Les dessous du scandale des maisons de retraite (EHPAD) en France

Par Khider Mesloub.

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Les maltraitances infligées aux personnes âgées dans les maisons de retraite défrayent actuellement la chronique en France, en particulier depuis la publication du livre polémique d’un journaliste français (censément indépendant) sur les « dysfonctionnement » et « sévices » relevés dans certains établissements de retraite, les Ehpad (Établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes). En réalité, ces maltraitances envers les pensionnaires des maisons de retraite ne sont pas nouvelles. En outre, elles constituent un phénomène mondial.

Pour ma part, bien avant la publication de ce livre suspect, j’avais rédigé un article sur le traitement dégradant des personnes âgées, publié notamment dans Algériepatriotique le 19 janvier 2019 [1], au lendemain du scandale de la diffusion d’une vidéo filmée dans un établissement de retraite de la ville de Batna [2], en Algérie, dévoilant l’abandon des pensionnaires et, surtout, les maltraitances qu’ils subissaient.

Sans nul doute, la publication du livre « Les Fossoyeurs » est suspecte car elle s’apparente à une opération de discréditation professionnelle orchestrée par le gouvernement Macron, et surtout à une entreprise de torpillage économique lancée contre la multinationale Orpea, leader mondial des Ehpad – déjà l’action du titre Orpea à la Bourse de Paris a dégringolé d’environ 60%.

Il est curieux qu’un livre, écrit par un obscur jeune journaliste (il est l’auteur d’une enquête sur l’homosexualité dans les Ehpad parue dans Le Monde en mars 2019, où il était préconisé la création d’une maison de retraite LGBT, autrement dit une structure réservée aux seniors gays, lesbiennes, transgenres), bien avant sa publication, ait provoqué autant de vives réactions intempestives de la part du gouvernement Macron.

D’emblée, lors des questions au gouvernement, dans l’Hémicycle, le Premier ministre Jean Castex est monté au créneau pour annoncer, comme si le projet de loi était depuis longtemps ficelé, une réforme des procédures d’accréditation des établissements de retraite, tout en pointant, sur le simple fondement de la publication d’un livre contestable (qu’il n’a probablement pas lu), un doigt accusateur sur le groupe Orpea : « Les faits sont gravissimes (…) Il existe dans notre pays une maltraitance structurelle de nos aînés ». « Je veux manifester ma compassion et ma solidarité à l’endroit des résidents et des familles qui ont été victimes de ces agissements », a-t-il déclaré. (Quand des millions de Français récalcitrants, avec des preuves tangibles à l’appui, dénoncent les maltraitances et répressions gouvernementales subies depuis l’apparition de la pandémie, sans oublier les dysfonctionnements criminels de la gestion de la crise sanitaire, ils sont aussitôt qualifiés d’imposteurs, de complotistes, d’irresponsables, accusés de propager des fake news).

Pareillement, la ministre déléguée chargée de l’autonomie des personnes âgées, Brigitte Bourguignon, sans disposer d’aucun élément de preuve matériel, s’est fendue d’un communiqué dans lequel elle a « exprimé sa colère » et « l’indignation du gouvernement quant aux pratiques et dysfonctionnements graves et intolérables » relevés dans les établissements d’Orpea.

Le lendemain, mercredi 2 février, dans une action inquisitoriale concertée, ce fut au tour de l’Assemblée nationale, par le biais de la Commission des affaires sociales convoquée diligemment par les députés de LREM, de se réunir pour auditionner, sans ménagement, le nouveau PDG d’Orpea, Philippe Charrier, ainsi que le directeur général France, Jean-Christophe Romersi, soumis à un « interrogatoire musclé » comme de vulgaires voyous.

