L’argent ne fait peut-être pas le malheur, mais il y contribue

OLIVIER CABANEL — Au moment où l’idée de décroissance fait une percée remarquable dans les débats, ne pourrait-on s’interroger sur cette science discutable qu’on appelle l’économie ?

Pour se forger une identité respectable, l’économie est devenue une science, appuyée par des lobbies discutables. Mais quelle science ? En tout cas pas une science exacte, plutôt une science aléatoire, puisque pour que le riche existe, il faut des pauvres !

La question que l’on pourrait se poser , c’est la suivante : l’homme cherche-t-il le bonheur, ou l’argent ?

Et pour avoir plus d’argent, il faut, en principe, travailler plus. Pour avoir plus de bonheur, je ne suis pas sûr qu’il faille travailler plus…

Le passé nous prouve que ce n’est pas le cas.

Si l’on regarde de plus près notre réalité, elle est indiscutablement en faveur de la paresse, et non pas du travail

De tout temps, l’homme a tenté de travailler moins, devenant sédentaire et cultivant, produisant, élevant sur place des plantes et du gibier pour avoir moins d’efforts à produire.

Il a toujours visé la paresse, et en même temps, évacué cette réalité, la jugeant immorale ; il en a honte, la cache, se culpabilise à tel point qu’il refuse de l’admettre.

Pourtant, tout porte à croire qu’il vise à cette paresse : l’une des dernières preuves parmi les plus flagrantes est la création de la machine, d’abord industrielle, puis maintenant informatique, mais machine quand même qui remplace le travail humain.

Donc notre volonté, même si elle est cachée, ou du moins non avouable, est que nous tentons de ne plus travailler. (Peut être est-ce là une manière de défier la parole divine nous chassant du paradis terrestre et décidant de limiter notre vie, de nous faire « gagner notre vie à la sueur de notre front ?)

Comme si la réussite passait par la douleur !

Ce vieux dogme, qui fait que les artistes doivent souffrir pour créer ! Quelle connerie ! Demandez à Albrecht Dürer ce qu’il en pense, lui, premier artiste à imposer sa création plutôt que de dessiner sur commande.

Quitte à se tromper, prendre le risque de dire : je fais ce que je ressens, et si je me suis trompé, quelle importance, l’essentiel n’est-il pas de faire ce que l’on ressent, sans calcul ?

Nous faisons tout pour nous faire remplacer par des mécanismes ! Par des automates !

Ne serait-ce pas notre vision du bonheur, ne pas travailler ?

Ne rien faire ?

A part aimer, dormir, manger, boire, chercher le temps de la réflexion, celui du plaisir, celui de ne rien faire…

Et pourquoi la paresse serait-elle un défaut ? Comme la

gourmandise, aussi ? Et la luxure ?

De quelles lois sortent ces notions ?

Quel est le manipulateur de tout cela ? Et surtout, pourquoi manipule-t-il ?

Pourquoi ne pas imaginer qu’il manipule celui qu’il exploite pour ne pas accepter l’idée qu’il avait une mauvaise conception du bonheur ?

Notre propre bonheur est dépendant du bonheur de l’autre.

Quitte à prendre le risque – provisoire – de passer à côté de la vraie question, je préfère proposer quelques dogmes.

On ne peut pas acheter la tendresse, la passion, l’envie, l’amour. On peut acheter le sexe, mais on ne peut acheter l’amour.

La seule richesse que nous voulions posséder, c’est justement celle que l’on ne peut pas acheter : le bonheur !

Alors pourquoi ne pas accepter cette réalité : nous ne voulons pas travailler pour exister, mais nous voulons exister pour vivre. Nous voulons servir à quelque chose d’important, et non pas être des outils destinés à fabriquer de nouveaux besoins. Nous voulons aller plus loin que les limites que la morale et l’autorité nous imposent ! Nous voulons être des créateurs, et non pas des acteurs. Nous voulons la vie, et non pas la mort.

Nous avons raisonné comme des enfants : ce bonheur que nous cherchons passe par l’oisiveté, alors nous avons demandé aux machines de travailler pour nous, et tant mieux !

Mais nous avons oublié une chose, c’est que le patron, le gérant de nos richesses, la banque… ne partagent pas notre vision.

Pour eux, le bonheur passe encore par la richesse, puisque c’est cela qui les a menés là où ils sont !

Alors eux, plutôt que de reverser le bénéfice du remplacement des hommes par des machines, ils l’ont gardé, pour investir, s’enrichir encore plus !

Et quand bien même seraient-ils multimilliardaire, ils peuvent « s’offrir » tout, sauf une chose, le bonheur.

