7 au Front

Guerre en Ukraine pour une pose dans la mondialisation

Source Communia. Traduction et commentaires:

 

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1.04.2022-Baud et Communia-eNGLISH-iTALIANO-sPANISH

Les présidents de deux des plus grands fonds américains de placement, BlackRock et Oaktree, ont publié des lettres ouvertes à leurs actionnaires à l’occasion de la guerre en Ukraine dans lesquelles ils ont déclaré la «mondialisation» terminée (End of the Great Reset) et donné de grandes directives aux géants mondiaux du capital.

(Nous dirions plutôt qu’une première étape cruciale de la mondialisation économique et financière doit être mise sur pose – alors que l’étape de la confrontation militaire mondiale s’est amorcée avec la crise sanitaire et pandémique et se poursuit avec la guerre en Ukraine

Ces encycliques ont un énorme pouvoir de prescription parmi la bourgeoisie patronale. La transition mondiale vers l’économie de guerre est trop rapide et «l’Évangile de la post-mondialisation accélérée» ne pouvait plus attendre. (Nous pensons pour notre part que tout cela n’est que fumisterie et vise à tenter de rationaliser et à justifier la troisième guerre mondiale qu’ils nous préparent. )


Table des matières

 

 

L’apocalypse de la mondialisation… selon BlackRock

Larry Fink. Président de BlackRock

Dans son message, Larry Fink, président de BlackRock, ne peut que reconnaître que «les tensions sociales et politiques de deux ans de mesures gouvernementales pandémiques», qu’il blâme pour «la polarisation et le comportement extrémiste que nous voyons dans la société d’aujourd’hui», remettaient déjà en question la division internationale du travail. Et il réaffirme dans le credo mondialisant des années quatre-vingt-dix: «Je continue de croire à long terme aux avantages de la mondialisation et au pouvoir des marchés financiers mondiaux», déclare-t-il, «mais l’invasion russe de l’Ukraine a mis fin à la mondialisation que nous avons vécue au cours des trois dernières décennies». (Car cette première phase de la mondialisation se faisait sous l’hégémonie d’une puissance financière, politique et militaire incontestée ce qui n’est plus le cas depuis la défaite américaine en Syrie, en Afghanistan, depuis la crise pandémique et depuis la guerre de partition de l’Ukraine. )

Pourquoi? Parce que vu du haut des administrations  américaines, il est temps d’accélérer la sortie de la Chine hégémonique et de prévoir un environnement d’inflation élevée « chez eux » dans lequel les travailleurs auront des revenus réels plus faibles à dépenser pour leurs produits.

L’agression de la Russie en Ukraine et son découplage ultérieur de l’économie mondiale inciteront les entreprises et les gouvernements du monde entier à réévaluer leurs dépendances et à réanalyser leurs empreintes – leur autonomie relative – de fabrication et d’assemblage, ce que le covid avait déjà incité beaucoup d’entreprises à commencer à faire. […]

Et tandis que la dépendance à l’égard de l’énergie, du minerai et des céréales russes est sous les feux de la rampe, les entreprises et les gouvernements [occidentaux] examineront également plus largement leur dépendance à l’égard des autres nations. Cela peut amener les entreprises à mener plus d’opérations (production-transformation) sur leur propre sol ou dans les régions voisines, ce qui entraîne un retrait plus rapide des entreprises et des unités de production que présentement de certains pays [comme la Chine].

(Le magnat de la finance de BlackRock dresse le portrait de l’économie de guerre que devrait adopter rapidement le grand capital occidental s’il souhaite maintenir son hégémonie et vaincre le dragon impérialiste chinois et ses alliés… mais nous verrons plus loin qu’il est impossible de réaliser cette dislocation – découplage – désarticulation – démonopolisation du procès de production-commercialisation capitaliste.)

D’autres pays, comme le Mexique, le Brésil, les États-Unis ou certains centres de fabrication en Asie du Sud-Est, pourraient en bénéficier. Ce découplage créera inévitablement des défis pour les entreprises, notamment des coûts plus élevés et des pressions sur les marges.

Alors que les bilans des entreprises et des consommateurs sont solides aujourd’hui, ce qui leur donne plus de protection pour faire face à ces difficultés, une réorientation à grande échelle des chaînes d’approvisionnement sera intrinsèquement inflationniste.