Le même jour, le journal gouvernemental Libération titrait son article consacré au « scandale » des établissements de retraite « Et si on fermait les Ehpad ? ». Et d’entamer son article par cette préconisation, probablement dictée par l’Élysée : « Personne n’est satisfait de ces établissements, ni les résidents et leurs proches, ni les personnels, ni l’opinion publique. Il faut travailler sur le maintien au domicile et réorienter les politiques publiques du vieillissement vers une inclusion sociale. ». Autrement dit, le gouvernement Macron propose la fermeture des établissements de retraite ou, plutôt, leur transformation en structures spécifiquement médicalisées, et, corrélativement, le maintien à domicile des personnes âgées.

Le même jour on apprenait qu’une plainte au pénal pour violation des droits syndicaux avait été déposée contre Orpea par les centrales syndicales CGT, FO, CFDT. (La mafia syndicale s’érige maintenant en justicière, en redresseuse de torts, elle qui viole les droits des travailleurs par sa fonction de garde-chiourme du capital et d’entremetteuse professionnelle dans la gestion des esclaves-salariés.)

Le même jour on apprenait que le groupe Orpea était également visé par une « action collective conjointe » lancée par des familles de résidents en colère, pour, selon les dossiers, « homicide involontaire, mise en danger délibérée de la vie d’autrui, violence par négligence » ou « non-assistance à personne en danger ».

Rien que ça !

On voudrait abattre ce géant gênant des établissements de retraite on ne s’y prendrait pas autrement. Après avoir ruiné la réputation et les finances du groupe Orpea, le pouvoir macronien s’apprête à infliger le même sort aux groupes Korian et DomusVi. Pour ce faire, la chaîne de télévision d’État France 2 vient d’annoncer la déprogrammation d’une enquête consacrée à l’enseigne McDonald’s, pour la remplacer par la diffusion d’un documentaire sur le groupe Korian. L’émission de « Cash Investigation », animée par Élise Lucet, promet des révélations sur l’univers des maisons de retraite des deux groupes. Déjà, le groupe Korian est dans la tourmente, son action dévisse en bourse.

Voilà, après recoupement de toutes ces informations, tout s’éclaire, tout s’explique : le gouvernement Macron, via le prétendu journaliste stipendié, les médias et les députés accourus à la rescousse, s’active à discréditer et flétrir les Ehpad d’Orpea, accusés de « maltraitances » et de cupidité, afin de justifier leur transformation en structures spécifiquement médicalisées.

Au reste, le projet de loi de maintien à domicile des personnes âgées est à l’étude depuis plusieurs années. Depuis des mois, le gouvernement Macron prépare l’opinion publique à la perspective du démantèlement des Ehpad. Au final, les députés, dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) avaient adopté le 26 octobre 2021 en première lecture le projet de loi, qui prévoit notamment toute une série de mesures pour favoriser le vieillissement à domicile.

“Nous mettons l’accent sur le maintien à domicile pour, à terme, limiter le besoin de places en Ehpad”, affirmait la ministre Brigitte Bourguignon dans le magazine Capital. À court terme, l’objectif du gouvernement Macron est de remplacer les Ehpad par les Spasad (Services polyvalents d’aide et de soins à domicile).

 

« Et si nous mettons l’accent sur le maintien à domicile c’est aussi pour, à terme, limiter le besoin de places en Ehpad. Il faut que ces structures deviennent plus sanitaires, dédiées aux pathologies les plus lourdes. Nous y arriverons si nous réussissons le pari du domicile », avait-elle ajouté. En d’autres termes, les Ehpad deviendraient des appendices des hôpitaux actuellement en souffrance. L’objectif est de maintenir à domicile un maximum de personnes par l’aide technique comme la téléassistance, la domotisation ou l’adaptation des logements.

En France un habitant sur 10 a plus de 75 ans (7 millions). En 2050, ce sera un habitant sur six (12 millions). Au lieu d’investir dans la construction de nouvelles structures d’accueil de personnes âgées, jugées coûteuse, le gouvernement Macron prône la politique de maintien à domicile des séniors. Et les actuels Ehpad seront, à terme, transformés en « structures sanitaires dédiées aux pathologies les plus lourdes ».

