7 au Front

L’impérialisme, la phase finale du capitalisme mondialisé

Par Khider Mesloub.

L’actuel conflit militaire entre la Russie et l’Ukraine offre l’occasion inespérée aux gauchistes et aux tiers-mondistes de toutes obédiences de fustiger « l’impérialisme américain», désigné comme le principal responsable de l’escalade guerrière. Fauteur de guerres. Voire l’unique coupable de toutes les guerres.

Contrairement à l’opinion gauchiste dominante communément répandue, notamment dans les pays du Tiers-Monde, les États-Unis ne détiennent pas le monopole de l’impérialisme.

Depuis plus d’un siècle, l’impérialisme constitue le fonctionnement normatif de tout État intégré dans la mondialisation dominée par des tensions commerciales et géopolitiques permanentes, vectrices de conflits armés récurrents. La politique d’affrontement chronique, devenue la modalité de gouvernance de la majorité des États inscrits dans des enjeux géopolitiques impérialistes marqués par des rivalités commerciales mondiales, et jeux diplomatiques opportunistes et retournements d’alliance surprise, débouche inexorablement et fréquemment vers la guerre ouverte et l’adoption du militarisme comme régulateur économique et social.

Globalement, l’impérialisme peut être défini comme la politique d’un pays œuvrant à la conservation ou à l’extension de sa puissance économique et militaire sur d’autres pays ou territoires convoités pour leurs richesses ou leurs emplacements hautement stratégiques. De ce point de vue général, l’impérialisme fut l’apanage de nombreux anciens empires (romain, ottoman), fondés sur une politique de conquête et de domination constante.

Néanmoins, dans le mode de production capitaliste, l’impérialisme revêt un caractère singulier. Comme l’a écrit Rosa Luxembourg : «la tendance du capitalisme aux expansions constitue l’élément le plus important, le trait remarquable de l’évolution moderne ; en fait l’expansion accompagne toute la carrière historique du capital, elle a pris dans sa phase finale actuelle, l’impérialisme, une énergie si impétueuse qu’elle met en question toute l’existence civilisée de l’humanité». (Voir : Impérialisme, décadence, révolution. L’impérialisme selon Rosa Luxemburg – les 7 du quebec )

Cette définition permet de comprendre la spécificité de l’impérialisme contemporain ancré dans un capitalisme mondialisé miné par la crise économique systémique et déchiré par la lutte de classe permanente, engendrant des tensions commerciales incessantes et des conflits militaires récurrents, transformant continuellement la planète en fronts de guerre et champs de ruines. (Voir : Résultats de recherche pour « Luxemburg » – les 7 du quebec)

Depuis l’unification du marché mondial départagé en zones d’influence entre les États capitalistes avancés et émergents rivaux, au début du 20eme siècle, l’exacerbation de la concurrence entre ces États, suscitée par la crise permanente de surproduction structurelle, conduit implacablement à l’aggravation des tensions militaires, au développement du militarisme matérialisé par l’augmentation exponentielle des armements, et à la subordination de l’ensemble de la vie sociale aux impératifs de l’économie de guerre. Et, en dernier ressort, à la guerre généralisée et permanente. (Voir : Vers l’économie de guerre mondiale – les 7 du quebec).

Jusqu’à présent, l’idéologie gauchiste qualifie d’impérialiste un État ou un ensemble d’États, du fait de leur puissance économique et militaire… et de leurs activités expansionnistes aventureuses. Curieusement il s’agit toujours d’un État occidental ou du bloc atlantiste, désigné systématiquement d’unique responsable de la barbarie guerrière perpétrée dans le monde. Or, sous le capital impérialiste, certes les États ne disposent pas de la même puissance économique et militaire. Mais tous les États, quel que soit leur poids économique et leur place sur l’échiquier géopolitique, sont éperonnés par la même politique impérialiste, la même appétence d’hégémonie et de domination. Aiguillonnés par le même esprit de prédation, de conquête de nouveaux marchés afin de parvenir à valoriser le capital de sa clique nationale mondialisée. Les alliés capitalistes mondialisés sont à la fois alliés et concurrents acharnés et pour s’affronter ils trouvent avantageux de se regrouper en alliances ou blocs continentaux. L’Alliance Atlantique États-Unis-OTAN ou Alliance Pacifique (USA-Japon-Australie-Taiwan-Corée) contre l’Alliance Asiatique Chine-Russie-Iran-OCS, ou contre les BRICS.

Une fois admise cette réalité politique inhérente à l’époque de l’impérialisme contemporain, dominée par les tensions commerciales et les rivalités géopolitiques, la distinction établie entre États oppresseurs et États opprimés devient inadéquate, irrecevable, inacceptable. Car, dans l’arène mondiale bouleversée par des rapports de force de domination, tous les États sont à la fois en collaboration (commerce-échange) et en concurrence commerciales et rivalités géopolitiques. Par ailleurs, chaque État s’inscrit dans les enjeux d’alliance diplomatiques et militaires, s’agrège à un bloc impérialiste. À l’ère de l’impérialisme, la neutralité est une duplicité. (Voir : La Chine « communiste »: mythes et réalité – l’essentiel, de Mao à Xi! – les 7 du quebec).