Même avant le déclenchement de la guerre, les effets économiques de la gestion catastrophique de la pandémie, y compris le déplacement de la demande des consommateurs pour les services vers les articles ménagers, les pénuries de main-d’œuvre et les goulots d’étranglement de la chaîne d’approvisionnement, ont conduit l’inflation aux États-Unis à son plus haut niveau en quarante ans.

Dans l’Union européenne, au Canada et au Royaume-Uni, l’inflation est supérieure à 5 %. Les salaires n’ont pas suivi le rythme et les consommateurs ressentent le fardeau alors qu’ils font face à des salaires réels plus bas, à des factures d’énergie en hausse et à des coûts plus élevés à la caisse du supermarché. Cela est particulièrement vrai pour les travailleurs à bas salaires qui dépensent une plus grande partie de leur salaire pour des articles essentiels tels que le gaz, l’électricité, la nourriture et le loyer. (La guerre d’Ukraine et surtout les sanctions adoptées par les pays occidentaux contre la Russie vont accentuer ces tendances stagflationnistes. Voir https://les7duquebec.net/?s=inflation  et ceci : https://les7duquebec.net/archives/271068 )

LETTRE AUX INVESTISSEURS DU PRÉSIDENT DE BLACK ROCK, LARRY FINK, 24 MARS

Fink se rend également compte qu’à ce stade, le pouvoir du dollar de transférer les coûts de la crise des États-Unis à ses alliés commence à être plombé et avant qu’il ne soit trop tard, il est temps de proposer une alternative traçable, c’est-à-dire numérique, afin de ne pas perdre le pouvoir d’exclure ou de sanctionner les rivaux. (Notamment, le rival Union européenne qui risque de prendre peur suite à la confiscation des avoirs en or et en dollars de la Banque de Russie par l’administration américaine…un acte de guerre d’une extrême brutalité. )

Un système de paiement numérique mondial soigneusement conçu peut améliorer le règlement des transactions internationales tout en réduisant le risque de blanchiment d’argent et de corruption.


 

Howard Marks d’Oaktree dans son « mémorandum »

revient un an en arrière pour se rappeler comment «les faiblesses de notre chaîne d’approvisionnement mondiale sont devenues apparentes», conduisant «de nombreuses entreprises à chercher à raccourcir leurs lignes d’approvisionnement et à les rendre plus fiables, principalement en récupérant la production sur le territoire national» et en poussant à la hausse l’inflation. (Cette tactique de rapatriement des unités de production-commercialisation renforce la sécurité des approvisionnements – temporairement et partiellement du moins – mais elle implique un accroissement important des coûts de production-distribution qui avantage le concurrent et s’avère désastreuse à moyen terme comme le prouveront bientôt les tentatives de sanctions-boycottage de la Russie.)

Marks insiste sur le fait que la clé pour comprendre ce qui s’en vient réside dans les parallèles entre la dépendance énergétique de l’Europe et la dépendance de l’Asie vis-à-vis des États-Unis dans la chaîne d’approvisionnement. Ces deux phénomènes ont contribué au faible niveau d’inflation des dernières décennies et à contenir ou à réduire les émissions de CO2 dans le sol lui-même, ouvrant la voie à la supercherie idéologique  du «Green Deal».

Mais tous deux sont marqués par une offre insuffisante d’un bien essentiel exigé par des pays ou des entreprises qui se sont laissés dépendre des autres. Et compte tenu de l’importance des appareils électroniques pour la sécurité nationale des États-Unis, qu’est-ce qui, aujourd’hui, en termes de surveillance, de communications, d’analyse et de transport, ne dépend pas des appareils électroniques? – cette vulnérabilité pourrait, à un moment donné, mordre à nouveau les États-Unis de la même manière que la dépendance à l’égard des ressources énergétiques russes paralyse l’Union européenne […]

L’invasion de l’Ukraine a montré que l’importation européenne de pétrole et de gaz en provenance de Russie l’a rendue vulnérable dans un environnement hostile, en même temps que la réduction de la production d’énergie nucléaire a accru le besoin de la région d’importer du pétrole et du gaz. De même, la pratique de l’approvisionnement à l’étranger rend les pays et les entreprises dépendants de leurs relations positives avec les pays étrangers et de l’efficacité du réseau de transport.

 

MÉMORANDUM DE HOWARD MARKS, PRÉSIDENT D’OAKTREE, 23 MARS


 

En conséquence, il prévoit un « mouvement pendulaire » dans la direction opposée de la mondialisation, c’est-à-dire vers la formation de blocs économico-militaires, au détriment du PIB mondial, des pays semi-coloniaux qui ont développé des industries offshore et d’un sérieux rebond inflationniste aux États-Unis et en Europe. Il recommande donc à ses partenaires de se concentrer sur la recherche «d’opportunités d’investissement vers un approvisionnement fiable».