Sans nul doute, une fois les trois groupes totalement fragilisés financièrement, l’État pourrait, sinon s’approprier plus aisément leurs établissements, ou, au moins, plus favorablement les contraindre à se transformer en structures médico-sanitaires dédiées aux pathologies les plus lourdes.

Actuellement, globalement le budget alloué par l’État aux seniors en perte d’autonomie est de l’ordre de 24 milliards d’euros. Avec l’accroissement du nombre de personnes âgées dépendantes d’ici 2050, ce budget devrait considérablement augmenter. Or, restrictions budgétaires obligent, l’État n’envisage pas de rallongement financier de ce poste de dépense. Aujourd’hui, pour parer à l’augmentation du nombre des séniors en perte d’autonomie, par ailleurs pourvus d’une pension de retraite pareillement vouée à diminuer du fait de l’aggravation de la crise économique, l’État s’active à réduire l’écart entre le montant moyen des pensions 900 euros par mois et le prix d’une place en maison de retraite estimé à 2000 euros mensuels. Outre, à court terme, la transformation des Ehpad en structures médicalisées, l’objectif immédiat visé est la baisse du prix de l’hébergement en maison de retraite. Aussi, cette diminution du coût est possible seulement par l’encadrement des tarifications des maisons de retraite, autrement dit par la mise au pas des établissements de retraite privés (à but lucratif) détenus majoritairement par les groupes Orpea, Korian et DomusVi.

Car, quoique appartenant au secteur privé, ces trois groupes profitent d’un système de financement public complexe et généreux profitablement détourné à leur avantage. Pour information, la tarification est divisée en trois sections : aide sociale à l’hébergement. Comme le rapporte le magazine Capital dans son édition du 28 janvier 2022 : « La partie soins est prise en charge à 100 % par l’assurance maladie. Cela signifie donc que, même dans les établissements privés, les salaires des médecins coordonnateurs, des infirmiers et 70 % des salaires des aides-soignants sont payés par les finances publiques. Leur nombre est encadré par une logique comptable, et déterminé en moyenne tous les cinq ans par le niveau de dépendance (mesuré par la grille AGGIR) et le besoin de soins des résidents en fonction de leur pathologie (mesuré par l’outil Pathos). Ainsi, plus un établissement accueille de personnes en grande dépendance au moment de l’évaluation par les outils tarifaires (AGGIR et Pathos), plus le budget alloué pour les soins sera important. Cette logique prévaut quel que soit le statut de l’établissement. (…). Certains établissements profitent de ce financement public de soins et n’assurent que le strict minimum en la matière. (…). Autre niveau de tarification, la dépendance. Il s’agit ici de financer en partie l’aide aux actes du quotidien comme la prise de repas, le lever ou le coucher assurée par des aides-soignants. Cette prise en charge est cofinancée par l’État et les départements dans le cadre de l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA). (…). Chaque établissement reçoit donc une enveloppe correspondant au niveau de dépendance de ses résidents qu’elle a déclaré. Ces montants sont donc réservés pour des besoins très spécifiques. Enfin, dernier poste tarifaire : l’hébergement. C’est ce tarif-là qui est facturé tous les mois pour les résidents des Ehpad. Ce tarif prend en compte le logement, son entretien, la restauration. (Dans les établissements les plus onéreux, ce tarif peut atteindre plusieurs milliers d’euros (entre 6.500 et 12.000 euros dans l’Ehpad de Neuilly-sur-Seine.). Dans le même établissement, le tarif peut varier en fonction de la taille du logement mais aussi des activités qui peuvent être choisies par le résident. C’est donc sur ce poste que se fait l’essentiel des profits des résidences privées (en vrai dans tous les autres postes financés par l’État. En fait, ces établissements privés soutirent l’argent aussi bien aux contribuables via les dotations publiques qu’aux pensionnaires via le paiement de leur hébergement. Néanmoins, le projet gouvernemental de maintien à domicile est pire que le cadre d’hébergement institutionnel actuel. Sous couvert d’arguments humanitaires justifiant le maintien à domicile, l’État, pour d’évidentes motivation de rationnement du budget alloué aux seniors dépendants, livre en fait les personnes âgées en perte d’autonomie à elles-mêmes, privées de l’accompagnement social et médical quotidien dispensé dans les maisons de retraite. En tout état de cause, la politique de maintien à domicile est moins coûteuse pour l’État, en matière d’hébergement, de dépendance et de soins, NDA).