Car si leur bonheur passe par le malheur de l’autre, ils savent bien qu’il ne s’agit pas du bonheur. Ils savent bien qu’ils se sont trompés ! Mais s’ils le reconnaissent, ils remettent en question toute leur logique.

Le système mis en place est fondé sur la notion de compétition. Que le meilleur gagne, calquant cette logique sur celle du spermatozoïde, faisant un seul vainqueur !

Cette espèce de logique hitlérienne, qui ferait qu’une race doit supplanter l’autre, provoque les ravages que l’on découvre dans nos petits villages, consécutifs à la pratique des mariages consanguins.

Non, le bonheur passe par le mélange, celui des sexes et celui des races. Lorsqu’il n’y aura plus qu’une seule race, comment justifier les guerres ? Différences de religion, partage des richesses, sûrement, mais au moins nous aurons enlevé un des ferments de ces conflits, et c’est toujours ça de pris.

Car notre vie n’est pas celle ci. Elle ne passe pas par la victoire sur l’autre, mais plutôt par une victoire sur nous-mêmes.

Nous n’avons pas besoin de vaincus, nous avons besoin de vivre avec l’autre, en acceptant ses différences de vie, de religion, de culture.

Nous avons besoin de lui, car sans lui nous ne serons jamais heureux, nous serons les propriétaires d’une île surréaliste, illusoire, une île où nous serons le seul habitant, possédant tout, les ayant tous vaincus, et n’ayant rien, restant seul, terriblement seul, dans le malheur, puisque n’ayant personne pour partager ce bonheur.

Un sourire ne coûte rien, et il produit beaucoup ! Il enrichit celui qui donne, et celui qui reçoit, il ne dure parfois pas longtemps, mais son souvenir peut durer éternellement : quel produit commercialisé aujourd’hui peut produire un tel effet ?

Personne n’est assez riche pour pouvoir s’en passer, et personne n’est trop pauvre pour ne pas le mériter. Le sourire est une chose qui n’a de valeur qu’à partir du moment où il se donne.

« Avec de l’argent vous pouvez acheter un lit, mais pas le sommeil, de la nourriture, mais pas l’appétit, des bijoux, mais pas la beauté, des livres, mais pas l’intelligence, des médicaments, mais pas la santé, des tranquilisants, mais pas la paix, le plaisir, mais pas la joie, le confort, le luxe, mais pas le bonheur, une certaine réputation, mais pas une bonne conscience, des relations, mais pas de véritable ami, une assurance sur la vie, mais pas sur la mort, une place au cimetière, mais pas au paradis ! » (Pierre Pradervant, Gérer mon argent dans la liberté, Editions Jouvence, 2005.)

Non, définitivement le bonheur est ailleurs. Je crois au dernier de la classe, car il s’est appelé Einstein, ou Picasso…

Imaginons un monde où nous ne travaillons plus.

Puisque des machines planteront nos légumes, nos fruits, feront nos machines, capables de faire d’autres machines, naturellement de plus en plus performantes, qu’aurons-nous donc à faire dans ce monde ?

On va se morfondre, dites-vous ? Certainement pas, nous allons pouvoir

réfléchir, créer, nous amuser, goûter, découvrir, comprendre, aimer et générer le bonheur.

En un mot, vivre.

Essayons de mettre en pratique cette philosophie.

Quel est le prix d’un sourire ?

Un vrai sourire, pas un sourire figé de star ou autre politicien d’opérette.

Faites la visite d’une entreprise : de quels sourires avez-vous souvenir ? Celui des salariés ?

Les femmes et les hommes qui travaillent uniquement pour subvenir à leurs besoins n’ont pas de sourire. C’est révélateur !

Des calculs savants ont été faits.

Il a été prouvé qu’il serait plus positif pour la santé économique de la planète de payer les salariés des usines d’armement à ne rien faire.

En haut lieu, on pense que les échanges sans argent deviennent rarissimes. Ce serait oublier l’énorme travail fait par les bénévoles d’associations, le travail fait dans la famille ; ce serait oublier le troc, les services rendus, etc.

Quel est le bénéfice financier d’une activité artistique ?

Un artiste qui se produit ne donne rien de palpable, il ne donne que de la réflexion, parfois de la joie, de l’humour, de l’amour, mais rien de tout cela n’est quantifiable financièrement.

Bien sûr, à sa mort, un peintre devenu célèbre « vaudra » quelques millions, mais était-il heureux de son vivant ? A-t-il rendu les autres heureux ? On peut en douter.

Selon Paul Lafargue, dans son livre Le droit à la paresse, le travail utile destiné à l’échange, salarié ou non, peut être réduit à deux heures par jour.

Alors, qu’allons-nous faire de tout ce temps libre ?