Aussi, faut-il dénoncer la distinction établie par les gauchistes et par les nationalistes chauvins bourgeois entre pays agresseur et pays agressé car elle sert à justifier la guerre «défensive». Au reste, l’incrimination du seul impérialisme supposément agressif, allégué par la propagande adverse, légitime l’enrégimentement de la population et du prolétariat internationaliste dans la guerre nationale chauvine réactionnaire.

La guerre impérialiste est réactionnaire.

Quoi qu’il en soit, depuis un siècle, le militarisme et l’impérialisme constituent le mode de fonctionnement systématique du capitalisme ordinaire. À l’ère de l’impérialisme triomphant, tous les États sont fondés sur une économie de guerre… et de plus en plus sur le militarisme «démocratique» bourgeois. Plus que jamais, l’économie – les rapports de production bourgeois – sont au service de la guerre comme moyen de se disputer l’accès aux ressources et d’aliéner les moyens de production et les forces productives afin d’assurer la valorisation du capital au profit d’un Bloc impérialiste ou d’un autre. Et la scandaleuse flambée des dépenses militaires en pleine crise économique, crise sanitaire «pandémique» et guerre ukrainienne vient rappeler que le capitalisme est un mode de production décadent ayant terminé sa vie utile. Au moment où tous les budgets sociaux sont déclarés en mort cérébrale, le budget de la mort militaire connaît une résurrection extraordinaire, affiche une santé financière indécente. Depuis le début de notre siècle, c’est-à-dire en vingt ans, les dépenses militaires dans tous les pays ont doublé, illustration de la militarisation des États.

Actuellement, une grande partie du globe est en proie à des conflits armés. C’est le cas du Yémen, en guerre, dans l’indifférence générale, depuis plus de 11 ans, victime de l’agression impérialiste menée par la coalition arabe dirigée par l’Arabie saoudite. Le Yémen déplore plus de 233 000 morts et 2,3 millions d’enfants souffrant de malnutrition aiguë dont 400 000 risquent de mourir sans traitement, selon l’ONU. La population manque d’eau potable et de soins médicaux. L’Organisation des Nations unies (ONU) classe le Yémen comme la pire situation humanitaire au monde, avec 5 millions de Yéménites au bord de la famine. On peut citer également les guerres en Syrie, Haïti, l’Afghanistan, le Mali, etc.

Dans cette phase historique marquée par l’expansion phénoménale du capitalisme d’État soumis à la baguette des trusts mondialisés et l’exacerbation des tensions commerciales, la guerre est devenue le seul instrument de régulation du système économique en crise permanente. L’unique moyen employé par chaque puissance (petite et grande) impérialiste pour tenter de résoudre, au détriment des autres États rivaux, ses contradictions… c’est-à-dire ses problèmes de valorisation-accumulation de capital l’unique raison d’être du mode de production capitaliste.

Désormais, chaque capital national est contraint par les lois (les règles de fonctionnement) imparables du mode de production capitaliste de s’insérer dans la compétition impérialiste à son profit ou à la solde d’un camp hégémonique. Pour se faire, l’État mobilise tous les moyens coercitifs et instruments propagandistes pour enrégimenter (programmer-formatter) l’ensemble de la société au service de l’économie de guerre en vue d’affronter militairement ses rivaux économiques ou stratégiques afin d’accaparer le plus de plus-value possible.

La guerre est devenue le pivot de la production industrielle, la variable d’ajustement du fonctionnement économique de la société. C’est la raison pour laquelle tout progrès technologique est conditionné par le secteur militaire de l’économie. Toute l’économie nationale repose sur le développement exponentiel de l’armement destiné à neutraliser les pays rivaux, concurrents. À l’ère de l’unification mondiale du commerce sur fond d’une surproduction effrénée, la guerre est devenue le principal moyen employé par les États pour s’accaparer les marchés ou préserver leur hégémonie locale, régionale ou mondiale.

Cependant, avec l’entrée du capitalisme dans sa phase de déclin historique, la guerre impérialiste a presque perdu sa rationalité économique. La dimension géopolitique ou purement idéologique (défense de la «liberté» abstraite et illusoire (on ne peut être libre et aliéné) ou de la «nation ancestrale» ou de l’ethnie opprimée) tend à phagocyter l’intérêt proprement économique.

La guerre d’Ukraine dans la stratégie impérialiste de guerre mondiale

Comme on le relève avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, il s’agit d’une simple conquête géostratégique, arrachée au prix de destructions massives barbares. En effet, comme l’illustre l’actuel conflit militaire en Ukraine, la guerre constitue un véritable désastre socioéconomique et une hécatombe humaine. Autrement dit, dans cette guerre en Ukraine, comme dans la totalité des guerres impérialistes entreprises ces dernières décennies partout dans le monde, les coûts dépassent largement les bénéfices tirés par les belligérants.