Leurs tarifs sont totalement libres. D’autant que, contrairement au public et au privé non lucratif, ils n’ont aucune obligation de réserver des places aux bénéficiaires de l’aide sociale à l’hébergement (ASH) – autrement dit aux retraités impécunieux.

Autre écueil majeur de ce système, malgré les dotations publiques qu’ils reçoivent, ces établissements privés sont peu contrôlés par les Agences régionales de santé (ARS). »

Par ailleurs, mesquinement, ce livre, censément soucieux du sort des séniors, se borne à dénoncer les rationnements de nourriture et de produits d’hygiène au détriment des personnes âgées prises en charge dans les structures d’Orpea (or, le gouvernement Macron, lui, est le premier employeur à rationner les moyens de tous les établissements publics, notamment les moyens sanitaires et matériels médicaux des hôpitaux : juste en 2021, il aura fermé 5700 lits, suspendu 15 000 agents hospitaliers pour défaut de pass sanitaire, occasionnant l’aggravation de la dégradation des conditions de travail des personnels soignants, la déprogrammation des opérations chirurgicales, des consultations médicales vitales, notamment des personnes atteintes d’un cancer ou de maladies cardiovasculaires ou chroniques potentiellement létales).

En revanche, le journaliste n’évoque nullement la responsabilité de l’État français dans la dégradation des conditions de vie des retraités, mis en pension ou non.  Plus de 10% des retraités français touchent moins de 60% du revenu médian disponible dans le pays, qui correspond au seuil de risque de pauvreté. Le seuil de pauvreté est établi à 1 041 euros. En France, sur 9 millions de personnes considérées comme pauvres, plus d’un million sont des retraités.   

Outre les maltraitances sociales infligées par l’État français aux personnes âgées, par leur paupérisation généralisée et isolement social, l’autre drame vécu par les seniors concerne le taux de mortalité excessivement élevé parmi les personnes pauvres en âge de prendre la retraite. En France, à 62 ans, un quart des 5% les plus pauvres sont déjà morts (en 2021, la France comptait 17,7 millions de personnes âgées de 60 ans et plus, soit presque 27 % de la population française totale). Il faut attendre l’âge de 80 ans pour que cette proportion soit atteinte pour les 5% les plus riches.

L’auteur du livre commandé n’évoque pas non plus la culpabilité du gouvernement Macron, depuis l’apparition de la pandémie de Covid-19, dans la mort des milliers de pensionnaires des maisons de retraite, décédés par manque de soins et de matériels sanitaires, véritable opération d’euthanasie perpétrée contre les résidents, comme on l’a analysé dans notre texte intitulé « La pandémie d’euthanasie médico-économique », publié dans le Webmagazine Les 7 du Québec les 6 et 13 décembre 2021. (https://les7duquebec.net/archives/268910 et ici https://les7duquebec.net/archives/268747 ).

 

Les résidents des établissements de retraite ont représenté 44 % des morts du Covid-19. En d’autres termes, sur les 128 000 décès dus au Covid-19 survenus en France, plus de 56 000 sont décédés dans les structures médico-sociales, en l’espace de quelques mois. Au total, les personnes hébergées dans ces établissements, censément sécurisés et médicalement immunisés, représentent donc plus de quatre décès sur dix, recensés par les autorités sanitaires.