Peut-être rien, peut-être tout, mais au moins, ayons la franchise de reconnaître que ce qui nous mène depuis la nuit des temps, c’est « d’en faire le moins possible », n’ayons pas honte de cela, et ne prenons pas la logique du travail comme une dette envers nous-mêmes et envers l’humanité.

5 réflexions sur “L’argent ne fait peut-être pas le malheur, mais il y contribue

  • 28 mars 2022 à 0 h 30 min
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    Travailler deux heures par jour

    C’est le titre d’un livre merveilleux, écrit en 1977 par le collectif « Adret » (qui comprenait quelques scientifiques), et que l’on trouve encore dans le commerce.
    Non, ce n’est pas une utopie, c’est le résultat d’un calcul simple du temps de « travail lié », à répartir entre tous les membres de la société pour conserver une qualité de vie suffisante pour le bonheur de tous.
    L’expression « travail lié » utilisée par les auteurs désigne le travail que personne n’aime faire mais qui est nécessaire (vider les poubelles, vidanger la voiture, écailler le poisson, faire le ménage…).
    Les autres travaux (non « liés ») sont agréables à certains qui peuvent les effectuer avec plaisir (entretenir des jardins, enseigner des enfants – ou des immigrés sans-papiers –, dessiner des carrosseries, faire des recherches scientifiques, soigner des malades, écrire des romans ou des livres de géographie, couper les cheveux, élever des chèvres, faire la cuisine…).
    On arrive là à une vision plus positive du travail et de l’humanité :
    – Quand le travail n’est pas contraint par des obligations désagréables (horaires imposés, petit chef hargneux et con, exigence de production, conditions matérielles déplorables), les gens aiment faire des choses, avec attention et application.
    – Quand on ne les oblige à rien, les gens ne restent pas forcément couchés toute la journée à attendre la suite, en bénéficiant de « l’assistanat », « cancer de la société ». Certains font même beaucoup de choses intéressantes, et avec des résultats collectivement utiles.
    C’est une vision ! Mais c’est autrement plus motivant que « travailler plus pour gagner plus ».
    L’excellent mensuel Alternatives économiques me remet cet ouvrage en mémoire : ils publient sur leur site un article du numéro spécial Et si on changeait tout… (avril 2011), dans lequel ils proposent de réduire le temps de travail à 32 heures.
    Par semaine !
    Ce qui fait un peu plus de 4 heures et demie par jour.
    Allez, encore un effort !

    Il faudrait réactualiser cette perle

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  • 28 mars 2022 à 0 h 44 min
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    Travailler deux heures par jour

    Pourquoi diffuser Travailler deux heures par jour ?

    Parce qu’il n’est pas réédité
    parce que les questions abordées sont plus que jamais d’actualité
    parce que la nécessité du travail tel qu’on nous l’impose n’est jamais remise en question
    parce que, sans prendre pour argent comptant les solutions possibles abordées dans ce livre, elles amènent une réflexion plus qu’urgente aujourd’hui
    parce que nous ne voulons pas crever plus longtemps au travail

    Parce que nous pouvons refuser de perdre sa vie à la gagner.

    « Remuer des paperasses toute la journée. Un travail complètement crétin. Physiquement, on est épuisée. Nerveusement, on est bouffée »… « 48 heures par semaine en 3 × 8, tu es tellement crevé que l’autre, tu arrives à l’oublier. La vie sexuelle, ça devient de la masturbation »… « Si au lieu de produire pour le profit, on produisait pour les besoins des gens »… « Il y a quelque chose qui ne tourne pas rond »… La production augmente, le chômage grimpe, les horaires de travail ne diminuent pas. Exploitation de la classe ouvrière pour un profit maximum. Mais en Union soviétique, l’usine est la même. Les technocrates brandissent des chiffres : statistiques, courbes, pourcentages, toute une machinerie scientifique. Pour nous faire croire que, malgré le progrès technique, travailler 8 heures par jour est inévitable. Pour camoufler l’exploitation et l’inégalité. Ici des chiffres, aussi, mais pour étayer nos rêves. Chiffres qui sont des armes : évaluation de la durée du travail dans une société où ne serait produit que ce qui sert vraiment ; démonstration de ce que nous coûte le capitalisme ; mesure de l’ampleur du gâchis. Gâchis des ressources de la planète. Gâchis du temps de notre vie. Aller voir ce qu’il y a derrière les chiffres. Parler de notre travail. Du temps perdu au boulot, des luttes pour en réduire la durée… La liberté qui se conquiert ; l’angoisse devant cette liberté. Mais la joie aussi ; et l’espoir.

    https://www.amazon.fr/Travailler-deux-heures-par-jour-ebook/dp/B078J8335R

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