghrébine.. et l’on dit même que l’ancêtre de la pizza fut introduite par les Arabes (sans la tomate importée des amériques)…

    Ce que beaucoup de Marocains de descendance Arabe et non berbère sont à peine entrain de réaliser est que toute cette culture de  »tagines » et de couscous qu’ils croyaient 100% Arabe, et que les villes bourgeoises ou de tradition aristocratique se sont approprié pendant des siècles et constitue leur force gastronomique, n’est rien d’autre qu’un emprunt a la base aux vieilles traditions et modes culinaires berbères, qu’ils ont pu améliorer et embourgeoiser si on veut, jusqu’à en faire la signature d’une gastronomie légendaire très présente dans la vieille culture vernaculaire arabe marocaine sous forme de chants et de poèmes satiriques qui louent les festins de la table Marocaine… comme la fameuse  »Qasida de la Zerda » qui se traduit par poème ou chant du festin a la Marocaine »… le tout ayant largement pu se déployer dans la culture populaire ancestrale grâce aux festins que donnaient les sultans, les pachas, les caids et les détenteurs du pouvoir et notables dans l’histoire du Maroc. On attribue d’ailleurs faussement à la ville Fes et sa cuisine légendaire toute la noblesse de cette gastronomie et ses subtilités, alors qu’en réalité, le Maroc en entier, et surtout ses campagnes Arabes ou Berbères regorgent de recettes qui peuvent vous faire oublier la lourde et grasse cuisine Fassie d’antan… ou la cuisine bourgeoise Marocaine en règle générale

    Par ailleurs, on peut aussi relever des recettes de l’Andalousie musulmane qui n’ont changé que très peu depuis 10 ou 15 siècles, que ce soit pour apprêter le gibier (les pigeons, la perdrix, le faisan, le lièvre, les differents sortes de chevreuils…etc) et qu’on a largement remplacé par les viandes communes d’agneau et de veau ou de poulet, ou pour confectionner une cuisine qu’on pouvait retrouver autant a Bagdad du temps des Califes qu’en andalousie, les deux ayant largement échangé leur recettes de cuisine, leur artisanat, ou se soient inspiré les uns des autres… d’ou les emprunts andalous a toute la culture du  »Cham » arabe (Syrie, Jordanie, Palestine et Nord de l’Irak) et toute leur richesse et leurs emprunts a leur tour de ce que que vous expliquez dans votre billet. Cette culture et gastronomie andalouse en tous cas sera largement à la base de la petite révolution culinaire dans les monarchies européennes et les sociétés européennes tout autant, le Canard a l’orange de la France ne provient que de la, et l’addition des fruits secs aux viandes et des sauces aigres-douces inconnus en Europe, et ayant explosé au début des siècles de lumières en europe ne proviennent eux aussi que de la tradition orientale que ce soit d’andalousie ou du Machrek…

    Le Maroc par rapport à tout ceci tout comme l’Algérie ou la Tunisie et même la Lybie a certains egards ont tenu à conserver la totalité de la tradition berbère à travers les différentes sortes de Couscous additionné de légumes, ou de fruits secs ou d’herbes et plantes sauvages, ainsi que la confection de crepes et autres pains ronds et l’addition de ragoûts ou tagines comme étant la nourriture du pauvre et du riche sans exception … bien qu’en pays berbère ces Tagines possèdent des qualités nettement plus originales, diététiques ou goûteuses… par l’économie qu’ils font de ne pas ajouter trop d’épices, d’huiles, ou d’ingrédients étrangers,,, comme font les arabes encore aujourd’hui … ce qui a pour résultat immédiat de plaire a tous les palais, car conservent le goût des viandes, des poissons et des legumes autant que possibles et ne les altèrent pas comme c’est le cas chez les arabes. Bien entendu, l’influence ottomane et celle du Machrek s’accentuera en Algérie et en Tunisie sous domination de l’empire ottoman, chose que la Maroc n’a pas connu, et lui a permis de conserver sa cuisine ancestrale intacte si on veut !

    Donc en plus du tagine, vous avez des recettes millénaires exclusives au Maroc, comme  »la Tangia » (se pronnonce la Tanjiya » de Marrakech (sorte de petite jarre en terre cuite) destinée a cuire exclusivement la viande et originaire de la ville et région de Marrakech encore aujourd’hui, pour cuire principalement le jarret de veau, ou la viande d’agneau additionnée d’épices et d’ail, (cumin, safran, ail et sel + huile d’olive) et qu’on scelle avec du papier,du tissus et du fil de fer et emmène cuir dans le four à bois du quartier qui cuit le pain de tout le monde encore confectionné à la maison…et qui en même temps alimente le bain du quartier ou Hammam du quartier en eaux chaudes (Hammam des femmes séparé de celui des hommes… sorte de bain turc omniprésent encore aujourd’hui dans tous les quartiers populaires du Maroc) et elle doit cuire sur les braises… une Tangia doit cuire au moins 5h chez le  »Farnatchi » (four de quartier au bois), pour un résultat réussi..,