Et aucun journaliste ou homme politique ne s’offusque de ce génocide perpétré contre les pensionnaires des établissements de retraite, sacrifiés sur l’autel des restrictions budgétaires décrétés par le gouvernement Macron. Les médias et les membres du régime macronien pointent du doigt les « dysfonctionnements et maltraitance » de l’Orpea pour mieux occulter leurs crimes commis contre les personnes âgées hébergées dans les maisons de retraite, mortes faute de soins, par manque de lits de réanimation, de respirateurs, de personnels soignants, dans l’isolement, sans bénéficier des derniers adieux de leurs familles.

Ces pensionnaires ont juste reçu le dernier baiser de la mort apposé par la mafia gouvernementale. [3]

Aujourd’hui, ces génocidaires macroniens viennent dénoncer l’inhumanité supposée (matérialisée par les rationnements de nourriture et de produits d’hygiène) des dirigeants de l’Orpea. Ils osent même les traduire en justice. Pour paraphraser la réplique de Lino Ventura dans le film « Les tontons flingueurs » : « Les cons, ça ose tout. C’est même à ça qu’on les reconnaît », nous dirions, à notre tour à propos de ces « Flingueurs de papis et mamies » : les criminels du gouvernement Macron osent tout. C’est même à leurs politiques antisociales et mesures scélérates qu’on les reconnaît.

En vérité, avec cette affaire de scandale des établissements de retraite, montée en épingle par les médias, tout se passe comme si il s’agissait également d’une diversion : les familles, meurtries par la mort prématurée d’un parent ou par la négligence médicale infligée à leur proche par les autorités, au lieu d’intenter un procès contre les membres du gouvernement Macron, responsables, par leur incurie criminelle dans la gestion de la crise sanitaire, de négligence, de mise en danger de la vie d’autrui et d’abstention volontaire de combattre un sinistre (56 000 morts de Covid dans les établissements de retraite), sont fourvoyées dans de mauvaises voies, déroutées sur de fausses cibles, des lampistes : les dirigeants d’Orpea.

À quand un Tribunal de Nuremberg pour poursuivre les dirigeants français macroniens pour crime contre l’Humanité pour leur gestion criminelle de la pandémie de Covid-19 ?


 

Voici mon texte publié en janvier 2019.

 

 

Le traitement dégradant des personnes âgées dans les maisons de retraite

« À vieil homme nouvelle peine. »

De nos jours, dans notre société moderne capitaliste, il ne fait pas bon de vieillir. Avec la dislocation des familles élargies où plusieurs générations cohabitaient sous le même toit, la majorité des personnes âgées, une fois à la retraite, est livrée à elle-même, sans soutien familial ni protection institutionnelle publique. Situation encore plus dramatique pour les retraités socialement isolés, les veufs. À cet âge marqué par la fragilité et la vulnérabilité, les personnes âgées souffrent d’innombrables handicaps. Elles doivent affronter souvent l’apparition de multiples maladies invalidantes. Sans compter les soucis permanents d’argent dus à une pension de retraite dérisoire, rognée de surcroît par l’inflation.

Ainsi, outre la solitude très répandue à cet âge de mise à la retraite, les problèmes de santé récurrents, le retraité est affligé de difficultés financières du fait de sa maigre retraite.

Ironie du sort, un demi-siècle de sacrifice au travail pour achever sa vie comme une machine-outil usagée mise à la fourrière, sans considération à sa participation laborieuse à la construction et au développement de la société.

De fait, faute de pouvoir se prendre en charge par manque d’autonomie, totalement isolées par absence de liens familiaux rompus parfois depuis des années, de nombreuses personnes âgées échouent dans ces mouroirs appelés maison de retraite.

Phénomène nouveau : partout dans le monde, depuis seulement quelques décennies, le nombre de résidents en maison de retraite ne cesse d’augmenter. Dans le même temps, les effectifs des personnels des services gériatriques sont en constante diminution. Pareillement, les moyens alloués par les pouvoirs publics pour la prise en charge des résidents retraités sont en forte réduction, sacrifiés sur l’autel des restrictions budgétaires.