Déjà, moralement, toute guerre impérialiste est, par principe, condamnable et inacceptable. À plus forte raison à notre époque décadente la guerre, de plus en plus « irrationnelle » du point de vue économique, devient inadmissible et révoltante.

Assurément, la guerre en Ukraine témoigne de l’accélération brutale du militarisme sous pression de l’économie de guerre. Rappelons que le militarisme se manifeste, ces dernières décennies, par la prolifération de conflits militaires sanglants, fréquemment opérés sous la forme de guerres civiles, la manifestation d’ambitions impérialistes et la désintégration de structures étatiques : Somalie, Yougoslavie, Afghanistan, Irak, Syrie, Yémen, Mali, etc.

Sans conteste, la guerre en Ukraine illustre l’irrationalité de toute guerre impérialiste. En effet, l’actuelle guerre menée par la Russie est dénuée de toute fonction économique et intérêt stratégique. Pour preuve. Pour justifier et légitimer le déclenchement de la guerre contre l’Ukraine, baptisée par euphémisme « opération militaire spéciale », la Russie a argué défendre les russophones ukrainiens. Or, elle massacre des dizaines de milliers de civils dans les régions habitées essentiellement par des russophones. Elle détruit des infrastructures et des immeubles situés principalement dans les zones russophones. Où est l’amour et le respect de la Russophonie ? Des régions russophones ? Quand toutes les régions russophones sont transformées en champs de ruines.

Une chose est sûre, quand bien même la Russie viendrait à s’emparer du Donbass et des régions limitrophes du Sud, elle conquerrait des décombres, des débris, mais, surtout, soumettrait une population meurtrie animée d’une haine inexpiable, totalement rebelle et ingouvernable. Sans oublier qu’elle subirait une débâcle stratégique dans ses ambitions d’hégémonie et une érosion de sa puissance économique régionale.

Sans nul doute, avec sa politique belliciste, sa stratégie de la « terre brûlée », dépourvue de bénéfices économiques et intérêts stratégiques manifestes, la Russie illustre de manière éclatante l’irrationalité de toute guerre menée à l’ère du capitalisme impérialiste décadent.

Par ailleurs, de nos jours, l’amplification de l’irrationalité des conflits militaires se conjugue avec l’irresponsabilité et la dangerosité des nouveaux gouvernants hissés aux commandes de l’État, illustration de l’intensification du militarisme et du délitement de la gouvernance, corollaires de l’étiolement du pouvoir d’encadrement de la bourgeoisie sur ses structures politiques et ses institutions étatiques, livrées à la gabegie générale, l’incurie gouvernementale, l’amateurisme en matière d’administration, conduisant à des politiques aventuristes menaçant la stabilité et le fonctionnement de la société, voire la survie de l’Humanité, notamment par le brandissement du recours à l’arme nucléaire, comme s’il s’agissait d’une arme inoffensive, ainsi que l’agite actuellement Poutine contre les dirigeants occidentaux, tout autant psychopathes que va-t-en-guerre, ces soudards de la politique, soulards de guerres, enivrés d’une hystérique bellicosité éthylique.

Une chose est sûre : aujourd’hui, de nouveau, la guerre généralisée menace d’embraser le monde. Cette nouvelle guerre ne nous nous surprend guère. Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée l’orage. La guerre est en permanente gestation dans l’organisme social capitaliste. Et le rôle des anticapitalistes est de dénoncer les préparatifs de guerre, de s’opposer à l’embrigadement idéologique des prolétaires dans un camp impérialiste, à leur mobilisation militaire. ( Voir : Idéologue, économiste, chef d’État et chef de guerre…le « nouveau » Vladimir Poutine! – les 7 du quebec).

L’histoire du mouvement ouvrier, évidemment ignorée par l’historiographie dominante, nous apprend que lors des deux Guerres mondiales, pour s’être opposés à tous les camps impérialistes en conflit, des militants endurèrent calomnies et dénonciations, accusés par tous partis bellicistes de droite et de gauche d’être des agents de l’ennemi. Sur le fondement de la « logique » chauviniste assassine «qui n’est pas avec nous est contre nous», ces organisations bourgeoises exécutèrent sans autre forme de procès des militants internationalistes pour leur refus de participer et de cautionner la curée guerrière barbare impérialiste, pour leur politique d’opposition à tous États belligérants, y compris l’URSS.

Les gouvernants contemporains n’hésiteront pas à embastiller, voire à fusiller, les militants anti-impérialistes. (Voir : Vers l’économie de guerre mondiale – les 7 du quebec).

 

Khider MESLOUB

 

 

Robert Bibeau

Auteur et éditeur

5 réflexions sur “L’impérialisme, la phase finale du capitalisme mondialisé

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