 Les différences : l’Europe et le « Green Deal » (Voir: Résultats de recherche pour « green deal » – les 7 du quebec)

Mais peut-être, les plus intéressantes sont les différences qui séparent le regard projeté par les deux fonds parce qu’elles reflètent les doutes et les dilemmes de la grande bourgeoisie nord-américaine sur au moins deux questions importantes.

  • Fink se félicite de la manière dont les grandes multinationales ont amplifié l’effet des sanctions sur la Russie, la coupant du marché mondial des capitaux. «Cette guerre économique montre ce que nous pouvons accomplir», proclame-t-il. Marks, d’autre part, reconnaît que bien que «nous sommes déterminés à influencer la Russie par le biais de sanctions, ce n’est tout simplement pas la voie potentiellement la plus efficace, car elle nécessiterait un sacrifice substantiel de la part de l’Europe».

Ni l’un ni l’autre ne doute des dommages que les sanctions causeront au capital russe. Le débat est vraiment de savoir quoi faire avec l’UE: l’amener au bord du précipice d’une interdiction d’importation de gaz, comme insiste Biden, ou lui donner de l’air et donc la traiter comme un fournisseur ou un client dont il faut s’occuper.

  • Mais la question sous-jacente, comme l’a souligné le New York Times, est de savoir s’il sera possible de développer la mondialisation sous l’étendard du «Green Deal» ou non. Fink y voit une occasion d’accélération potentielle et un bon prétexte pour accroître la pression et les sacrifices sur la populace. Marks dit que le problème, une fois qu’un «découplage» général est en cours (découplage des deux axes impérialistes : l’axe russo-chinois vs l’axe américano-européen), c’est l’accessibilité aux marchés qui deviendra problématiques pour les deux alliances opposées ().

En d’autres termes: Fink regarde Bruxelles tandis que Marks regarde les pays européens et découvre que dans cette dynamique, le Green Deal compromet la survie de plus d’une capitale nationale «charbonnière» – comme la Pologne et l’Allemagne – tout en encourageant une plus grande production d’hydrocarbures dans des pays «verts» comme la Norvège.

(Le dilemme du «Green Deal» frauduleux est bien pire que ce qu’envisagent les auteurs américains Fink et Marks. Le dilemme du Green Deal, après celui de la pandémie bidon,  et après celui de la guerre d’Ukraine, révèle qu’il est déjà trop tard pour envisager une dissociation – une dislocation – et un découplage des économies nationales (du procès de production et de la division internationale du travail). Le mode de production capitaliste, mû par des lois inéluctables, développe depuis un siècle ses forces monopolistiques de concentration et d’imbrication des moyens de production et de commercialisation et il lui est absolument impossible de revenir au modèle capitaliste national « préimpérialiste » sans s’autodétruire. La mondialisation est inscrite dans les gènes du capitalisme – quoi qu’il en coûte!  )

 

Ce qui n’est pas dit à haute voix

Les deux fonds font référence à «l’intérêt croissant de nos clients» pour les cryptomonnaies. Que les grands investisseurs avec de grands portefeuilles à long terme qui affluent vers un BlackRock ou un Oaktree s’intéressent à la crypto ne peut signifier qu’une chose: ils craignent à moyen terme une crise financière (monétaire), une crise souveraine (de la dette)  ou une combinaison des deux (comme il y a dix ans); et dans le style des entreprises russes maintenant entourées de sanctions (de leurs adversaires occidentaux, mais pas de leurs concurrents et alliés asiatiques – la région du globe où se jouera la prochaine manche économique.), elles veulent préparer des portes de sortie pour d’éventuelles ententes financières-monétaires…au détriment du dollar US.

Il est évident d’après le ton avec lequel Fink traite la question que cet intérêt de ses clients ne l’amuse pas et qu’il veut les conduire vers l’élaboration d’un système de paiement international que les États-Unis pourraient encore contrôler. Mais la peur d’une crise financière-monétaire  est là. Et cela ne peut que nous donner le frisson… (sans compter l’épineuse question de la monnaie de réserve – le dollar US – de plus en plus contestée par l’or.)

