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DELASABLO — TABLEAUX À L’HUILE 2007-2020 (NICOLAS DE LA SABLONNIÈRE)

La tante Tiroir a la manie de la peinture. Sa propre chambre est encombrée de ses œuvres. Paysages, portraits, natures mortes, tous les genres y passent.

Raymond Roussel, Comment j’ai écrit certains de mes livres, 1963, Gallimard, p. 246.

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Nicolas de la Sablonnière, peintre, dessinateur et mythocrate

En 1979, un certain Jacques Marchand publie un ouvrage intitulé Claude Gauvreau, poète et mythocrate. Ce réquisitoire passionnant accuse ouvertement le poète Claude Gauvreau (1925-1971) de procéder, au sein même de sa poésie, au gonflement mythique de la petite histoire du groupe automatiste et de consacrer, à partir d’un certain moment de son cheminement d’artiste, l’intégralité de son œuvre écrite à la mise en place de son propre mythe (fortement affadi depuis). La notion de mythocratisme, dans le cheminement sociologique de certains artistes, mérite toute notre attention et, de ce fait, elle doit faire l’objet d’une historiographie adéquate. Pour ce faire, il faut dégager deux grandes approches qu’un artiste se donne de ce qu’on pourrait appeler son métadiscours (son discours sur lui-même).

Approche documentaire
Premier mouvement: consécration (obtenue)
Second mouvement: bilan (auto)biographique

Approche mythocratique
Premier mouvement: bilan (auto)biographique
Second mouvement: consécration (escomptée)

L’approche documentaire (de l’artiste sur lui-même) a pour force motrice la pulsion de consécration qui, elle, est de nature sociale, historique et, donc, fondamentalement impondérable et extérieure au cheminement de l’artiste isolé. Son œuvre est reconnue, elle entre dans les canaux réguliers de consécration et l’artiste accède à une notoriété publique. Vient alors le second mouvement, un point où on se retourne vers l’artiste et on le prie de revenir sur sa vie et sur son cheminement dans l’art. Celui-ci, l’œil modeste et la lippe alanguie, s’exécute et se livre à des biographes réels (pas à des Joinville inféodés) ou produit, de bonne ou de mauvaise grâce, une autobiographie, déjà attentivement surveillée par les critiques d’arts et les historiens, ce qui réduit les possibilités de dérives abracadabrantes ou élucubrantes. Dans l’autre sens, on rencontre l’approche mythocratique. Celle-ci met la charrue devant les bœufs. L’artiste non-consacré, maudit-mautadit, encore libre de ses mouvements donc, procède malgré tout à la mise en place ostensible de sa biographie. Comme cela se joue dans l’indifférence collective, il peut très étroitement contrôler le discours et, de façon plus serrée, cultiver à la fois les hypertrophies et les esquives qui l’arrangent. Personne ne le remarquera vraiment (vu l’absence de consécration, impliquant fatalement un vide d’attention)… et l’artiste croira s’en tirer à bon compte en imposant sa version des choses. Surtout, l’artiste s’imagine, explicitement ou implicitement, que de procéder à son développement autobiographique d’abord déclenchera la consécration ensuite. Ce qu’il ne comprend pas encore, c’est que si la consécration vient, d’autre part (et la consécration vient toujours d’autre part), sa petite autobiographie mythocrate originelle se retrouvera vite pivelée de critiques et de remises en question historiennes. Elle sera alors à refaire. On n’en est pas encore là avec Delasablo.

À l’instar de Claude Gauvreau autrefois (et, comprenons-nous, ceci est un compliment respectueux que je fais à Delasablo), Delasablo nous sert ici un solide présentoir mythocrate de son œuvre picturale. La portion textuelle de l’ouvrage fonctionne sur le mode suprêmement mythifiant de l’entretien (il faut que quelqu’un d’autre ait l’air de s’intéresser à l’artiste, de le sonder, de le questionner). Des entretiens assurés par trois lanceurs de balles-molles aux patronymes improbables (Albert Murat, Louis Daragon et Alexandre Rufin, des illustres inconnus efficaces qui font parfaitement le boulot), une petite sélection de coupures de journaux locaux (grosses d’aveux implicites écrits en petit)… et voilà… le mythe Delasablo se dresse tout seul, comme un gonfalon claquant sous le vent du désert institutionnel. Le résultat livresque (que l’on doit quasi intégralement à l’impressionnant travail d’Émilie Simard et de Geneviève Brochu) est gigantesque, titanesque, cyclopéen. Delasablo, peintre, dessinateur et mythocrate se livre à nous, en rôle, pour le meilleur et pour le pire. L’expérience de lecture et de visionnement est parfaitement passionnante.

