ALORS JE PARLERAI (Diane Boudreau, textes et lecture — Louis Tessier, musique)
La poésie?
Des choses étranges qu’on reconnaît ailleurs que dans la voix…
(texte #46, extrait)
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YSENGRIMUS — Voici donc que la poétesse Diane Boudreau se sonorise. Elle nous propose une série de récitatifs verbaux accompagnés de musique, sur un CD audio, le tout supporté visuellement par le livret d’accompagnement inséré dans la portière du boitier du CD. Diane Boudreau nous fait entrer, une fois de plus, dans les replis de l’univers délicat et sobre, articulé et fin, de son lyrisme tranquille. On découvre ou renoue avec les remarquables capacités descriptives de cette poétesse virtuose qui, en mobilisant subtilement des ressources textuelles minimales et sobres, arrive à nous installer en un monde descriptif d’une grande qualité et d’une très intense précision. Comme dans toute l’œuvre de Diane Boudreau, le rapport à la nature est particulièrement prioritaire, omniprésent, et profondément senti.
La prucheraie
Entendre au matin
la rumeur douce
et murmurante
de la prucheraie
ce vent qui bruisse dans les feuilles
pareilles aux vagues
qui inlassablement lèchent le sable
et s’en retourne à l’océan
dans leur écrin d’écume
emportant mon secret.
(texte #43)
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Le monde volontairement évoqué par Diane Boudreau est principalement un monde heureux. C’est un monde où, sciemment, le bien-être et la sérénité adulte et enfantine coexistent en harmonie. L’œuvre est laudative, tonifiante parce que bonifiante. On y priorise principalement ce qui se donne comme étant fondamentalement bon, serein, doux, agréable, pacifié et respectable. C’est ainsi que la connaissance que l’on se donne de l’univers naturel et social évoqué par Diane Boudreau nous mène ouvertement vers quelque chose qui prendra corps sous la forme d’un détachement joyeux, qui sait dénicher ses extases.
Petit prince
Un doux geste
un regard
tout simplement
rire aux éclats
et voilà que l’ordinaire
se transforme
en feu de joie.
(texte #27)
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Ces douceurs et ces plénitudes ne sont en rien des béatitudes béatement béates. Le fait de canaliser le beau et le doux ne signifie pas que Diane Boudreau cultiverait un jovialisme, qui serait simplet, benêt ou sans soucis social. Non, non. On sent solidement qu’on rencontre ici l’évocation d’une trajectoire de vie lacérée, portant avec noblesse et hauteur les cicatrices qui furent celles d’une existence gorgée de suc et tributaire de déterminations discrètement paramétrées. Au nombre de ces susdites cicatrices, comme fatalement, figure la grande balafre éteinte de l’amour, celle qui, au soir de la vie, nous oblige à moduler et à formuler les choses sur le mode du bilan. Bilan serein, certes, mais vibrant aussi. Carnet de bord bien rempli, où on comprend que le chardon n’a tout simplement pas perdu l’intégralité de ses fines épines. Oh, c’est qu’il y a toujours, en matière amoureuse, quelque chose de vif, qui se casse, qui fait fracture. Quelque chose en rupture.
Rupture
Entre nous, cet espace
impossible à franchir
cet élan de tendresse
emmuré et défait
étouffé dans la chair
Oh…
le désir doux de ses mains
qui viendraient resserrer
mes deux bras égarés,
enserrer mes épaules
une dernière fois…
le temps de respirer
cet été qui s’enfuit
de sentir le soleil
irradier de ses doigts
une dernière fois
avant les grandes nuits
où n’aurait que la lune
blanche
où n’aurait que la lune
ronde
pour me parler de lui.
(texte #16)
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La poésie de Diane Boudreau n’est pas exclusivement lyrique et figurative. On y trouve aussi un fond philosophique très formulé, explicite, presque lapidaire. On prend vite la mesure du fait que certains des courts textes présentés, et dits sobrement sur ce CD audio, prennent corps comme autant d’aphorismes de sagesse. On pense un peu aux conseils qu’une mère ou une grand-mère prodiguerait à son entourage immédiat, les enfants, les jeunes voisins, les ouailles éparses du village. On récite ici une forme de sagesse ordinaire, on la fait un tout petit peu chanter aussi, de façon à faire sentir l’enjeu, flexible mais ferme, labile mais fort, de la compréhension de la réalité et de l’adéquation au monde. Elle vivra et se dira, de toute façon, cette indubitable aptitude à mettre en place, de façon toute prosaïque mais quand même solidement configurée, une gnoséologie axiologique du tout.
Tout
Quand tu as tout donné
Et qu’il ne reste plus
que les regrets
les lourds regret d’avoir perdu
apaise ta peine
allège ton cœur
car la vie donne
plus que tu n’oses imaginer
mais elle en choisit l’heure.