    Le plus typique en plus des méchouis et brochettes de la cuisine marocaine, reste sans contexte les pieds de veau dont tous les marocains raffolent, qu’on cuisine additionnées de pois chiches (houmous entiers), les tripes de mouton ou d’agneau, la tête d’agneau en vapeur, et toute les viandes cuites a la vapeur justement ou a l’ettoufé sans addition de légumes, avec des ingrédients précis et des épices… les Marocains sont de trés gros consommateurs de viandes rouges… que seule les maladies liées au cholestérol ou au gras, ont pu dissuader et diminuer cette consommation ces dernières années… Lors de mon enfance, lorsque j’allais a Fes, rien ne nous était plus important que de retrouver le délicieux sandwich fait uniquement de pain rond (au ble complet) additionné uniquement de Kefta grillée (viande hachée) qui comporte en fait, un mélange de viande de boeuf, celle de chameau, de gras d’agneau et souvent un rognon d’agneau aussi, le tout épicé et relevé, et sans l’addition de crudités ou rien d’autre…. les kebabs de Kefta et de viande ou de foie avec un verre de thé a la menthe au Maroc est une étape obligée sur les routes lorsqu’on voyage dans tout le pays et qu’on doit s’arrêter pour se restaurer dans les villages ou des bouchers vous attendent de pied ferme avec les grills au charbon de bois…

    le poisson n’est pas en reste, puisque les cours d’eau douce du Maroc ou l’on retrouvait l’alose avant l’edification de barrages hydroélectriques qui ont contribué a sa disparition, et une multitude d’espéces de poissons d’eau douce en plus des espèces d’eau salée principalement la sardine, l’anchoix chez le pauvre et les poissons plats (dorades et pageots, sars et autres) font définitivement partie de la plus ancestrale des cuisines du littoral et des villes de l’intérieur du pays depuis toujours… et constituent a ce jour des incontournables pour diversifier l’alimentation…

    Enfin, aujourd’hui le maroc s’est vachement distancé de ses pairs Arabes sur le plan de l’alimentation principalement en raison de l’addition du riz et son importance dans l’alimentation au Machrek… car le riz est demeuré un ingrédient limité aux ‘poudings marocains,, a bas de lait et de sucre, et quelques tagines ou ragoûts de poulet (la fameuse recette du poulet  »Qedra »), car rien n’a pu encore remplacer le bon vieux pain rond, qu’on affectionne particulièrement au blé complet ou a l’orge, pour accompagner tous ces plats, grillades ou salades… et qui soit à la base des révoltes populaires lorsque son prix augmente ou que l’etat ne veuille pas subventionner en partie le prix des farines lorsque le parix des grains explosent sur le marché international ou local. On dit dans la culture locale, que vivre de pain et d’olives, et surtout l’huile d’olive avec du thé vert comme boisson est le repas du pauvre, et que les riches ne s’offusquent pas de conserver… surtout le matin au petit déjeuner pour tremper son pain dans son huile d’olive… qui soit un sport national…

    Le petit déj enfin a gardé des similitudes avec nos amis du Machrek, dans la tradition et dans le Maroc rural, vous trouverez tout le temps une soupe de fèves additionnée d’huile d’olive et de jus de citron frais pour y tremper son pain, en plus des oeufs durs du poulet Beldi (l’oeuf est petit et blanc et nettement plus goûteux et santé que l’oeuf industriel), ou encore le fameux  »Khlii », qui consiste a cuire une viande salée, séchée et épicée (en minces morceaux de viande qu’on sépare en petites touffes de filament de viande lorsqu’on veut la cuire) et conservée dans le gras de mouton ou l’huile d’olive, et y additionner deux ou trois oeufs Beldi dans une poele, et servir avec le jus de citron frais… un délice qui se transmet depuis des siècles… le  »khlii » peut aussi agrémenter un plat de lentilles, faire des crêpes au Khlii aussi… et dans l’histoire, chaque maison bourgeoise se devait de préparer son khli3 a la fin de l’été pour le conserver toute l’année, chaque maison y consacrait une vache entière ou un veau, et se devait de rajouter beaucoup de gras de mouton une fois le processus de séchage et salage de la viande eux épices est complété, on utilise uniquement le cumin, beaucoup d’ail, et la coriandre en poudre pour laisser masserer la viande avant de la sécher, ou encore pour le recuire une fois séchée dans son gras de mouton jusqu’a ce que la viande soit tendre et prête a être conservée…

    cordialement….

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    • 22 février 2022 à 16 h 38 min
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      Vous fusionnez vos deux post de ce jour sur ce thème et vous en faites un bon papier
      sous le titre « Contribution à la culture culinaire du monde arabo musulman » et vous signez le papier de votre nom et vous l’adressez à la rédaction du 7 du Québec avec cette mention.

      Pour faire suite au papier paru mardi 22/2 2022 sur l’art culinaire arabe un éclairage complémentaire.

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      • 22 février 2022 à 23 h 48 min
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        C’est fait ! je viens de corriger les deux commentaires, procéder à des rajouts aussi et apporté des éclaircissements et points qui me semblaient importants…. le tout a été posté comme dernier commentaire dans le meme de la semaine, a l’attention de l’équipe de l’édition et suivant vos instructions.

        Merci pour votre intérêt et d’adjoindre ces clarifications concernant le Maroc a votre texte.

        Bien a vous.

        Sam

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