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Ma matière première c’est moi… (p. 59b)

Né en 1976 (et ce, même s’il ne nous le dit pas explicitement), Nicolas de la Sablonnière dit Delasablo est un colosse et son œuvre picturale est, elle aussi, colossale. Quand on prend connaissance de cet ouvrage somptuaire, on est vite imprégné du gigantisme et de la puissance d’évocation du corpus pictural que l’on y découvre. Et le moyeu central de tout ce travail, de toute cette énergie et de toute cette fougue, chez Delasablo, c’est lui-même. Très vite, on se rend compte que, sans se complexer, sans rougir et sans se faire chier avec les conventions, le peintre fait graviter tout son travail, toutes ses forces, toute sa production artistique autour de lui. L’ouverture de l’ouvrage nous fait donc découvrir rien d’autre que lui. Lui. Son enfance, sa jeunesse, les premiers peintres locaux avec qui il a travaillé en groupe. Et son travail, les portraits des gens qu’il connaît, les portraits des gens qu’il aime, les portraits des gens qui gravitent autour de lui, les portraits de son amoureuse, les portraits de sa voisine, les portraits de tout ce qui le concerne. Et, dès le départ, en tournant ces pages magnifiques, il est important de jouer le jeu parce qu’effectivement, si on voulait tomber dans un type de conception un peu conventionnelle de ce que peut être l’ego artiste, on pourrait vite lancer la pierre à Delasablo. Pas de ça entre nous. Ce n’est pas ce qu’il faut faire ici. Ici, il faut le jouer à fond, le jeu mythocrate, sereinement, sans fléchir. Il faut comprendre qu’il y a ici, longtemps avant une propension égocentrée ou égomane, un choix artistique. Le point de départ du travail de l’artiste est subjectivé et il est assumé de façon sui-centrée. Pourtant, à partir du moment où on fait joyeusement éclater cette première croûte d’agacement et où on comprend qu’il va falloir rencontrer l’homme si on veut découvrir l’œuvre, on reste quand même un petit peu sur notre faim. Ainsi, par exemple, je me suis posé la question de savoir si cet artiste avait une formation académique quelconque, picturale ou livresque. Ce n’est pas précisé. On est dans du CV sans CV… Phénix en canneçons sautant de justesse dans un banc de neige, il passe au feu dans son appartement, en 2007. On ne nous signale pourtant pas la cause de l’incendie tragico-salutaire. Il y a un certain nombre de petits mystères comme ça qui sont perpétuées au fil du texte et, encore une fois, on comprend que ces mystères sont des omissions discrètes qui n’ont rien de fortuites. Car, dans cet ouvrage, pas un racoin n’est laissé au hasard et aucun détail n’est volontairement abandonné sur le bord de la route. Delasablo nous parle de ce dont il veut nous parler, et il ne nous parle pas de ce dont il ne veut pas nous parler. Et il voit prudemment à contrôler le discours. La partie textuelle de l’ouvrage, qui est marginale et secondaire par rapport à son extraordinaire dimension visuelle, est donc présentée exclusivement sous forme d’entretiens. Ces trois personnages différents, dont on ne nous dit strictement rien, servent un petit peu la soupe à l’homme du jour. Ils lui posent des questions amies auxquelles Delasablo réponds s’il veut bien répondre et ne réponds pas s’il ne veut pas répondre. Dans ce second cas, les Joinville ne bronchent pas. Pour éviter de répondre à certaines questions un peu plus difficiles, Delasablo joue d’esquive. Il utilise parfois certaines astuces, comme, une fois, une affectation assez bouffonne en forme de dialogue platonicien creux (et je dis bien platonicien, hein, surtout pas socratique) genre Cratyle à la manque (pp 604a à 607a). Tout est bon pour rester aux commandes.