(texte #20)
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Certains des textes du présent recueil de Diane Boudreau pourraient se donner tout simplement comme des apophtegmes, c’est à dire des petits développements où, en mobilisant une visée de maxime ou de proverbe, on s’installe tout doucement dans la diffusion d’idées. Le tout nous oblige, tout subrepticement mais inexorablement, à penser et repenser aux abords et rebords de ce qui est dur et de ce qui est doux, dans l’existence. Ne donne pas si tu n’as pas le goût. Laisse mûrir et ton fruit sera doux (texte #37, Doux). Il te disent: «Tu aurais dû, tu aurais pu, eût mieux valu…» Non. Fais silence. Tu as fait pour le mieux selon les circonstances (texte #21, Mieux que les anges). Ranger, nettoyer, faire un bouquet de fleurs d’été avec au cœur le sentiment très doux d’aider à la beauté du monde (texte #12, Gestes). Le fait est que, chez Diane Boudreau, il y a toujours en filigrane, de façon feutrée et fine, un certain rapport à la connaissance. Le monde existe et s’impose à nous. Il nous force, doucement mais fermement, à nous en imprégner. Mais aussi, le monde ambiant et concret nous enseigne. On en apprend quelque chose, on en tire les leçons… et lesdites leçons, on en saisit à la fois un glacis métaphorique et une fermeté descriptive qui ne rate jamais le rendez-vous de la remise en question et de la reconfiguration de la susdite connaissance. C’est comme la force tranquille des arbres. Oui, c’est un peu cela. Toucher la surface et le corps du bon bois franc. Lentement.
Le frêne blanc
Le frêne blanc
de par ses jeunes branches
se fraie si lentement
un chemin dans l’espace
et le temps
qu’il m’apprend la patience.
(texte #42)
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La compréhension que Diane Boudreau se donne du monde émerge non pas autour du clinquant, du scintillant, de la gloriole ou de la célébrité tapageuse, justement celle qui est tellement l’apanage de tous nos petits moments courtichets d’aujourd’hui… Chez Diane Boudreau, on renoue avec les particularités à la fois lumineuses, sentimentalement senties et pertinentes de la grandeur ordinaire. C’est avec elle que l’on reprend contact avec les petites choses qui, dans leur caractère soi-disant banal et surtout exempt de la moindre notoriété de toc, ont la grandeur qui est celle des miniatures… des brindilles.
Brindilles
Ce qui est vrai
ce qui est grand
ne paraît pas souvent
dans les journaux du soir
ne fait pas grand tapage
aux heures de la nuit
C’est un peu de tendresse
un élan de confiance
en la vie, en demain
des brindilles, des riens
sans lesquels
il serait impossible
d’ouvrir les yeux le matin
Un peu de tendresse
un rien de confiance.
Salut Soleil!
(texte #10)
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Tout se dit, dans ce monde, sans s’imposer de façon trop construite. On n’enfante pas, on érige (texte #9, extrait). Ainsi, l’expérience poétique de Diane Boudreau, transposée avec un calme bonheur sur le support sonore, se porte maintenant dans l’espace en trois dimensions. Et cela nous permet de découvrir sa poésie telle que formulée en sa propre voix. Diane Boudreau récite avec beaucoup de sobriété. Parfois, elle joue un tout petit peu les textes qu’elle nous présente. L’accompagnement sonore de Louis Tessier est minimal et pertinent. Il prend principalement la forme de pauses musicales, en intermèdes entre des petits paquets de poèmes. Dans quelques rares cas, il s’agit d’un fonds musical accompagnant la lecture. Est particulièrement réussi, le fond musical enveloppant le poème sur les Patriotes de 1837-1838. Un harmonica moelleux, sinueux et délicat nous fait sentir la force historique et la charge émotionnelle d’un récitatif tendre et poignant, rendant hommage aux épouses tenaces et résolues de nos combattants de la liberté. L’enregistrement, non-industriel dans sa facture, cru, dépouillé, est tout à fait satisfaisant. On évite soigneusement de déboucher sur un résultat hyper-produit qui serait surchargé, excessif et exempt de modestie. Limpides, les instruments sont habituellement joués un par un. Guitare sèche, guitare électrique, harmonica… Le tout est fort agréable et très adéquatement supporté par le livret d’accompagnement inséré dans la portière du boitier du CD audio. Un petit délice de multimédia artisanal, poétique et musical.
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Diane Boudreau (textes et lecture), Louis Tessier (musique), Alors je parlerai, 2022, CD audio accompagné d’un livret de textes de seize pages, durée de trente-huit minutes, quarante textes (dont trois sur fond musical) et huit plages de musique instrumentale.
Versão em Língua Portuguesa:
https://queonossosilencionaomateinocentes.blogspot.com/2022/12/alors-je-parlerai-diane-boudreau-textos.html