Dans certains établissements de retraite, le manque de personnel est criant, et l’absence de soins déchirant. Au sein de certaines maisons de retraite, le déficit des effectifs est la cause principale de l’abandon des résidents. Livrés à eux-mêmes, condamnés à demeurer au lit, sans soins, sans douche, sans activités, les pensionnaires finissent par sombrer dans l’atonie, la dépression, voire la démence. (Aux États-Unis, en dépit de leur interdiction en raison du risque de décès, les maisons de retraite administrent régulièrement des antipsychotiques aux résidents atteints de démence pour contrôler leur comportement. Le recours aux antipsychotiques, « camisole chimique », employés pour faciliter le travail du personnel ou mieux contrôler les résidents, est assimilé par les organisations de droits des humains à un traitement cruel, inhumain ou dégradant.)

 

Certains, faute d’hygiène, contractent de multiples pathologies. D’autres, par absence de communication aussi bien avec les autres résidents qu’avec le personnel inexistant, périssent prématurément du fait de ce mutisme funèbre vécu au quotidien.

En raison de la rupture de relations parentales, certaines personnes âgées isolées au plan familial sont plus exposées aux négligences infligées par le personnel. Leur isolement permet aux responsables d’établissement de réduire plus aisément les moyens et les effectifs affectés à leur intention, de raréfier l’encadrement médical, sans encourir le risque de protestation de la part de la famille du résident, par ailleurs indifférente. De fait, nombre des pensionnaires sont abandonnés. Victimes de maltraitances, ils subissent des pressions et des menaces de la part du personnel, pour les dissuader de se plaindre.

De manière illustrative, pour ce qui est de la France, on compte 16,5 millions de retraités, sur une population évaluée à 67 millions. La pension de retraite moyenne est de 1288 euros. Or, le coût d’une place en maison de retraite est estimé à presque 2000 euros par mois (certains établissements facturent 6000 à 8000 par mois). Aussi, l’accession à un établissement de retraite est hors des moyens financiers de la majorité des retraités. De nombreux retraités sont contraints de vendre leur maison pour couvrir les frais onéreux de leur hébergement en maison de retraite.  Certains établissements de retraite exigent la modique somme de 2500 euros par mois pour pouvoir prétendre séjourner dans leur mouroir. Toujours en France, tandis que plus de 3,3 millions de seniors souffrent de dépendance, seulement 1,2 millions de ces personnes dépendantes bénéficient de l’Allocation Personnalisée d’Autonomie (APA), principale aide sociale permettant de recourir aux services d’une professionnelle. En réalité, l’exemple de la France s’applique à tous les pays occidentaux séniles et décadents.

Paradoxalement, en dépit de leurs tarifs exorbitants, les maisons de retraite demeurent néanmoins saturées. Et pour cause. Nonobstant le vieillissement accéléré de la population permis grâce à l’allongement de l’espérance de vie, les constructions d’établissements de retraite brillent par leur rareté. Le problème de la raréfaction des établissements de retraite va s’aggraver. En effet, dans les pays développés, tandis que le nombre de personnes âgées de plus 85 ans devrait quadrupler autour des années 2050, aucun programme relatif au financement de la perte d’autonomie et des maisons de retraite n’a été inscrit dans les budgets prévisionnels des États. Cela s’intègre dans la logique de la politique des réductions drastiques des budgets sociaux, en général, et hospitaliers et médico-sociaux, en particulier.

Le désengagement des pouvoirs publics des politiques sociales concerne également les établissements de retraite, abandonnés au secteur privé, qui tire de substantiels bénéfices de l’exploitation lucrative des maisons de retraite. À l’instar du groupe Orpea qui exploite près de 117 000 lits dans 1156 établissements, essentiellement en Europe, dont plus de 49.200 lits (586 établissements) en France et près de 47.000 lits (418 établissements) dans neuf pays européens (Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, Italie, Pologne, République Tchèque, Suisse) et en Chine.