De par ce discours bien contrôlé et bien ficelé, on arrive quand même à dégager un certain nombre de priorités et de points nodaux. Ce qui est fondamental chez Delasablo, c’est qu’il fera bien ce qu’il voudra. On a déjà affaire à un artiste autant qu’à un personnage qui se donne comme ne se laissant pas bousculer et ne se faisant pas dicter ce qu’il doit faire ou ne pas faire de sa vie et de son art. Un de mes moments favoris, dans la portion textuelle de l’échange, porte sur le fait de peindre ses chats (pp 226-227). Solide comme un roc, Delasablo ne se laisse pas niaiser sur ce choix de sujet à peindre. Et cela nous donne à lire des développements très tranquilles, très fermes et très satisfaisants portant sur le fait que tout est intéressant en peinture et que je ne me fais pas dire que peindre des chats c’est pour les matantes de symposiums. J’ai particulièrement apprécié ce moment où le peintre nous fait sentir son intérêt formidable, peu banal, tangible et senti… pour le monde. Le souvenir de ce crucial développement philofélin nous reviendra quand Delasablo nous annoncera plus tard, sans ambages, l’originalité, c’est moi! (p. 502b).

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L’originalité est un leurre (p. 63c)

Dans cet ouvrage imposant, il nous est donné de découvrir la vision de l’art autant que la vision du monde de Delasablo. Et on prend connaissance, entre autres, de la stigmatisation assez explicite qu’il cultive envers l’originalité. Prenons bien la mesure de l’argumentation de Delasablo sur ce point sensible. L’originalité lui apparaît comme étant quelque chose de surfait, de toc, de gratuit, de forcé, d’inutile. Pour lui, elle n’a pas de grand intérêt artistique. Sur le coup, on sursaute un peu, on fronce le sourcil, l’originalité étant, selon la pensée commune spontanée, une vertu si ouvertement cardinale. Or, il faut bien s’imprégner à la fois de cette œuvre picturale polymorphe et du discours qui en émane pour comprendre où cet artiste veut en venir au sujet de l’aspiration à l’originalité. Et, encore une fois, on part des chats. Et à partir des chats, on se balade dans ce bel ouvrage, vers l’avant, vers l’arrière, de page en page. On va vers les portraits. On va vers les paysages. On va vers ce qu’un certain discours de critique d’art un peu moribond, appelle encore des natures mortes, c’est à dire les bouquets de fleurs, les différents objets ordinaires, les pots de fromage fondu, les ordis, les prises de courant, les télécommandes de téléviseurs, les téléviseurs eux-mêmes. Autant d’objets que Delasablo a peint et auxquels il a donné une grande dimension de force tranquille. Et on s’aperçoit alors que, quand il nous raconte que l’originalité est un leurre, c’est une façon de nous expliquer qu’en réalité tout est peignable, tout est susceptible de faire l’objet d’un art pictural, même ce qui est imprégné de non-originalité, c’est-à-dire un objet parfaitement ordinaire, ou une personne parfaitement méconnue, ou un tronc d’arbre, ou un viaduc d’autoroute, ou une choppe en pleine nuit. Qu’est-ce que c’est que ce parti-pris mondain d’originalité quand le monde intégral, la nature, le genre humain, les objets communs et même les ready-made (Delasablo n’utilise pas ce mot même s’il mobilise ouvertement la chose, pp 632-635) nous fournissent l’intégralité des sujets que l’on peut traiter? On se rend vite compte que cette notion d’originalité est associée, dans son esprit, à ce que l’on a appelé l’art moderne ou l’art contemporain, contre lesquels visiblement Delasablo a une dent. Les paysages, les portraits et les natures mortes sont des genres immortels. Ils survivront aisément à l’idiotie de l’art contemporain (p. 367). On voit bien donc comment Delasablo imagine ledit art contemporain. On pige le topo scénographique. Un certain nombre de bourgeois papillonnants s’efforcent de faire de l’originalité-pour-de-l’originalité et ils sont à la recherche du dernier truc-machin à la page dans les salons, qui attirera l’attention des gogos et des gogoles… alors qu’en réalité, ce qu’il faut faire, dans la vision de Delasablo, c’est de revenir au boulingrin de base et d’aller chercher les grands genres picturaux qu’il considère éternels, portraits, paysages, natures mortes, auxquels on adjoint les objets vernaculaires et ordinaires.