Les travailleurs après la « mondialisation »

Ce que les grands capitaux reconnaissent et ce à quoi ils préparent les PDG avec cette lettre vont au-delà des avertissements évidents de l’inflation et de la nécessité de trouver de nouvelles destinations pour les anciens investissements offshore. Ce qu’ils disent, c’est qu’une nouvelle division internationale du travail est en cours qui, à son tour, forme de grands blocs économico-militaires pour une escalade de guerre mondiale à venir…

(Sous la contrainte que nous avons souligné précédemment – cette nouvelle division internationale de la production – commercialisation des marchandises (y compris de la force de travail) est déjà solidement et  mondialement implantée et elle s’appuie sur l’imbrication – la spécialisation – la parcellisation – l’hypermécanisation des fonctions…autant de caractéristiques qui entravent le déclenchement d’une guerre mondiale opposant les pays ressourcesles pays producteurs – les pays consommateurs.)

Et cela, pour les travailleurs, ne peut que produire un sentiment d’urgence. Parce qu’en ce moment nous sommes au milieu d’une crise capitaliste sans que le capitalisme soit en crise sociale totale, cela est remis en question par une lutte de classe universelle et croissante. Au contraire, nous sommes confrontés à une nouvelle guerre en Europe; et les grandes capitales nationales du monde entier se jettent dans le militarisme et se réorganisent selon la vieille logique de l’économie de guerre. (Voir ici: Résultats de recherche pour « économie de guerre » – les 7 du quebec)

Cela va aller plus vite que ne le pensent les analystes. Et seuls les travailleurs peuvent leur  tenir tête. Il faut commencer à s’organiser.

(La variable «travailleurs» ou « prolétariat » est effectivement une variable essentielle dont ne tient pas compte le Grand capital dans ses spéculations guerrières et de «Grand Reset» fumiste. La classe sociale prolétarienne doit profiter de l’expérience de lutte que lui offre le Grand capital désespéré.)

 

Robert Bibeau

Auteur et éditeur

4 réflexions sur “Guerre en Ukraine pour une pose dans la mondialisation

  • Il semblerait qu’une force surhumaine tente vraiment d’en finir avec la vie sur la planète telle que nous la connaissons…

    D’un autre côté, la nostalgie ne nous apporte rien. Il faut plutôt se méfier pour ne pas retomber dans ces anciens patterns, ces idéologies régressives qui ont menées l’humain à de vraies faillites et à des destructions massives tout au long de l’histoire. Ce qui naturellement nourrit le Mal, parce qu’il existe. Une forte impression d’urgence transpire actuellement un peu partout, quelle transformation vivrons-nous et à quelle fin???

    Malheureusement, l’introspection n’est pas à l’ordre du jour et encore moins la volonté de changements concrets. L’égo humain s’y oppose fondamentalement, au détriment du reste, c’est triste une réalité.

    La Nature se meurt partout. Avec l’Ukraine, l’amorce de ces nouveaux changements géopolitiques font en sorte que tout ira très vite. L’énergie fossile étant le coeur du système qui nous mène à notre perte et à de futurs divisions sans précédents.

    Nous n’apprenons rien, nous désapprenons.

    Répondre
  • Robert Huet

    Depuis la Première Boucherie capitaliste planétaire, toutes les guerres, chaudes, tièdes ou froides, sont des guerres impérialistes qui voient périr les hommes dans de funestes hécatombes entre États, petits, moyens ou grands, pour permettre simplement à ces derniers d’acquérir ou de conserver une place dans le spectacle aliénatoire de l’arène internationale de la circulation de l’argent. Ces guerres n’apportent à l’humanité internée que l’assujettissement, la mort et la destruction à une échelle de cauchemars sanglants toujours plus vaste.

    Toutes les idéologies nationalitaires, d’« indépendance nationale », de « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », ultimes avatars mystificateurs de la révolution cannibale des Lumières marchandes, quel que soit leur prétexte, droit-de-l’hommique, ethnique ou religieux, ne sont que des infections capitalistes vénéneuses pour détourner l’homme de son propre être générique anti-mercantile. En visant à leur faire prendre parti pour une fraction ou une autre de la classe capitaliste, elles mènent les humains à se dresser les uns contre les autres et à s’entre-massacrer derrière les ambitions économiques et les affrontements politiques de leurs propres exploiteurs.

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    • Robert Bibeau

      tU AS TRÈS BIEN RÉSUMÉ ROBERT HUET

      FÉLICITATIONS

      Répondre

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