De manière générale, ces dernières années, dans de nombreux pays, les témoignages sur la maltraitance des pensionnaires de maisons de retraite sont régulièrement rapportés par les médias. Beaucoup de faits divers scandaleux défrayent la chronique.

Le dernier scandale diffusé sur les réseaux sociaux concerne une maison de retraite établie à Batna, en Algérie. Sur une vidéo amplement diffusée (mi-janvier 2019) sur les réseaux sociaux algériens, on voit des personnes âgées livrées à elles-mêmes dans des conditions déplorables. Certaines allongées à même le sol, frappées d’hébétude et de prostration, d’autres à demi inconscientes immobilisées dans leur fauteuil roulant, d’autres déambulant nonchalamment avec une silhouette à l’hygiène douteuse. Tout cela dans des contextes sans aucune assistance professionnelle. Et un cadre résidentiel à la vétusté et l’insalubrité répugnantes. Ces images insoutenables de maltraitance ont entraîné le limogeage des responsables de l’établissement, et la poursuite en justice de l’ensemble du personnel.

Au reste, le problème des sévices infligés aux personnes âgées est tellement dramatique qu’une Journée mondiale contre la maltraitance des personnes âgées a été instituée par l’ONU en 2007. Cette journée organisée le 15 juin a pour dessein de sensibiliser l’opinion publique au sort des personnes âgées victimes de maltraitance.

Selon la définition proposée par les instances officielles internationales, la maltraitance des personnes âgées « se caractérise par tout acte de négligence ou omission commis par une personne, s’il porte atteinte à la vie, à l’intégrité corporelle ou psychique, à la liberté d’une autre personne ou compromet gravement le développement de sa personnalité et/ou nuit à la sécurité financière. »

La maltraitance des personnes âgées recouvre de multiples formes de souffrance et de mauvais traitements aux yeux de la loi. Elle s’étend à tous les types de violences et de négligences, associés ou non.

Les différentes formes de maltraitance des personnes âgées peuvent être des violences : physiques : coups, blessures, contraintes physiques; morales et psychologiques : injures, violation de la vie privée, chantage, privation d’affection ou de visites; médicamenteuses : excès de neuroleptiques, absence de traitement adapté; financières : vol, extorsion, héritage forcé; les négligences actives (enfermement…) ou passives (absence d’aide à l’alimentation…) ; les violations des droits civiques : atteintes aux libertés et droits fondamentaux des personnes.

Ainsi, de nos jours, le troisième âge est la période de tous les dangers. Jamais dans l’histoire les personnes âgées n’ont été traitées avec tant d’inhumanité. Jamais les personnes âgées n’ont été autant exposées à autant d’insécurité. Isolées socialement, carencées affectivement, négligées familialement, fragilisées financièrement, diminuées physiquement, amoindries psychologiquement, elles deviennent des proies faciles. Souvent, en période de crise économique, elles sont les premières victimes des mesures antisociales. Certaines sont contraintes de reprendre le travail pour pouvoir survivre. D’autres tombent dans une extrême pauvreté, ou deviennent SDF.

Ironie du sort, plus grave encore, en Asie, aujourd’hui, pour survivre, certains retraités recourent à des expédients ingénieux illégaux. Ainsi, dernière invention dans l’un des pays les plus riches au monde, le Japon, de plus en plus de retraités choisissent la prison pour fuir la misère. À la liberté dans la misère, de nombreux retraités japonais préfèrent la sécurité alimentaire et médicale dans la prison. Un retraité japonais l’a expliqué avec ses mots dans un article du Monde publié le 14 janvier 2019.