À la problématique de l’originalité thématique va s’affilier, tout naturellement, la problématique des filiations artistiques. Fatalement. Et, ici aussi, Delasablo dit ouvertement ses lignes. Je suis attaché aux classiques et je les revisite à ma façon… (p. 495c). Et c’est ici que les choses deviennent un petit peu délicates avec l’homme du jour. Ses interviewers, essayant parfois un petit peu de le picosser sur ses influences, lui font doucement sentir qu’il y a beaucoup de monde dans son art pictural et que, finalement, Delasablo puise à toutes les sources, classiques entre autres, mais pas exclusivement. Idéalement, j’aimerais que l’on puisse retrouver un petit bout de tous les peintres en moi (p. 108a). Fondamentalement, et malgré ses vives dénégations. Delasablo est très soucieux de nous montrer la virtuosité de son savoir pictural. D’ailleurs, l’ouvrage s’ouvre (p. 24) sur une superbe copie de La laitière de Johannes Vermeer (1632-1675), une toile remarquable, toute en lumière, d’un peintre tant tellement éminent. Contemplant, émerveillé, ce fin doublet de tableau de jadis, je me suis dit, ce virtuose de Nicolas de la Sablonnière aurait fait un excellent faussaire car il vous copie ce tableau comme si de rien n’était. Heureusement qu’il n’y en a qu’un, comme ça, dans tout l’ouvrage, sinon on aurait pu finir par s’exclamer, comme Louis Daragon quand Delasablo lui parlait des pastiches de cartoons qu’il bidouillait dans son enfance… Ça fait beaucoup de copies! (p. 501a). Et, en plus, pour bien nous montrer sa virtuosité précise, Delasablo fait une chose assez surprenante lorsqu’il nous présente sa galerie de portraits (pp 76-103). Il nous met d’un côté le portrait qu’il a peint et d’un autre côté une photo du modèle, comme pour dire regardez comme mon travail est conforme aux faits. Il y a d’ailleurs, je profite de l’occasion pour le signaler, entre autres, des photographies magnifiques dans cet ouvrage. Notre Delasablo est donc un petit peu pogné avec ses références, tant culturelles que techniciennes. On pourrait presque voir une solide dimension autocritique dans la remarque suivante, qu’il nous sert lui-même, au sujet des techniciens du pictural, justement …certaines toiles bien faites au niveau technique sont si emmerdantes et soporifiques pour le spectateur. Inconsciemment, nous accédons peut-être à ce qui a été injecté comme vécu au bout du pinceau du peintre. Pour être plus clair, si un peintre pense uniquement à son prestige personnel, à l’argent qu’il fera et à comment il épatera la galerie avec son petit tour de magie technique pendant qu’il produit sa toile, c’est bien possible qu’un type de mon genre trouve sa toile et ses aspirations très fadasses en fin de compte (p. 74a). Et, au fil de la contemplation de ces quelques centaines de pages de tableaux, la moutarde technicienne nous pique parfois un peu les yeux. Et Delasablo en vient à apparaitre comme le Maitre Jacques du pinceau. L’homme à tout peindre. Il est capable de vous faire du Goya. Il est capable de vous faire du Picasso. Il est capable de vous faire du Van Gogh. Regardez comme il est virtuose et comme il s’en fout d’être original. C’est cohérent tout plein et tout se rejoint. On doit parfois se taper les ostentations de ses références picturales un peu comme on se tape la musique de boite à musique de Gregory Charles. Delasablo nie ouvertement cette dimension hyper-technicienne chez lui, naturellement. J’ai toujours visé la puissance d’expression et la richesse poétique d’une œuvre plutôt que l’exploit technique d’une œuvre (p. 574). Sauf que, bon, quoique silencieux, de page en page, les tableaux parlent…