« En prison, il a chaud, il est nourri et s’il est malade, on s’occupe de lui… Comme il est récidiviste, il en a pris pour deux ans… Un jour il faudra peut-être que je fasse comme lui », raconte-t-il à propos de l’un de ses amis. Pour accéder à cette maison de retraité de substitution, certains retraités se métamorphosent en hors-la-loi par la commission de certains larcins afin d’achever leur vie au chaud dans une cellule. Selon le journal le Monde, 21,1 % des personnes arrêtées en 2017 avaient plus de 65 ans. En l’an 2000, cette tranche d’âge ne représentait que 5,8% de la population carcérale. Les retraités qui se retrouvent en détention ont souvent volé de la nourriture ou de quoi améliorer l’ordinaire.

Ces détenus âgés représentent « de nouvelles charges pour l’administration pénitentiaire », d’autant plus qu’ils « entendent mal et tardent à exécuter les ordres ; certains sont incontinents, d’autres ont des problèmes de mobilité et il faut parfois les aider à se nourrir et à se laver ».

De la France à l’Algérie, du Japon aux États-Unis, la société excrémentielle capitaliste a transformé les personnes âgées en déjections, réduites à survivre misérablement, à mourir à petit feu sous le regard indifférent de la majorité des hommes et femmes insensibles au malheur de ces aînés de l’humanité.  Quand le respect dû aux vieillards bat en retraite, c’est la mort de l’humanité qui approche.

 “Sois serviable envers les vieux : quand tu le seras, à ton tour, on te servira.” Proverbe kurde

Khider Mesloub 


 

[1] https://www.algeriepatriotique.com/2019/01/19/le-traitement-degradant-des-personnes-agees-dans-les-maisons-de-retraite/

[2] https://www.youtube.com/watch?v=4kztXdsHeKc


[3] 
Dans l’univers de la mafia, le baiser de la mort (en italien : il bacio della morte) est un acte pratiqué par un parrain mafieux ou le caporegime (en) d’une « famille » criminelle sur les membres de l’organisation dont l’exécution a été décidée.

 

 

Robert Bibeau

Auteur et éditeur

2 réflexions sur “Les dessous du scandale des maisons de retraite (EHPAD) en France

  • 7 février 2022 à 10 h 38 min
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    @ KHIDER

    Je crois qu’il aurait fallu que tu insistes davantage pour dire que tu ne cherche pas à disculper les multinationalles de l’exploitation de la vieillesse mourante – mais montrer comment fonctionne les rapports sociaux capitalistes au sein de sa structure de gouvernance, i.e. : les milliardaires d’ORPEA qui se chamaillent contre l’État totalitaire français sur la meilleure méthode de spolier les vieillards.

    Leurs méthodes de spoliations différant selon leur position et leur role dans le système d’exploitation. l’État doit prendre en compte l’intérêt de l’ensemble de la classe capitaliste au pouvoir et ORPEA ne se préoccupe que des intérêts de sa faction de la classe capitaliste.

    Autre remarque tu: je ne crois pas qu’il faille adopter les expressions de la go-gauche ET de la droite et de la petite-bourgeoisie électoraliste comme l’expression : POUVOIR MACRONISTE OU MACRON DÉGAGE .. etc.

    Nous ne croyons pas quand à nous qu’il existe un pouvoir MACRONISTE OU UNE CLASSE SOCIALE MACRONISTE.
    La preuve, le grand capital s’apprête à congédier Macron et à le remplacer par Pécresse sans pour autant avoir changer quoique ce soit aux rapports de production capitaliste en France … Ces godillots sont interchangeables c’est pourquoi nous prolétaires révolutionnaires nous ne portons aucune attention aux élections (le moment du changement de vassal obéissant) ni à la personnalité du monarque temporaire et toute notre attention se porte sur ce qui ébranle la structure profonde du pouvoir de classe même si – comme chez les cammionneurs – nous savons bien que Soros et Musk grenouilles en sous-main… Ces rats soulèvent une pierre qui leur retombera sur les pieds.

    https://les7duquebec.net/archives/269867

    Merci camarade pour cette étude intéressante.

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