Ceci dit, halte-là. Restons fidèles à ce qui se passe effectivement dans ce livre. D’avoir regardé ce corpus pictural avec une attention soutenue, et d’avoir mis mentalement de côté les tableaux trop lourdement inspirés de ses maitres, j’en ai déniché un, moi, pour moi, de style Delasablo. C’est le rectanglisme. Delasablo opère la mise en forme de ses tableaux les plus originaux et les plus vifs, à travers la forme du rectangle. Des petites lamelles rectangulaires, précises ou approximatives, durillonnes ou molles, toujours souples, fluides, bigarrées, et qui se configurent en bon ordre (ou pas…), lui servent souvent de fond de toile. Ou encore, elles se manifestent comme effet-force du coup de brosse, dans les tableaux plus gorgés du matériau (pp 22b, 169, 226, 316, 319, 329, 379-380, 383, 423, 573, 580-585, 591, 593, entre autres). Certains objets rectangulaires (les téléviseurs, les écrans d’ordi, les télécommandes, les prises de courant) font, de plus, l’objet d’études hyper-figuratives spécifique (pp 618-622). Une portion significative de ses œuvres non-figuratives sont imparablement multi-rectangulaires (pp 634-641, 663). Et surtout… surtout… quand on ose lui dire qu’il fixe sur le rectangle et le travaille, Delasablo cultive son usuel déni-jet-d’encre-de-poulpe-contrôle-de-discours en affirmant que la forme qu’il privilégie fondamentalement c’est… le cercle (p. 622b). Mais, pour moi, instance de consécration sélective du tout venant, ce qui travaille particulièrement le segment décisif de son corpus pictural, c’est le rectanglisme. C’est lui qui prime (revoir notamment pp 580-592 et pp 636-641, parmi mes tableaux favoris de tout le corpus). Original, finalement… même sans le vouloir et en tous points. Rien de moins.

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Peindre, c’est nier l’erreur. (p. 55b)

À qui a-t-on affaire? Un peintre monstre sacré dominant froidement son idiosyncrasie ou un artisan virtuose assumant sereinement le joug de ses influences? Plus on s’imprègne de cet univers visuel magistral, plus on est fasciné par la stature multi-talentueuse qui s’en dégage. Je n’ai pas pu me débarrasser de l’idée que ce méthodique ouvrage de Delasablo est, en réalité, non pas un livre d’art, mais le dense porte-folio d’un artiste visuel, sous couverture cartonnée. Ce qui nous est montré ici, ce n’est pas une jubilation dans l’art, mais le présentoir, solide et limpide, du savoir-faire d’un excellent peintre à l’huile. C’est un catalogue classifié, organisé, sagement ordonné. Le travail d’édition artistique reste donc à faire. Regardez ce livre très attentivement et procédez à votre propre sélection personnelle de toiles. De fait, tout prend corps à partir du moment où on comprend que ce qu’on a devant soi, c’est un peu ce que le citoyen Nicolas de la Sablonnière remettrait à un employeur qui aurait besoin, par exemple, d’un peintre pour faire des grandes murales. Alors, comme ça, notre fonctionnaire cherche un artiste. Il a besoin d’un peintre pour lui faire, donc, des murales. Il prend connaissance de cet ouvrage et fait alors un certain nombre de découvertes. D’abord, Nicolas de la Sablonnière est très apte à faire des grands tableaux, des tableaux qui ont onze pieds de haut, qui développent avec solidité une dimension de gigantisme, à la mesure de son propre gigantisme corporel ou personnel. Ceci, d’une part. D’autre part, ce peintre peut toucher tous les styles et il peut vous faire ça dans toutes les formes. Il peut vous engendrer du non-figuratif, il peut vous placer un figuratif très précis, quasi photographique, il peut exprimer des intimités subjectives, patafiguratives. Bon, il garde un certain rapport au susdit figuratif. Il y a toujours quelque chose qui pose ou s’expose. Il y a toujours un portrait ou un objet, habituellement isolé, centré hors-récit. Dans son porte-folio, le postulant tient d’ailleurs des propos fulgurants au sujet du portrait. Se multiplient les moments où il nous explique, fort finement, que peindre un portrait, c’est en réalité interagir avec une personne spécifique, qui pose, et dont le regard est soit frontal soit fuyant, et qu’il s’agit d’aller chercher les particularités des émotions fondamentales de cette personne. Ces observations sont très justes, très intéressantes, très révélatrices d’un savoir-faire senti, d’une expérience. Et les tableaux du candidat sont majestueux, littéralement à couper le souffle. Donc, quelque part, on le garde et l’assume, ce rapport au figuratif, même lorsqu’on se lance dans les grandes murales. Tout bon, pour le fonctionnaire. Les développements plus modernistes, à base d’exploration formelle, visent surtout à montrer que le postulant est parfaitement capable d’en faire aussi dans le style contemporain, si requis. Et ainsi de suite. Les fonctionnaires et les employeurs seront frimés à fond par cet imposant catalogue-entretien-dossier-de-presse. Simplement, le livre d’art, lui, n’est pas encore écrit…

Le peintre Claude Bolduc et moi-même rêvons déjà du livre d’art qui émergera de ce gros codex touffu. De façon toute informelle, nous avons procédé à notre sélection, sur la base du postulat que ce qu’on a devant les yeux, c’est pas un livre d’art achevé ou un album concept, mais en fait le catalogue présentoir d’un porte-folio colossal. Et là, sur cette base, l’exercice devient parfaitement passionnant. Deux grandes sections. Une partie figurative, une partie patafigurative. Bon, à l’intérieur de la partie figurative, mes portraits, mes autoportraits, mes chats, mon amoureuse, du paysage, des troncs d’arbres et j’en passe. Dans la partie patafigurative, l’exploration de formes, l’exploration de mon âme, l’exploration non-figurative, les ready-made de pinceaux pendus, les sculptures. Donc, en gros, un peu une partie classiciste et un peu une partie moderniste. Présentation extrêmement efficace. Après tout, la forme que Delasablo et son équipe donnent à leur présentoir n’est pas si grave que ça. L’un dans l’autre, il faut éviter de succomber à la tentation de moraliser les formes (p. 620b). Peindre, c’est nier l’erreur… et ce qui compte fondamentalement, c’est de s’imprégner de cette œuvre immense. De s’y engloutir. Donc, Claude Bolduc et moi, avons effectué, chacun de notre côté, notre sélection. Nous sommes arrivés à une liste d’environ cent (100) tableaux que l’on retient parce qu’ils nous saisissent vraiment. Claude Bolduc a ses cent tableaux, j’ai mes cent tableaux et nous avons une intersection de trente (30) tableaux, environ. Il y a donc trente tableaux de Delasablo qui m’apparaissent à moi et apparaissent à Claude Bolduc comme puissants… alors que Claude Bolduc et moi-même n’avons pas spécialement le même horizon intellectuel et esthétique en matière picturale. Ces quelques dizaines de tableaux pourraient parfaitement faire l’objet d’un fascicule plus restreint qui, lui, fonctionnerait comme un vrai livre d’art autonome, hors-mythocratie, à préfacer par Claude Bolduc et à garnir de pictopoèmes par Paul Laurendeau. Ceci n’est qu’un exemple fictif, naturellement. Mais le concept est là… durillon… Le reste n’est que molle matière… Un jour, peut-être… quand le discours finalement se libèrera et quand les vraies instances de consécration pourront monter sur scène…

Tout ça pour simplement dire qu’on a affaire, avec cet ouvrage, à un don de soi, mais un don de soi finement calculé. Nicolas de la Sablonnière œuvre à construire son mythe alors qu’il n’a pas encore été chercher sa consécration. Et cela fait que ce livre merveilleux restera probablement un certain temps en bibliothèque. Puis, pour obligatoirement le retravailler dans un sens plus adéquatement historique, on le redécouvrira, un jour. Le jour où Delasablo aura atteint l’objet qu’il vise. L’objet qu’il vise, oh… Malgré toutes les dénégations, explicites ou implicites, qu’il peut bien avancer dans cet ouvrage, l’objet que Delasablo vise, c’est une zone. Et cette zone, c’est le zénith, rien de moins. Espace où brille maximalement son principal objet d’inspiration et son modèle, dans la vie comme dans l’art, le soleil.

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Nicolas de la Sablonnière, DELASABLO TABLEAUX À L’HUILE 2007-2020, chez KRÉA2, 2021, livre d’art de 28.5 cm sur 25.5 cm, couverture cartonnée, 700 p.

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